LA DISCRIMINATION INJECTABLE
Sur un plan personnel, les différents sujets traités mensuellement ont favorisé mon contact et une meilleure compréhension avec des réalités qui m’étaient inconnues à ce jour. D’aucune façon ignorées par désintérêt, bien au contraire, mais plutôt parce que certains sujets sont parfois relayés à l’obscurantisme collectif. Comme quoi le plus sophistiqué des singes est parfois aussi le plus ignorant de certaines réalités qui l’entourent.
dont il est perçu par la société. Réduit à une question simple : subit-il des discriminations résultant de sa consommation de drogues injectables ? D’aucune façon cet article ne se déclare un filigrane sur la vie de tous les consommateurs de drogues injectables, mais bien un aperçu dans la vie de Louis. « C’est quelque chose que je ne veux même plus, mais je n’ai pas le choix, je deviens malade comme un chien si j’en manque, je suis obligé de consommer pour être capable de fonctionner », mentionne Louis.
Ce dernier me confie qu’il s’est beaucoup isolé à cause de sa consomMerci donc, cher lecteur, de m’aider à mation. Isolement qui a eu un effet organiser mes peninsidieux sur sa vie sées et mieux comsociale puisqu’il a « C’est certain que les gens prendre mes horirapidement perdu ont un regard différent, on zons, ma propre contact avec un enregarde les gens en fonction compréhension tourage sobre qui de ce qu’ils font. Pour eux, d’un sujet passant aurait possiblement tu deviens uniquement un fréquemment par pu l’épauler. Louis toxicomane » l’écriture. Les fleurs, gravite donc, depuis même les plus faun certain temps, ~Louis nées, ont besoin de dans un entourage soleil. de consommateurs d’opioïdes et me raconte, sans désaRENCONTRE AVEC LOUIS veu à cet entourage, que c’est une des Après plusieurs années de sobriété, difficultés du chemin escarpé vers la Louis a rechuté, en 2015, dans la sobriété. « Quand tu décides d’arrêconsommation d’opioïdes. Cinq an- ter de consommer, il faut refaire son nées gouvernées par des billes cris- cercle social au complet. Je ne me tallines de morphine qu’il écrase, mé- fais plus des amis aussi facilement lange à de l’eau distillée, puis s’injecte. qu’avant. Ce n’est pas évident d’avoir Il admet d’ailleurs sans repentir avoir des amis sobres quand tu t’injectes », consommé quelques heures avant déclare Louis. notre rencontre, ses yeux vitreux Force est de constater que la serincomme témoins. gue… ça fait peur et ça fait fuir. Bien L’objectif de ma rencontre avec ce qu’à l’occasion, pour des raisons comdernier était d’avoir une conversation préhensibles aux dires de Louis, sa franche et sans tabous sur sa consom- consommation a éloigné des proches mation, mais aussi sur la manière et des amis de longues dates, le blessant parfois au passage et accentuant FÉVRIER 2021
LA QUÊTE
Illustration : Mathieu Rioux
J’écris pour le magazine de rue La Quête depuis approximativement deux ans. Durant ces deux ellipses autour du soleil, j’ai traité de nombreux sujets, toujours dans la perspective de donner une voix à des sujets sociétaux, souvent orientés vers l’itinérance. Tel est l’objectif louable du magazine. Cet article ne fera pas exception, mais son sujet confrontera la porcelaine du bon chic bon genre : la consommation de drogues injectables (héroïne, fentanyl, morphine ou dilaudid).
son isolement. Est-ce que certains jugements préconçus sur la consommation de drogues injectables nous prédisposent à nous éloigner des consommateurs, alors que le réflexe naturel est d’aider un ami dans le besoin ? La discrimination est parfois plus tamisée et sournoise que le sens qu’on lui attribue collectivement. « C’est certain que les gens ont un regard différent, on regarde les gens en fonction de ce qu’ils font. Pour eux, tu deviens uniquement un toxicomane », affirme Louis. UN CHOIX EN SANTÉ
Le système de santé québécois peut parfois servir de fenêtre pour illustrer les inégalités et les discriminations de notre société. Louis fait d’ailleurs un constat lapidaire de la manière dont sont reçus et perçus les consommateurs de drogues injectables dans ce milieu. « À l’hôpital ou à la pharmacie, aussitôt que tu dis que tu es un consommateur, tu te fais fermer toutes les portes. Tu te tires dans le pied si tu le mentionnes, on ne voudra plus rien te prescrire d’autre que des Advils », se désole Louis. Le consommateur se retrouve donc devant un choix qu’un individu ne
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