HRONIQUE
L'ESPOIR AU CUBE
J’adore Québec, sa riche histoire, sa géographie typique, son architecture unique et ses fiers résidants des deux villes, la Basse et la Haute. Cela dit, compte tenu de l’actuelle pandémie et de tout ce qui en résulte, jamais au grand jamais, la Cité de Champlain ne m’aura paru aussi calme et sereine que maintenant ! On dirait vraiment La Belle au bois dormant des contes de Perrault ! Et je dois l’avouer, j’aime bien cette torpeur étrange qui enveloppe la ville comme un linceul, outre de nous ralentir et de déculotter nos habitudes et nos certitudes de consommateurs effrénés. Même que dans Saint-Jean-Baptiste, mon quartier, j’ai souvent l’impression, le soir venu, de participer à un grand et silencieux pyjama party, une sorte de grand bal furtif où les gens marchent sur la pointe des pieds et se portent un regard tout neuf en raison de cet invité indésirable qu’est le virus. Nous vivons une conjoncture exceptionnelle, qui amène son lot d’expériences nouvelles et intenses et parfois aussi des retrouvailles de voisins ou d’amis des plus inspirantes.
À nous la ville ! C’est ainsi qu’un bon soir de juillet, une amie résidante du Vieux-Québec partageait avec moi sa tristesse, à cause de l’absence d’animation dans les rues de la ville, et plus encore, en raison du report du Festival d’été et de tout le bouillonnement qui en résulte. De fait, comment lui donner tort, surtout en voyant à quel point l’absence de grands événements nuit aux propriétaires et aux travailleurs d’hôtels, de restaurants, de boutiques et de commerces en tout genre ? N’empêche, et même si je sympathise volontiers avec les amis et amies qui vivent de l’industrie touristique, comment ne pas vouloir tirer profit le mieux possible de cette accalmie forcée par la Covid-19 ! Comment rester les bras croisés pendant ce contexte de vie aussi insolite qu’inédit ! Enfin, nous pouvons nous réapproprier la ville et ses bijoux d’architecture, son fleuve fougueux et ses parcs ombrageux, ses trésors culturels et ses places d’armes historiques, son célèbre Petit Champlain et ses produits artisanaux, ses maisons ancestrales et leurs fantômes neurasthéniques, ses rues étroites et leurs p’tits cafés pleins de souvenirs ! Fini, les hordes déprimantes de touristes faisant la queue devant un Mc Do ou s’extasiant devant un comptoir de sirop d’étable ! Fini, les Diamond Princess et autres méga bateaux de croisière, véritables villes flottantes et plus polluantes que des milliers d’automobiles ! Fini, les autocars bruyants et les
SEPTEMBRE 2020
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QUÉBEC, LA BELLE ENDORMIE bus rouges à deux étages bondés de touristes voyeurs qui s’imaginent encore à la grosse Pomme ! Fini, les olibrius et les hurluberlus pénétrant dans l’enceinte de la bibliothèque Claire-Martin (l’Église St Matthew) et cherchant le selfie parfait avec les statues, la balustrade et même avec les autochtones qui y bouquinent en paix ! Fini, l’exécrable va-et-vient des valises à roulettes typique de ce cancer du logement qu’est le Airbnb !
La ville, mais aussi la santé Autrement, je disais aussi à mon amie, ce soir-là, « que se réapproprier sa ville, c’est bien, mais se réapproprier sa santé en ville, c’est encore mieux ! » Et c’est avec cette idée en tête, en fin de quarantaine, ce printemps, que je me suis mitonné un parcours de marche rapide « Basse-ville-Haute-ville », en enfilant par la Marina, le Petit-Champlain et la côte de la Montagne… Le bon vieux truc des endorphines, quoi ! Vous dire le plaisir de déambuler sur les quais du Bassin Louise et d’y croiser toute cette faune bigarrée qui y flâne, pêche, jogge ou fait du vélo ! Vous dire la satisfaction de trotter sur SaintPaul en zyeutant à volonté les vitrines enfin accessibles des galeristes et des boutiquiers… Voilà un privilège rare que les empilades de croisiéristes ne permettent pas souvent ! Vous dire enfin, la joie de revenir par la rue Saint-Jean, en zigzaguant au travers de ces tablées de convives qui ripaillent dehors, devant les restos, rappelant ainsi l’ambiance bénie du Chanteauteuil, du Figaro et de tous ces petits bistros qui firent jadis la réputation du Quartier latin !
Small is beautifull Québec devrait en finir avec la monoculture du tourisme au détriment de ses résidants ; Québec devrait s’orienter vers le small is beautiful, plutôt que verser dans un gigantisme social et culturel de mauvais aloi ; Québec pourrait et devrait se recentrer sur la lenteur et le slow food, comme toutes ces villes du monde (et d’Italie !) qui font de l’écogastronomie leur renommée. Québec pourrait tant de choses, si elle cessait de jouer à la grenouille qui veut devenir aussi grosse que le bœuf ! Ma ville est belle, assoupie ; qu’on la réveille, oui ! Mais pas n’importe comment !
LA QUÊTE
GILLES SIMARD
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