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Dix ans d'un jour à la fois
«Plus d’hommes se sont noyés dans l’alcool que à vous que je m’adresse aujourd’hui. À toi, spécifiquement. dans la mer.» -W.C. Fields Tu n’es pas obligé de consommer ni d’en mourir. Tu peux arrêter. C’est difficile, mais moins difficile que vivre dans les Demain, je vais peut-être prendre un verre, ou quatorze, des moyens de consommer, moins difficiles que traverser mais aujourd’hui je ne boirai pas. Je vais traverser la jour- tes journées dans la fatigue et la honte de la veille, moins née sans consommer. Demain, on verra. Aujourd’hui, rien difficile que devoir composer avec les mensonges qui produ tout. C’est l’entente que je passe avec moi-même depuis tègent ton mode de vie malsain. Peu importe ce que tu 3659 jours. Un jour à la fois. consommes, peu importe la quantité ou la qualité de ce que Je ne suis pas seul, nous sommes des millions sur la planète, peut-être même des centaines de millions d’humains aux prises avec des dépendances à l’alcool, aux médicaments ou tu consommes, tu peux arrêter. Arrêter de mourir chaque jour et commencer à vivre. Je ne suis pas le premier, tu ne seras pas le dernier ou la dernière. aux drogues. Nous sommes beau- Ma dixième année de rétabliscoup moins nombreux à choisir l’abstinence complète. L’approche de réduction des méfaits peut fonctionner avec certains, qui ap« Tu mérites de t’en sortir. Mais dépêche-toi, chaque jour, des milliers de dépendants en meurent. » sement est sûrement moins difficile que ta première journée d’abstinence, ta première semaine à frette, ton premier mois prennent à diminuer leur consommation ou minimiser les dégâts. Je - David Gaudreault à dégeler ou ta première année à rapiécer ta vie en lambeaux. Il n’ai rien contre, mais je ne suis pas y a dix ans, même si j’y croyais de ceux pour qui ça fonctionne. J’ai essayé. C’est plus facile peu, je me donnais une dernière chance et j’ai cherché de pour moi de ne pas boire un premier verre que de m’arrêter l’aide. Il en faut, c’est une maladie chronique, insidieuse, après le dixième; plus facile de ne pas fumer un joint que mortelle. Ne crois pas que le terme maladie nous déresponde me priver de fumer trois grammes dans la même jour- sabilise. Au contraire, connaitre sa maladie et ne rien faire née; plus facile de me passer de la cigarette du matin, que pour la traiter, ça c’est irresponsable. de vider un paquet par jour. Voilà pourquoi j’ai tout arrêté. «Mais au bout de dix ans, tu pourrais sûrement consom- totale, que tu cherches une aide professionnelle ou celle mer normalement, tu ne retomberais pas dans l’abus, de tes semblables dans une fraternité anonyme, que tu en non?» Depuis que j’ai décidé de vivre plutôt que de sur- parles à un travailleur social ou une psychiatre, tous les vivre, la vie est belle. Souvent difficile, stressante, pleine de moyens sont bons. Peut-être même que tu devras combiner deuils et de crises, mais belle. Je vais au bout de mes projets, tout ça. Tu mérites de t’en sortir. Mais dépêche-toi, chaque je ne traîne plus de dettes, je suis devenu fiable, je fais du jour, des milliers de dépendants en meurent. Ou passent à ménage dans mon existence, je n’ai plus envie de mourir et côté de leur vie. toutes mes relations significatives s’améliorent. Ce serait un peu con de mettre tout ça en danger, non? Quelques sœurs Je lève mon verre d’eau à tous les alcooliques non-pratiet frères d’armes ont voulu vérifier avant moi, certains n’en quants, tous les dépendants et dépendantes en rétablissesont jamais revenus, certaines s’y noient encore. On ne de- ment, tous ceux qui choisissent la sobriété ou l’abstinence, vrait jamais demander aux rescapés d’un naufrage s’ils ont peu importe leurs raisons. Je le lève aussi bien haut pour envie de replonger dans l’océan. tous ceux et celles qui les aiment, les accueillent et les souÀ ce moment-ci de la chronique, je peux diviser mon lec- Surtout, je lève mon verre à toi, sur le point d’arrêter de torat en trois groupes distincts. Le premier sera constitué mourir. Bon courage. Un jour à la fois. de curieux qui poursuivent leur lecture, bien qu’ils n’aient aucun problème d’assuétude et qu’aucun de leurs proches n’en souffre; ils sont rares, ces chanceux. Le second sera composé des proches de dépendants, qui soutiennent et es- DAVID GAUDREAULT pèrent et souffrent et désespèrent et cherchent des moyens d’aider leurs proches; des courageux. Dans le troisième groupe, ce sont mes semblables, des dépendants plus ou moins conscients des souffrances et des compulsions liées à leur consommation, qui n’en peuvent plus, mais n’imaginent pas vivre sans leur anesthésiant préféré. C’est surtout obsessions, moins difficile que de chercher de l’argent ou Que tu choisisses la réduction des méfaits ou l’abstinence tiennent dans cette éprouvante et magnifique aventure.
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