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Entre éveil et rêve

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Pays de province

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Même éveillée, je suis incapable de faire un geste ou de produire un son. Consciente de mon environnement, je ne suis qu’une simple spectatrice immobile. Depuis mon enfance, je vis ce que l’on appelle de la paralysie du sommeil.

Cela survient à l’heure du réveil. Je m’efforce d’agiter un doigt ou un orteil, car c’est la seule solution que j’ai trouvée pour rester éveillée, et éviter de me retrouver enfermée à nouveau. Je me répète sans cesse de ne pas me rendormir. Souvent, le sommeil prend le dessus, et je me « rendors », ou plutôt mon corps s’éteint, mais ma conscience est toujours là. Selon Alex Desautels, professeur adjoint au Département de neurosciences de l’Université de Montréal que j’ai questionné sur le sujet, il s’agit d’une dissociation: certains éléments neurologiques, présents durant la phase du rêve s’introduisent dans le cerveau éveillé. « Il y a des parties de notre cerveau qui sont parfaitement éveillées, et d’autres qui envoient des signaux, au mauvais moment, à notre moelle épinière pour dire aux muscles de rester immobiles », explique-t-il. Le professeur affirme qu’environ 40 % de la population mondiale peut, à un moment ou un autre, vivre un épisode de paralysie du sommeil.

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LA PREMIÈRE FOIS

Axelle, 21 ans, expérimente des choses propres aux jeunes de son âge, sauf lorsqu’elle s’endort. C’est durant la nuit que la sensation de blocage apparaît. Il lui est impossible de faire un mouvement, et cela bien que sa conscience soit active. Habituée à gérer la paralysie, elle se souvient de la première fois, il y a quatre ans, où son sommeil n’a plus été le même. « Ce jour-là, j’étais vraiment très fatiguée », confie-t-elle. Alors qu’elle venait de vivre une expérience hors du commun en plein milieu de la nuit, l’étudiante en droit explique avoir tenté en vain de rester éveillée pour ne pas se retrouver à nouveau enfermée dans cette prison corporelle. « J’ai longtemps eu peur de me rendormir, je m’étais dit que c’était peut-être les prémices de la mort », témoigne-t-elle. Cheikh se souvient aussi de sa première fois. Le jeune passionné d’économie fait mention d’une expérience qui, à l’époque, l’avait laissé indifférent, mais qu’il décrit tout de même comme « surhumaine ». « Au réveil, je me sentais bizarre, comme si quelqu’un avait essayé de me tuer, de prendre le contrôle de mon corps », se souvient-il. Ce n’est que quelques années plus tard que ses nuits prennent une tournure différente, le laissant cette fois-ci complètement traumatisé. Le jeune homme de 26 ans était conscient et incapable de bouger lorsqu’il a senti son souffle se couper alors qu’il s’était endormi sur le ventre. Il avait l’impression de mourir jusqu’à qu’il ressente l’intervention d’une force extérieure. « Je me suis dit que c’était Dieu ou un ange qui m’avait sauvé », assure-t-il.

RÊVE, HALLUCINATIONS ET MYSTÈRES

Cet état de mort temporaire s’accompagne parfois d’hallucinations visuelles ou auditives. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu des hallucinations auditives, mais il m’a fallu du temps pour comprendre que ces bruits n’étaient pas réels. Ce phénomène s’est plus tard suivi d’hallucinations visuelles. Il y a encore un mois de cela, j’apercevais un chat noir se promenant dans ma chambre étudiante. Le professeur Desautels distingue les hallucinations hypnagogiques qui surviennent lors de l’endormissement, des hallucinations hypnopompiques qui apparaissent au réveil. Le processus est le même que celui de la paralysie du sommeil. En effet, les éléments qui façonnent le rêve, appelés les éléments oniriques, vont s’introduire dans le cerveau, bien que celui-ci soit éveillé et ainsi construire ces images visuelles ou sonores.

TRAITEMENTS REQUIS ?

« Souvent quand on explique à la personne que c’est quelque chose de bénin, ils n’ont pas besoin de traitement », avance le neurologue. Cependant, certains patients peuvent vivre la situation à l’extrême et ainsi dépendre de soins spéciaux. « À ce moment-là, il y a une indication de traitement et on donne des médicaments qui vont bloquer les signaux du sommeil de rêve », poursuit le directeur de la clinique du CÉAMS. M. Desautels explique que cette expérience peut être due à un manque de sommeil. Les images et les sons terrifiants dont certains peuvent être témoins vont parfois se référer aux éléments d’un monde spirituel, comme Cheikh qui a dit s’en être sorti grâce à une intervention divine. Mais selon le neurologue de l’Hôpital du SacréCœur, rien n’a été démontré sur le plan scientifique. « Les gens vont essayer d’expliquer les phénomènes ou les figures menaçantes par leurs propres références », argumente-t-il. Selon moi, ce phénomène reste une expérience propre à chacun qui se garde de nous partager tous ses mystères.

OCÉANE KOUASSI

: Crédit photo

Olivier Bécaille, personnage de la nouvelle La mort d’Olivier Bécaille d’Émile Zola. Victime de catalepsie soit la suspension complète du mouvement volontaire des muscles, le personnage enfermé dans son cercueil assiste à ses propres funérailles.

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