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N'avoir qu'un seul choix sur son menu

Les nutritionnistes vous le diront : il faut avoir un menu varié pour se maintenir en santé. Étrangement, les intervenants en toxicomanie pourraient vous tenir un discours semblable : il faut avoir un menu varié pour se prévenir de la dépendance. Mais sur le menu dont il est question, on ne parle pas de nourriture (sauf peut-être pour les outremangeurs) ; on parle plutôt d’un menu de stratégies.

«Il n’y a plus grand-chose sur le menu des gens qui ont une problématique de dépendance», explique Claire Grenier, psychologue et directrice du Certificat en dépendances à l’Université Laval. Elle définit la dépendance comme la surutilisation de la même stratégie dans une variété de situations. «Que ce soit un comportement ou un produit que l’on consomme, c’est une activité ou un produit qui fait rapidement du bien», explique la psychologue. Dans un contexte de dépendance, cette réponse positive momentanée devient problématique à moyen ou long terme, ayant notamment des impacts négatifs sur la santé et la vie sociale de l’individu.

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Imaginez, manger une pizza congelée matin, midi et soir, chaque jour. Cette option est peut-être attirante puisqu’elle est rapide et facile à préparer, mais elle n’apporte pas tous les nutriments dont le corps a besoin pour être en santé. Éventuellement, si on mange toujours la même chose, on en oublie les autres options jusqu’à se retrouver avec un menu n’offrant qu’un seul choix. Regarnir son menu Durant les 10 à 15 minutes où Pour ne pas manger toujours la peut d’abord se rappeler les raimême chose ou développer une sons pour lesquels on ne veut pas problématique de dépendance, consommer. On peut penser aux il faut d’abord avoir des options conséquences négatives que la sur son menu. «Plus on a une consommation a provoquées dans variété de stratégies, moins on le passé ou penser aux objectifs est à risque», affirme Mme Gre- qu’on tente d’atteindre. Une pernier. «Notre travail d’intervenant sonne peut vouloir ne pas consomest d’accompagner la personne mer pour atteindre ses objectifs dans la création d’un professionnels, remenu complet et va- prendre contact avec rié pour qu’elle puisse Imaginez, manger des personnes que ensuite choisir entre une pizza congelée la consommation a une récompense im- matin, midi et soir, éloignées, sortir de médiate d’intensité chaque jour. l’endettement, etc. élevée accompagnée Il est même recomdes conséquences mandé d’agir prévenultérieures négatives ou une ré- tivement en notant ses arguments compense instantanée d’intensi- sur un bout de papier qu’on garde té moindre et sans conséquence sur soi et qu’on relie quand l’envie négative future», explique la psy- revient. chologue qui a accepté de partager l’envie est à son plus fort, on quelques recettes. Toutefois, n’allez La psychologue suggère également pas croire qu’il existe une recette d’occuper son corps en stimumiracle. «La modification des ha- lant ses sens. Certaines personnes bitudes de consommation est un prennent une douche, d’autres processus exigeant», précise la marchent: il existe une grande vapsychologue. riété d’options. Dans le cadre d’in-

Crédit photo : Archives web

terventions, Claire Grenier invite où elle consomme, plus cette perparfois les individus à nommer sonne aura le temps d’identifier les objets autour d’eux ainsi que son réel besoin. Alors, peut-être leur couleur: plante verte, chaise prendra-t-elle une autre décision. blanche, etc. Cet exercice d’observation aide la personne à s’ancrer Gestion ou abstinence? dans le moment présent en portant consommer ou le comportement passer du temps entre le moment où l’envie se déclare et le moment attention à son environnement im- La remise en question de sa médiat. consommation est un aspect essentiel d’une consommation responUne autre stratégie est d’appeler sable. Or, cette remise en question quelqu’un. Que ce soit un proche quotidienne est parfois trop éprouou un intervenant, discuter avec vante pour des personnes avec un quelqu’un peut aider à faire un problème de dépendance. «C’est choix éclairé ou se très difficile cette gesdonner du courage « Notre travail tion. Certains trouvent pour tolérer l’envie de d’intervenant est cela si difficile à gérer consommer qui par- d’accompagner la qu’ils vont en venir à tira éventuellement. personne dans la la décision de ne plus Car, il ne faut pas l’ou- création d’un menu consommer», dévoile blier, le désir épiso- complet et varié...» la psychologue. dique de consommer finit par disparaître. Il - Claire Grenier En fait, la majorité des devient déjà plus tolé- personnes qui tentent rable au bout du 10 à 15 minutes, de surmonter un problème de déaffirme la psychologue. D’ailleurs, pendance entame leur démarche les stratégies que proposent les inavec l’idée de réduire leur consomtervenants servent entre autres à mation ou leur surconsommation rendre tolérable l’inconfort causé pour finalement prendre la dépar l’envie de consommer. cision de ne plus consommer du Mme Grenier propose aussi de se (AA) et les Narcotiques anonymes questionner sur le véritable besoin (NA) prônent d’ailleurs l’abstiqui se cache derrière l’envie de nence totale. problématique. Quand une straté- L’abstinence peut sembler un engagie est surutilisée, cela veut notam- gement périlleux, mais l’important ment dire qu’elle est utilisée dans est d’être indulgent avec soi-même des contextes où elle ne répond et de valoriser ses acquis. Même si pas au vrai besoin de la personne. la personne consomme après six C’est un peu comme manger une mois d’abstinence, elle détient toupizza alors qu’on a soif. Il faut donc jours les stratégies qu’elle a mises prendre le temps de remettre en en place durant la période qu’elle question son choix de stratégie n’a pas consommé. «On ne reet tenter d’identifier son véritable tombe pas à zéro, ce n’est pas vrai», besoin. Plus une personne laisse affirme la psychologue. tout. Les Alcooliques anonymes

Claire Grenier, psychologue

Confinement et consommation

Certains contextes viennent parfois chambouler la capacité d’un individu à mettre en place ses stratégies habituelles. Le confinement en est un bon exemple. Cette situation inattendue a fait vivre beaucoup d’émotions aux individus et le ralentissement des activités économiques a créé plusieurs occasions de consommer. Il faut alors trouver de nouvelles stratégies adaptées au nouveau contexte pour ne pas tomber dans la surutilisation d’une seule.

Encore une fois, les intervenants peuvent aider à créer un menu adapté à un nouveau contexte. En allant chercher de l’aide, on augmente drastiquement ses chances d’atteindre ses objectifs. Pourquoi s’en priver?

VALÉRIE MARCOUX

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