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Videz vos assiettes
HRONIQUE
C ourtoi sie: Martine Corrivault
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VIDEZ VOS ASSIETTES !
Pour contrer les dangers de pénuries alimentaires, les autorités chinoises demandent aux gens de vider leurs assiettes et de cesser de gaspiller les aliments. La directive semble relever du simple gros bon sens quand on a grandi avec le respect de ne rien jeter qui soit encore utilisable. Mais qu’un chef d’État l’impose à sa population étonne le monde.
La Chine connaît aujourd’hui une enviable prospérité, mais les périodes de famine lui restent familières. Devant les perturbations causées par les désastres naturels et sanitaires, ses gouvernants ont décrété l’abandon de certaines traditions alimentaires comme celle voulant qu’on laisse de la nourriture dans son assiette à la n du repas, pour montrer qu’on a été bien servi. Gaspillage, déclare l’État qui recommande plutôt les demi-portions pour les convives.
Chez nous, vider son assiette a longtemps été la condition pour avoir droit au dessert. Dans nombre de familles québécoises, la simple logique imposait le respect de la nourriture : ne rien jeter relevait d’une incontestable évidence. Parce qu’on savait le prix des choses et ne faisait pas un mystère du privilège qu’on avait de manger à sa faim trois fois par jour.
C’était hier, au siècle dernier, avant le monde moderne et l’abondance, diront ceux que cette philosophie dérange. Aujourd’hui, on l’a vu aux premières heures de la dernière pandémie, quand on a peur de manquer de quelque chose, on court au magasin pour constituer des réserves, contribuant ainsi à créer des pénuries arti cielles de marchandises.
Avant l’urgence sanitaire, une crise des approvisionnements menaçait nos habitudes de consommation à cause des problèmes provoqués par les barrages des voies ferrées par des activistes autochtones. Le danger passé, chacun revient à ses vieilles habitudes, comme si l’on était à l’abri de tout dérangement de nos routines dans le petit monde où l’on vit. Comme si l’on n’avait rien appris des drames passés.
À l’époque de l’après-guerre, quand il fallait encore vider son assiette pour avoir droit au dessert, deux philosophies se partageaient les ondes à la radio à travers deux chansons. L’une, désespérée, disait: « Tu n’es qu’un maillon de la chaîne, un moment de joie, de misères, et puis on t’enterre, et puis c’est la n… » L’autre, titre d’un lm et porteuse d’espoir, chantait: « Si tous les gars du monde voulaient se donner la main… »
Bien sûr, le monde a changé, mais l’objectif de la survie se pose toujours pour la totalité de l’humanité. La réalité des risques et périls encourus est connue de tous autant que des chefs d’État qui font semblant de ne rien savoir, ne rien entendre, ne rien voir. Même s’ils savent que leur devoir est d’assurer la survie alimentaire de leurs populations, les impératifs économiques et nanciers prévalent dans leurs politiques.
Au Québec comme dans la plupart des pays développés, le nombre des fermes productrices de denrées alimentaires de base est en chute libre, mais tant que les tablettes des épiceries ne seront pas vides; avertissements et alarmes frapperont le mur de l’indi érence.
Quand les prix augmentent comme on le constate actuellement, il se trouve toujours quelqu’un pour expliquer que ça dépend « de restrictions qui résultent des perturbations des marchés » ou de problèmes de main d’œuvre, de politiques de commerce international, de quotas, embargos et pratiques agricoles, du climat, des sécheresses ou des inondations, de l’urbanisation, des gaz émis par les vaches ou des pesticides qui tuent les abeilles! Mais que fait-on pour corriger les problèmes ?
On a bien commencé à promouvoir l’achat de produits locaux, mais encore faudrait-il qu’ils soient disponibles partout et pour tout le monde. La Chine s’attaque au gaspillage et l’Amérique tout entière devrait de toute urgence s’engager elle aussi sur cette voie. Et c’est aussi une urgence pour chacun de nous, à la hauteur de nos propres choix et de ceux qu’il faut exiger de nos autorités. Car c’est plus qu’une question de dessert si on a vidé son assiette.