La_QuĂȘte_numĂ©ro 232_Juin 2021

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ENTRE ÉVEIL ET RÊVE

Cela survient Ă  l’heure du rĂ©veil. Je m’efforce d’agiter un doigt ou un orteil, car c’est la seule solution que j’ai trouvĂ©e pour rester Ă©veillĂ©e, et Ă©viter de me retrouver enfermĂ©e Ă  nouveau. Je me rĂ©pĂšte sans cesse de ne pas me rendormir. Souvent, le sommeil prend le dessus, et je me « rendors », ou plutĂŽt mon corps s’éteint, mais ma conscience est toujours lĂ . Selon Alex Desautels, professeur adjoint au DĂ©partement de neurosciences de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al que j’ai questionnĂ© sur le sujet, il s’agit d’une dissociation : certains Ă©lĂ©ments neurologiques, prĂ©sents durant la phase du rĂȘve s’introduisent dans le cerveau Ă©veillĂ©. « Il y a des parties de notre cerveau qui sont parfaitement Ă©veillĂ©es, et d’autres qui envoient des signaux, au mauvais moment, Ă  notre moelle Ă©piniĂšre pour dire aux muscles de rester immobiles », explique-t-il. Le professeur affirme qu’environ 40 % de la population mondiale peut, Ă  un moment ou un autre, vivre un Ă©pisode de paralysie du sommeil. LA PREMIÈRE FOIS

Axelle, 21 ans, expĂ©rimente des choses propres aux jeunes de son Ăąge, sauf lorsqu’elle s’endort. C’est durant la nuit que la sensation de blocage apparaĂźt. Il lui est impossible de faire un mouvement, et cela bien que sa conscience soit active. HabituĂ©e Ă  gĂ©rer la paralysie, elle se souvient de la premiĂšre fois, il y a quatre ans, oĂč son sommeil n’a plus Ă©tĂ© le mĂȘme. « Ce jour-lĂ , j’étais vraiment trĂšs fatiguĂ©e », confie-t-elle. Alors qu’elle venait de vivre une expĂ©rience hors du commun en plein milieu de la nuit, l’étudiante en droit explique avoir tentĂ© en vain de rester Ă©veillĂ©e pour ne pas se retrouver Ă  nouveau enfermĂ©e dans cette prison corporelle. « J’ai longtemps eu peur de me rendormir, JUIN 2021

je m’étais dit que c’était peut-ĂȘtre les prĂ©mices de la mort », tĂ©moigne-t-elle. Cheikh se souvient aussi de sa premiĂšre fois. Le jeune passionnĂ© d’économie fait mention d’une expĂ©rience qui, Ă  l’époque, l’avait laissĂ© indiffĂ©rent, mais qu’il dĂ©crit tout de Olivier BĂ©caille, personnage de la nouvelle La mort d’Olivier mĂȘme comme « surhu- BĂ©caille d’Émile Zola. Victime de catalepsie soit la suspension du mouvement volontaire des muscles, le personnamaine ». « Au rĂ©veil, je me complĂšte ge enfermĂ© dans son cercueil assiste Ă  ses propres funĂ©railles. sentais bizarre, comme si quelqu’un avait essayĂ© de TRAITEMENTS REQUIS ? me tuer, de prendre le contrĂŽle de mon corps », se souvient-il. Ce n’est « Souvent quand on explique Ă  la perque quelques annĂ©es plus tard que ses sonne que c’est quelque chose de bĂ©nuits prennent une tournure diffĂ©- nin, ils n’ont pas besoin de traitement », rente, le laissant cette fois-ci complĂš- avance le neurologue. Cependant, tement traumatisĂ©. Le jeune homme certains patients peuvent vivre la side 26 ans Ă©tait conscient et incapable tuation Ă  l’extrĂȘme et ainsi dĂ©pendre de bouger lorsqu’il a senti son souffle de soins spĂ©ciaux. « À ce moment-lĂ , se couper alors qu’il s’était endormi il y a une indication de traitement et sur le ventre. Il avait l’impression de on donne des mĂ©dicaments qui vont mourir jusqu’à qu’il ressente l’inter- bloquer les signaux du sommeil de vention d’une force extĂ©rieure. « Je rĂȘve », poursuit le directeur de la clime suis dit que c’était Dieu ou un nique du CÉAMS. ange qui m’avait sauvĂ© », assure-t-il. M. Desautels explique que cette expĂ©RÊVE, HALLUCINATIONS ET MYS- rience peut ĂȘtre due Ă  un manque de TÈRES sommeil. Les images et les sons terrifiants dont certains peuvent ĂȘtre tĂ©Cet Ă©tat de mort temporaire s’accommoins vont parfois se rĂ©fĂ©rer aux Ă©lĂ©pagne parfois d’hallucinations viments d’un monde spirituel, comme suelles ou auditives. Aussi loin que Cheikh qui a dit s’en ĂȘtre sorti grĂące je me souvienne, j’ai toujours eu des Ă  une intervention divine. Mais selon hallucinations auditives, mais il m’a le neurologue de l’HĂŽpital du SacrĂ©fallu du temps pour comprendre que CƓur, rien n’a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© sur le ces bruits n’étaient pas rĂ©els. Ce phĂ©plan scientifique. « Les gens vont nomĂšne s’est plus tard suivi d’halluessayer d’expliquer les phĂ©nomĂšnes cinations visuelles. Il y a encore un ou les figures menaçantes par leurs mois de cela, j’apercevais un chat propres rĂ©fĂ©rences », argumente-t-il. noir se promenant dans ma chambre Selon moi, ce phĂ©nomĂšne reste une Ă©tudiante. expĂ©rience propre Ă  chacun qui se Le professeur Desautels distingue les garde de nous partager tous ses myshallucinations hypnagogiques qui tĂšres. surviennent lors de l’endormisseOCÉANE KOUASSI ment, des hallucinations hypnopompiques qui apparaissent au rĂ©veil. Le processus est le mĂȘme que celui de la paralysie du sommeil. En effet, les Ă©lĂ©ments qui façonnent le rĂȘve, appelĂ©s les Ă©lĂ©ments oniriques, vont s’introduire dans le cerveau, bien que celui-ci soit Ă©veillĂ© et ainsi construire ces images visuelles ou sonores.

CrĂ©dit photo :

MĂȘme Ă©veillĂ©e, je suis incapable de faire un geste ou de produire un son. Consciente de mon environnement, je ne suis qu’une simple spectatrice immobile. Depuis mon enfance, je vis ce que l’on appelle de la paralysie du sommeil.

LA QUÊTE

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