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Le pouvoir des fées

C ourtoi sie: Martine Corrivault

Les fées, les magiciens et les mondes fantastiques n’ont pas été imaginés pour seulement distraire ou éduquer les enfants, mais aussi pour donner aux adultes des occasions d’échapper à leur réalité sans passer pour des menteurs. Cette savante observation émane d’une très sérieuse conversation entre trois gamins, entendue et écoutée par de grandes personnes indiscrètes. Cela n’est évidemment pas le mot à mot de leurs échanges, mais plutôt ce que Valentine et moi en avons compris et déduit. Occupés à bricoler, les petits neveux de mon amie discutaient de l’habitude qu’ont les parents d’inventer des excuses pour échapper à ce qui les dérange. En nous éloignant du trio, Valentine me confie: «On oublie souvent qu’ils entendent tout ce qu’on raconte. On leur répète qu’on doit dire la vérité, qu’on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie, qu’il n’existe pas de baguette magique pour régler les problèmes, mais en même temps, on s’excite autour du lapin de Pâques et de ses chocolats, du Père Noël et de ses rennes qui apportent des cadeaux, de la fée des dents et quoi encore…» Pourtant, jamais Valentine ne renoncerait à l’une de ces occasions de bousculer la routine quotidienne parce qu’elle aussi adore les moments de folie qu’ils génèrent, tant chez les grands que chez les petits humains. Ce qui ne l’empêche pas de s’indigner, au nom de la justice sociale, devant l’exploitation commerciale de ces minis bonheurs et les frustrations vécues par ceux qui ne peuvent s’offrir le luxe d’en profiter. Tout être normal porte ses contradictions et elles n’en font pas pour autant un menteur. Parce que savoir séparer la réalité de la fiction, distinguer le vrai du faux et, désormais, pouvoir décrocher d’un virtuel excitant pour affronter l’ordinaire de la vie quotidienne ça s’appelle apprendre à vivre, évoluer, s’adapter même si rien n’est simple ni facile. C’est ce qu’apprend le bébé qui découvre les humains à travers leurs réactions à son premier sourire ou quand il tend les bras en apprenant à marcher, ou entreprend l’exploration du monde en vidant l’armoire dont la porte est restée ouverte. Le futur adulte adapte ses mouvements et son comportement aux limites physiques et aux attitudes des ceux qui habitent son entourage. Avec le temps et les circonstances, savoir s’adapter devient la règle pour toute une vie. À l’âge qu’ils ont, les trois gamins de mon trio de bricoleurs ont déjà beaucoup observé et appris de ce qu’ils ont vu et entendu. Ils savent déjà qu’il arrive aux parents de ne pas dire toute la vérité, mais restent prêts, comme eux, à croire à ce que propose un écran, qu’il soit petit ou grand. Ce qui complique souvent la tâche de papa et maman, note Valentine en ajoutant que rien ne bloque aussi bien les tentatives de conversation qu’un écran allumé. «À moins d’être soi-même à l’écran. Et moi, je résiste encore au téléphone cellulaire…!» En moins d’une année, toutes les règles rassurantes de la normalité traditionnelle ont été chambardées au nom de la survie de l’ensemble de la société. Même s’ils sont doués face aux changements, les enfants éprouvent le besoin d’un minimum de stabilité qu’ils trouvent habituellement dans un cadre familial. Et voilà que la routine si souvent dénoncée disparaît à cause de la superposition du télétravail et de l’école à la maison, en modes virtuel, présentiel et hybride! «Ça va avoir des conséquences dans les relations familiales!» s’inquiète celle qui se désole de n’être que tante Valentine. Pour la rassurer, je lui rappelle que l’humanité a traversé d’autres crises en sauvegardant des valeurs sociales et culturelles jugées nécessaires et que certains neveux apprécient d’avoir une Valentine, même sans cellulaire. Ce qui me vaut sa réplique théâtrale: «La fée des étoiles n’a pas besoin de ça pour ouvrir le coffre aux trésors.» Pour lui répondre sur le même ton, je ne trouve rien de mieux que d’évoquer la Boîte de Pandore qu’il ne fallait pas ouvrir sous peine de libérer tous les fléaux. Alors, triomphante, Valentine conclut: «Là, on ferme le livre d’histoires et tout s’arrête. Mais où se trouve la baguette intersidérale qui neutralisera les mauvais effets des bonnes choses tombées entre les mains des méchants?». Heureusement, nos trois bricoleurs n’ont rien entendu.

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MARTINE CORRIVAULT

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