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Il en va des oiseaux comme des humains
C o u r t o i s i e : M a r t i n e C o r r i v a u l t
En hiver, les petites marches d’oxygénation ne favorisent pas vraiment la conversation : il faut regarder où l’on met les pieds et ne perdre ni son souffle ni son équilibre. Mais ce matin, Valentine défie tous les dangers et me dit, en passant devant la maison où des mangeoires d’oiseaux sont accrochées à presque toutes les branches des arbres : « On ne voit presque pas d’oiseaux dans notre coin, cette année. »
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Habituellement, une douzaine de juncos s’affairent sous les mangeoires secouées par les geais bleus qui ont découvert comment faire tomber les grains, ruse dont les jaseurs des cèdres et les mésanges à tête noire profitent. Mais ces temps-ci, le resto des oiseaux semble boudé par sa clientèle. Et pas de traces du gros matou pour expliquer la désertion.
– Il paraît que depuis 1970, les populations d’hirondelles, de bruants, de parulines et même de merles sont tombées de plus de la moitié. Et ça s’aggrave partout dans le monde; plusieurs espèces frôlent l’extinction, à cause de nous, les humains.
La militante n’est jamais loin quand Valentine aborde un problème environnemental. Je risque quand même : Tu sais, l’être humain est aussi un animal raisonnable menacé de disparition, et pourtant, il n’y en a jamais eu autant sur terre…
– Justement, il se multiplie et invente de nouvelles manières d’occuper toute la place; c’est ça qui va la provoquer, sa disparition.
– C’est pas demain la veille…
– Personne ne le sait. On croit tous qu’on ne verra pas ça; mais un bon matin, on se retrouvera le nez dans la dernière purée! Prends l’Australie : ce n’est pas un pays pauvre, mal organisé face aux catastrophes naturelles. Pourtant, depuis des mois, les grandes chaleurs ont causé une sécheresse intense qui a provoqué des incendies qui ont tout rasé jusqu’à l’océan et rendu l’air irrespirable. Il y a eu des morts humaines et des milliers d’animaux ont péri. Leur climat-sceptique de premier ministre n’a su que dire « I’m sorry... On ne va pas créer du chômage pour protéger la nature! » C’est l’éternel dilemme des pays riches. Au Brésil, ils permettent aux multinationales des industries agricoles de brûler des sections de la forêt amazonienne et d’y implanter mégacultures et super élevages pour l’exportation… Tout ce qui retarde leurs plans doit disparaître; végétation et faune sont effacées avec des produits toxiques qui brûlent les sols et rendent les gens malades. Quand les terres deviendront des déserts, les industries partiront et les survivants resteront le bec vide, comme les oiseaux…
– L’animal humain sait tout ça en espérant que devant le désastre, un sauveur se pointera, comme dans les films de science-fiction. Avec une approche humoristique, la vision québécoise de cette pensée magique Dans une galaxie près de chez nous, propose un Capitaine Patenaude qui, à bord de son vaisseau spatial le Romano-Fafard, cherche une planète où les « tatas » terriens qui ont empoisonné la Terre pourraient tout recommencer.
– Y’a pas d’quoi rire quand notre espèce ajoute ses méfaits aux catastrophes naturelles causées par les chambardements des cycles du climat. On croit s’en tirer avec un so what jusqu’au jour où l’eau monte dans la cave, ou quand le feu brûle la maison…
– En attendant, moi, j’ai les orteils qui commencent à geler… On va prendre un café et tu ne me parles pas des exploiteurs dans les pays producteurs de café et de chocolat.
– Comme son intelligence raisonnable distingue l’animal humain des autres espèces, j’en déduis qu’aller au chaud est une proposition sage et acceptable. Mais je maintiens que l’humanité risque gros quand elle perturbe l’équilibre de la nature, mais qu’elle a tout à gagner à l’observer respectueusement et ne s’est jamais gênée pour lui emprunter des trucs de survie…
– Toi t’as vu à la télévision la fille qui a écrit Quand les animaux et les végétaux nous inspirent : elle raconte comment des inventions modernes ont été développées à partir d’observation des plantes et des animaux…
Y’a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Ou pire sourd, celui qui ne veut pas entendre. L’homme raisonnable des philosophes n’est pas si raisonnable que ça et le prouve chaque jour.