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Service de consommation supervisée: l’humain derrière la seringue
devrait pas avoir à faire: cacher une mateurs de drogues injectables et les variable qui a une énorme répercus- pousse à l’isolement ou a caché leur sion sur sa santé dans l’objectif de consommation. recevoir des soins congrus à sa réalité ou être transparent sur sa consommation de drogues injectables et en subir une potentielle discrimination. Prenez un instant pour vous faire une représentation mentale d’un consommateur de drogue injectable et par la suite demandez-vous sur quoi cette À travers ma rencontre avec Louis, représentation est basée. Pour la pluque j’ai condensée pour le format de part d’entre nous, l’image et la percet article, il en ressort clairement ception dudit consommateur sont que ce dernier subit de la discrimi- probablement basées sur un algonation en lien avec rithme d’idées présa consommation: dans son entourage et dans le système de santé. Bien entendu, la problé[...] Mathieu est surtout un humain, comme nous tous, avec des rêves, des craintes, des aspirations et des peines. conçues, n’en ayant jamais fréquenté un. Définir un individu uniquement par sa consommamatique est bien tion de drogue est plus profonde que ce qui en ressort un raccourci intellectuel grossier et ici. L’essentiel de la discrimination malheureusement omniprésent. provient de notre réflexe à attribuer des traits de caractère tendancieux L'AIGUILLE DEVANT L'HUMAIN aux consommateurs d’opioïdes: vo- Prenons l’exemple de Mathieu, un leurs, criminels, sidatiques, troubles jeune homme créatif avec qui j’ai mentaux, etc. C’est ce conditionne- conversé pour rédiger cet article. Éloment qui marginalise les consom- quent et bien articulé, il m’a expliqué
Le tout premier Service de consommation supervisée (SCS) de la capitale nationale devrait ouvrir dans le quartier Saint-Roch. L’augmentation des surdoses liée à la Covid-19 a servi de tremplin pour l’accélération des démarches pour le SCS, attendu depuis plusieurs années. L’acceptabilité sociale de ce service et des consommateurs qui le fréquenteront sont parmi les défis auxquels devra faire face le SCS.
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avec une précision d’inventaire les rouages du système pharmaceutique au travers duquel il obtient une prescription de dilaudid. Certes, Mathieu est un consommateur de drogues injectables, mais il serait injuste et inadéquat de le définir uniquement par cette consommation. Ce dernier est un musicien, un peintre et il écrit mensuellement pour un magazine de Montréal dans lequel ses articles sont appréciés pour leurs aspects analytiques et instructifs. Mais avant la seringue et les pinceaux, Mathieu est surtout un humain, comme nous tous, avec des rêves, des craintes, des aspirations et des peines. La seringue, sulfureuse dans l’imaginaire collectif, c’est l’arbre devant la forêt, c’est l’aiguille devant l’humain. Il est temps de rompre les amarres avec le portrait que l’on se fait des consommateurs de drogues injectables et s’affranchir de tout jugement.
SÉBASTIEN AGOSTINI-CAYER
Le SCS, qui portera le nom de L'interzone, ouvrira ses portes dans les anciens locaux de la coopérative de solidarité SABSA, situés à la jonction des quartiers Saint-Sauveur et SaintRoch, sur la rue Saint-Vallier Est. Revendiqué depuis longtemps par l’ADDICQ, qui défend les droits des consommateurs, le SCS sera aménagé pour offrir huit cubicules d’injection ou d’inhalation.
Québec est l’une des rares grandes villes au pays à ne pas déjà opérer un SCS. Ici comme ailleurs au Canada, l’acceptabilité sociale a toujours été au centre du viseur. Le projet a auparavant avorté à trois reprises, notamment en raison de la levée de boucliers de citoyens et commerçants à proximité des anciens sites candidats.«L’acceptabilité sociale ne veut pas dire unanimité », affirme Simon Vermette, intervenant psychosocial à la SABSA.
Parmi les appréhensions figurent l’augmentation des consommateurs dans le quartier, les conflits potentiels et les files d’attente devant le SCS. Simon Vermette, souligne qu’il y a déjà une effervescence nocturne dans le quartier et que les consommateurs y sont déjà présents. « L’accent sera mis sur l’autorégulation et la médiation. Un intervenant psychosocial sera présent en tout temps s’il y a conflit. Les utilisateurs qui s’injectent présentement dans les cadres de portes ou les toilettes publiques du quartier le feront dorénavant au SCS », ajoute M. Vermette.
L’éducation des gens sur un sujet méconnu comme la consommation de drogues injectables et la déconstruction de certains préjugés
« Il faut arrêter d’avoir peur, on ne veut pas voir que ça existe, mais ça existe. J’ai décidé d’être dans l’empathie ». – Nathalie Jourdain, propriétaire de Cœur de Loup
seront aussi primordiales à un covoisinage sain. « Certains pensent que nous sommes uniformément des gens qui ne savent pas vivre et qui ont des troubles de comportement, il y a une éducation à faire », renchérit l’intervenant.
Le service d’injection, ouvert en collaboration avec le CIUSSS, sera en tout temps chapeauté par une équipe. « À
chaque quart de travail, il y aura une infirmière, un intervenant et un pair aidant. Le poste de pair aidant sera pourvu par un individu issu du milieu, qui est un consommateur et qui a démontré de l’intérêt à s’impliquer et à assumer des responsabilités », spécifie M. Vermette.
: Mathieu Rioux Crédit photo
UN VOISINAGE EN QUESTIONNEMENT
Nathalie Jourdain est propriétaire de la boutique de vêtements pour femmes Cœur de Loup, située directement en biais avec la SABSA. Initialement opposée au projet, elle a mieux cerné certaines de ses craintes au fil des discussions avec différents acteurs impliqués dans le SCS, notamment quant aux rassemblements et aux files d’attente devant l’immeuble. « J’ai changé d’idée trois fois depuis l’annonce. Quand il y a eu l’annonce, j’étais un peu choquée. J’ai été rassurée et après mûre réflexion, j’ai décidé de faire confiance, je suis à la limite favorable maintenant », explique la propriétaire. Mme Jourdain explique qu’une partie significative des opposants au SCS provient de promoteurs immobiliers
qui saisissent possiblement mal la réalité de la vie du centre-ville. L’embourgeoisement des alentours et les différents projets immobiliers sont certes prometteurs sur le plan économique, mais ces derniers concentrent aussi la pauvreté et les consommateurs de drogues injectables dans le voisinage. « Ce n’est pas parce que tu es pauvre et que tu as des problèmes de consommation que tu es méchant. Il y beaucoup de jugement et de jeme-moi, mon argent, mes affaires », ajoute Mme Jourdain. L’entrepreneure est d’ailleurs sûre que sa clientèle, qu’elle qualifie d’ouverte d’esprit, se réjouira qu’un tel service soit offert aux consommateurs en situation précaire. « Il faut arrêter d’avoir peur, on ne veut pas voir que ça existe, mais ça existe. J’ai décidé d’être dans l’empathie », s’exprime Nathalie Jourdain.
SAUVER DES VIES
Martin Pagé est le directeur général de l’organisme communautaire Dopamine, situé dans le quartier Hochelaga à Montréal. Ce dernier a pour mission d’accompagner et de soutenir les personnes qui font usage de drogues et a été le deuxième service d’injection supervisée à ouvrir ses portes au pays. « Mon organisme se met aussi au service du citoyen, mais je travaille pour ma communauté: les gens qui consomment des drogues. Ce monde-là tombe comme des mouches depuis 2014 à Montréal », se désole le directeur.
D’autre part, M. Pagé souligne que pour changer la perception que les gens ont des consommateurs il faut passer par l’éducation collective et la valorisation des accomplissements de ces derniers. Les consommateurs de drogues injectables étant encore trop fréquemment marginalisés et discriminés dans le système de santé et celui de justice. « Fais l’expérience avec un professionnel de la santé, un pharmacien ou un avocat. Dis-lui que tu es un consommateur de drogues injectables. Tu vas voir que leur visage va tomber », renchérit le directeur. Le dialogue et l’échange d’idées sur un sujet aussi polarisant et tabou que les drogues injectables font maintenant partie d’une discussion collective dans la capitale nationale. En réponse à une pétition citoyenne contre le projet, une contre pétition favorable au projet a vu le jour. L'interzone, le premier service de consommation supervisée de la ville de Québec ouvre ses portes dans quelques semaines. Accueillons-le avec bienveillance et ouverture d’esprit, après tout, il sauvera des vies.