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La nuit du silence

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Pays de province

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C ourtoi sie: Martine Corrivault

Glisser dans la nuit d’une mémoire occupée par le silence, la solitude et l’oubli…

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L’image a pu fasciner ermites et poètes désespérés, mais elle ne représente rien de mystique ou de romantique dans la réalité contemporaine de ceux qui n’ont pas choisi d’habiter ce paysage. Les caprices et la durée de la pandémie actuelle font qu’on n’a jamais autant parlé de « préserver » la santé mentale des gens en insistant sur les besoins et les inquiétudes de la jeunesse qui, elle, a ses propres idées sur la question. Depuis l’hiver 2017, le mouvement Jeunes et santé mentale réunit organismes, groupes et individus pour travailler sous un thème éloquent: C’est fou la vie, faut pas en faire une maladie. La lutte contre la médicalisation comme traitement des problèmes sociaux est dans leur viseur et ils cherchent à se faire entendre. Alors, comme dit la chanson: « Faudrait les écouter. »

La question de la santé mentale n’est pourtant pas nouvelle, mais les chambardements générés par la pandémie font qu’on l’aborde plus ouvertement parce qu’on reconnaît plus facilement que n’importe qui peut être touché, dans tous les milieux et de diverses manières. En principe, les bonnes intentions s’accumulent, mais tout se complique quand il faut agir. Le passé n’a rien d’édifiant comme modèle, le présent n’arrive pas à s’arrimer à la réalité ce qui fait que l’avenir reste flou. Alors, devant une situation concrète, est-ce qu’aujourd’hui, on n’en ferait pas un peu trop avec des mots et des inquiétudes stériles? La réflexion d’un Louis Morissette père de famille et producteur du documentaire La barre haute, de Chantale Limoge, rejoint cette interrogation. Dans le film, il avoue s’interroger devant l’instinct protecteur qui s’éveille en lui quand ses enfants sont confrontés à un stress ou une angoisse. Il se demande si les parents modernes ne nuiraient pas à leurs rejetons en les surprotégeant sans leur apprendre à gérer leurs émotions en affrontant les contrariétés. Quand j’ai discuté de la question avec mon amie Valentine, elle m’a rappelé la boutade souvent servie par les parents des gens de notre génération: « C’est pas la fin du monde, tu t’en rappelleras pas le jour de tes noces! Même si on ne se marie pas, le souvenir de nos batailles de jeunesse nous reste et ça fait des histoires à raconter… Quand on a encore une mémoire pour les évoquer entre amis. » Le ton de sa voix m’a rappelé cet ami dont elle vient d’apprendre qu’il a complètement oublié tout ce qui a été sa vie, lui qui n’en finissait pas de rêver des projets à élaborer et qu’il a parfois réussi à réaliser, toujours en lien avec ses deux passions, la musique et les textes. L’homme accumulait souvenirs, anecdotes et rencontres; quand on lui disait qu’il devrait écrire des livres avec tout ça, il admettait y penser, mais n’avait pas le temps: ce serait un projet pour ses vieux jours. Mais il a glissé dans cette maladie, nuit vivante habitée par le silence et l’oubli. L’ami ne sera pas seul à ne jamais pouvoir raconter la pandémie de 2020. Et d’autres en resteront blessés pour toujours, mais la vie va continuer, certaines choses vont changer et d’autres pas, avec la relève des générations qui apprennent, mais parfois aussi, oublient. La santé mentale, hier, c’était comme dans Les orphelins de Duplessis et Les fous crient au secours. Puis il y a eu la désinstitutionnalisation qui a fermé les institutions, comme celle où avait échoué un Émile Nelligan, mais les préjugés ont survécu.

Les ressources nécessaires ne sont pas toujours accessibles et parfois, Les fous crient encore au secours, comme l’écrit la maman d’un jeune malade récemment « échappé » par le nouveau système qui n’arrive pas à répondre aux angoisses des hommes, des femmes et des enfants de maintenant qui ne savent pas comment affronter les monstres… La détresse sociale n’est pas née avec la pandémie qui n’est qu’un élément de plus à la liste des provocateurs de crises additionnelles dont la santé mentale n’est pas l’unique cause. L’équilibre d’une société repose sur un partage de valeurs et de responsabilités entre ceux qui la composent, même si tous ne sont pas également outillés. Ce qui conduit les participants au mouvement Jeunesse et santé mentale à souhaiter le « déconfinement des pensées » pour améliorer ce qui doit l’être. Et à vivre l’apprentissage « un battement d’ailes à la fois ». Histoire d’habiter le silence des nuits solitaires.

MARTINE CORRIVAULT

NOTE: Le mouvement Jeunesse et santé mentale est né d’un forum organisé il y a cinq ans et est soutenu par les RACQ, (Auberges du cœur), RRASMQ (Ressources alternatives en santé mentale) et l’AGIDD-SMQ (Groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale), et compte aussi des membres individuels.

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