C
HRONIQUE
L'ESPOIR AU CUBE
MOI, UN CODÉPENDANT AFFECTIF? En décembre dernier, je marquais en toute simplicité mes vingt années d’abstinence. Deux décennies sans alcool, et presque autant sans nicotine et autres substances toxiques, ça valait la peine de le souligner, non! Et cet heureux accomplissement, ce changement bénéfique pour moi et mon entourage, je le dois, bien sûr, à mon assiduité aux différents mouvements (AA, etc.), mais aussi, et surtout, à un travail continu sur moi-même. Un travail parfois pénible, souvent laborieux, mais absolument nécessaire pour quiconque souhaite acquérir un minimum de sobriété émotive.
même. Comme beaucoup de pères québécois qui n’arrivent pas à exprimer leurs émotions, et qui n’osent (malheureusement) pas consulter.
MAIS QUI ÉTAIS-JE DONC VRAIMENT?
Mais la bonne nouvelle, c’est qu’on peut guérir de sa codépendance. En prenant conscience du problème; en repérant et en prévenant les situations à risque; en éliminant les substances toxiques (alcool, drogues, etc.); en changeant son discours intérieur et les mauvais comportements qui en découlent; en tassant les personnes toxiques de son entourage; en développant de bonnes habitudes de vie (activités physiques, méditation, etc.) et en faisant le nécessaire pour augmenter son estime et son amour de soi.
Sitôt descendu du fameux nuage rose inhérent aux premiers mois d’abstinence, je n’ai pas eu le choix de commencer à m’interroger. J’étais condamné à avancer… Ainsi, au-delà du regard des autres, « qui » étais-je donc vraiment? Et d’où me venait ce si grand besoin de plaire à tout le monde qui me suivait depuis toujours? Quelle était donc la nature de cet immense besoin d’amour, de ce vide jamais comblé, qui continuait à me ronger inexorablement, et ce même si j’étais abstinent? En même temps que je développais une spiritualité un peu plus nourrissante que la religion, telle fut ma tâche, un jour à la fois, au fil des premières années de mon rétablissement. Regarder, nommer et essayer de comprendre toutes ces émotions nouvelles, plutôt que de les glisser sous le tapis comme avant. Et avoir l’humilité d’en apprendre le ba-be-bi-bo-bu. D’où ça vient? Pourquoi? NOUS, LES SAUVEURS DE L’HUMANITÉ… Rendu là, c’est grâce à un psychologue et à certaines lectures (Mélody Beattie, Lise Bourbeau i , etc.) que j’ai pu, avec un brin d’effarement — mais avec un grand soulagement — commencer à mettre des mots sur mes maux. Ainsi, moi qui m’étais si longtemps comporté en « sauveur de l’humanité », au point de m’y perdre et d’en faire deux solides dépressions atypiques, je me suis rendu compte que j’étais un « codépendant affectif » comme on appelle ce malêtre intérieur… Ce creux abyssal, cette carence affective inhérente aux blessures de l’enfance : l’abandon, la honte, le rejet… Alors que le « dépendant affectif » a besoin de l’autre pour faire son bonheur, le « codépendant », lui, a besoin de faire le bonheur de l’autre, que le bonheur de l’autre dépende de lui… Pour se sentir apprécié, donner un sens à sa vie et remplir son vide intérieur. Tiens! Un peu comme ma mère, catholique et soumise, qui était codépendante de mon père alcoolique et violent. Un père aimant à sa façon, mais terriblement souffrant lui-
FÉVRIER 2020
Codépendant affectif, aussi, comme tant de ces parents que je connais et qui, en bons sauveurs qu’ils sont, placent la maladie mentale ou la toxicomanie de leurs enfants, au-dessus de leurs propres besoins; au point de s’en rendre malades. GUÉRIR SA VIE, UN JOUR À LA FOIS
Autant de tâches prioritaires auxquelles je me suis humblement attelé pendant deux décennies. Ce faisant, j’ai renoué avec ma fille et aussi ma famille, moi qui étais fier mouton noir; j’ai aussi repris ma place et réglé des comptes au travail, en outre de bifurquer vers la santé mentale comme intervenant et pair-aidant. Et j’ai enfin réalisé quelques rêves, dont celui d’écrire un premier livre (Le Cœur enveloppé), en plus d’accoucher d’un deuxième (Basse-ville blues) que j’espère voir éditer bientôt. Et comble de joie, je suis devenu un grand-père. Élie, qu’il s’appelle, le petit blanchon ! La vie peut être si généreuse… À condition d’y mettre le prix, bien sûr. CHEVROLET, PONTIAC… Parlant d’efforts à consentir pour obtenir des résultats, un vieux membre AA me serinait toujours ceci, à mes débuts… « Commence donc par apprendre à te connaître, et le reste viendra. Tu peux bien changer tes comportements, mais pas ton frame… Quand on est Pontiac, on n’est pas Chevrolet! » Une entournure que j’avais encore à l’esprit, il y a peu, quand ma fille s’est avancée pour me remettre mon jeton de sobriété. Un moment de gratitude, de fierté et de joie pure celui-là, que je souhaite à toutes les personnes pareilles à moi. Qu’elles soient Pontiac, Chevrolet, ou même Cadillac! GILLES SIMARD
Mélody Beattie, Vaincre la codépendance; Lise Bourbeau, Les 5 blessures de l’enfance qui empêchent d’être soi-même.
LA QUÊTE
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