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Des chandelles et des crêpes
HRONIQUE
C ourtoi sie: Martine Corrivault
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DES CHANDELLES ET DES CRÊPES
L’année 2020 mérite qu’on l’oublie, mais des séquelles de ses mauvais coups traînent encore dans nos paysages. La vie est faite d’ombre et de lumière et, comme disait un vieux sage chinois, mieux vaut « allumer une chandelle que maudire l’obscurité ». Chialer reste une perte de temps quand on ne fait rien. La pandémie des derniers mois nous a imposé des pauses d’ombre qui alimentent encore nos frustrations. Pourtant, bien des gens y ont découvert l’occasion de s’accorder du temps pour réfléchir à leurs choix de vie et à la course infernale qu’ils s’imposent pour atteindre certains de leurs objectifs dont ils remettent désormais en question l’intérêt. Mais on voudrait tous tirer profit de l’expérience et mieux planifier la suite, car la lumière revient: en février les jours rallongent. Et le 2 février 2021, on épie la marmotte pour savoir si l’hiver achève. Autrefois, les chrétiens célébraient ce jourlà, la Chandeleur, une fête qui évoquait la présentation de Jésus et la purification de Marie au Temple. En mémoire de ce rituel juif, ils organisaient des défilés avec des chandelles allumées bénites à l’église. Mon amie Valentine, dont c’est l’anniversaire le 15 février, m’a appris qu’il existe un lien entre la Chandeleur et la fête de la marmotte. Dans certaines régions de la vieille France, un dicton dit: « Qu’à Notre-Dame-de-la-Chandeleur soleil luit, l’hiver encore 40 jours s’ensuit. » L’adage a survécu dans l’Amérique moderne où même les réseaux de télévision guettent la marmotte. Le 2 février, elle ne doit pas voir son ombre s’amuser au soleil sinon elle retourne dans son trou et l’hiver durera encore six semaines.
Certaines familles font sauter des crêpes au déjeuner, le matin de la Chandeleur. Pour rester dans le sujet des traditions, je demande à Valentine si elle connaît celle qui veut qu’en conservant toute l’année la première crêpe qu’on aura fait sauter en tenant une pièce de monnaie dans sa main, on attire chance et prospérité. Ça viendrait d’une coutume païenne adoptée par un Pape qui voulait apprivoiser les Romains. « Jamais entendu parler de ça! Mais en 2020, y’en a qui ont dû échapper leur crêpe! » Valentine n’a toujours pas digéré les contraintes et restrictions imposées pour combattre la pandémie et elle ne croit pas que méditer sur ses vieux péchés améliorerait sa vie. Elle préfère s’indigner, car, dit-elle, « Ça me fait sentir vivante et c’est bon pour ma santé mentale! » Alors, quand je lui propose mon proverbe de chandelle et d’obscurité, elle rétorque avec des éléments de l’actualité qui ont noirci le paysage, en plus de la pandémie: la tournure des élections américaines, les crises de folie meurtrière des fanatiques, le nouveau racisme à l’endroit de ceux qui sont différents et les tentatives de censure du vocabulaire pour en parler, les assauts contre nos libertés. « Pour dissiper ces noirceurs-là, ça prendra plus que des chandelles, même chinoises! » Quand j’avance que l’ignorance et le manque de respect des autres sont à l’origine de la plupart des conflits et des problèmes de communication, elle me répond que c’est plutôt la bonne vieille bêtise humaine qui discrimine ce qu’elle ne connaît pas parce qu’elle en a peur. « Personne ne choisit ses parents, son milieu de vie, le pays où il naît, sa couleur de peau, celle de ses yeux ni même d’être en santé ou handicapé! Mais chacun peut décider de raisonner avec ses pieds et se croire brillant et bienveillant. L’automne passé, chez nous, on a eu le scandale autour de la mort de l’Amérindienne Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette, puis l’absurde histoire du “mot en N...” à l’Université d’Ottawa. Discrimination, intolérance, racisme? On a besoin de mots pour expliquer et de cœur et d’intelligence pour comprendre qu’on appartient tous à la même race humaine. »
Valentine s’arrête, au bord des larmes puis ajoute en allumant la chandelle du centre de table: « Pendant la pandémie, on répétait qu’il fallait se réinventer. Moi je crois qu’il faudrait surtout éduquer plus, mieux, plus tôt pour apprendre à s’ouvrir aux autres, à se connaître et à se respecter mutuellement… » Et elle lance un « Amen » sonore, dans un grand éclat de rire.