La_Quête_numéro 224_Septembre 2020

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DES GRAMMES DE DROGUES DURES AUX KILOS DE FONTE L’adage est qu’un toxicomane aura tendance à transférer une dépendance pour une autre. Généralisation ou pas, il est fréquent que d’anciens toxicomanes trouvent leur rédemption dans un entraînement physique intensif. Voici mon parcours. Toute ma vie, j’ai été un homme de contraste. Un rebelle qui affectionnait les arts contemporains et la poésie, un intellectuel qui pratiquait des sports de combat, mais aussi, pendant quelques années, un drogué qui avait sa santé à cœur. Malgré que je ne cautionnerai jamais l’usage de drogues dures, je ne regrette rien de mon parcours et les nombreuses épreuves et tergiversations qui m’ont amenées où je suis aujourd’hui, heureusement sans trop de stigmates, du moins… je crois.

Ma consommation n’a jamais été excessive en termes de quantité, c’était plutôt un problème de fréquence. La dépendance est un mal d’être difficile à verbaliser et à expliquer, mais, chose certaine, quand on laisse la porte entrouverte et que cette dernière s’installe, elle est difficile à déloger. J’aimerais bien pouvoir affirmer que ma consommation a cessé du jour au lendemain, sans plus d’anicroches, mais la réalité en est toute autre. DE LA DÉPENDANCE À LA PASSION

L’entraînement a été un salut pour moi, une charnière entre la consommation et un mode de vie sain. Ma passion pour l’entraînement à l’aurore a surpassé ma dépendance, puisqu’il est impossible de conjuguer drogues dures et motivation matinale. Ceci étant dit, je suis convaincu que j’avais à l’époque transféré un comportement excessif pour un autre, des grammes

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de drogues dures contre des kilos de fonte. Je me suis lancé dans les bras apaisants de l’entraînement comme on se lance dans ceux d’une nouvelle flamme. J’ai rapidement confirmé l’adage en transférant ma dépendance pour une autre : surentraînement, obsession et narcissisme musculaire. Il est facile de se laisser hypnotiser par la spirale kaléidoscopique de toutes les substances légales et illégales qui permettront de supporter un entraînement draconien et excessif. Le piège est gros comme une éclipse, suffit de s’en apercevoir à temps. Donc ai-je une dépendance à l’entraînement et quel est le résultat de mon transfert d’une dépendance à une autre ? À la première question, je répondrai candidement que oui, puisque c’est une activité dont j’ai physiquement besoin et qui occupe une certaine partie de mes pensées au quotidien. Bien que la classification soit adéquate, je crois par contre qu’il faut nuancer dans mon cas l’aspect péjoratif que l’on associe d’emblée à une dépendance quelconque. Avec les années, l’expérience et la maturité, j’ai développé une approche conciliante et saine par rapport à l’entraînement. Je le fais maintenant et depuis plusieurs années pour ma santé, le plaisir et le bien-être qu’il m’apporte. Je ne m’identifie pas à mon apparence physique, je me définis selon une pluralité d’adjectifs qui ne sont pas liés à l’entraînement. La route a été longue et sinueuse quand je regarde dans le rétroviseur, mais les différents panneaux de signalisation qui longent cette dernière m’ont permis d’apprendre beaucoup sur moi-même et de cohabiter avec mes anciens démons, depuis longtemps confinés au placard. Je sors vainqueur sur toute la ligne : j’ai transformé une dépendance malsaine et nocive en un mode de vie sain et équilibré. Et si l’une des voies potentielles vers la sobriété était le développement d’une passion qui surpasse l’envie de consommation et nous ancre dans cette vie ?

Crédit photo : Alora Griffiths on Unsplash

La majeure partie de mes excès psychotropes ont été inhalés durant ma jeune vingtaine, donc depuis maintenant plus d’une décennie, ce qui me permet d’y porter un regard analytique. Je crois pouvoir dire avec une certaine certitude que la majorité des

effets négatifs n’ont affecté que moi, mon entourage n’y ayant été exposé qu’indirectement : je consommais à leur insu.

SÉBASTIEN AGOSTINI-CAYER

LA QUÊTE

SEPTEMBRE 2020


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