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La sexualité des bêtes
« Toute cette immense vie qui se remultiplie infiniment serait pour nous? Il n’y a que Dieu pour le croire. » ~ Ellias Canetti
Ce thème de La Quête me donne l’occasion de répondre à la question que tout le monde se pose : mais comment baisent donc les punaises de lits? Les punaises pinent sans arrêt, jusqu’à deux cents fois par jour! Et attention, piner, pour elles, signifie transpercer la carapace dorsale, les pattes, la tête, ou même le cœur, pour y éjaculer, ce qui équivaudrait à 30 litres de sperme chez l’être humain. N’étant pas foutu de distinguer ses congénères, le mâle perfore une fois sur deux d’autres mâles, souvent d’autres espèces, et parfois, sans faire exprès, une femelle. Le pire dans cette cruauté c’est que les dames punaises ont un vagin qui ne leur servira jamais…
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Les créatures qui peuplent la Terre font montre d’une diversité de pratiques sexuelles étonnantes : le hamster peut faire la chose 70 fois en une heure, le phasme durant 10 semaines sans interruption, alors que plusieurs espèces, dites sémelpares, ne la feront qu’une fois dans leur vie pour en périr aussitôt après. Au stade larvaire, la bonellie verte mâle est 200 000 fois plus petite que la femelle, qui l’aspire dans sa trompe et lui fait passer sa vie à féconder ses œufs. Une certaine mère acarien pond 15 œufs (1 mâle, 14 femelles). Ceux-ci éclosent dans son corps, le fils féconde ses 14 sœurs, puis meurt, avant même de naître, tandis qu’elles bouffent leur propre mère de l’intérieur avant de recommencer le cycle. Merveilleux non.
Ce thème me fournit surtout l’opportunité de parler d’une de mes récentes passions : les nématodes, ces petits vers peu connus qui constituent pourtant, en nombre, 80 % du règne animal! Paragordius tricuspidatus, un ver parasite nématomorphe, fait parti de ces espèces qui en manipulent d’autres pour compléter leur cycle de reproduction. Ayant pour contrainte de ne pouvoir se reproduire qu’en milieu aquatique, notre nématode se fera avaler sous forme de larve par un grillon, ou autre, puis, au bout d’un an, la maturité sexuelle atteinte, il prendra littéralement contrôle du cerveau de la bestiole en produisant des protéines qui la contraindront à agir contre ses propres intérêts. Devenu organisme parasitairement modifié, le grillon semble attiré, programmé, poussé par une force irrépressible, à se jeter dans l’eau. Lui qui n’y fout habituellement jamais les pattes. Arrivé à destination, le ver sort de son hôte en perforant son abdomen, après avoir soigneusement évité d’abîmer ses organes vitaux. Si le grillon est dévoré par une grenouille ou une truite, et meurt donc avant de libérer son ver, ce dernier s’en tire en ressortant tranquillement par ses propres moyens. Cet organisme rudimentaire — en gros un tube digestif muni d’une bouche et d’un anus — possède un ensemble de traits lui permettant de ressortir vivant du prédateur. Une véritable prouesse biologique. Les mâles qui ont réussi à se rendre dans les eaux nuptiales s’enroulent tous autour d’un morceau de bois, formant une sorte d’agrégat de nœuds. Comment se reconnaissent-ils? Et comment les femelles les retrouvent-ils? Nul ne le sait.
Terminons avec toxoplasma gondii, une espèce de parasite intracellulaire agent de la toxoplasmose. Ce protozoaire ne se reproduit qu’à l’intérieur des félidés. Un chat pour lui c’est une chambre mobile où baiser. Pour parvenir à ses fins, il contamine des souris ou des rats qui lui servent d’hôtes intermédiaires. Sous l’emprise de la manipulation, un rat infecté perdra sa peur ancestrale du chat, montrera des signes d’excitation sexuelle s’il renifle son urine, et ira se pavaner tranquillement devant son prédateur qui le bouffera tout cru. Ces observations ont incité des scientifiques à explorer plus avant les différences de comportement notées chez les humains porteurs du parasite. Oui, j’oubliais, les humains aussi l’attrapent : mains sales, viande mal cuite, crudités souillées, transplantation d’organe, transmission au fœtus sont autant d’occasions d’accueillir Gondii.
Certains neuroscientifiques avancent une hypothèse fascinante : la toxoplasmose entretiendrait un lien de causalité avec certaines maladies psychiatriques : la schizophrénie, les idéations suicidaires et la dépression pourraient provenir de ce dysfonctionnement parasitaire. Il est établi que le parasite perturbe les connectivités des centres du plaisir et de la peur. Les études épidémiologiques sont formelles : un tiers de la population mondiale est infecté par la toxoplasmose! Un camelot vous vend La Quête, vous le prêtez à un ami : un de vous trois est sans doute infecté… Heureusement, la toxoplasmose reste la plupart du temps bénigne, mais peut s’avérer terriblement dommageable chez les sujets aux systèmes immunitaires fragiles. Il n’existe à ce jour aucun vaccin ni traitement permettant d’éradiquer cette infection.