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Profilage : présumé coupable
Suspect dans son quartier, Limoilou, comme dans le centre-ville: c’est comme ça que se sentait Webster avant la notoriété. «Il y a 20 ans de ça, si je traversais hors du passage piéton, je me prenais une amende, et si j’attendais au passage à deux heures du matin j’étais suspect.» Pour le rappeur et historien, le profilage dont il a été victime par le passé a profondément affecté sa vie. «Même si je me conformais, j’étais suspect!»
Pour Webster, le profilage commence quand, dans un groupe, les individus sont contrôlés systématiquement. «C’est la fréquence qui est à l’origine de l’énervement. Surtout quand ça n’arrive pas à tout le monde. J’ai parlé avec des gens qui n’ont jamais été contrôlés en 50 ans. Moi, ça m’est arrivé tellement de fois.»
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En principe, le contrôle par la police de Québec vise à «punir l’intention de nuire». Mais aux yeux de personnes interpellées un peu trop souvent à leur goût, les raisons ne tiennent pas la route. « Pour les autres personnes racisées avec qui je parle, ça leur est arrivé tellement de fois. À un moment donné, il ne faut pas prendre les gens pour des cons », affirme Webster, amer. Les associations de défense des droits et les individus qui s’estiment victimes du profilage policier espèrent voir ces discriminations cesser.
On parle de profilage racial quand, les policiers, pour des raisons de sécurité, contrôlent des personnes selon des stéréotypes fondés sur la couleur de peau, l’origine ethnique, la religion ou une combinaison de ces facteurs. Mais ce profilage peut aussi être social et s’exercer en fonction de l’apparence vestimentaire et du lieu de vie. Ces contrôles discriminatoires, relevant d’abus de pouvoir, ne sont pourtant pas recensés par le SPVQ. Le profilage n’est pas reconnu comme tel à Québec. De plus, les caractéristiques physiques et sociales des personnes contrôlées ne sont pas notées par les agents. Frédéric Côté, coordinateur de la clinique Droit de cité, travaille auprès de personnes marginalisées victimes de discriminations sociales. «Il y a un sentiment d’injustice et les victimes en ont conscience.», explique celui qui connaît bien ces difficultés. « Quand les personnes ont le sentiment que leurs droits ont été bafoués, nous les aidons dans les différentes étapes du processus judiciaire, pour faire reconnaître leurs droits », précise-t-il.
ARMÉ POUR SE DÉFENDRE
La clinique Droit de cité a pour mission de défendre les droits des personnes marginalisées et de les accompagner dans la régulation de leur situation judiciaire. Afin de réussir cette quête, Frédéric Côté insiste sur l’importance de la formation. «Nous donnons des formations pour démystifier le processus judiciaire. Elles s’adressent aux itinérants ainsi qu’aux intervenants d’autres groupes venant en aide aux personnes marginalisées».
Le rappeur Webster affirme lui aussi s’être armé de savoirs pour mieux défendre ses droits: «Pour pouvoir communiquer avec la police, j’ai dû apprendre mes droits et devoirs pour mieux manœuvrer lors des contrôles».
Se protéger des contrôles injustifiés et répétés est d’autant plus important qu’ils affectent la santé mentale des victimes. Webster en garde des séquelles. «Je passais mon temps à devoir justifier mon existence. Ça a miné ma confiance envers la société, le système de justice et bien sûr envers le corps policier.» Ses mésaventures passées le maintiennent alerte : «Ça nourrit une forme d’anxiété. Encore aujourd’hui, je regarde toujours dans mon rétroviseur quand je croise une autopatrouille, pour voir s’ils ne vont pas tourner pour me coller, c’est devenu un réflexe».
TERRAIN D’APAISEMENT
Sur le terrain, entre les policiers et les victimes de profilage, les rapports pourraient s’apaiser. «Il faudrait que les policiers renouent des liens de confiance avec les gens.», suggère Frédéric Côté. «Mais parfois, le problème vient du fait qu’on donne une réponse judiciaire à un problème social», poursuit-il. La police n’est donc pas toujours l’intervenant le plus adapté aux situations de précarité. «Dans le cas des personnes marginalisées, la réponse devrait être sanitaire (ndlr: logements, soins). Ça ne sert à rien de remettre des contraventions aux personnes, ça les enfonce dans l’insécurité financière.»
« Les personnes qui ont peu de moyens peuvent se réveiller avec trois constats d’infraction parce qu’ils ont déployé des stratégies de survie, comme s’allonger sur un banc ou trouver un abri », rapporte Frédéric Côté La police n’est pas non plus hermétique aux questions de racisme dans le reste de la société. Cette année, les questionnements à travers le monde autour des liens entre police et population ont aussi touché les agents de Québec. «J’ai l’impression qu’ils veulent changer les choses, remarque Webster. Ce que je n’aurais pas dit il y a quelques années ou quelques mois. Ils s’en rendent compte [du profilage] et veulent changer certaines pratiques et manières de faire.», constate-t-il. Le rappeur reconnaît aussi que le besoin de connaître l’autre existe, pour la police comme pour lui «De mon côté, mes expériences avec la police, trempées dans la négativité, ont renforcé mes biais. J’ai dû faire un grand travail pour ne pas mettre tous les policiers dans le même panier.»
VICTOR LHOEST
Un exemple de profilage: être contrôler pour avoir été assis « trop» longtemps au même endroit...
Crédit photo : Victor Lhoest