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Aimer apprendre et connaître — à l’infini
Si, dans mes goûts, dans mes champs d’intérêt, dans mes lectures, voire dans mon style littéraire, je suis éclectique, c’est à l’image du monde dans lequel je vis. Ma versatilité, en effet, n’est qu’un reflet «irisé» de celui-ci, qui est divers et multiple dans ses formes comme dans ses aspects. Sinon, si je n’étais pas ainsi, si je n’empruntais pas un nombre indéfini de directions afin d’aller vers lui et de l’explorer, ce merveilleux monde protéiforme et extrêmement complexe, ce monde aux mille et un masques et aux mille et un attraits, comment pourrais-je espérer de le connaître? Comment donc pourraisje aspirer à le comprendre? Comment donc en découvrir les tenants et les aboutissants et me saisir de ces fascinants et mystérieux secrets? Comment percer les énigmes de ce vaste monde sans d’abord emprunter, humble mais confiant, avec patience et persévérance, les indénombrables chemins qui y mènent, et sans être conscient que, bien pourvu pourtant, je n’avancerai et ne me dirigerai vers lui qu’en tâtonnant, qu’en allant malgré mon bon vouloir et en dépit du riche instrumentarium dont au préalable je me serai muni, tel un chercheur bien intentionné, mais se sachant néanmoins presque qu’aveugle et mal préparé, — allant, disais-je, d’éblouissement en déception, de découverte excitante et motivante en déconvenue entraînant des espoirs et des découragements, et apprenant peu à peu, au fil des expériences et des apprentissages, qu’il ne saura jamais procéder, tout au long d’un itinéraire interminable et souventes fois fastidieux, que par essais et erreurs — essais qu’il mènera avec la modestie que commande pareil projet (démesuré et complètement fou peut-être), erreurs dont il tachera de retenir la profonde leçon qui, certes, humilie, dépouille, appauvrit, et enseigne cependant que conquérir, — que l’acquisition de savoirs et de connaissances, si exaltante mais aussi si déconcertante soit-elle, comporte une part d’abnégation et de renoncement à l’amour-propre qu’il ne faut cependant à aucun prix, sous peine de courir à un échec lamentable, négliger.
En somme, partout où sont l’homme, le monde, le cosmos, je me présente, questionne, cherche, fouille, creuse, embrasse et aime — passionnément. Étourdi, pris de vertiges, stupéfait devant tant de beauté et tant de hideur, m’efforçant toutefois de me contenir et de ne pas perdre pied, me souvenant soudain que je suis un explorateur fébrile et exalté, il me revient à l’esprit que tant que mes sœurs et frères humains, que je cherche à connaître afin de les mieux comprendre et chérir, œuvreront les uns au bien, les autres au mal peut-être, mon labeur incessant consistera à «quester» le pourquoi, le commentil-se-fait-que de leurs actes, ici sublimes, là barbares, ailleurs aspirant tantôt à se donner à autrui sans compter, tantôt à en prendre possession, à le dominer et à le mettre à mal.
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Mes moyens sont limités, je le reconnais, et mes instruments, pour la plupart, inaptes tant à la préhension qu’à l’analyse de ce sur quoi porte mon étude, mais, confiant malgré ces contrariétés avec lesquelles j’ai appris à composer, confiant donc en ce qu’il y a de plus vrai, de plus authentique, de plus sincère dans ma folle entreprise, je continue d’avancer, c’est-à-dire de cheminer et d’aller vers le monde, vers sa complexité, vers ses secrets et son mystère, bien conscient que, en cette occurrence, l’impénétrable et l’inaccessible, qui souvent découragent le chercheur pris au dépourvu, tandis que, à l’inverse, ce qui tend à m’échapper et à me glisser entre les doigts me stimule et me motive, dans la mesure où l’insaisissable lui-même, et qui selon moi correspond au caractère intime, à la nature profonde des êtres et des choses, m’invite à marquer un temps d’arrêt d’où découleront, comme naturellement, comme allant de soi, comme étant nécessaires à la prise de conscience qui conditionne le savoir et en détermine la valeur intrinsèque, le respect et la contemplation - ouvrages infiniment plus importants que la conquête dite scientifique et l’acquisition, toujours provisoire, d’un «bagage» intellectuel.
Car les faits se refuseront toujours à être «cernés», capturés et mis en boîte, ce qui jamais ne m’empêchera de leur tourner autour et de m’approcher d’eux au plus près, afin de rencontrer et, plus encore, de goûter et savourer leur «réalité» (matérielle et immatérielle), car les êtres et les choses sont riches d’une dynamique et d’une foncière mobilité qui me les rend infiniment attrayants et captivants, en ce qu’ils me communiquent un «message» dont le sens m’invite à une intense communion fraternelle.
N’est-ce pas là leur magie propre? Et n’est-ce pas là, précisément, tant que mes dispositions intérieures seront favorables à pareille «rencontre», ce qui m’incite à rester constamment éveillé et réceptif, toujours prêt à accueillir ce qu’a à me proposer et à m’offrir cette Vie immense?...
Jean Pierre