TRANSIDENTITÉ
CAP VERS L’EUPHORIE Aurélie et Freya sont deux femmes transgenres — ou « trans » – qui aimeraient que la transidentité soit racontée autrement, sans que soient éludés les complexités de sa définition et le bonheur de son expérience. Récit d’une nouvelle genèse. CHANGER LA NARRATION
« On ne se définit pas par la souffrance », prend soin de souligner Freya. Dans l’espace public, la transidentité n’est souvent abordée qu’à travers le prisme du déchirement et de la douleur, ce que la jeune femme déplore. L’expérience trans est selon elle bien trop riche pour n’être réduite qu’à ses cicatrices. Lorsqu’on en raconte le périple, il est donc important de commencer par sa destination : l’euphorie.
« Je n’ai pas changé de corps », insiste à ce propos Aurélie. « Il était juste dysfonctionnel par rapport à moi-même et j’ai entamé un processus pour le réajuster. Ça reste mon corps. » À ses yeux, transitionner n’est pas l’inauguration d’une peau nouvelle, mais une réconciliation avec celle préexistante. « Avant, j’étais en état de lutte constante avec mon propre corps. La transition est venue apporter une concordance. » De plus, le passage par la case transition n’est ni automatique ni obliga-
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On baptise de ce nom la joie d’être enfin reconnu(e) par autrui selon le bon
versant fin et moyen. Fréquemment, le fait d’être transgenre est résumé par la formule « être né(e) dans un mauvais corps ». Il s’agit cependant d’un raccourci néfaste, car il édulcore une réalité plurielle et remplace l’objectif final d’euphorie par un simple but de transformation physique.
Lorsqu’on raconte l’expérience trans, il est donc important de commencer par sa destination : l’euphorie.
genre, celui avec lequel on s’identifie. C’est vers cette joie que toute personne trans tend dans son parcours personnel, car elle lui signale être sur le bon chemin. Pour beaucoup, atteindre cet objectif euphorique implique de transitionner, c’est-à-dire entamer des démarches hormonales, chirurgicales, sociales et/ou légales afin de se rapprocher au plus près de son identité de genre subjective. LE MYTHE DU MAUVAIS CORPS
Un second écueil courant, lorsque la transidentité est traitée, est celui inMAI 2021
toire ; c’est là qu’un tel écueil devient dangereux. En faisant de l’aspect physique l’essence unique de la transidentité, toutes les personnes qui n’ont pas — par choix ou circonstance — entamé de démarches pour se présenter au monde selon le genre de leur identification s’en retrouvent brusquement invalidées. IL/ELLE/IEL
Une solution serait de systématiser aussi bien le partage de pronoms dans l’espace public que la demande LA QUÊTE
de pronoms avant toute interaction nouvelle. « Il ne faut pas tenir le genre des gens pour acquis », insiste Freya. « Crois les personnes lorsqu’elles te disent qu’elles sont de tel ou tel genre, peu importe si spontanément, tu ne les vois pas comme ça. » Le genre est bien trop multiforme, selon elle, pour être vu comme une porte à une seule serrure. Le genre détient également une large part de vérité subjective qu’aucune autorité extérieure ne peut remettre en question. « Le simple fait de le savoir est suffisant », ajoute-t-elle. Et être perçu(e) ainsi aussi bien par soi-même que par l’autre entretient l’euphorie tant recherchée. ÉCHAPPER AU NÉANT
Malheureusement, tout comme le remarque Freya, « la reconnaissance [du bon genre] n’est pas automatique », ce qui donne souvent lieu à du mégenrage (emploi accidentel ou volontaire du mauvais pronom). Perçu comme une micro-agression, cet acte provoque une profonde détresse chez les personnes trans et accentue l’écart entre le genre assigné à la naissance et celui auquel elles se savent appartenir. On nomme cette dissonance : dysphorie de genre. Cette détresse n’est absolument pas à sous-estimer, Aurélie et Freya sont unanimes là-dessus. « C’est souvent le dernier geste possible avant d’aller à des moyens plus dramatiques et finaux », explique Aurélie. Pour elle, la transition ne devrait pas être vue comme un acte de courage, mais de survie. Car lorsqu’en dépit de tous ses efforts, l’étau de la dysphorie se referme sur soi, « le néant est extrêmement tentant », résume Freya. Sauter le pas reste tout aussi effrayant, cependant. « On a peur de ne pas être à la hauteur du bonheur qu’on se promet [en transitionnant] », se souvient Freya. Mais la peur est ici accompagnée d’une adrénaline des possibles et d’une joie d’être enfin sur le bon cap. MALIA KOUNKOU
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