CRÉATIVITÉ EN QUARANTAINE Elles écrivent, elles dessinent, elles photographient, elles peignent ; tels sont les esprits créatifs que ce confinement est venu bousculer. En plus de l’épidémie virale, la COVID-19 a également tari la source de l’imagination, cette précieuse oasis artistique que la quarantaine a desséchée. Si certains ont eu de la difficulté à s’épanouir dans cette nouvelle atmosphère d’isolation, d’autres ont su y trouver le souffle inventif qu’il leur manquait. Voici leurs portraits.
mes capacités physiques. Je n’arrive plus à me rappeler comment le monde était avant. » C’est donc une véritable pénurie artistique et humaine qu’ont expérimentée la plupart des cerveaux créatifs durant cette période de confinement. Et lorsqu’il leur est demandé de définir en quelques mots seulement ce qu’a été pour eux cette soudaine coupure du monde extérieur, ce sont souvent les mêmes qui reviennent. « Anxiogène ». « Étouffante ». « Frustrante ». « Stressante ».
tion. « Tu fais du tri dans tes pensées et idées, tu as le temps de te retrouver. C’est une chose qu’on a l’occasion de faire que lorsque nos responsabilités sont en pause. » Ce plongeon à l’intérieur de soi, Louise l’a également effectué et en est même ressortie plus optimiste. « On prend du recul aussi sur nous, ce qui fait que ça nous donne d’autres perspectives pour plus tard », explique la photographe. « Moi par exemple, être enfermée m’a fait me dire que je ne voulais plus attendre pour faire les choses et juste y aller à fond, faire mes projets et puis on verra ce que ça donne ! »
Crédit photo : steve_a_johnson sur Pixabay)
Une coupure qui guérit
« J’ai eu un gros syndrome de la page blanche pendant ce confinement. J’ai tout essayé. Rien n’y a fait. » -Stella, écrivaine. J’ai vécu de vraies montagnes russes pendant le confinement », raconte Lucie. Elle qui n’a plus écrit depuis deux ans, happée par le rythme intensif de ses cours, s’est brusquement retrouvée face à elle-même durant cette période d’entre-deux. Ce vide soudain a créé en elle une angoisse paralysante figeant toute créativité. C’est un immobilisme que l’on retrouve aussi chez Linda, poétesse et photographe, que l’étirement indéfini de la quarantaine a plongée dans un état d’anesthésie. « Au début, j’étais productive et puis mes réserves d’énergie ont diminué et je n’ai plus rien fait », explique-t-elle, avant de continuer sur une note plus accablée : « La quarantaine m’a rendue loque. Je ne sais plus rien faire. Mes aptitudes sociales sont quasi inexistantes, de même que
OCTOBRE 2020
« Déprimante ». « Piégeante ». Tout un champ lexical de l’enfermement qui permettrait presque de visualiser le tourment vécu par cette inventivité bâillonnée. Réduite au silence, elle tourne en rond, prisonnière de quatre murs mentaux. « Depuis le confinement, j’ai l’impression que tout ce que je publie est moyen », constate en ce sens Coralie, écrivaine et dessinatrice. « J’ai perdu quelque chose dans le processus. » Un mal pour un bien Un autre adjectif revient énormément. « Introspectif », car s’isoler signifie se confronter avec sa conscience ; une activité presque réinventée par la quarantaine. Pour Lilya, amatrice d’art culinaire, cette pause a été une parfaite opportunité de médita-
LA QUÊTE
Le confinement n’a pas été qu’une sentence ; pour certains, il a incarné une libération. Celle des talents cachés pour Armelle qui s’essaiera à la couture et confectionnera ses propres masques ou encore Linda qui, durant les premières semaines de confinement, osera une discipline qui l’intimidait : la peinture. Celle des talents bloqués pour Lucie dont l’envie « d’écrire sans [se] haïr et vouloir tout supprimer » est finalement revenue. « Ça n’était plus arrivé depuis presque 2 ans, je crois bien », s’émerveille-telle. Celles des talents multiples pour Clara — « les chansons, écrire, dessiner, j’ai vraiment touché à tout ! Il fallait que je le fasse sinon, je ne savais pas quoi faire d’autre pour m’occuper. » Celle du droit à ne rien faire. L’injonction à la productivité a été énormément prêchée durant cette quarantaine. Chaque journée d’immobilité devait aussitôt être rentabilisée et chaque seconde passée à ne rien faire devenait un péché, provoquant un cercle vicieux de culpabilité. « Personnellement, j’ai eu à apprendre à accepter la procrastination sans l’autoflagellation habituelle », partage à ce sujet Lilya. Pour elle, il est important d’apprendre à lâcher prise, surtout lorsque la situation échappe complètement à notre contrôle. Et ce n’est qu’ainsi que la créativité peut renaître.
MALIA KOUNKOU
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