Magazine Gaspésie no. 206 - Au coeur du rÚgne végétal

Page 12

magazinegaspesie.ca MAGAZINE D’HISTOIRE AVRIL – JUILLET 2023 10,50 $ N° 206 L’EXPLORATION DES CHIC-CHOCS EN 1928 LE FOIN SALÉ : UNE HERBE À TOUT FAIRE LE JARDIN POTAGER, UN PATRIMOINE NATUREL 60 ans Au cƓur du rĂšgne vĂ©gĂ©tAl

206 : AU CƒUR DU RÈGNE VÉGÉTAL

4 CHER MAGAZINE GASPÉSIE, C’EST À TON TOUR DE TE LAISSER PARLER D’AMOUR

Collectif

8 TERRAIN DE PRÉDILECTION POUR L’ÉTUDE DES PLANTES INDIGÈNES

Alexander Reford

10 MIGUASHA : UN ROI, UN PRINCE
 ET DE TRÈS BELLES PLANTES

Paul Lemieux et Olivier Matton

11 L’EXPLORATION DES CHIC-CHOCS EN 1928

André St-Arnaud

15 DANS L’ƒIL D’UNE NATURALISTE

UNE FORÊT VIEILLE DE PLUS DE 650 ANS

Denis Michaud et Marie-Josée Lemaire-Caplette

Rachel Thibault

16 TRAITS BOTANIQUES REMARQUABLES DE FORILLON

Maxime St-Amour

19 DES PLANTES DU SUD AU NORD

Jean-Philippe Chartrand

22 LE FOIN SALÉ : UNE HERBE À TOUT FAIRE

Camillia Buenestado Pilon

25 MARCELLE GAUVREAU, INCONTOURNABLE DE L’ALGOLOGIE

André St-Arnaud

28 Photoreportage

ANNA LOIS DAWSON HARRINGTON, AQUARELLISTE

31 DISTILLER LA GRANDEUR

ELSIE REFORD : EXOTIQUE ET NATURALISÉE

Alexander Reford

Nos évÚnements

MITTERRAND EN GASPÉSIE

Robert Tremblay

Couverture

Épilobes (Epilobium angustifolium) sur l’üle Bonaventure, parc national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-PercĂ©.

Jean-Philippe Chartrand

Éditeur

Frédéric Jacques

32 LE JARDIN POTAGER, UN PATRIMOINE NATUREL

André Babin et Laurie Beaudoin

35 LE POTAGER DE MA GRAND-MÈRE AU PETIT ÉCRAN

Allen Synnott et Marie-Josée Lemaire-Caplette

41 Nos archives

LE TRAITEMENT DES ARCHIVES, UNE ACTION IMPORTANTE ET PRÉCIEUSE

Marie-Pierre Huard

43 Nos objets DES OUTILS À LA TONNE : LA FABRICATION DES TONNEAUX

Vicky Boulay

45 Nos personnages

FRANK NARCISSE JEROME : UN DES MILITAIRES LES PLUS DÉCORÉS
 ET OUBLIÉS

Tom Eden

47 Nos Gaspésiennes

LA MAJOR (RETRAITÉE) PAULETTE BROUSSEAU

Jacques Bouchard

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 1 ]
Avril – Juillet 2023 206, vol. 60, n° 1
Dossier
N°
Dossier
49
Photo : Photo : Denis Michaud
21 37 Chronique
LE MAGAZINE SUR FACEBOOK!
Photo : Marjelaine Sylvestre. Collection Les Amis des Jardins de Métis
SUIVEZ

Avril – Juillet 2023

N° 206, volume 60, numéro 1

Éditeur : MusĂ©e de la GaspĂ©sie

FondĂ© en 1963, le Magazine GaspĂ©sie est publiĂ© trois fois par an par le MusĂ©e de la GaspĂ©sie. Le Magazine vise la diffusion de connaissances relatives Ă  l’histoire, au patrimoine culturel et Ă  l’identitĂ© des GaspĂ©siennes et des GaspĂ©siens. Il est membre de la SociĂ©tĂ© de dĂ©veloppement des pĂ©riodiques culturels quĂ©bĂ©cois (SODEP).

Comité de rédaction

Marie-Pierre Huard, Gabrielle Leduc, Marie-JosĂ©e Lemaire-Caplette, Paul Lemieux, Élaine RĂ©hel et Jean-Philippe Thibault

Abonnements et ventes

Eileen Fortin-Lansloot

418 368-1534 poste 104 boutique@museedelagaspesie.ca

Rédactrice en chef

Marie-Josée Lemaire-Caplette

418 368-1534 poste 106 magazine@museedelagaspesie.ca

Coordination et publicités

Gabrielle Leduc

418 368-1534 poste 102 coordo.direction@museedelagaspesie.ca

Recherche iconographique

Marie-Pierre Huard

418 368-1534 poste 103 archives@museedelagaspesie.ca

Rédaction et collaboration

André Babin, Laurie Beaudoin, Jacques Bouchard, Vicky Boulay, Camillia Buenestado Pilon, Jean-Philippe Chartrand, Tom Eden, Marie-Pierre Huard, Frédéric Jacques, Paul Lemieux, Olivier Matton, Denis Michaud, Alexander Reford, Maxime St-Amour, André St-Arnaud, Allen Synnott, Rachel Thibault et Robert Tremblay

Conception graphique et infographie

MaĂŻlys Ory | Graphiste

Révision linguistique

Robert Henry

Distribution en kiosque

Jean-François Dupuis

Impression

Deschamps Impression

Plateforme numérique magazinegaspesie.ca

DépÎt légal

BibliothÚque et Archives Canada, ISSN 1207-5280 (imprimé)

ISSN 2561-410X (numérique)

BibliothÚque et Archives nationales du Québec, ISBN 978-2-924362-30-3 (imprimé)

ISBN 978-2-924362-31-0 (pdf)

Copyright Magazine Gaspésie

Reproduction interdite sans autorisation

Nous reconnaissons l’appui financier du gouvernement du Canada.

Toute personne intĂ©ressĂ©e Ă  faire paraĂźtre des textes conformes Ă  la politique du Magazine GaspĂ©sie est invitĂ©e Ă  les soumettre Ă  la rĂ©dactrice en chef. Celle-ci soumet ensuite une proposition d’articles au comitĂ© de rĂ©daction.

Le Magazine GaspĂ©sie n’est pas un mĂ©dia Ă©crit d’opinion, mais encourage le pluralisme des discours pour autant qu’ils reposent sur des fondements. Les autrices et auteurs ont la responsabilitĂ© de leurs textes. Seuls les textes oĂč cela est spĂ©cifiquement mentionnĂ© relĂšvent de l’éditeur.

Les textes sont Ă©crits de maniĂšre inclusive afin de reïŹ‚Ă©ter son objet et son approche. Le vocabulaire Ă©picĂšne est utilisĂ© autant que possible. Les textes appliquent la rĂšgle de fĂ©minisation par dĂ©doublement et les graphies tronquĂ©es Ă  l’aide de points mĂ©dians. L’accord de proximitĂ© est utilisĂ© Ă  des fins de lisibilitĂ©.

Droits d’auteur et droits de reproduction

Toutes les demandes de reproduction doivent ĂȘtre acheminĂ©es Ă  : Copibec (reproduction papier) : 514 288-1664 | 1 800 717-2022 | licences@copibec.qc.ca

Abonnement

1 an (3 nos) : Canada, 30 $ ; É.-U., 56 $ ; Outre-mer, 79 $ (taxes et frais de poste inclus)

Vente en kiosques

Prix à l’exemplaire : 10,50 $ (taxes en sus) - Liste des kiosques sur le site Web

Magazine Gaspésie

80, boulevard de Gaspé, Gaspé (Québec) G4X 1A9 418 368-1534 poste 106

magazine@museedelagaspesie.ca magazinegaspesie.ca

LeMagazineGaspésieesttout en couleurs grùceaux caisses Desjardins delaGaspésie.

Planche de la Marguerite blanche, une espÚce longtemps considérée comme une mauvaise herbe, entre 1909 et 1929.

Illustration tirĂ©e de : Mauvaises herbes – Farm Weeds, affiche, ministĂšre de l’Agriculture, entre 1909 et 1929; ANQ, AFF B 00003474 CON.

LA FLORE GASPÉSIENNE : UNE VÉRITABLE RICHESSE DE COULEURS ET DE SCIENCES

Avec ses forĂȘts majestueuses et ses sous-bois, ses riviĂšres cristallines et ses rivages, ses montagnes grandioses et ses hauts sommets, sa mer imposante et ses grĂšves, la GaspĂ©sie est un espace propice Ă  une vĂ©gĂ©tation variĂ©e, tant terrestre qu’aquatique, allant de l’Érable Ă  sucre au lichen, en passant par les algues. Ce n’est pas pour rien que depuis presque deux siĂšcles, les scientifiques s’intĂ©ressent Ă  cette nature fĂ©conde.

Les plantes et les vĂ©gĂ©taux sont bien vivants : ils migrent, prolifĂšrent, disparaissent
 De nombreuses espĂšces sont prĂ©sentes sur le territoire depuis des centaines, voire des milliers d’annĂ©es. Leur histoire est aussi la nĂŽtre, forgeant les paysages, crĂ©ant de l’emploi, nourrissant la population, soignant ses maux, fournissant les matĂ©riaux pour la fabrication d’objets
 La botanique est une science descriptive et expĂ©rimentale. On identifie et classe les spĂ©cimens, mais on Ă©tudie Ă©galement ses usages. Il reste encore beaucoup Ă  faire pour comprendre, conserver et mettre en valeur cette ïŹ‚ore, et ce, tant sur les plans botanique, historique, gastronomique que patrimonial.

Le prĂ©sent numĂ©ro n’est qu’une petite brĂšche dans ce monde

Oui, en vĂ©ritĂ©, il n’est pas exagĂ©rĂ© de dire que celui qui n’a jamais regardĂ© la grande Nature ne connaĂźt rien; que celui qui n’a jamais dirigĂ© une loupe ou un microscope dans le cƓur d’une ïŹ‚eur n’a jamais vĂ©cu.

FrÚre Marie-Victorin, auteur de Flore laurentienne et fondateur du Jardin botanique de Montréal

LISEZ L’ARTICLE LES EXPLORATION DE MARIE-VICTORIN EN HAUTE-GASPÉSIE, PARU EN 2009

vĂ©gĂ©tal qui nous entoure, des premiĂšres explorations Ă  l’algologie, des plantes arctiques-alpines aux forĂȘts anciennes, des champignons sauvages aux jardins potagers, sans oublier les jardins privĂ©s dont un des plus nordiques en AmĂ©rique du Nord se trouve ici avec les fabuleux Jardins de MĂ©tis.

Une écriture plus inclusive

Il y a un bon moment déjà que nous

rĂ©ïŹ‚Ă©chissons Ă  appliquer l’écriture inclusive aux textes des numĂ©ros. Bien que cela reprĂ©sente quelques dĂ©fis et une adaptation de part et d’autre, il est temps d’amorcer le processus. Sans doute imparfaite, cette maniĂšre de rĂ©diger les textes se veut une approche Ă©volutive.

60 bougies

L’annĂ©e 2023 marque les 60 ans du Magazine GaspĂ©sie, une des plus vieilles revues d’histoire au QuĂ©bec. C’est avec enthousiasme que nous amorçons cette annĂ©e de festivitĂ©s pour ce joyau du patrimoine rĂ©gional. Nous partageons notre fiertĂ© avec toute l’équipe d’artisans·es passĂ©e et prĂ©sente. Bon anniversaire Magazine GaspĂ©sie, et surtout, nous te souhaitons une vie longue et riche d’histoires!

Marie-Josée Lemaire-Caplette

Rédactrice en chef du Magazine Gaspésie, Musée de la Gaspésie

Champ de Marguerites blanches, une espÚce trÚs répandue en Gaspésie, 1930. Musée de la Gaspésie. Collection Chantal Soucy. P247/2/5
[AVANT-PROPOS] Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 3 ]

CHER MAGAZINE GASPÉSIE, C’EST À TON TOUR DE TE LAISSER PARLER D’AMOUR

Le premier numĂ©ro de la Revue d’histoire de la GaspĂ©sie est publiĂ© le 22 fĂ©vrier 1963 par la SociĂ©tĂ© historique de la GaspĂ©sie fondĂ©e quelques mois plus tĂŽt. Au fil de ses 60 ans, les GaspĂ©siennes et les GaspĂ©siens d’origine, d’adoption et de cƓur ont créé un lien fort, voire mĂȘme un lien d’amour avec le Magazine GaspĂ©sie. La petite et grande histoire de la pĂ©ninsule intĂ©resse et sĂ©duit de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Le souhait initial est ainsi exaucĂ© : « [
] nous lançons notre Revue d’histoire afin d’établir un contact, un trait d’union entre tous les GaspĂ©siens. »1. Afin de souligner ce 60e anniversaire, nous vous laissons donc la parole.

Les pages de mon histoire

Je suis nĂ©e en 1923 Ă  Carleton-sur-Mer. Le Magazine m’a plu dĂšs le dĂ©but parce que j’aime l’histoire passĂ©e, prĂ©sente et Ă  venir. Les dĂ©couvertes trĂšs bien documentĂ©es sur les premiĂšres GaspĂ©siennes et les premiers GaspĂ©siens, leur vie pĂ©nible, leur environnement en sol nouveau, etc. J’étais et je suis fascinĂ©e par ces pages de « mon histoire ». Tous les sujets sont traitĂ©s avec intelligence et profondeur. Merci! C’est par la revue que j’ai connu la GaspĂ©sie au complet, toujours de belles dĂ©couvertes pour Ă©toffer les thĂšmes variĂ©s, bien situĂ©s dans l’espace et le temps.

J’ai eu le privilĂšge de passer trois ans Ă  l’École normale des Ursulines Ă  GaspĂ©. Avec ses chroniques, le Magazine GaspĂ©sie nous a situĂ©es dans l’histoire.

Dans les annĂ©es 1960, mon mari, moi et nos deux garçons avons fait le tour de la GaspĂ©sie en camping, assistĂ©s de rĂ©fĂ©rences judicieuses du Magazine Ă  partir duquel un itinĂ©raire intĂ©ressant pour la famille s’est organisĂ©. Le Magazine GaspĂ©sie a Ă©toffĂ© nos vacances, merci!

[ 4 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
Différentes couvertures de la revue dont le nom et le format changent au fil du temps, entre 1963 et 2022. Magazine Gaspésie
magazinegaspesie.ca MAGAZINE D’HISTOIRE AOÛT –10,50 $ N 204 À chaque gare son histoire MONT-JOLI À NEW CARLISLE MATAPÉDIA : PREMIÈRE GARE DU TRONÇON GASPÉSIEN UNE « RÉVOLUTION » À LA GARE DE NOUVELLE LA DERNIÈRE CHEFFE DE GARE DE NEW CARLISLE
PhilomĂšne Allard Originaire de Carleton-sur-Mer

Raconter son histoire

Nous sommes fiers d’avoir participĂ© au numĂ©ro Toucher du bois. « Omer Poirier : une dĂ©cennie Ă  bĂ»cher et draver du bois. » retrace une Ă©tape importante de sa vie passĂ©e en forĂȘt. Un bel hommage et surtout un hĂ©ritage pour la famille! Omer, avec son talent de conteur, son humour et sa grande mĂ©moire ont fait de cette expĂ©rience un moment d’échanges trĂšs agrĂ©able et mĂ©morable. Il est fier d’avoir partagĂ© son vĂ©cu. Il s’est remĂ©morĂ© des instants qu’il qualifie d’incroyables, mais de vrais! Et en toute modestie, il ajoute que malheureusement beaucoup de ses collĂšgues ne sont plus lĂ  pour valider et bonifier ses propos.

Souvenirs d’un

séminariste

1963. J’ai 13 ans et j’étudie au SĂ©minaire de GaspĂ©. Un jour, mon prof d’histoire, l’abbĂ© Michel LeMoignan, demande aux Ă©lĂšves demeurant Ă  GaspĂ© de rester aprĂšs la classe. Et lĂ  survient la grande demande : vendre des abonnements Ă  une revue d’histoire qui est en train de naĂźtre en GaspĂ©sie. Mon secteur, la cĂŽte du San, oĂč je cognerai aux portes avec mon discours de vente malhabile. Sans trop de succĂšs d’ailleurs, si je me souviens bien.

Soixante ans plus tard, le Magazine GaspĂ©sie fait toujours partie de ma vie. J’en possĂšde une collection complĂšte (enfin presque
), ai signĂ© une bonne quinzaine de textes dans ses pages et siĂšge au comitĂ© de rĂ©daction en tant qu’historien. Bon 60e au Magazine!

Omer, Suzette et Yves Poirier Résidents de Saint-Siméon

Une série de hasards

Par un matin d’été 1971, alors que je suis en visite Ă  Grande-RiviĂšre chez mes grands-parents maternels, bien assis dans la vieille berceuse, mon regard est attirĂ© par une revue que je dĂ©cide de feuilleter. J’ai souvenance que mon grand-pĂšre m’a dit : « Cette revue, c’est un petit cadeau que Michel [LeMoignan, un ami de la famille] nous a offert il y a quelques annĂ©es. ». Il s’agissait d’un exemplaire du tout premier numĂ©ro de la Revue d’histoire de la GaspĂ©sie.

de Gaspé et résident de Carleton-sur-Mer

Un outil de référence

Bon anniversaire, Magazine GaspĂ©sie! Cette publication est pour moi un outil de rĂ©fĂ©rence fort utile qui me permet d’approfondir certains sujets, d’en apprendre plus sur plusieurs artistes de la rĂ©gion (par exemple) et de dĂ©couvrir avec beaucoup d’intĂ©rĂȘt ces femmes et ces hommes qui ont contribuĂ© Ă  façonner la GaspĂ©sie, celle d’hier et celle d’aujourd’hui.

À travers les nombreux numĂ©ros du pĂ©riodique et grĂące Ă  la qualitĂ© des textes de ses contributrices et contributeurs, je suis sans cesse Ă©tonnĂ©e par la richesse de la petite et de la grande histoire de la GaspĂ©sie. Longue vie au Magazine GaspĂ©sie!

Marie-Claude Tremblay

Chroniqueuse culturelle, Radio-Canada GaspĂ©sie–Îles-de-la-Madeleine

Une quinzaine d’annĂ©es plus tard, alors en visite chez une cousine Ă  PercĂ©, confortablement assis dans un fauteuil, ma main droite fouille dans son porte-journaux et sort quatre numĂ©ros du Magazine que je lui emprunte. Puis, au dĂ©but des annĂ©es 2000, au MusĂ©e de la GaspĂ©sie, j’achĂšte plusieurs numĂ©ros et je m’abonne au Magazine GaspĂ©sie! Dans les jours qui suivent, le hasard fait si bien les choses, je rencontre Jeannine LeMoignan, la sƓur de Michel, qui accepte de me donner une trentaine des premiers numĂ©ros de la revue, du butin rare
 Puis rĂ©cemment, une de mes institutrices d’enfance que je visite toujours me remet plusieurs numĂ©ros pour enrichir ma collection.

Enfin, au fil des Ă©vĂšnements, j’ose Ă©crire quelques historiettes qui y seront publiĂ©es et Ă  l’occasion, je me paie le plaisir d’offrir des abonnements en cadeau Ă  des proches!

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 5 ]
[60 ANS]

Une ancienne lettre retrouvée

Un jour, je passe Ă  la boutique du MusĂ©e de la GaspĂ©sie, car je souhaite offrir un abonnementcadeau pour NoĂ«l. J’en profite pour chercher parmi les anciens numĂ©ros afin de trouver ceux qui manquent Ă  ma collection.

Alors que je feuillette un vieux numĂ©ro, je trouve une enveloppe
 adressĂ©e Ă  ma grand-mĂšre! Je l’ouvre et y trouve une lettre que ma tante a Ă©crite Ă  sa mĂšre. Imaginez la chance insigne que la lettre se retrouve entre mes mains!

Quoiqu’invraisemblable, cette histoire est bien vraie!

L’amour du pays

Je suis une fervente et fidÚle abonnée du Magazine Gaspésie depuis son tout premier numéro en 1963. Son arrivée dans ma boßte aux lettres est chaque fois reçue avec émotion, comme une vieille amie qui vient raviver et enrichir mes souvenirs de Gaspésienne.

Depuis 60 ans, le Magazine Gaspésie, sous ses différentes formes, a su me démontrer la richesse de mes racines. Il a nourri ces derniÚres, alimentant ainsi mon indéfectible amour pour le pays de mes origines, pays qui est pour moi à la fois pÚre et mer.

Merci aux bĂątisseuses et bĂątisseurs de la premiĂšre heure, maintenant disparus, et Ă  celles et ceux qui ont si vaillamment su reprendre la barre sous tous les vents.

Originaire de Carleton-sur-Mer

De l’oral Ă  l’écrit

D’oĂč vient mon intĂ©rĂȘt pour l’histoire? De descendance acadienne, ma mĂšre Marguerite Leblanc avait une mĂ©moire fabuleuse. Elle avait une facilitĂ© Ă  dĂ©fricher la parentĂ© et Ă  raconter des histoires. Avec seulement une 3e annĂ©e, elle Ă©crivait presque sans fautes et, pendant qu’elle surveillait sa fournĂ©e de pain, elle lisait assidĂ»ment la Revue d’histoire de la GaspĂ©sie.

Ensuite, elle prenait plaisir Ă  relater de façon imagĂ©e ce qu’elle venait d’y lire et terminait son rĂ©cit en puisant dans son bagage reçu par transmission orale. FascinĂ© par la passion de cette mĂšre pour le passĂ©, j’eus dĂšs mon adolescence (annĂ©es 1960) la piqĂ»re de l’histoire. Ceci dicta l’orientation de ma carriĂšre d’historien, et est un beau clin d’Ɠil au poste de rĂ©dacteur en chef du Magazine que j’occuperai plus tard, de 2004 Ă  2018.

Originaire de Carleton-sur-Mer et résident de Douglastown

L’esprit de camaraderie

Depuis la crĂ©ation du Magazine, des copies se sont accumulĂ©es d’annĂ©e en annĂ©e. Un constat devient Ă©vident, un mĂ©canisme doit se mettre en place pour distribuer ces trĂ©sors. Le MusĂ©e de la GaspĂ©sie dĂ©cide alors de mettre sur pied un comitĂ© de relance. La premiĂšre rĂ©union a lieu en 2006, nous sommes cinq membres au dĂ©marrage et le Magazine compte 300 abonnements. Nous nous fixons un audacieux objectif d’aller chercher 2 000 abonnements!

Notre stratĂ©gie se prĂ©cise : impliquer des collaboratrices et collaborateurs partout en GaspĂ©sie et mĂȘme au QuĂ©bec. Les contacts se multiplient, les appels se font, des lancements personnalisĂ©s se crĂ©ent sur le territoire
 L’esprit de camaraderie est vraiment prĂ©sent, beaucoup de plaisir et de rires dans ce groupe, on se lance mĂȘme des dĂ©fis, qui vendra le plus de magazines? En 2011, c’est avec beaucoup d’émotions que le comitĂ© dĂ©voile le chiffre symbolique de 2 000 abonnements atteints.

Avec le recul, je constate l’importance du travail bĂ©nĂ©vole dans une communautĂ© et l’impact significatif qu’il a eu pour l’essor de la revue. Encore en 2023, plusieurs bĂ©nĂ©voles sont prĂ©sents pour veiller au maintien du Magazine Je suis fiĂšre d’y avoir consacrĂ© plusieurs annĂ©es avec mes collĂšgues. Bon 60e! Longue vie au Magazine!

[ 6 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
[60 ANS]

Quand un projet stimule une école

Au dĂ©but de l’annĂ©e scolaire 2018-2019, le Magazine GaspĂ©sie a contactĂ© l’école Antoine-Roy Ă  RiviĂšre-au-Renard afin de solliciter la participation des Ă©lĂšves pour son numĂ©ro Fabuleuses lĂ©gendes. Ils sont alors Ă  la recherche d’illustrations pour accompagner les textes. Ironiquement, nous n’offrions pas de cours d’arts plastiques, mais nous trouvions l’occasion trop belle pour la laisser passer. Au fil des discussions, une simple demande d’illustrations est transformĂ©e en un projet d’envergure touchant tous les Ă©lĂšves du 2e cycle.

Ainsi est nĂ©, dans notre Ă©cole, le projet Fabuleuses lĂ©gendes : La lĂ©gende (inconnue) du cap Bon-Ami. En collaboration avec le Magazine, Annick Paradis et moi organisons un concours d’écriture parmi les Ă©lĂšves du cours de français de secondaire 3 oĂč les lĂ©gendes sont Ă©tudiĂ©es. Le texte gagnant est ensuite publiĂ© dans le numĂ©ro 194, puis adaptĂ© en chanson par Mathieu Joncas et les Ă©lĂšves de secondaire 4. Celle-ci est enregistrĂ©e au studio de la Vieille Usine de L’Anse-Ă -Beaufils et les Ă©lĂšves de secondaire 5 prennent en charge le tournage du vidĂ©oclip avec l’aide de Nathalie DaraĂźche. Finalement, les Ă©lĂšves du cours de communication en secondaire 5 organisent le lancement du numĂ©ro du Magazine Ă  l’école Antoine-Roy. Pour cette soirĂ©e, plusieurs membres de la communautĂ© sont prĂ©sents et nous avons l’honneur de nous faire raconter la lĂ©gende par Jean-Raymond ChĂąles.

Pour couronner le tout, ce projet a remportĂ© un prix reconnaissance Essor dans la catĂ©gorie Passeur culturel, remis par le ministĂšre de l’Éducation et celui de la Culture et des Communications.

Enseignant de français Ă  l’école C.-E.-Pouliot

3 NUMÉROS En ligne : magazinegaspesie.ca | Par tĂ©lĂ©phone : 418 368-1534 poste 104 Abonnez-vous ou offrez-le en cadeau! magazinegaspesie.ca MAGAZINE D’HISTOIRE AVRIL – JUILLET 2023 10,50 $ N° 206 L’EXPLORATION DES CHIC-CHOCS EN 1928 LE FOIN SALÉ : UNE HERBE À TOUT FAIRE LE JARDIN POTAGER, UN PATRIMOINE NATUREL 60 ans Au cƓur du rĂšgne vĂ©gĂ©tAl 30 $ taxes incluses seulement
Note
ABONNEMENT VERSION IMPRIMÉE OU VIRTUELLE [60 ANS]
1. Michel LeMoignan, « La SociĂ©tĂ© historique de la GaspĂ©sie », Revued’histoiredelaGaspĂ©sie, vol. 1, n°1 (n° 1), 1963, p. 5.

TERRAIN

DE PRÉDILECTION POUR L’ÉTUDE DES PLANTES INDIGÈNES

L’inventaire des plantes, oiseaux et animaux de la GaspĂ©sie est l’un des premiers mandats rattachĂ©s Ă  la Commission gĂ©ologique du pays. Lors de la crĂ©ation du nouveau Parlement uni du Haut et du Bas-Canada, la Commission est chargĂ©e de fournir « une description complĂšte et scientifique des roches, des sols et des minĂ©raux du pays »1. Lors de sa fondation en 1842, William Edmond Logan (1798-1875) est nommĂ© pour diriger la recherche. La premiĂšre rĂ©gion qu’il explore est la GaspĂ©sie.

Les journaux des expĂ©ditions de Logan de 1843 et 1844 rĂ©vĂšlent l’endurance de ce gĂ©ologue pionnier alors qu’il escalade le littoral, les falaises et les pentes abruptes, aidĂ© par un jeune M. Stevens de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, et un guide des PremiĂšres Nations, John Basque, qui les suit en canoĂ«. Ce n’est qu’au cap Bon Ami qu’il trouve une maison accolĂ©e d’un « premier petit jardin avec les premiĂšres ïŹ‚eurs que j’ai vues dans cette partie du monde, en plus d’une abondance de choux et de pommes de terre ». Il rapporte la dĂ©cevante nouvelle Ă  son mĂ©cĂšne gouvernemental selon laquelle la rĂ©gion n’a pas de charbon, mais est riche en fossiles.

À ses dĂ©buts, la gĂ©ologie est un domaine d’étude et ses premiers praticiens sont des naturalistes fascinĂ©s par le monde naturel. Ils enregistrent la faune et la ïŹ‚ore de la rĂ©gion par intĂ©rĂȘt personnel et professionnel. Leurs conclusions sont

prĂ©sentĂ©es dans des rapports gouvernementaux et devant la SociĂ©tĂ© d’histoire naturelle de MontrĂ©al. La publication On the Natural History of the Lower St. Lawrence and the Distribution of Mollusca of Eastern Canada (1859) de Robert Bell (18411917) est le fruit de son expĂ©dition pour la Commission gĂ©ologique en 1857 et 1858. Fade inventaire de mammifĂšres, de poissons, de mollusques et de la ïŹ‚ore, l’ouvrage offre nĂ©anmoins une liste de rĂ©fĂ©rence des espĂšces de l’est du QuĂ©bec observĂ©es avant que la colonisation ne s’installe. Les premiers excursionnistes en GaspĂ©sie font parfois des remarques sur les plantes cultivĂ©es. Dans Canadian Scenery District of GaspĂ© de 1866, Thomas Pye commente la fertilitĂ© du sol et le succĂšs des agriculteurs du bassin gaspĂ©sien dans la culture de lĂ©gumes racines et de cĂ©rĂ©ales. « Mais
 l’agriculture n’est pas systĂ©matique et trĂšs en retard pour l’époque, toute l’énergie

des gens Ă©tant consacrĂ©e Ă  l’ingrĂ©dient de base de l’industrie - la pĂȘche. »

Des scientifiques de partout en Gaspésie

Les observations de Logan sur la ïŹ‚ore alpine des Chic-Chocs amĂšnent d’autres gĂ©ologues et botanistes Ă  suivre ses pas. Parmi eux,

[ 8 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
AndrĂ©-Albert Dechamplain en observation Ă  partir du mont Rose Ă  PercĂ©, 1928. Photo : AndrĂ©-Albert Dechamplain ANQ Rimouski, fonds AndrĂ©-Albert Dechamplain (P71). Historien et directeur, Jardins de MĂ©tis Merritt Lyndon Fernald et ses compagnons bravent les difficultĂ©s d’accĂšs lors de leurs expĂ©ditions en montagne, 1923.
VERSION ANGLAISE [DOSSIER]
Courtoisie des Archives of the Gray Herbarium, Harvard University

William Edmond Logan, My tent, 1843. Les journaux de Logan contiennent des notes, mais également des croquis tels que celui-ci. Illustration tirée de : Bernard James Harrington, Life of Sir William E. Logan... first director of the Geological Survey of Canada, Montréal, Dawson Bros., 1883, p. 152.

John Alpheus Allen (1863-1916), Ă©tudiant Ă  l’UniversitĂ© Yale, s’aventure vers le nord en 1881 dans le cadre d’une fĂȘte botanique et inventorie 59 plantes sur le mont Albert et dans les environs de Sainte-Annedes-Monts et de Matane. L’annĂ©e suivante, John Macoun (1831-1920) de la Commission gĂ©ologique du Canada recueille aussi un grand nombre d’échantillons de la ïŹ‚ore arctique sur le mont Albert pour l’Herbier national du Canada; il est devenu Ă  moitiĂ© dĂ©lirant lors de la prospection de plantes Ă  cause des piqĂ»res de mouches noires.

En 1876, John William Dawson apporte un nouveau dynamisme Ă  l’observation scientifique dans la rĂ©gion en se faisant construire une rĂ©sidence Ă  MĂ©tis-sur-Mer. Il y passe l’étĂ© chaque annĂ©e jusqu’à sa mort en 1899. Dawson est gĂ©ologue et son travail de palĂ©obotaniste lui vaut des Ă©loges et une mention dans la publication historique de Darwin en 1860, L’Origine des espĂšces. C’est Ă  MĂ©tis, pendant ses vacances, qu’il Ă©crit certains de ses articles scientifiques (dont plusieurs s’opposent Ă  la thĂ©orie de la sĂ©lection naturelle de Darwin). Il observe le rivage lors d’excursions quotidiennes avec son marteau de roche et son sac de collecte. Ses spĂ©cimens sont dĂ©posĂ©s au MusĂ©e Redpath de l’UniversitĂ© McGill oĂč il est directeur. L’intĂ©rĂȘt de Dawson pour les plantes fossiles laisse croire que la ïŹ‚ore vivante n’est pas d’une importance primordiale. Il offre sa curiositĂ© scientifique aux membres de sa famille qui partagent sa passion pour le monde naturel. Son fils George Mercer Dawson deviendra un gĂ©ologue rĂ©putĂ© alors

que sa fille, Anna Lois, illustre ses articles.

Recherche amateure et professionnelle

L’étude de la botanique dans les institutions universitaires favorise les expĂ©ditions vĂ©gĂ©tales Ă  travers le monde. Des endroits isolĂ©s comme la GaspĂ©sie intĂ©ressent particuliĂšrement pour la recherche de populations non perturbĂ©es de plantes indigĂšnes. Le botaniste de Harvard Merritt Lyndon Fernald (1873-1950) fait de la GaspĂ©sie l’un de ses domaines de recherche Ă  partir de 1904 avec une sĂ©rie d’expĂ©ditions pour identifier de nouvelles espĂšces. La ïŹ‚ore alpine unique est au cƓur de sa thĂ©orie (maintenant rejetĂ©e) selon laquelle les 300 plantes endĂ©miques de la rĂ©gion du golfe du Saint-Laurent non trouvĂ©es le long des hautes terres des Appalaches sont le rĂ©sultat du fait que la rĂ©gion a Ă©chappĂ© Ă  la derniĂšre phase de glaciation. Le frĂšre Marie-Victorin s’est appuyĂ© sur le travail de Fernald pour son livre Flore laurentienne (1935) et pour Ă©clairer sa propre herborisation dans la rĂ©gion oĂč il fait plusieurs sĂ©jours. Il entretient d’ailleurs une correspondance rĂ©guliĂšre avec Fernald qu’il considĂšre comme son « botanical father ».

L’intĂ©rĂȘt pour les plantes s’étend au-delĂ  des botanistes. Les rĂ©sidents·es d’étĂ© ou des environs sont parfois des scientifiques ou des

amatrices et amateurs passionnĂ©s. Dawson attribue Ă  une « Miss Carey » l’identification des espĂšces le long du Saint-Laurent alors qu’EugĂ©nie Lalonde Ranger (1878-1969) rĂ©colte de nombreux spĂ©cimens lors de ses Ă©tĂ©s Ă  PercĂ©. Pour sa part, le prĂȘtre AndrĂ©-Albert Dechamplain (19001986) est un naturaliste aguerri fĂ©ru de botanique qui enseigne plusieurs matiĂšres en lien avec les sciences naturelles au SĂ©minaire de Rimouski. Il se promĂšne en GaspĂ©sie pour Ă©tudier les plantes et rĂ©colter des spĂ©cimens. Entre autres, il aurait accompagnĂ© le frĂšre Marie-Victorin lors de ses relevĂ©s au mont Albert. Il existe sans doute des albums d’aquarelles et d’herbiers rĂ©unis par les visiteuses et visiteurs de la rĂ©gion aux 19e et 20e siĂšcles. Une fois trouvĂ©s et inventoriĂ©s, ils deviendront des complĂ©ments importants Ă  l’enregistrement de la ïŹ‚ore de la rĂ©gion.

Pour en savoir plus, lisez l’article « Sur les traces du botaniste Merritt Lyndon Fernald » dans le numĂ©ro SĂ©jour nature (n° 195), paru en 2019.

Remerciements aux Archives nationales du Québec qui ont mis gracieusement à disposition leur photographie.

Note 1. Dictionnaire biographique du Canada, « sir William Edmond Logan »

FrĂšre Marie-Victorin lors d’un de ses sĂ©jours en GaspĂ©sie, annĂ©es 1930. Archives UniversitĂ© de MontrĂ©al. E01185FP009715

[DOSSIER]

Premier contact

Depuis nombre d’annĂ©es, une plante fossile magnifique, Archaeopteris halliana, trĂŽne Ă  l’entrĂ©e de l’exposition permanente du musĂ©e d’histoire naturelle du parc. Pour le public de tout Ăąge, il s’agit d’un premier contact avec l’univers fossile que prĂ©serve ce petit parc d’une superficie de 0,8 kilomĂštre2. Ce spĂ©cimen Ă©tonne, voire surprend, par sa qualitĂ© de fossilisation, chaque dĂ©tail de sa structure vĂ©gĂ©tale ayant Ă©tĂ© conservĂ©e lors du lent processus de conservation.

La dĂ©couverte des premiĂšres plantes fossiles de Miguasha remonte au 19e siĂšcle et les descriptions scientifiques initiales portent la signature du cĂ©lĂšbre palĂ©obotaniste John William Dawson, une sommitĂ© de l’UniversitĂ© McGill. Au fil des ans et des fouilles, six espĂšces de plantes fossiles vont enrichir ce trĂ©sor gaspĂ©sien, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1999.

Un environnement tropical

Au DĂ©vonien, il y a 380 millions d’annĂ©es, un ïŹ‚euve, prenant ses sources dans les jeunes Appalaches Ă  proximitĂ©, s’ouvre sur un large estuaire avant de se jeter dans la mer. Cet

MIGUASHA : UN ROI, UN PRINCE
 ET DE TRÈS BELLES PLANTES

Connus de par le vaste monde, les fossiles du parc national de Miguasha ont fait la rĂ©putation de cette falaise gaspĂ©sienne. Parmi eux, certains poissons ont acquis leurs lettres de noblesse, tels le prince Eusthenopteron foordi ainsi qu’Elpistostege watsoni qui, depuis la dĂ©couverte d’un premier spĂ©cimen complet Ă  l’étĂ© 2010, porte avec fiertĂ© le titre de roi de Miguasha. Mais Ă  cĂŽtĂ© de ces gĂ©ants de la palĂ©ontologie, se trouvent aussi des plantes fossiles, moins connues, mais toutes aussi exceptionnelles.

environnement se trouve sous un chaud soleil tropical, puisqu’au cours de cette pĂ©riode gĂ©ologique, la plaque continentale de l’AmĂ©rique du Nord se situe sous l’équateur.

Sur les berges de cet estuaire, les plantes de l’espĂšce Archaeopteris halliana croissent et peuvent atteindre jusqu’à sept mĂštres de hauteur. Son tronc, formĂ© de lignine et de cellulose, affiche une structure semblable Ă  celle des conifĂšres actuels. Sa partie supĂ©rieure prĂ©sente un assemblage de branches sur lesquelles s’étalent des frondes s’apparentant Ă  celles des fougĂšres. DispersĂ©es par le vent et l’eau, les spores produites par certaines frondes favorisent de nouvelles pousses de la plante. ConsidĂ©rĂ©e comme l’un des premiers arbres ayant poussĂ© sur Terre, cette plante, avec une rĂ©partition mondiale, forme l’essentiel des premiĂšres forĂȘts dĂ©voniennes. Archaeopteris fait partie d’un groupe qui donnera naissance aux gymnospermes actuelles, dont font partie les conifĂšres.

Une fossilisation de tissus mous

Il y a 380 millions d’annĂ©es, certains de ces arbres se sont retrouvĂ©s dans

les eaux de l’estuaire, dans le fond duquel ils vont ĂȘtre enfouis rapidement dans les sĂ©diments et se fossiliser avec le temps. Contrairement aux poissons dont les parties minĂ©ralisĂ©es (os, arĂȘtes, Ă©pines) vont se fossiliser, la plante prĂ©sente uniquement des tissus mous, mais un Ă©lĂ©ment de la plante demeure, soit le carbone qui en se fossilisant devient charbon.

Clin d’Ɠil sur les ginkgos

Au plan ïŹ‚oristique, au parc, il faut aussi mentionner la prĂ©sence de deux Ginkgo biloba bien vivants. Ces arbres originaires d’Asie peuvent vivre des milliers d’annĂ©es et font partie d’un groupe apparu au Permien, il y a 270 millions d’annĂ©es. SurnommĂ© « l’arbre aux quarante Ă©cus », le ginkgo affiche un feuillage automnal dorĂ© qui tombe de façon soudaine. Ces deux arbres grandissent prĂšs du musĂ©e d’histoire naturelle. Pour ĂȘtre mis en terre au parc, ils ont dĂ» recevoir l’approbation des autoritĂ©s gouvernementales quĂ©bĂ©coises, Ă©tant donnĂ© qu’ils ne font pas partie de la ïŹ‚ore indigĂšne du territoire.

Une ïŹ‚ore d’hier et d’aujourd’hui Ă  dĂ©couvrir au parc national de Miguasha.

[ 10 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
La plante Archaeopteris halliana dans l’exposition permanente du musĂ©e d’histoire naturelle du parc national de Miguasha. Photo : Steve Deschenes Parc national de Miguasha Paul Lemieux Historien et rĂ©sident de Carleton-sur-Mer
[DOSSIER]
Olivier Matton Responsable de l’éducation et de la conservation, parc national de Miguasha

L’EXPLORATION DES CHIC-CHOCS EN 1928

Le domaine d’exploration botanique du frĂšre Marie-Victorin (1885-1944) est surtout la province de QuĂ©bec, mais il s’étend parfois Ă  l’Ontario et aux Maritimes, et mĂȘme Ă  l’Afrique et aux Antilles. À partir de 1930, une longue sĂ©rie d’explorations est faite avec ses collaborateurs dont deux fructueuses saisons (1930 et 1931) dans la baie des Chaleurs auxquelles s’ajoute une autre courte saison (1936) en GaspĂ©sie, possiblement du cĂŽtĂ© nord. En 1928, un jeune savant, Jacques Rousseau (1905-1970), va rĂ©aliser dans les Chic-Chocs, provenant d’un mot mi’gmaque qui signifie « barriĂšre impĂ©nĂ©trable », un voyage d’exploration scientifique dont le rĂ©cit fait penser Ă  un roman d’aventures.

Les explorations de Jacques Rousseau sont nombreuses et importantes, et s’étendent sur plusieurs annĂ©es. Au premier rang se trouvent ses travaux sur la rĂ©gion de l’estuaire du Saint-Laurent dans les annĂ©es  1920 et 1930. Viennent ensuite ses trois voyages dans les Chic-Chocs (1928, 1931, 1939) et une campagne dans la vallĂ©e de la MatapĂ©dia (1929).

Sans doute qu’une excursion en GaspĂ©sie entreprise par des amatrices et amateurs pour contempler les beautĂ©s de la nature et de ses richesses dans ce coin de pays n’offre rien d’extraordinaire, mais une exploration scientifique au cours de laquelle la voyageuse ou le voyageur est forcĂ© de pĂ©nĂ©trer dans des endroits reculĂ©s dont les scientifiques seuls ont le courage de sonder les mystĂšres, prĂ©sente un intĂ©rĂȘt passionnant. Tel est le voyage entrepris, au mois de juin  1928, par le botaniste Jacques Rousseau, assistant du frĂšre Marie-Victorin au Laboratoire de botanique de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al. Il n’est ĂągĂ©

que de 22  ans, mais il a pour lui son énergie, son talent, le témoignage de son célÚbre maßtre et plusieurs travaux intéressants.

Le but de l’exploration

L’exploration racontĂ©e ici, entreprise par Jacques Rousseau, est une contribution au travail du frĂšre Marie-Victorin sur la ïŹ‚ore du QuĂ©bec , avec l’aide du Conseil national de recherches. Les matĂ©riaux recueillis s’ajoutent Ă  ceux que le frĂšre a dĂ©jĂ  herborisĂ©s en 1923. Ils feront l’objet de publications ultĂ©rieures qui formeront une Ă©tude d’ensemble sur la rĂ©gion de la GaspĂ©sie. Le travail n’est qu’amorcĂ©, d’immenses Ă©tendues de prairies alpines dans les Chic-Chocs n’ont pas encore Ă©tĂ© visitĂ©es. LĂ©opold Fortier (1901-1984), ingĂ©nieur-chimiste, Ă©tudiant en botanique systĂ©matique, se joint Ă  l’exploration, Ă  titre bĂ©nĂ©vole.

Dans les solitudes

Jacques Rousseau part de Montréal vers la mi-juin pour poursuivre une exploration botanique longtemps

rĂȘvĂ©e et collectionner des Ă©chantillons de la ïŹ‚ore gaspĂ©sienne dont on parle depuis quelques annĂ©es. Au cours de son voyage qui dure plus de deux mois, le jeune botaniste se rend au Bic, Ă  Saint-ValĂ©rien et sur la cĂŽte nord de la GaspĂ©sie. Mais le but principal de cette randonnĂ©e est la visite du massif central des ChicChocs. «  Depuis plusieurs annĂ©es, Ă©crit-il dans son journal de voyage, nous avions projetĂ© d’aller sur la «  Table ». Enfin, notre projet sera rĂ©alisĂ©. »

Le massif central des Chic-Chocs qu’on a surnommĂ© « La Table », Ă  cause de la forme gĂ©nĂ©ralement aplatie des sommets, n’a reçu qu’une dizaine de visites depuis 1850. À part le garde-forestier de Grande-VallĂ©e, Jean-Baptiste Chicoine (1885-1975), il n’y a que des gĂ©ologues, des botanistes et quelques chasseurs aventureux qui y ont pĂ©nĂ©trĂ©.

C’est cette rĂ©gion sauvage que Jacques Rousseau explore durant 15 jours pour en rapporter quantitĂ© d’échantillons qui seront Ă©tudiĂ©s au cours de l’automne et de l’hiver, et

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 11 ]
DÉCOUVREZ LA LÉGENDE DU LAC AU DIABLE ENTENDUE PAR ROUSSEAU [DOSSIER]
Massif central des Chic-Chocs surnommé « Tabletop », vers 1930. Musée de la Gaspésie. Fonds Conrad Gagnon. P98/1

parmi lesquels on s’attend de faire des dĂ©couvertes intĂ©ressantes. Il est trĂšs probable qu’en classifiant ses plantes au Laboratoire de l’UniversitĂ©, on s’apercevra que plusieurs d’entre elles ne sont pas encore connues. Mais ces rĂ©sultats n’ont pas Ă©tĂ© obtenus sans peine et il faut suivre notre explorateur dans ses randonnĂ©es aventureuses pour constater que l’émotion d’un botaniste en face d’une ïŹ‚eur, prĂ©parĂ©e par tant de travaux et de fatigue, ne saurait ĂȘtre exagĂ©rĂ©e.

Marcheurs infatigables

C’est Ă  Mont-Louis que commence la phase la plus intĂ©ressante du voyage de Jacques Rousseau, le 7 aoĂ»t. Son compagnon, LĂ©opold Fortier, est venu l’y rejoindre, Ă  l’hĂŽtel, la veille au soir.

DĂšs le matin du 7, nos hardis voyageurs partent en automobile, mais, au bout de 11 km, ils doivent continuer Ă  pied. C’est Ă  ce moment que la misĂšre fait son apparition. LĂ©opold Fortier doit porter une charge de 80 livres et Jacques Rousseau de 65 Ă  70 livres, Ă  part la carabine 303 indispensable. En effet, on ne passe pas 15 jours Ă  marcher sans prendre de nourriture
 et, ne consommerait-on que du bacon (nos voyageurs en mangent trois fois par jour), il faut tout de mĂȘme le porter! Et puis, le matĂ©riel d’étude : carton, cartable, prĂ©parations diverses pour conserver les insectes et
 les hommes contre les piqĂ»res des gladiateurs de l’air
 les maringouins, etc., tout cela finit par faire du poids.

Enfin, Ă  midi, nos voyageurs atteignent le dĂ©pĂŽt de la Seigneurie de « La Madeleine ». Ils ont la bonne fortune d’y trouver trois compagnons de route, robustes dĂ©fricheurs, qui vont dĂ©barrasser la « trail » (sentiers piĂ©tonniers) entre la Fourche du Nord et le lac de La Madeleine, c’est-Ă -dire, une distance de 32 km.

Le dĂ©part n’est pas encourageant, car nos voyageurs ont devant eux une pente raide de 3 km de longueur. De plus, l’ascension se fait sous un soleil ardent et pas une goutte d’eau Ă  boire! Qu’importe; c’est pour la

science, et nos voyageurs oublient leur fatigue pour cueillir au passage de la Clintonie boréale


AprĂšs la pente raide, c’est le sommet uniforme du plateau et nos explorateurs marchent toujours. Enfin, ils arrivent au camp du lac Ă  19 h 45. Ils y rencontrent le gardeforestier Tom Henley qui met son tĂ©lĂ©phone Ă  leur disposition.

TĂ©lĂ©gramme original Jacques Rousseau se met aussitĂŽt en communication avec le tĂ©lĂ©graphiste de Mont-Louis et lui demande d’adresser au frĂšre Marie-Victorin le message suivant : « Venez Mont-Louis, HĂŽtel, Auclair, TĂ©lĂ©phone Tabletop. » Le frĂšre reçoit le tĂ©lĂ©gramme ainsi : « Venez Mont-Louis, HĂŽtel, eau claire, tĂ©lĂ©phone, table »  Il croit donc que c’est le seul hĂŽtel de la cĂŽte oĂč l’on peut trouver de l’eau potable, une bonne table et, en plus, le tĂ©lĂ©phone, aussi il dĂ©cide de venir s’y installer

La soirĂ©e se passe agrĂ©ablement au camp du lac. À 5 h du matin, nos voyageurs sont debout. Ils ont le plaisir d’apercevoir, dans la clartĂ© du matin, le but de leur voyage, « La Table » et le mont Auclair (1 105 mĂštres d’élĂ©vation) qui en est un Ă©lĂ©ment. Vers 8 h, le 8 aoĂ»t, ils font la traversĂ©e du lac Mont-Louis avec Tom Henley qui les conduit dans un canot brisĂ© qui prend beaucoup l’eau; puis, la marche recommence, Ă  travers les obstacles semĂ©s sur la route difficile. Les marcheurs passent par la chaĂźne des Sept Lacs et arrivent au camp de la Fourche du Nord, oĂč Jean-Baptiste Chicoine vient les rencontrer. Ils ont fait 19 km depuis le lac Mont-Louis et devront parcourir encore 8 km avant d’atteindre Tabletop. Ce massif est renommĂ© en 1965 monts McGerrigle, en l’honneur du gĂ©ologue du mĂȘme nom. AprĂšs une nuit au camp de la Fourche du Nord, ils partent, Ă  midi, Ă  cause de la pluie, et, au prix d’une sĂ©rie de nouvelles fatigues et

[ 12 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
[DOSSIER]
Carte de la région des monts Tabletop, 1932. Service des mines de la province du Québec

de chutes rĂ©pĂ©tĂ©es au milieu des broussailles de la route, ils arrivent au camp de Chicoine, Ă  3 000 pieds (915 mĂštres) d’altitude.

Le lendemain, 10 aoĂ»t, les chercheurs de plantes reprennent leur randonnĂ©e, Ă  6 h 30 du matin, dans l’atmosphĂšre suffocante d’une brume Ă©paisse. Ils marchent, marchent toujours. Ils pourront tomber de fatigue, souffrir de la soif, de la chaleur; peu importe, ils ont pour eux une force plus grande que tous les obstacles : ils ont atteint leur but. À 8 h, ils sont Ă  Tabletop, au plus haut point.

RĂȘve et rĂ©alitĂ©

Le sommet! Que de fois nos botanistes ont rĂȘvĂ© de l’atteindre! Que de fois ils l’ont entrevu en imagination, dans le silence de l’étude, Ă  la lecture des rĂ©cits enthousiastes des explorateurs, leurs maĂźtres. Et voilĂ  que leur rĂȘve est devenu une rĂ©alitĂ©, ils ont fait leur premiĂšre conquĂȘte, ils ont ouvert le chemin de la victoire. Il faut lire la page de journal oĂč Jacques Rousseau signale cette glorieuse phase de son voyage : « Dieu soit louĂ©! VoilĂ  un projet bien ancien de rĂ©alitĂ©. Ce rĂȘve commencĂ© avec ma vie de botaniste trouve enfin sa rĂ©alisation. C’est un coin bien intĂ©ressant de notre pays que ce plateau gĂ©ant. Sur le sommet, tente d’un garde-feu. Il y a un tĂ©lĂ©phone, une tour de 6 pieds [prĂšs de 2 mĂštres] de hauteur oĂč se trouve la carte du district. Vers le sud-est, une source alimentĂ©e par un petit glacier de 100 pieds [30 mĂštres] de long par environ 30 [9 mĂštres] de large. Il est encore bon pour durer une partie des mois d’aoĂ»t, car son Ă©paisseur est assez considĂ©rable. Sur le sommet le plus Ă©levĂ©, nous ne retrouvons pas l’un des cairns Ă©levĂ©s par Fernald [Merritt Lyndon Fernald (1873-1950), botaniste amĂ©ricain] au cours de ses explorations. Peut-ĂȘtre a-t-il Ă©tĂ© employĂ© ultĂ©rieurement Ă  la construction de la petite tour?

Le gĂ©ologue Coleman [Arthur Philemon Coleman (1852-1939), gĂ©ologue canadien] l’avait retrouvĂ© en 1917, mais le temps ou les hommes ne l’ont pas Ă©pargnĂ©. Eh bien, soit; nous en construirons un autre, tĂ©moin de

notre humble contribution Ă  l’Ɠuvre si bien commencĂ©e. ».

DĂ©couverte d’un glacier

Au cours de leurs explorations sur la surface du mont, nos voyageurs parviennent Ă  localiser un glacier qu’ils apercevaient depuis longtemps. En gravissant la cime du Vieillard (mont ainsi nommĂ© Ă  cause de sa forme arrondie comme le dos d’un vieillard), ils constatent que ce glacier est jusqu’alors inconnu. Aucune carte n’en signale la prĂ©sence.

Ce glacier, situĂ© au nord-ouest du Vieillard, repose au fond d’un cirque trĂšs vaste. À son extrĂ©mitĂ© infĂ©rieure, une moraine forme un barrage qui a permis Ă  un petit lac de se former, alimentĂ© par un ruisseau qui passe sous le glacier oĂč il s’est creusĂ© un chemin dans une chambre souterraine d’une profondeur de 15 pieds (4,5 mĂštres) et oĂč l’on peut pĂ©nĂ©trer. Le ruisseau coule dans un canyon dont les parois sont de 10 Ă  15 pieds (3 Ă  4,5 mĂštres) de

hauteur. Le cirque laisse pousser sur ses cÎtés des plantes de toutes sortes, dont Jacques Rousseau fera une riche collection.

Manifestations de vie

Que dans ces rĂ©gions sauvages dont la description seule inspire une sorte de terreur, on trouve des orignaux et des caribous, c’est tout Ă  fait naturel : mais que l’on y rencontre des insectes, voilĂ  qui semble Ă©trange. Cependant, Jacques Rousseau rapporte dans son journal avoir trouvĂ© un papillon au sommet du mont Jacques-Cartier. Il a vu aussi une multitude de souris, campagnols et musaraignes dont il a conservĂ© quelques spĂ©cimens. Contrairement Ă  l’opinion de Coleman, nos naturalistes rencontrent plusieurs crapauds d’AmĂ©rique sur la route de MontLouis Ă  Tabletop.

Fruits géants et arbres nains

On sait déjà que la végétation des Chic-Chocs est trÚs différente de celle du reste du Québec; on en

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 13 ]
Montage mettant en vedette l’exploration de Jacques Rousseau en GaspĂ©sie, 1928. Montage tirĂ© de : La Patrie, 6 octobre 1928, p. 44.

trouve deux exemples frappants en parcourant le journal de Jacques Rousseau. Le jeune botaniste signale la présence de framboises (nommées Ronce pubescente) dont chaque grain est gros comme une cerise. Ces fruits sont excellents, mais leur goût est quelque peu différent de celui des framboises auquel on est habitué.

Fait qui peut paraĂźtre extraordinaire, il rapporte aussi des saules dans son herbier. Ces arbres nains ont environ un pouce de hauteur et ne portent que deux ou trois petites feuilles. Leurs racines sont beaucoup plus longues que l’arbre lui-mĂȘme qui pousse dans les fentes de roche. Ces arbres nains ont toutes les caractĂ©ristiques du saule, d’oĂč l’appellation Saule herbacĂ© par les botanistes.

Petites misĂšres

Il ne faut pas s’imaginer que le voyage de nos explorateurs, si intĂ©ressant qu’il soit, s’est accompli sans aucune difficultĂ©. En effet, il faut se rappeler que les valeureux chercheurs ont dĂ» parcourir 54 km dans les bois et sur les pics dĂ©nudĂ©s, de Mont-Louis Ă  Tabletop. Au retour, Rousseau fait remarquer dans son journal que ses bottes n’offrent plus guĂšre une grande protection Ă  ses pieds endoloris, dont les extrĂ©mitĂ©s passaient Ă  travers. Pour comble de malheur, le jeune botaniste a brisĂ© ses lunettes qu’il a dĂ» rĂ©parer tant bien que mal pour continuer son expĂ©dition. Les chutes sensationnelles dans les broussailles ne se comptent pas, mais nos voyageurs s’amusent de ces contretemps qui ne les ont pas empĂȘchĂ©s d’atteindre leur but.

Un monument

En arrivant Ă  Tabletop, le but de leur voyage, nos jeunes explorateurs, au comble de la joie, veulent commĂ©morer cet Ă©vĂšnement de leur vie. Ils Ă©lĂšvent un cairn en pierre de forme pyramidale, de 6 pieds (1,8 mĂštre) de base. Les quatre faces du cairn sont orientĂ©es d’aprĂšs les points cardinaux. Jacques Rousseau rĂ©dige une inscription qu’il enferme dans une

Texte dĂ©posĂ© Ă  l’intĂ©rieur du cairn

Tabletop, 10 août 1928.

Exploration botanique sous les auspices du Lab. de botanique de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al et du National Council of Research, conduite par LĂ©opold Fortier et Jacques Rousseau.

Partis de Mt-Louis 7 aoĂ»t, avons couchĂ© Lac Mt-Louis; 8 aoĂ»t, avons couchĂ© Fourche du Nord; 9 aoĂ»t, arrivons au camp du garde-feu sur le flanc de Tabletop vers 3 000 pieds [915 mĂštres] d’altitude. M. Baptiste Chicoine, GrandeVallĂ©e, et son fils Hilaire, ĂągĂ© de 14 ans, garde-feux. 10 aoĂ»t, avons gravi Botanist Dome oĂč se trouve tente du garde-feu. Dans nos loisirs occasionnĂ©s par brume Ă©paisse, avons bĂąti ce cairn Ă  50 pieds [15 mĂštres] Ă  l’est de la tente. OrientĂ© selon les points cardinaux. Le travail de construction demandĂ© 10 heures d’ouvrage en tout. Demeurerons ici jusqu’au 21 probablement.

Léopold Fortier

Ingénieur Chimiste

Montréal

B.Chicoine

Garde-feu

Jacques Rousseau Lab. Bot. Univ. Montréal

Hilaire Chicoine Ass. Garde-feu

bouteille et dĂ©pose Ă  l’intĂ©rieur du cairn.

L’Ɠuvre accomplie

Le retour des explorateurs s’accomplit sans incident marquant. AprĂšs tant de fatigue, d’efforts et de privations, ils sont heureux de revenir vers la civilisation. ChargĂ©s de matĂ©riaux dont la classification exigera des Ă©tudes patientes et ardues, les courageux voyageurs sont contents d’avoir rĂ©alisĂ© le projet qu’ils cares-

saient depuis plusieurs annĂ©es. Leur travail pourra ĂȘtre mĂ©connu des profanes, le cairn, souvenir de leur expĂ©dition pourra pĂ©rir, mais nos hardis explorateurs garderont la satisfaction d’avoir fait Ɠuvre utile.

Pour en savoir plus : Le fonds JacquesRousseau, dont son journal, est conservĂ© Ă  l’UniversitĂ© Laval, P174/B-31, P/174/B-32.

[ 14 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
De gauche à droite : Ubalde Beaudry, Thomas Rousseau, Léopold Fortier et Jacques Rousseau avec le cairn sur le sommet du « Tabletop », 1928. Archives Université de Montréal. E01181FP001036-2
[DOSSIER]

DANS L’ƒIL D’UNE NATURALISTE

J’observe. Depuis la tendre enfance, j’observe, dans les herbes hautes derriĂšre la maison, les bourdons allant d’une inflorescence Ă  une autre, que plus tard j’identifierai : la bardane, l’achillĂ©e, l’anaphale, la tanaisie, la chicorĂ©e et autres de la famille des composĂ©es qui envahissent les champs et les bordures de chemin.

Enfant, naviguant avec les voisins·es de notre chalet sur le barachois lagunaire de SaintOmer, nous glissons sur cette lugubre mini-forĂȘt de zostĂšres, dĂ©couverte Ă  marĂ©e basse et cachant les mĂ©chants crabes. De retour sur les rives bordĂ©es d’élymes et d’ammophiles ou blĂ©s de mer, je goĂ»te la salicorne et la Sabline faux-pĂ©plus qui assaisonneront plus tard mes salades et mes hamburgers.

À l’ñge adulte, ce penchant s’est affirmĂ©. Je fouille les diffĂ©rents milieux de vie pour rĂ©colter les cent plantes de l’herbier nĂ©cessaire Ă  ma deuxiĂšme annĂ©e de biologie Ă  l’UniversitĂ© du QuĂ©bec Ă  Rimouski (UQAR). La Mitrelle nue est mon coup de cƓur. DĂ©licate, verdĂątre, la ïŹ‚eur dentelĂ©e comme un ïŹ‚ocon de neige m’est apparue dans une clairiĂšre de forĂȘt de conifĂšres, sur une souche envahie de mousses, Ă  la lumiĂšre oblique d’une fin de journĂ©e, dans son Ă©clatante beautĂ©.

Entre-temps, les parcs nationaux me font de l’Ɠil et me permettent de trouver ma voie. Je parcours ces espaces privilĂ©giĂ©s. Je suis payĂ©e pour faire ce que j’aime faire le

plus au monde : faire dĂ©couvrir aux personnes qui le veulent bien les merveilles qui nous entourent. Quel immense bonheur! Parlons des hauts sommets des Chic-Chocs et des monts McGerrigle oĂč se rĂ©fugie une ïŹ‚ore arctique-alpine : Bouleau nain, Saule arctique entre lesquels s’installent, en forme de coussinets, l’ArmĂ©rie du Labrador, la SilĂšne acaule et la Diapensie de Laponie. Et dans l’ascension des ïŹ‚ancs de ces montagnes, nous croisons une succession altitudinale de forĂȘts correspondant Ă  la mĂȘme succession en latitude qui est observable par le hublot d’un avion en voyage vers le Grand Nord quĂ©bĂ©cois.

Comme chaque Ă©cosystĂšme a sa forĂȘt, la mer qui entoure la pĂ©ninsule a les siennes. Les grandes algues brunes Ă©chouĂ©es sur la plage, les laminaires appelĂ©es goĂ©mons par nos grands-pĂšres, bien accrochĂ©es sur les roches du fond forment une forĂȘt trĂšs dense et se dressent sous la zone des marĂ©es, comme un brise-lames protĂ©geant les habitants·es du littoral des vagues fortes venues du large. La forĂȘt plus petite

des fucus ou varech, tout aussi touffue, garde Ă  l’abri toute une faune contre la sĂ©cheresse occasionnĂ©e par le soleil plombant Ă  marĂ©e basse et contre les prĂ©dateurs marins Ă  marĂ©e haute.

Mais si dans toutes ces expĂ©riences, l’humain n’était pas prĂ©sent, mon travail de naturaliste ne serait pas complet. À PercĂ©, je n’aurais pas Ă©tĂ© pleinement satisfaite si je n’avais pas rĂ©ussi Ă  rĂ©pondre de façon diplomate Ă  une dame qui s’exclame « Quoi? L’eau est salĂ©e? ». Sur l’üle Bonaventure, en balade avec trois couples, Ă  quatre pattes, je dĂ©gage dĂ©licatement les racines en forme de corail de la Corallorhiza maculata, pour leur faire dĂ©couvrir le bien-fondĂ© de son appellation. J’ai su donner pleinement, que ce soit Ă  ce directeur d’un musĂ©e d’histoire naturelle de Boston qui voulait les noms latins des plantes, aux amoureux du rĂ©seau national des parcs quĂ©bĂ©cois et Ă  ce couple si touchant qui Ă©coutait, les yeux grands ouverts et qui m’a dit « Quoi, c’est vivant? ». J’ai eu l’impression d’ouvrir, pour ces derniers, une grande fenĂȘtre sur le monde


Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 15 ]
Rachel Thibault Naturaliste et résidente de Bonaventure
[DOSSIER]
Rachel Thibault Ă  gauche, en exploration sur les abords du barachois de Bonaventure, 2013. Collection Rachel Thibault

TRAITS BOTANIQUES REMARQUABLES DE FORILLON

L’étude des plantes du parc national Forillon nous rĂ©vĂšle bien des choses. Elle nous rappelle de grandes migrations, elle nous invite Ă  remonter loin dans le temps, elle nous enseigne aussi Ă  reconnaĂźtre que le changement fait partie de l’histoire de notre planĂšte.

Maxime St-Amour Biologiste, chef de l’interprĂ©tation naturelle, historique et culturelle, parc national Forillon de 1970 Ă  1998, et rĂ©sident de Cap-des-Rosiers

Bien au-delĂ  de l’identification des plantes, qui demeure la base de la botanique, les Ă©tudes scientifiques sur leur prĂ©sence ici ou leur absence, leur arrivĂ©e, leur occupation respective de certaines zones du territoire selon l’habitat qui leur convient ou leur persĂ©vĂ©rance Ă  se maintenir dans certains de ces habitats depuis des siĂšcles, nous racontent des histoires captivantes. L’interprĂ©tation de la botanique du parc doit se faire de façon dĂ©ductive, c’est-Ă -dire basĂ©e sur des faits Ă©tudiĂ©s et reconnus. Autrement, l’interprĂ©tation se ferait de façon intuitive, voir mĂȘme Ă©motive ou imaginaire, ce qui ne serait ni sĂ©rieux ni valable.

Une plante trĂšs ancienne

La plus ancienne plante de Forillon se trouve dans les grÚs qui bordent la cÎte sud de la péninsule, depuis Petit-Gaspé vers Penouille et Saint-Majorique. Les fossiles de cette

plante Ă©teinte dateraient de quelque 375 millions d’annĂ©es Ă  une pĂ©riode oĂč le nouveau continent Ă©mergeait de la mer en se butant contre le coin nord-ouest du continent africain, situĂ© alors un peu au nord de l’équateur.

Comme en tĂ©moignent les strates entrecroisĂ©es de cette formation rocheuse de sable, cette plante primitive vivait en bordure de continent, possiblement en eau saumĂątre dans un contexte d’eau courante, du moins Ă  l’occasion. C’était il y a environ 175 millions d’annĂ©es avant l’ouverture de l’ocĂ©an Atlantique. Psilophyton princeps, la plus ancienne plante de Forillon, Ă©tait donc une plante tropicale.

Des plantes rares, mĂȘme une trĂšs

rare

D’autres plantes Ă©tablies Ă  Forillon sont arrivĂ©es ici depuis longtemps, soit Ă  la fin de la derniĂšre glaciation, il y a quelque 10 000 ans. Quand la

calotte glaciaire continentale s’est mise Ă  reculer lors de sa fonte, le sol quĂ©bĂ©cois rabotĂ© et chamboulĂ© par le glacier est vite colonisĂ© par des plantes adaptĂ©es Ă  ce type de milieu ouvert et froid en bordure du glacier. Ainsi, des plantes de l’Arctique s’y implantent.

Aussi, des espĂšces vivant dans le rude contexte alpin des montagnes Rocheuses et de la CordillĂšre canadienne (Ă  l’ouest des Rocheuses) auraient migrĂ© d’ouest en est jusqu’ici Ă  cette mĂȘme pĂ©riode, colonisant ainsi l’étroit corridor fraĂźchement libĂ©rĂ© par la fonte du glacier continental.

Il faut savoir que ces plantes, tant arctiques qu’alpines, « poussent dans des milieux ouverts et dĂ©nudĂ©s, oĂč elles n’ont pas Ă  concurrencer d’autres plantes
 elles exigent de vivre seules et passablement parsemĂ©es
 lĂ  oĂč les arbres ne poussent pas et oĂč l’étĂ© et la pĂ©riode de croissance sont courts. »1. Elles

[ 16 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
[DOSSIER]
Une taĂŻga forestiĂšre inusitĂ©e se maintient sur Penouille. Toutefois, la compĂ©tition avec des plantes mĂ©ridionales menace cette nordicitĂ© d’exception. Photo : Maxime St-Amour

Draba incerta

Présente en Alaska au niveau de la mer, dans les montagnes

Rocheuses jusque dans l’Utah et pouvant parvenir Ă  3 300 mĂštres (10 800 pieds) d’altitude, la Drave incertaine, avec ses petites fleurs jaunes, n’a Ă©tĂ© trouvĂ©e dans tout l’est du continent qu’à Forillon.

doivent de plus pousser sur de la roche calcaire.

Les hautes falaises de Forillon correspondent parfaitement aux conditions Ă©numĂ©rĂ©es. Leur orientation face aux vents froids, la froideur de la mer Ă  leur pied, les courtes pĂ©riodes d’ensoleillement qui y prĂ©valent contribuent Ă  la rigueur nĂ©cessaire des conditions de croissance qu’exigent ces plantes. Ces parois rocheuses ont Ă©tĂ© complĂštement lessivĂ©es par les hauts niveaux marins postglaciaires. Puis, par la suite, ce milieu s’est maintenu dĂ©nudĂ© par l’érosion constante des falaises, surtout par l’action du

gel-dĂ©gel. C’est un habitat Ă  la fois austĂšre et dangereux.

Une anecdote Ă  ce sujet : en 1971, j’ai accompagnĂ© le Dr Pierre Morissette, botaniste de l’UniversitĂ© Laval, chargĂ© de faire l’inventaire des plantes arctiques-alpines de Forillon. Alors qu’on explorait un talus dans les falaises, un petit Ă©clat de pierre en chute libre a frappĂ© sa botte neuve en cuir Ă©pais et l’a coupĂ©e jusqu’à la chaussette. Un milieu dangereux? Oui, certes, et ce, par tous les temps. Pour trouver une ïŹ‚eur, avait-il dĂ©fiĂ© la mort?

Ces plantes arctiques-alpines sont considĂ©rĂ©es comme les plantes rares de Forillon. Pourquoi? D’abord, parce qu’elles poussent ici de façon disjointe de leur milieu d’origine lointain. Puis, elles ne comptent qu’une trentaine d’espĂšces. Et enfin, certaines sont prĂ©sentes en moins d’une dizaine de plants. Leur prĂ©sence ici est l’une des cinq caractĂ©ristiques fondamentales Ă  la base du choix de Forillon comme premier territoire quĂ©bĂ©cois pour devenir un parc national fĂ©dĂ©ral en 1970.

Un autre habitat nordique, une taĂŻga forestiĂšre

Au centre de la ïŹ‚Ăšche de sable de Penouille persiste une taĂŻga forestiĂšre. La taĂŻga est cette zone juste au sud de la toundra du Grand Nord quĂ©bĂ©cois. Elle est caractĂ©risĂ©e par la prĂ©sence de conifĂšres (Épinettes noires) clairsemĂ©s croissant sur un sol sablonneux et recouvert de riches tapis de lichens et autres plantes basses. La taĂŻga marque la transition entre la toundra ouverte au nord sans forĂȘt et la forĂȘt borĂ©ale aux arbres poussant serrĂ©s au sud.

« ll arrive souvent qu’on retrouve au sud des habitats typiques des rĂ©gions plus nordiques. Mais normalement, cela se produit en gagnant de l’altitude. Or, Penouille est sis au niveau de la mer. De plus, il y fait souvent plus chaud qu’à bien d’autres endroits dans le parc. »2 Cet habitat situĂ© dans la baie de GaspĂ© est donc une intrigue Ă©cologique.

Hypothétiquement, la combinaison de certaines conditions comme la présence de sable, la pauvreté du sol

et les facteurs climatiques crĂ©erait des conditions de croissance qui rappelleraient la sĂ©vĂ©ritĂ© de celles de la taĂŻga. D’ailleurs, on remarque aussi que des Épinettes noires sur Penouille se reproduisent par marcottage, soit des arbres naissant Ă  partir de branches basses d’oĂč croissent des racines. Comme au Nouveau-QuĂ©bec, il s’agit d’une adaptation aux milieux difficiles.

Tout un cortĂšge de plantes intĂ©ressantes, adaptĂ©es Ă  ce contexte sablonneux, s’y trouve rĂ©uni : Ă©ricacĂ©es, lycopodes, champignons, etc. Ces plantes sont souvent associĂ©es symbiotiquement, c’est-Ă -dire qu’elles ont besoin les unes des autres pour exister. Ce ne sont pas des plantes rares, sauf la Hudsonie tomenteuse, mais certaines de leurs associations particuliĂšres le sont.

Penouille prĂ©sente donc une Ă©cologie unique du QuĂ©bec continental. Son caractĂšre de nordicitĂ© devrait ĂȘtre reconnu comme primordial et le parc national Forillon pourrait considĂ©rer intervenir de façon sĂ©lective pour prĂ©venir que des espĂšces envahissantes introduites comme le Caragana (Caraganier de SibĂ©rie) et le Pin blanc, un conifĂšre plutĂŽt typique du sud, ne viennent pas saper le caractĂšre nordique singulier de Penouille. On voit dĂ©jĂ  que ce pin et d’autres « envahisseurs » s’installent et que ce sera sĂ»rement au dĂ©triment de l’Épinette noire qui donne Ă  Penouille toute son importance patrimoniale naturelle.

AprĂšs les plantes du nord, des espĂšces du sud

La tempĂ©rature moyenne plus chaude qu’aujourd’hui, il y a environ

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 17 ]
La prĂ©sence de l’Érable Ă  sucre est un bel exemple de cette migration venue du sud il y a quelque 6 000 ans. Photo : Maxime St-Amour La Comandre livide peut vivre de façon parasitaire avec diffĂ©rentes espĂšces occupant des terrains sablonneux de Penouille.
[DOSSIER]
Photo : Maxime St-Amour

7 000 Ă  5 000 ans, a favorisĂ© une migration de plantes du sud vers le nord. C’est ainsi que des chĂȘnaies et des Ă©rabliĂšres se sont installĂ©es ici et, avec elles, certaines plantes de sousbois typiques des rĂ©gions plus au sud.

Les plantes venues du sud ont envahi et délogé les plantes arctiques-

alpines partout, sauf lĂ  oĂč les conditions extrĂȘmes ont perdurĂ©.

Typiquement boréal

L’habitat forestier de Forillon est typiquement borĂ©al. On pourrait Ă©laborer sur ses multiples facettes en dĂ©crivant ses diffĂ©rents peuplements

forestiers. Toutefois, cette description risquerait d’ĂȘtre trop technique et spĂ©cialisĂ©e.

Ainsi, je vais plutĂŽt souligner que j’ai dĂ©jĂ  trouvĂ©, en 1972, dans cette forĂȘt borĂ©ale un Thuya occidental (communĂ©ment appelĂ© « cĂšdre ») qui mesurait prĂšs de 18 pieds (5,5 mĂštres) de circonfĂ©rence. Une carotte prĂ©levĂ©e par des spĂ©cialistes de l’UNESCO une vingtaine d’annĂ©es plus tard a rĂ©vĂ©lĂ© que cet arbre existait dĂ©jĂ  Ă  l’arrivĂ©e de Jacques Cartier en 1534. Il serait, en fait, Ă  Forillon, un monument botanique vieux de 500 ans.

Une simple fleur peut émouvoir

Pour terminer, une autre anecdote : en 1976, Forillon accueille un groupe international de botanistes en congrĂšs. Lors du souper de clĂŽture de l’évĂšnement, le botaniste porteparole conclut son exposĂ©, dont chaque phrase est traduite pour les convives parlant une douzaine de langues diffĂ©rentes, en disant que ce qu’il a trouvĂ© de plus extraordinaire en ce qui concerne les plantes en GaspĂ©sie, ce sont : « les magnifiques prairies de Taraxacum ». En entendant le nom latin du pissenlit, dont l’utilisation est commune dans la communautĂ© scientifique, tous, se sont levĂ©s Ă  l’unisson et ont applaudi chaudement cette ïŹ‚eur souvent mal aimĂ©e au QuĂ©bec qui pare en abondance nos champs au mois de juin.

Notes

[ 18 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023 ENVUEGASPÉ 8-A,ruedelaCathĂ©drale 418.368.2122
Serviceprofessionnel etcourtois
Équipementde derniùretechnologie
TrÚsbelinventairede monturesenvogue Vosoptométristes defamille: Dre LucieTremblayODet Dr LouisThibaultOD
‱
‱
‱
1. Pierre Morisset et Jean BĂ©dard, Les plantes rares du parc national Forillon, Centre d’édition du gouvernement du Canada, 1983. 2. Maxime St-Amour, Parc national Forillon, Centre d’édition du gouvernement du Canada, 1984. Trois douzaines de plantes rares comme ce Saxifrage cespiteux occupent encore les falaises calcaires de Forillon depuis la fin de la glaciation. Illustration : Ghislain Lefebvre Image tirĂ©e de : Pierre Morisset et Jean BĂ©dard, Les plantes rares du parc national Forillon, Centre d’édition du gouvernement du Canada, 1983, p. 28.

DES PLANTES DU SUD AU NORD

La GaspĂ©sie regorge de cette diversitĂ© d’écosystĂšmes dont sont friands les botanistes, les naturalistes ou simplement les fervents es de la nature. Ces Ă©cosystĂšmes engendrent une impressionnante variĂ©tĂ© de plantes dont un infime Ă©chantillon est prĂ©sentĂ© ici en photos.

Jean-Philippe Chartrand Biologiste, directeur au dĂ©veloppement du crĂ©neau d’excellence rĂ©crĂ©otouristique ACCORD pour la GaspĂ©sie, et rĂ©sident de Port-Daniel

Le Sabot de la Vierge (CypripĂšde acaule, Cypripedium acaule) est une orchidĂ©e Ă  la ïŹ‚eur trĂšs distinctive qui est prĂ©sente dans divers types d’habitats : milieux secs ou humides, Ă©clairĂ©s ou ombragĂ©s. Ce spĂ©cimen a Ă©tĂ© choisi pour la photo parmi une cinquantaine de ses congĂ©nĂšres prĂšs d’un des sommets du mont ValliĂšresde-Saint-RĂ©al dans les Chic-Chocs.

L’Iris Ă  pĂ©tales aigus (Iris setosa) rappelle l’emblĂšme ïŹ‚oristique du QuĂ©bec, l’Iris versicolore (ou Iris du Canada). Le premier est associĂ© aux milieux maritimes. Celui-ci a Ă©tĂ© photographiĂ© au parc Colborne Ă  Port-Daniel-Gascons Ă  quelques mĂštres de l’eau

Le Trille rouge (ou Trille dressĂ©, Trillium erectum) est prĂ©sent dans les forĂȘts mixtes et de bois franc. Ainsi, il est peu commun dans le haut pays gaspĂ©sien. Le spĂ©cimen a Ă©tĂ© photographiĂ© dans le bassin versant de la riviĂšre Restigouche oĂč Ă©rabliĂšres et peuplements de trembles matures ne sont pas rares.

La Marguerite blanche (Leucanthemum vulgare) est une ïŹ‚eur trĂšs commune qui profite des milieux ouverts. Elle se rĂ©pand dans les champs et les bĂ»chĂ©s. Ces spĂ©cimens ont Ă©tĂ© photographiĂ©s sur un lot agricole de Cap-d’Espoir et contribuent Ă  prĂ©senter une scĂšne des plus typiques de la vie rurale.

La SarracĂ©nie pourpre (Sarracenia purpurea) est une plante carnivore Ă©troitement associĂ©e aux tourbiĂšres. Les feuilles en forme de tubes piĂšgent les insectes. Ceux-ci seront « digĂ©rĂ©s » pour fournir des nutriments Ă  la plante et compenser ainsi la pauvretĂ© du sol. La GaspĂ©sie a peu de lacs en comparaison Ă  d’autres rĂ©gions du QuĂ©bec, mais elle a pourtant Ă©tĂ© aperçue dans les terres prĂšs de la Pointe-Saint-Pierre.

La LinnĂ©e borĂ©ale (Linnaea borealis) porte ses ïŹ‚eurs en clochette toujours en paires. Petites et prĂšs du sol, ces ïŹ‚oraisons passent souvent inaperçues pour les randonneuses et randonneurs. Pourtant l’espĂšce est commune dans l’ensemble des forĂȘts borĂ©ales autour du globe, dont celles de la GaspĂ©sie, y compris Ă  l’üle Bonaventure.

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 19 ]
[DOSSIER]

Le Lychnis alpin (Silene suecica) fait partie des plantes arctiquesalpines. Pour s’assurer d’ĂȘtre butinĂ© frĂ©quemment par les rares insectes sur les sommets, la tige et les feuilles, tout comme les ïŹ‚eurs, sont d’un vif violet. Il est commun en NorvĂšge et en SuĂšde, mais prĂ©sent aussi dans les Alpes, les PyrĂ©nĂ©es et les montagnes de l’AmĂ©rique du Nord. Elles sont bien visibles le long du sentier du mont Albert, sur le plateau et dans la Cuve du Diable.

Le SilĂšne acaule (Silene acaulis) est trĂšs intimement associĂ© aux habitats de montagnes. Sa forme en coussin compact permet de retenir l’humiditĂ© et une certaine chaleur provenant du sol. Cet avantage est dĂ©terminant pour la survie de l’espĂšce bien adaptĂ©e au climat des Alpes, des PyrĂ©nĂ©es, des Rocheuses
 et des Chic-Chocs!

Le Kalmia Ă  feuilles Ă©troites (Kalmia angustifolia) est une plante commune de la forĂȘt borĂ©ale assez coriace pour coloniser les ïŹ‚ancs de montagnes et les sommets peu Ă©levĂ©s. Ses petites feuilles cirĂ©es et sa ïŹ‚eur aux pĂ©tales soudĂ©s rĂ©sistent au froid, Ă  la chaleur, Ă  la sĂ©cheresse et aux forts vents. Tout ce qu’il faut pour survivre Ă  la limite forestiĂšre des monts Xalibu, Richardson ou du pic du BrĂ»lĂ©.

Fier dĂ©taillant du Magazine GaspĂ©sie 5-B, 1re Avenue Ouest, Sainte-Anne-des-Monts lencrenoire.leslibraires.ca | 418 763-5052 | www.facebook.com/librairielencrenoire *La librairie L’Encre noire est la propriĂ©tĂ© de la SociĂ©tĂ© d’histoire de la Haute-GaspĂ©sie [DOSSIER]

Ce site est exceptionnel pour plusieurs raisons. D’abord, il n’a subi aucun ravage important, que ce soit par un incendie ou une Ă©pidĂ©mie d’insectes, ce qui est plutĂŽt rare. De plus, ce secteur n’a jamais Ă©tĂ© « bĂ»ché ». En GaspĂ©sie, on dĂ©nombre trĂšs peu d’endroits oĂč les arbres n’ont pas Ă©tĂ© abattus au moins une fois par le passĂ©. Cette forĂȘt a ainsi pu traverser le temps, comptant des arbres matures de plus de 600 ans. Certains d’entre eux ont un diamĂštre allant jusqu’à 130 cm (50 pouces) et peuvent atteindre jusqu’à 28 mĂštres (92 pieds) de hauteur. On y trouve aussi une bonne quantitĂ© de bois morts, ce qui crĂ©e de belles percĂ©es et permet Ă  de jeunes arbres de se frayer un chemin et Ă  la forĂȘt de se rĂ©gĂ©nĂ©rer. Étant l’expression de la longue maturation des arbres, cette dynamique est sans doute plus vieille encore que les arbres les plus ĂągĂ©s qui s’y trouvent. Enfin, la cĂ©driĂšre est situĂ©e dans la vallĂ©e de la riviĂšre du Grand Pabos, lĂ  oĂč le sol est recouvert de dĂ©pĂŽts riches en nutriments Ă  la suite d’inondations passĂ©es, ce qui favorise la croissance des arbres et des vĂ©gĂ©taux

En plus des cĂšdres, cette forĂȘt ancienne est composĂ©e de Sapins baumiers, de FrĂȘnes noirs et de Bouleaux jaunes. Les sous-bois ont

UNE FORÊT VIEILLE DE PLUS DE 650 ANS

PrĂšs de la riviĂšre du Grand Pabos, au nord de Chandler, se trouve un Ă©cosystĂšme forestier exceptionnel de la pĂ©ninsule : une cĂ©driĂšre d’au moins 650 ans, ce qui en fait l’une des plus anciennes du QuĂ©bec. La forĂȘt est majoritairement composĂ©e de Thuyas occidentaux, que nous appelons cĂšdres au Canada. Cette forĂȘt ancienne couvrant 24 hectares est une aire protĂ©gĂ©e par le ministĂšre des Ressources naturelles et des ForĂȘts du QuĂ©bec selon la Loi sur la conservation du patrimoine naturel.

aussi une végétation assez riche, dont une petite fougÚre calcicole, Cystopteris bulbifera, qui est peu commune au Québec.

Préserver les écosystÚmes et la biodiversité

La forĂȘt ancienne de la RiviĂšre-duGrand-Pabos est une aire protĂ©gĂ©e. Toutefois, l’espace qui l’entoure ne l’est pas. À proximitĂ©, la zone d’exploitation contrĂŽlĂ©e (ZEC) des Anses comporte aussi de spectaculaires thuyas et d’imposants Ă©rables et merisiers, sans compter nombre de cours d’eau ainsi que la ïŹ‚ore qui comprend des espĂšces menacĂ©es ou vulnĂ©rables, ou susceptible de l’ĂȘtre, dont le Calypso bulbeux, le CypripĂšde royal et la Dentaire Ă  deux feuilles (Cardamine diphylla), une petite ïŹ‚eur protĂ©gĂ©e contre la rĂ©colte abusive n’ayant pas Ă©tĂ© identifiĂ©e par des experts.

En 2020, en apprenant que ce secteur devait subir des coupes forestiĂšres, le comitĂ© citoyen SolidaritĂ© GaspĂ©sie s’est mobilisĂ© grĂące Ă  la vigilance du directeur de la ZEC, Douglas Murphy, et Ă  mon intervention. Ces dĂ©marches, appuyĂ©es par une entente avec le Conseil rĂ©gional de l'Environnement GaspĂ©sieÎles-de-la-Madeleine (CREGIM) et la SociĂ©tĂ© pour la nature et les parcs

(SNAP), ont permis de reporter la coupe, puis d’instaurer un moratoire. Elles ont aussi donnĂ© lieu, entre autres, Ă  un important rapport sur la validation des Ă©cosystĂšmes forestiers exceptionnels prĂ©sents sur le territoire, dirigĂ© par l’ingĂ©nieur forestier Normand Villeneuve du ministĂšre des Ressources naturelles et des ForĂȘts. Des dĂ©marches sont toujours en cours, mais la mobilisation citoyenne semble donner espoir qu’une partie de la ZEC sera dĂ©sormais conservĂ©e.

Selon le registre des aires protĂ©gĂ©es au QuĂ©bec, il existe en GaspĂ©sie onze forĂȘts anciennes, cinq forĂȘts rares et huit forĂȘts refuges, mais plusieurs autres sites mĂ©ritent d’ĂȘtre conservĂ©s. Les Ă©cosystĂšmes sont complexes et plus vastes que des aires restreintes.

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 21 ]
Marie-JosĂ©e Lemaire-Caplette RĂ©dactrice en chef Denis Michaud Administrateur, ZEC des Anses et rĂ©sident de Chandler CypripĂšde royal, une espĂšce susceptible d'ĂȘtre classĂ©e menacĂ©e ou vulnĂ©rable, dans la forĂȘt de la ZEC des Anses, 2022. Photo : Denis Michaud Thuya occidental dans la cĂ©driĂšre de la RiviĂšre-duGrand-Pabos, 2020.
À
PREMIER
UNE
[DOSSIER]
Photo : Denis Michaud
LISEZ L’ARTICLE ZEC DES ANSES
CHANDLER : UN
PAS VERS
ZONE PROTÉGÉE

Transport de la ZostĂšre marine Ă  L’Isle-Verte oĂč elle est surnommĂ©e « mousse de mer », entre 1920 et 1933.

Louis-Bertrand

LE FOIN SALÉ : UNE HERBE À TOUT FAIRE

Le foin salĂ© est une graminĂ©e humide qui vit dans l’eau prĂšs des rives du fleuve et du golfe du Saint-Laurent ainsi que de celles de la baie des Chaleurs. FauchĂ© par les Mi'gmaqs depuis des centaines d’annĂ©es, ce foin pousse au ras des marais salĂ©s, Ă  l’embouchure de riviĂšres et dans les barachois. On l’utilise pour nourrir le bĂ©tail, isoler, calfeutrer, rembourrer. Coup d’Ɠil sur cette herbe Ă  tout faire.

Le foin vert ou salĂ© connaĂźt diverses dĂ©signations populaires, dont herbe Ă  outardes ou Ă  bernaches puisqu’il sert de nourriture Ă  ces oiseaux aquatiques et Ă  quelques mollusques. En fait, son vrai nom est Zostera marina (ZostĂšre marine). En GaspĂ©sie, elle forme le plus souvent des herbiers insĂ©rĂ©s Ă  l’intĂ©rieur de nos barachois. Contrairement Ă  ce que l’on peut penser en la voyant, il ne s’agit pas d’une algue, mais bien d’une plante vasculaire indigĂšne au Canada.

Les herbiers de zostĂšre participent Ă  la stabilisation des Ă©cosystĂšmes marins et offrent un habitat Ă  de nombreuses espĂšces d’animaux et de poissons. Historiquement, ce foin est bien connu des GaspĂ©siennes et des GaspĂ©siens, qui le transforment et l’utilisent de plusieurs maniĂšres.

SĂ©chĂ©, il est offert comme nourriture pour le bĂ©tail et sert aussi Ă  rembourrer des meubles. Enfin, quelques sources mentionnent qu’on l’utilise pour effectuer le calfeutrage et l’isolation des maisons, une fois pressĂ©.

Nourrir les bĂȘtes Ă  cornes

Le foin salĂ© est aussi recensĂ© dans d’autres endroits au QuĂ©bec et au Canada, comme chez les Acadiennes et les Acadiens de la NouvelleÉcosse. Ce foin « permettait de s’assurer que le bĂ©tail ne mourrait pas de faim en attendant la rĂ©colte des premiers foins cultivĂ©s »1. Il est ramassĂ© Ă  l’aide d’aboiteaux, des espĂšces de digues mises en place dans les marais. Selon les recherches de l’historien Michel Goudreau, des digues auraient Ă©tĂ© posĂ©es dans la riviĂšre Ristigouche par les Acadiens.

À la suite de la Bataille de la Ristigouche, de nombreux Acadiens ayant transitĂ© par La Petite-Rochelle s’installeront Ă  Bonaventure (1760), puis Ă  TracadiĂšche (1767) (aujourd’hui Carleton-sur-Mer) sans titre de propriĂ©tĂ©.

[ 22 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
Camillia Buenestado Pilon Consultante en patrimoine et archiviste, et rĂ©sidente de PaspĂ©biac Louis-Philippe Michaud transporte du foin salĂ© Ă  L’Isle-Verte, 1919.
[DOSSIER]
Photo tirĂ©e de : Robert Michaud, La mousse de mer : de L’Isle-Verte Ă  la Baie-des-Chaleurs, MontrĂ©al, LemĂ©ac, 1985, 221 p.

De leur cĂŽtĂ©, les Mi’gmaqs revendiquent les terres de la riviĂšre CascapĂ©dia Ă  la riviĂšre Ristigouche ainsi que des droits exclusifs de pĂȘche et de chasse sur la riviĂšre Ristigouche.

Pour nourrir leur bĂ©tail, les Acadiens de la Baie viendront faucher le foin dans les prairies humides Ă  l’embouchure de la Petite riviĂšre du Loup en Ă©change d’une redevance perçue par les Mi'gmaqs. Ainsi, l’équilibre des relations est fragile : les Mi’gmaqs laissent aux Acadiens le droit de s’approvisionner en foin, tant qu’ils sont payĂ©s et que les Acadiens ne revendiquent pas cette portion du territoire. Toutefois, la guerre d’IndĂ©pendance amĂ©ricaine augmente la prĂ©caritĂ© des Acadiens, qui sont irritĂ©s que les Mi’gmaqs ne leur laissent pas mettre de trappes dans la forĂȘt ou pĂȘcher le saumon et qu’ils aient augmentĂ© leurs redevances pour la rĂ©colte du foin salĂ©. De leur cĂŽtĂ©, les Mi'gmaqs rĂ©torquent que l’exploitation intensive du foin nuit Ă  la ressource, que les Acadiens font fuir le gibier et qu’ils ne paient pas leur dĂ».

Les tensions montent d’un cran Ă  l’arrivĂ©e des Loyalistes dans la baie des Chaleurs en 1784. Un besoin de dĂ©limitation des terres se fait sentir. Pour rĂ©soudre le conïŹ‚it entre Mi'gmaqs et Acadiens, le lieutenantgouverneur de la GaspĂ©sie Nicholas Cox se rend dans la Baie, officialise l’entente pour le fauchage du foin entre les deux peuples et rassure les Mi'gmaqs : ceux-ci ne perdront pas leurs droits territoriaux. Mais cette entente n’est que provisoire et deux ans plus tard, Lord Dorchester, gouverneur de la province de QuĂ©bec, met sur pied une Commission sur les terres gaspĂ©siennes. Au terme de celle-ci, en 1786, les terres revendiquĂ©es par les Mi'gmaqs sont remises dans les mains de la Couronne britannique, qui souligne que les Mi’gmaqs doivent faire de la place pour « ses autres enfants, les Anglais et les Acadiens, qu’ils doivent considĂ©rer comme des frĂšres ». Les Mi’gmaqs consentent Ă  cĂ©der leurs droits aux Britanniques sur les territoires de Nouvelle et Miguasha en Ă©change de droits exclusifs de pĂȘche.

MalgrĂ© cela, l’entente ne sera pas respectĂ©e, car les autoritĂ©s britanniques continuent d’octroyer des terres aux Loyalistes. Parmi eux, le juge Isaac Mann voit sa demande d’obtention de terres acceptĂ©e Ă  Pointe-Ă -la-Croix (incluant les prairies de foin salĂ©), ce Ă  quoi s’opposent les Acadiens, ceux-ci ayant une entente avec les Mi'gmaqs pour le fauchage du foin. MalgrĂ© deux pĂ©titions, les autoritĂ©s statuent en faveur d’Isaac Mann, et jugent que les Acadiens doivent dĂ©sormais lui louer des droits d’exploitation.

Au tournant du 19e siĂšcle, la situation ne s’amĂ©liore pas; elle se dĂ©grade mĂȘme au profit d’une guerre Ă  trois pour les ressources. À la lutte pour le foin se rajoutent les problĂšmes de surpĂȘche et d’arpentage. Edward Isaac Mann, hĂ©ritier des terres de son pĂšre Isaac, empĂȘche les Acadiens et les Mi’gmaqs d’avoir accĂšs aux prairies salĂ©es, Ă©voquant une « concession de la Couronne » et le risque d’aller en prison si celle-ci est contestĂ©e. Il interdit Ă©galement aux Mi'gmaqs et aux Acadiens d’accĂ©der aux Ăźles de la riviĂšre Ristigouche. Il y fauche le foin, qui est abondant, et le vend aux marchands de la rive sud de la baie des Chaleurs, au grand dam des Acadiens et des Mi'gmaqs. Une annĂ©e, le manque de foin les obligera Ă  sacrifier 200 bĂȘtes faute de fourrage.

Les revendications des Acadiens, Mi’gmaqs et Loyalistes conduisent Ă  la crĂ©ation de la Commission des terres de la GaspĂ©sie en 1820. Les Mann font l’objet de tirs groupĂ©s

de la part des Acadiens et des Mi'gmaqs, qui revendiquent les terres et l’observance de l’accord de 1784 pour la coupe du foin. En 1824, elles sont toutefois reconnues au fils d’Edward Isaac, Thomas Mann, avant qu’une partie ne passe entre les mains de Robert Christie un peu plus tard dans l’annĂ©e. Malheureusement, la ressource se tarit graduellement bien que des commerçants continuent de faucher le foin pour une production trĂšs limitĂ©e.

La commercialisation du foin salé

L’historien Jean Provencher nomme plusieurs usages historiques de cette herbe. « L’herbe Ă  bernaches sert

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 23 ]
Planche de la Zostera marina, vers 1920. Image tirĂ©e de : C. A. M. Lindman, Bilder ur Nordens, Stockholm, 1901-1905; Ă©dition supplĂ©mentaire 1917-1926. Chaque automne, Wilfred Bissett dĂ©charge du foin salĂ© chez lui, Ă  Cole Harbour en Nouvelle-Écosse, pour l’utiliser comme isolant dans les murs et autour des fondations de la maison, 1973. Photo : Rosemary Eaton Cole Harbour Rural Heritage Society. Fonds Rosemary Eaton.

d’isolant pour les maisons et de litiĂšre pour les bĂȘtes. On l’utilise aussi pour rembourrer les colliers de chevaux, les siĂšges de voiture, les matelas, les paillasses et mĂȘme les sommiers disposĂ©s sous les matelas de laine. On rĂ©pĂšte dans la rĂ©gion que dormir sur de la zostĂšre guĂ©rit du rhumatisme. »2

Outre l’alimentation des bĂȘtes Ă  cornes, le foin salĂ© est aussi utilisĂ© Ă  des fins de rembourrage et de calfeutrage. On isole mĂȘme des maisons avec cette herbe. En 1800, l’une des plus anciennes maisons de Saint-Omer, celle de John Grant, est calfeutrĂ©e de ZostĂšre marine.

Le foin salĂ©, Ă  l’instar du foin des champs, est entreposĂ© dans des dĂ©pendances. Sur le terrain de la beurrerie de Saint-Omer, il existe Ă  l’époque une grange Ă  foin salĂ©, que l’on presse et envoie en Europe

pour calfeutrer les maisons. À Maria, M. Loubert possĂšde une grange Ă  foin salĂ© attenante Ă  la coopĂ©rative.

Un commerce de foin salĂ© est aussi recensĂ© dans la baie de CascapĂ©dia pour des fins de rembourrage. Sur le banc Laviolette Ă  Saint-Omer, on rĂ©colte cette herbe qu’on sĂšche et presse, avant d’en bourrer les siĂšges et de calfeutrer les maisons. Une prĂ©sence historique de l’exportation du foin salĂ© est aussi retracĂ©e Ă  PaspĂ©biac vers la fin du 19e siĂšcle.

Enfin, on rĂ©colte aussi cette « mousse de mer » Ă  L’Isle-Verte, au Bas-Saint-Laurent. Celle-ci est Ă  la fois fauchĂ©e pour alimenter le bĂ©tail et pour la vente Ă  des entreprises comme Ford qui l’utilisent pour rembourrer les siĂšges des automobiles.

Une ressource abondante? MĂȘme si une exploitation historique de la ressource est relatĂ©e, l’avenir commercial de la ressource n’est pas pour autant assurĂ©. En 1932, « la zostĂšre aurait mĂȘme commencĂ© Ă  disparaĂźtre le long de la cĂŽte de l’Atlantique »3 en raison d’un champignon.

En 2002, une dizaine de zosteraies (herbiers de zostĂšre) jonchent le secteur de la MRC Avignon, notamment : dans le marais cĂŽtier de Pointe-Ă -la-Batterie; dans l’estuaire de la riviĂšre Verte et dans celui du ruisseau Kilmore Ă  Maria; dans les barachois de Saint-Omer, de Miguasha, de la riviĂšre Nouvelle et de Carleton-sur-Mer; dans l’herbacĂ©e riveraine de l’anse des McKenzie Ă  Escuminac, et de celles de Pointe Verte et Pointe Kilmore Ă  Maria; et dans la baie de CascapĂ©dia. Cette herbe se rencontre aussi sur de nombreuses battures du SaintLaurent, dont plusieurs en GaspĂ©sie.

Aujourd’hui, le foin salĂ© existe toujours, mais les zosteraies se font plus rares. Seulement huit herbiers quĂ©bĂ©cois font l’objet d’un suivi annuel.

Remerciements Ă  la Cole Harbour Rural Heritage Society et Ă  la Maison LouisBertrand qui ont mis gracieusement Ă  disposition leurs photographies.

Notes

1. Le village historique acadien de la Nouvelle-Écosse, « Barges Ă  foin salé ».

2. Jean Provencher, Les quatre saisons, « Dossier sur la mousse de mer »

3. Ibid

Grange à ZostÚre marine à Maria, début des années 1900.
[DOSSIER]
Photo tirée de : P. Desmeules et C. Fraser, Plan de gestion intégrée de la baie de Cascapédia : Outil pour le développement durable du territoire, Comité des usagers de la baie de Cascapédia, Comité ZIP Baie des Chaleurs, 2006, p. 29.
VuedeQuébec,8mai1945.Archivesnationales
duQuébecàQuébec,fondsJ.E.LivernoisLtée(P560). Photo:J.E.LivernoisLtée.

MARCELLE GAUVREAU, INCONTOURNABLE DE L’ALGOLOGIE

Scientifique, pĂ©dagogue et chroniqueuse, la Rimouskoise Marcelle Gauvreau (1907-1968) consacre son activitĂ© Ă  la rĂ©colte et Ă  l’étude des algues marines. De 1933 Ă  1937, « Elle parcourait les rives du Saint-Laurent tantĂŽt en bateau avec les garde-cĂŽtes ou les pĂȘcheurs, tantĂŽt pieds nus sur les grĂšves et les rochers, elle chassait les algues marines. Puis revenue Ă  la ville, seule le soir dans la vieille universitĂ©, elle examinait le rĂ©sultat de ses pĂȘches pendant que les rats dĂ©molissaient murs et plafonds. »1 .

Marcelle Gauvreau porte alors surtout son attention sur la distribution de ces vĂ©gĂ©taux dans la rĂ©gion gaspĂ©sienne. Elle Ă©tudie aussi la rĂ©gion de Charlevoix-Saguenay avec Claire Morin (1905-1994) et fait une saison aux Îles-de-la-Madeleine avec Georgette Simard (1911-2001).

Une premiÚre étude collective

En 1934, le botaniste Joseph-Émile

Jacques donne une confĂ©rence Ă  l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (Acfas) sur

quelques algues d’eau douce de la GaspĂ©sie. Le biologiste et botaniste Jules Brunel (1905-1986), qui a pris part aux premiĂšres campagnes de l’Institut Botanique entre 1920 et 1924, se livre ensuite Ă  des travaux d’algologie d’eau douce dans la rĂ©gion de MontrĂ©al, travaux oĂč il a comme collaboratrice CĂ©cile Lanouette (19141994). En 1938, il fait un sĂ©jour au parc national des Laurentides alors que pour la saison suivante, on le trouve sur la CĂŽte-Nord, depuis Mingan jusqu’à Blanc-Sablon, faisant d’importantes rĂ©coltes d’algues.

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 25 ]
Marcelle Gauvreau rĂ©colte des algues sur le bord du Saint-Laurent, 1933. Photographie : La photogravure nationale ltĂ©e Archives UQAM. Fonds d’archives Marcelle Gauvreau. 7P-660:F3/23 Marcelle Gauvreau Ă  l’Institut botanique, 1939. Photo : Marcel Cailloux Archives UniversitĂ© de MontrĂ©al. 1FP,06822
[DOSSIER]
VISIONNEZ UN DOCUMENTAIRE SUR MARCELLE GAUVREAU

Le professeur William Randolph Taylor (1895-1990), de l’UniversitĂ© de Chicago, auteur de Marine Algae of the North-eastern coast of North America paru en 1937, a bien voulu dĂ©terminer les spĂ©cimens recueillis lors de la premiĂšre exploration, et

rĂ©viser les autres spĂ©cimens rĂ©coltĂ©s et identifiĂ©s par Marcelle Gauvreau les annĂ©es suivantes. Des notes originales sont prĂ©sentĂ©es sur le sujet lors de quatre congrĂšs de l’Acfas dans les annĂ©es 1930.

AprÚs cinq étés de recherche active

sur le terrain et une annĂ©e complĂšte Ă  la rĂ©daction, un premier travail sur les algues marines quĂ©bĂ©coises est prĂ©sentĂ© par Marcelle Gauvreau, en 1939, Ă  la FacultĂ© des sciences de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, pour l’obtention d’une maĂźtrise. Ce mĂ©moire fait d’elle la premiĂšre femme Ă  obtenir une maĂźtrise en science et lui vaut le prix de l’Acfas.

Pour ce premier travail, Marcelle Gauvreau doit ses remerciements au frĂšre Marie-Victorin (1885-1944), Ă  Jules Brunel, Ă  Jacques Rousseau (1905-1970), botaniste au Jardin botanique de MontrĂ©al, ainsi qu’à Rudolph Martin Anderson (18761961), zoologiste, et Ă  Alf Erling Porsild (1901-1977), botaniste, qui lui ont permis de consulter l’Herbier national du Canada et de retenir, pour les Ă©tudier, de nombreux spĂ©cimens.

En 1940, le travail dactylographiĂ©, reliĂ©, ayant pour titre : Les Algues marines du QuĂ©bec, est dĂ©posĂ© Ă  la bibliothĂšque de l’Institut botanique de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al. Une dizaine d’annĂ©es passent, durant laquelle le professeur ElzĂ©ar Campagna (1898-1987), de l’École SupĂ©rieure d’Agriculture de Sainte-Anne-de-la-PocatiĂšre, rĂ©colte des algues marines en GaspĂ©sie (1938 Ă  1950), entre autres Ă  Baie-des-Sables, Sainte-Flavie, Sainte-FĂ©licitĂ©, Matane, Cap-Chat, Les MĂ©chins, Marsoui, Gros-Morne, RiviĂšre-Madeleine, Mont-Louis, RiviĂšre-au-Renard, L’Anse-au-Griffon, Grande-RiviĂšre, Cap-d’Espoir et Chandler. Ces herborisations apportent un complĂ©ment intĂ©ressant aux recherches dĂ©jĂ  effectuĂ©es par Marcelle Gauvreau.

Une publication de référence

En juillet 1950, un groupe d’une quarantaine d’étudiants·es, constituĂ© en majeure partie de personnes vouĂ©es Ă  l’enseignement des sciences naturelles, se rend Ă  la Station de biologie de GrandeRiviĂšre, en GaspĂ©sie, pour y suivre des cours de biologie marine organisĂ©e par les Cercles des Jeunes Naturalistes, en collaboration avec le ministĂšre de la Jeunesse et du Bien-Être social et le personnel

[ 26 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
Rachel Monnier, Les Jumelles de l’Anse, collage et techniques mixtes, 2019. Cette Ɠuvre est la premiĂšre d’une sĂ©rie appelĂ©e « ForĂȘts d’algues ». Cette sĂ©rie vise Ă  mettre en lumiĂšre la ïŹ‚ore distincte sur chacune des plages de la GaspĂ©sie. Celle-ci est composĂ©e d’algues recueillies Ă  l’anse du Nord Ă  PercĂ©. Collection de l'artiste

attachĂ© Ă  la Station de biologie. ElzĂ©ar Campagna y donne les cours d’algologie et organise de nombreuses excursions.

SoulevĂ© par le dynamisme de leur professeur, le groupe rĂ©clame la publication de l’ouvrage-manuscrit qui sert Ă  identifier leurs rĂ©coltes : Les algues marines du QuĂ©bec. À cette fin et sur la recommandation de Jacques Rousseau et de Jules Labarre (1904-2001), professeur Ă  la facultĂ©

VOYEZ DIVERS CROQUIS D’ALGUES RÉALISÉS PAR EUGÉNIE LALONDE RANGER

de pharmacie de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, l’Office provincial des recherches scientifiques du QuĂ©bec et le DĂ©partement des pĂȘcheries accordent un octroi de 1 400 $ pour une publication l’annĂ©e suivante. Ainsi, Marcelle Gauvreau s’est remise Ă  l’Ɠuvre pour rĂ©organiser la ïŹ‚ore algologique du QuĂ©bec, Ă©tudier de nouveau ses rĂ©coltes et celles qui lui ont Ă©tĂ© soumises par Campagna et par diffĂ©rents collectionneurs et collectionneuses, en noter les diverses localitĂ©s et, de plus, agrandir le cadre de distribution en consultant les publications les plus importantes parues depuis 1940. Le travail est ainsi considĂ©rablement augmentĂ©.

Tous les spĂ©cimens d’herbier sont vus, notĂ©s et Ă©tudiĂ©s par Marcelle Gauvreau. Pour Grande-RiviĂšre et les localitĂ©s environnantes, ElzĂ©ar Campagna et les frĂšres Sylvio (Albert Legault, 1919-2011), Samuel (Samuel Brisson, 1918-1982) et Claude (Marcel CĂŽtĂ©, 1916-2004) des frĂšres des Écoles chrĂ©tiennes Ă  Mont-Saint-Louis et MontrĂ©al possĂšdent toutes les espĂšces reprĂ©sentatives de la rĂ©gion gaspĂ©sienne. Des duplicatas de tous les spĂ©cimens rĂ©coltĂ©s sont demeurĂ©s Ă  l’UniversitĂ© du Michigan. Les autres sont offerts Ă  l’Herbier Marie-Victorin au Jardin botanique de MontrĂ©al.

Puis, enfin, vient la publication en 1956 du premier livre sur les algues, sous les auspices du Jardin botanique de MontrĂ©al. Malheureusement, pour des raisons d’ordre financier, il est impossible de publier intĂ©gralement le texte de Marcelle Gauvreau ni de reproduire toutes ses

illustrations. Le Jardin botanique doit gĂ©nĂ©raliser la distribution gĂ©ographique et omettre les longues listes de spĂ©cimens qu’elle a Ă©tudiĂ©s. S’il y perd sur certains points, l’ouvrage y gagne peut-ĂȘtre sur d’autres. Ce livre est appelĂ© Ă  ĂȘtre la base de toutes les Ă©tudes futures.

Remerciements aux Archives de l'UQAM qui ont mis gracieusement Ă  disposition leur photographie.

Note

1. Le Grand QuĂ©bec, « Promotion de la femme » Extrait d'un croquis d’algues et d’herbes marines provenant d’un herbier constituĂ© par EugĂ©nie Lalonde Ranger, vers 1950. MusĂ©e de la GaspĂ©sie. Don d’EugĂ©nie Lalonde Ranger Couverture de la publication Les algues marines du QuĂ©bec, Jardin botanique de MontrĂ©al, 1956. Collection AndrĂ© St-Arnaud

ANNA LOIS DAWSON HARRINGTON, AQUARELLISTE

NĂ©e en 1851, Anna Lois Dawson est la fille aĂźnĂ©e du rĂ©putĂ© gĂ©ologue et palĂ©obotaniste John William Dawson (1820-1899) qui est professeur et recteur de l’UniversitĂ© McGill. Anna apprend le dessin lors de ses Ă©tudes. Le dessin et l’aquarelle font partie des arts enseignĂ©s aux femmes dans le cadre de leur Ă©ducation pour devenir de « bonnes et heureuses Ă©pouses ». Talentueuse, elle remporte un premier prix juste avant d’ĂȘtre diplĂŽmĂ©e Ă  l’Establishment for the Education of Young Ladies Ă  MontrĂ©al en 1867. Elle poursuit sa formation artistique en 1873 Ă  Toronto alors que sa famille y sĂ©journe.

William Dawson est un auteur prolifique, signant plus de 300 articles scientifiques au cours de sa longue carriĂšre Ă  McGill. Plusieurs d’entre eux sont illustrĂ©s par des dessins d’Anna, portant l’abrĂ©viation « ALD »

pour « Anna Lois Dawson ». Combien de plus sont le fruit de son travail sans que le crĂ©dit lui soit accordĂ©? Ses Ɠuvres sont tout de mĂȘme exposĂ©es Ă  quelques occasions, incluant au Royal Canadian Academy of the Arts Ă  MontrĂ©al en 1882 oĂč deux de ses aquarelles sont prĂ©sentĂ©es. Son travail suscite l’éloge du critique d’art du Daily Witness et de la Gazette

Un corpus impressionnant

La trĂšs grande partie de son travail est rĂ©alisĂ© Ă  MĂ©tis-sur-Mer oĂč sa famille possĂšde une rĂ©sidence d’étĂ©. Une fois mariĂ©e Ă  Bernard James Harrington, professeur de chimie Ă  l’UniversitĂ© McGill, Anna continue d’y passer ses Ă©tĂ©s avec ses neuf enfants puisque le couple est propriĂ©taire de la maison voisine de celle des Dawson. Elle y produit de nombreux croquis et aquarelles, principalement

liĂ©s Ă  la nature. Son travail comprend Ă©galement des scĂšnes du lac George, du Bas-Saint-Laurent et de MontrĂ©al. Peu reconnue et mĂȘme peu mentionnĂ©e de son vivant, Anna Lois Dawson Harrington dĂ©cĂšde en 1917 et laisse un corpus important d’Ɠuvres, dont environ 200 aquarelles qui sont aujourd’hui conservĂ©es au MusĂ©e McCord Stewart.

L’exposition Anna Lois Dawson Harrington (1851-1917) sera prĂ©sentĂ©e aux Jardins de MĂ©tis en 2024.

Remerciements Ă  Alexander Reford, directeur des Jardins de MĂ©tis, et Ă  HĂ©lĂšne Samson, commissaire de l’exposition, pour leur prĂ©cieuse collaboration.

Remerciements au MusĂ©e McCord Stewart qui ont mis gracieusement Ă  disposition les Ɠuvres de leurs collections.

[ 28 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
Anna Lois Dawson Harrington, Pool, Metis, aquarelle sur papier, 16 x 24,1 cm, 1882. Don de Mrs. Donald N. Byers, Musée McCord Stewart, M982.579.83

1. Anna Lois Dawson Harrington, Todies, Little Metis, aquarelle sur papier, 17,9 x 24,3 cm, 1899. Don de Mrs. Donald Byers, Musée McCord Stewart, M982.579.70

2. ALD (pour Anna Lois Dawson), Calamites, Ferns, & C., lithographie, 51,1 x 35,6 cm, vers 1872. Ces croquis de plantes fossiles et de fougÚres illustrent un ouvrage sur la géologie de J. W. Dawson.

Don de Mrs. Donald Byers, Musée McCord Stewart, M982.586.1.2

3. Anna Lois Dawson Harrington, Vegetation of the Devonian period, vers 1870. Cette Ɠuvre non signĂ©e illustre la ïŹ‚ore prĂ©sente durant la pĂ©riode dĂ©vonienne dans une publication de J. W. Dawson.

Illustration tirée de : John William Dawson, Geological history of plants, New York, D. Appelton and company, 1888, p. 49.

4. Anna Lois Dawson Harrington, Ladies’ Slippers, Metis, aquarelle sur papier, 26,8 x 20,1 cm, 1883. Il s’agit de CypripĂšdes royaux. Don de Mrs. Donald N. Byers, MusĂ©e McCord Stewart, M982.579.93

5. Anna Lois Dawson Harrington, Little Metis, aquarelle sur papier, 24,2 x 17,1 cm, 1883. Cette aquarelle représente trois de ses enfants récoltant des plantes dans le bois prÚs de leur résidence à Métis-sur-Mer.

Don de Mrs. Donald N. Byers, Musée McCord Stewart, M982.579.12

6. William Notman, Miss Anna Lois Dawson, Montréal, négatif sur verre inversé, 17,8 x 12,7 cm, 1871.

Musée McCord Stewart, I-61215

2 4 5 1 3 6 [PHOTOREPORTAGE] Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 29 ]

UN DEMI-SIÈCLE DE DÉVELOPPEMENT IMMOBILIER À GASPÉ

Habitat Honguedo inc. est une entreprise de gestion immobiliÚre fondée en 1975. Le nom de la compagnie, inspiré de la langue des Autochtones, signifie « lieu de rassemblement ».

L’entreprise est créée par quatre anciens professeurs du CĂ©gep de la GaspĂ©sie et des Îles : messieurs Jean Lamy, Roger Denis, Joseph Le Moignan et Jean-Paul Roussy. Ces associĂ©s, dĂ©jĂ  en affaire en 1974 par l’acquisition de l’hĂŽtel Baker, souhaitent dĂ©velopper davantage le domaine de l’immobilier Ă  GaspĂ©.

En 1975, Habitat Honguedo inc. fait l’achat d’une subdivision d’un terrain et des bĂątiments qui appartiennent Ă  l’hĂŽtel Baker ltĂ©e. Les bĂątiments sont dĂ©mĂ©nagĂ©s rue Baker et convertis en logements. C’est ce qui permet, en 1976, de disposer d’un grand terrain pour la construction de la premiĂšre phase de l’immeuble de bureaux Pierre-Fortin. LĂ  encore, l’histoire est une source d’inspiration pour les actionnaires qui, en donnant au lieu le nom de Pierre Fortin, veulent rendre hommage Ă  un personnage plus grand que nature.

Pendant les premiĂšres annĂ©es, les associĂ©s accomplissent, en mĂȘme temps, leurs tĂąches professorales et l’administration de la compagnie. En 1988 toutefois, vu l’ampleur du travail et quelques difficultĂ©s administratives et financiĂšres, Jean-Paul Roussy quitte son emploi au CĂ©gep pour devenir directeur gĂ©nĂ©ral, Ă  temps plein, de l’entreprise.

DĂšs son entrĂ©e en fonction, le nouveau d.g. Ă©tablit un plan de redressement financier. En 1989, pour rĂ©pondre Ă  la demande, on procĂšde Ă  un agrandissement de l’édifice Ă  bureaux de 12 000 pieds2 , portant l’offre totale d’espaces locatifs Ă  23 365 pieds2

PrĂšs de 40 ans plus tard, en 2015, Habitat Honguedo inc. a besoin d’un nouvel Ă©lan pour son dĂ©veloppement. C’est Ă  ce moment que monsieur François Roussy entre en scĂšne en tant que directeur gĂ©nĂ©ral. Deux ans plus tard, les associĂ©s dĂ©cident de

Pierre Fortin a Ă©tĂ©, entre autres, mĂ©decin volontaire Ă  Grosse-Île lors de l'Ă©pidĂ©mie de typhus en 1847 et en 1848, commandant d'un escadron de cavalerie lors des Ă©meutes Ă  MontrĂ©al en 1849, magistrat chargĂ© de l'application des lois sur les pĂȘcheries pour le Bas-du-Fleuve et les cĂŽtes du golfe du Saint-Laurent de 1852 Ă  1867, commandant des goĂ©lettes La Canadienne et NapolĂ©on III ainsi que dĂ©putĂ© Ă©lu sans opposition, deux mandats de suite, pour le parti conservateur dans GaspĂ© Ă  l'AssemblĂ©e lĂ©gislative et Ă  la Chambre des communes en 1867 et en 1872.

passer le flambeau et lui vendent leurs actions. Il devient alors prĂ©sident-directeur gĂ©nĂ©ral et vient assurer la relĂšve d’Habitat Honguedo inc.

Encore aujourd’hui, l’entreprise demeure Ă  l’écoute de sa clientĂšle et des besoins du marchĂ©. C’est pourquoi elle continue d’offrir une variĂ©tĂ© de services tels que la location d’espaces de bureaux avec salles de repos et de rĂ©union ainsi que 26 appartements locatifs, de diffĂ©rentes grandeurs. De plus, l’acquisition de nouveaux terrains, au cours des derniĂšres annĂ©es, permettra le dĂ©veloppement des affaires pour assurer l’avenir de cette entreprise qui cĂ©lĂšbrera un demi-siĂšcle d’activitĂ© en 2025!

HABITAT
HONGUEDO
habitat-honguedo.com / 418 368-9044
[PUBLIREPORTAGE]

Les champignons et la ïŹ‚ore sauvages font bonne figure au sein du terroir botanique gaspĂ©sien; ce dernier est un vĂ©ritable laboratoire Ă  ciel ouvert pour la distillerie. Effectivement, on peut penser au Puddingstone nĂ©cessitant des lactaires d’érable afin de donner un goĂ»t sucrĂ© Ă  la crĂšme ou encore au lichen et aux feuilles de framboisiers qui donnent les caractĂ©ristiques uniques Ă  l’amaretto Dartmouth.

Au dĂ©part, l’idĂ©e du gin aux champignons est nĂ©e dans la tĂȘte du jeune co-propriĂ©taire Michael Briand. Alors qu’il s’affairait dans la cour arriĂšre de sa maison, situĂ©e Ă  l’époque Ă  Douglastown, il s’est demandĂ© comment valoriser cette

DISTILLER LA GRANDEUR

À GaspĂ©, le gin Radoune est sans doute un des produits de consommation courants le plus facilement associĂ© aux champignons. La distillerie O’Dwyer, qui le produit depuis 2016, a relevĂ© le dĂ©fi de mettre la richesse mycologique de la GaspĂ©sie en bouteille.

manne qui poussait librement au mois de septembre, « comme des champignons! ». C’est lorsque j’ai commentĂ© une de ses publications sur les rĂ©seaux sociaux que Michael a dĂ©couvert mon existence. Étant donnĂ© mon expĂ©rience en recherche dans le domaine de la chimie organique, le projet m’a rapidement sĂ©duit. Je travaillais depuis plusieurs annĂ©es sur un gin aux algues, donc je maĂźtrisais dĂ©jĂ  bien l’art de la distillation et ainsi, nous partions sur une base solide.

Afin de s’assurer d’obtenir un produit de qualitĂ©, nous avons contactĂ© GaspĂ©sie Sauvage, qui rĂ©colte des produits sauvages dans leurs milieux naturels, pour qu’ils nous fournissent en champignons locaux. Pour diffĂ©rentes raisons organoleptiques, notre choix s’est arrĂȘtĂ© sur l’armillaire de miel, la chanterelle en tube et Ă©videmment, la chanterelle commune. AprĂšs des mois de dur labeur, ensemble, nous avons créé la Radoune, dont le nom est une dĂ©-

formation de « Au-Ras-des-Dunes » reprĂ©sentant la riviĂšre Morris lovĂ©e au creux de la vallĂ©e situĂ©e entre RiviĂšre-au-Renard et GaspĂ©. Premier gin Ă  base de champignons, ce spiritueux reconnu fait rayonner la ïŹ‚ore de chez nous partout au QuĂ©bec et mĂȘme en Europe.

L’origine du nom O’Dwyer

La famine liĂ©e Ă  la pomme de terre en Irlande entre 1845 et 1849 a tuĂ© des millions de personnes et a reçu le nom de « grande noirceur ». La cause de la famine est un champignon nommĂ© « blight » (ou mildiou) qui a infectĂ© la pomme de terre. Cela a forcĂ© des milliers d’Irlandais Ă  trouver refuge ailleurs et certains ont trouvĂ© leur foyer en GaspĂ©sie.

En hommage Ă  cette partie de l’histoire, nous avons appelĂ© la distillerie O’Dwyer : « O » signifiant « descendant de » et « Dwyer » signifiant « noirceur » en gaĂ©lique. C’est aussi la raison pour laquelle nous mettons des champignons dans la majoritĂ© de nos produits.

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 31 ]
Les fondateurs de la distillerie O’Dwyer Michael Briand et FrĂ©dĂ©ric Jacques cueillent des champignons dans la forĂȘt gaspĂ©sienne. Photo : Roger St-Laurent Bouteille de Radoune, un gin Ă  base de champignons. Photo : Roger St-Laurent Une rĂ©colte de chanterelles gaspĂ©siennes.
[DOSSIER]
Photo : Roger St-Laurent

LE JARDIN POTAGER, UN PATRIMOINE NATUREL

Le jardin potager fait partie de notre paysage. Son histoire est millĂ©naire et continue de nourrir la flore et la mĂ©moire mondiale. Dans sa dĂ©finition du patrimoine naturel, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) inclut d’ailleurs le concept de jardin. PrĂšs de nous, le jardin potager de Mme Rose Ă  Bonaventure est cultivĂ© depuis plus de 130 ans et constitue un patrimoine acadien qui mĂ©rite que nous nous y attardions.

Propriétaire de la maison et du jardin de Mme Rose à Bonaventure

D’abord, voyons rapidement la dĂ©finition des mots « jardin » et « potager ». Le jardin est un lieu oĂč on cultive de façon ordonnĂ©e des plantes domestiquĂ©es. Le potager est, quant Ă  lui,

un jardin ou une partie de jardin oĂč se pratique la culture de plantes comestibles. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, tout jardin possĂšde un potager, mĂȘme les plus cĂ©lĂšbres comme les jardins de Versailles.

Le jardin de Mme Rose Lors de l’exposition Maisons mĂ©moire : La maison de Mme Rose prĂ©sentĂ©e en 2021 au MusĂ©e acadien du QuĂ©bec Ă  Bonaventure, nous avons dĂ©sirĂ© souligner l’importance

[ 32 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
Conservatrice, Musée acadien du Québec Le jardin potager plus que centenaire de Mme Rose, 2021.
[DOSSIER]
Photo : Laurie Beaudoin

de ce patrimoine. Le projet Maisons mĂ©moire s’oriente d’abord sur le patrimoine bĂąti. Son but est de transmettre l’histoire d’une maison par des objets et des souvenirs afin de faire connaĂźtre et estimer la richesse et la diversitĂ© du patrimoine bĂąti acadien au QuĂ©bec, mais aussi sensibiliser les publics Ă  sa conservation.

En collectant les rĂ©cits de mĂ©moire pour l’exposition, il est devenu clair que l’histoire de la maison de Mme Rose est indissociablement liĂ©e Ă  celle de son jardin. La culture du potager par cinq gĂ©nĂ©rations est un incroyable exemple de pratique alimentaire par des familles acadiennes de notre territoire.

Comment nos fruits et légumes favoris sont-ils arrivés dans nos jardins?

Le jardin potager est une forme agricole domestique qui joue un rĂŽle majeur dans l’acclimatation et le dĂ©veloppement de diffĂ©rentes espĂšces vĂ©gĂ©tales. En effet, le potager est un lieu oĂč nous testons et adaptons les plantes destinĂ©es Ă  la consommation. C’est aussi la forme d’agriculture la plus rĂ©pandue.

Pensons Ă  l’incroyable ingĂ©niositĂ© de la technique ancestrale de culture des trois sƓurs (maĂŻs, courge et haricot) dĂ©veloppĂ©e par les Mayas et

Ă©tendue Ă  une bonne part de l’AmĂ©rique du Nord, notamment chez les Iroquoiens du Saint-Laurent; ou encore aux spĂ©cialitĂ©s italiennes que nous devons Ă  la « tomatl », nom aztĂšque donnĂ© au fruit originaire d’AmĂ©rique centrale. Si Ă  une certaine Ă©poque la tomate a provoquĂ© mĂ©fiance et dĂ©goĂ»t, elle est depuis la fin du 19e siĂšcle un symbole de la cuisine italienne et cette rĂ©volution, nous la devons d’abord Ă  sa culture potagĂšre.

L’histoire du jardin en Acadie

DĂšs leur arrivĂ©e en AmĂ©rique, les colons français s’intĂ©ressent aux ressources locales. Les racines de la cuisine acadienne se trouvent d’ailleurs dans la relation entre les Acadiens, les Mi’gmaqs, la ïŹ‚ore et leur territoire maritime d’accueil.

Si l’utilisation des espĂšces indigĂšnes comme la courge et le haricot est d’abord timide dans le potager des Acadiennes et des Acadiens, l’impact demeure durable. La culture culinaire acadienne, avec son fricot Ă  base de pomme de terre, ses fayots et sa salade de passe-pierre (nom acadien donnĂ© Ă  la salicorne, aussi appelĂ©e plantain maritime), tĂ©moigne de cette relation entre les peuples et leur territoire. De bien des façons, l’alimentation est utilisĂ©e afin de communiquer une appartenance identitaire Ă  l’Acadie et permet symboliquement de rattacher le passĂ© au prĂ©sent.

Acquérir un jardin centenaire

En 1979, lorsqu’il achĂšte la maison de Rose Bujold avec sa conjointe Diane Arsenault, AndrĂ© Babin s’intĂ©resse immĂ©diatement au jardin. Cette aventure dĂ©bute Ă  leur retour en rĂ©gion gaspĂ©sienne au moment oĂč ils cherchent Ă  acheter une premiĂšre propriĂ©tĂ©. Ils parlent alors avec les gens de leur entourage puisque les propriĂ©tĂ©s sont rares sur le marchĂ© immobilier de l’époque, tout comme celui d’aujourd’hui.

C’est la mĂšre d’AndrĂ©, ThĂ©rĂšse Poirier, qui leur rapporte en premier une potentielle mise en vente. Elle

leur dit : « j’ai jouĂ© aux cartes avec des amies hier soir et l’une d’elles, Rose Bujold, pense bientĂŽt vendre sa maison ». Il n’en faut pas plus pour organiser une rencontre chez elle, au 216 route Henry Ă  Bonaventure, Ă  quelques jours de NoĂ«l 1978. Le coup de cƓur est instantanĂ©. Un avant-midi Ă  boire du thĂ©, manger des galettes et discuter, et elle accepte de leur vendre la maison Ă  une condition, celle d’y vivre encore un an. La vente est conclue.

Qui est Mme Rose Bujold?

NĂ©e en 1920 dans le secteur de Cullen’s Brook Ă  Bonaventure, elle Ă©pouse vers 1940 Stanislas Poirier (1903-1971) et emmĂ©nage dans la maison familiale de son Ă©poux. Construite vers 1890, la maison se situe Ă  quelques centaines de mĂštres de la maison de son enfance. AprĂšs ses noces, elle habite avec son mari, les parents, une tante et les frĂšres et sƓurs de ce dernier. Mme Rose rapporte qu’il y a un temps oĂč 18 personnes vivaient dans la maison. Le couple n’aura qu’un seul enfant, une fille, Alida Poirier (1942-2008).

Rose, comme bien des femmes de son Ă©poque, est de toutes les besognes. Elle s’occupe Ă  la ferme,

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 33 ]
Rose Bujold, 1979. Collection AndrĂ© Babin Dans la technique ancestrale des trois sƓurs, les tiges de maĂŻs servent de tuteurs aux haricots alors que les plants de courges servent de couverture au sol. Illustration : Anna Juchnowicz Wikimedia Commons

au poulailler, Ă  la porcherie, au jardin potager et aux ruches. De plus, Rose voit au bon fonctionnement du couvoir coopĂ©ratif de Bonaventure dont Stanislas est le gĂ©rant. Plusieurs habitants·es du secteur se souviennent Ă©galement d’elle comme sage-femme et habilleuse pour les mariages. AprĂšs la fermeture du couvoir, ils achĂštent le magasin gĂ©nĂ©ral situĂ© au coin des routes Henry et Saint-Georges. Celui-ci est en service jusqu’au dĂ©cĂšs de Stanislas, en 1971, aprĂšs quoi Mme Rose prend sa retraite. Au moment d’écrire ces lignes, Mme Rose, Ă  102 ans, et habite le Centre d’hĂ©bergement de soins de longue durĂ©e (CHSLD) de Maria.

Cultiver un jardin centenaire

Lorsqu’il acquiert la maison presque centenaire de Mme Rose, AndrĂ© prend conscience du grand jardin avec ses plantes vivaces qui ont traversĂ© plusieurs gĂ©nĂ©rations et de l’histoire de la propriĂ©tĂ© qui s’étend au-delĂ  de ses murs. À leur prise de possession, le jardin est cultivĂ© depuis plus de 80 ans au mĂȘme endroit, sans interruption. AndrĂ© et Diane dĂ©cident de poursuivre la conservation de ce patrimoine d’exception.

« Nous avons grandi avec l’inïŹ‚uence de plusieurs personnes et de leurs jardins. De mon cĂŽtĂ©, ce fut celui de ma grand-mĂšre Alma avec ses rangĂ©es de lĂ©gumes et de ïŹ‚eurs, du champ de patate de mon grand-pĂšre Alexis et finalement dans le jardin de ma mĂšre. Pour Diane, celui de ses parents producteurs maraĂźchers. Le jardin que nous a lĂ©guĂ© Mme Rose

nous a aussi inïŹ‚uencĂ©s Ă  reprendre le ïŹ‚ambeau. Nous formions une belle Ă©quipe pour prendre soin de ce coin de pays avec une belle terre fertile » raconte AndrĂ© Babin.

Pour AndrĂ©, ses racines familiales et acadiennes ont inïŹ‚uencĂ© sa pratique de jardinage. La continuitĂ© de ce patrimoine lui procure une alimentation saine, de proximitĂ© et de fraĂźcheur, mais aussi un grand divertissement. « Du temps de mon enfance, nous attendions le vendeur de semences qui passait de village en village. Pour mes grands-parents, l’important Ă©tait d’avoir beaucoup de pomme de terre, de lĂ©gumes frais et de lĂ©gumes de conserve sans oublier les petits fruits sauvages pour les confitures. Aujourd’hui, nos jardins accueillent de nombreuses variĂ©tĂ©s grĂące aux catalogues et Ă  Internet. Les techniques aussi sont diffĂ©rentes. J’ai plaisir de voir et de participer Ă  cette Ă©volution. »

[ 34 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023 SpĂ©cialitĂ©s : livres, jeux Ă©ducatifs, jeux, papeterie, cartes sportives 168, de la Reine, GaspĂ©, G4X 1T4 TĂ©l.: 418 368-5514
L’actuel propriĂ©taire AndrĂ© Babin et sa fille MariePier rĂ©coltent des patates dans le jardin, 1984. Collection AndrĂ© Babin
[DOSSIER]
Diverses semences potagÚres, tournant du 20e siÚcle. Dans la baie des Chaleurs, les semences sont vendues par un commis-voyageur qui passait de village en village. Collection Musée acadien du Québec

LE POTAGER DE MA GRAND-MÈRE AU PETIT ÉCRAN

Le tĂ©lĂ©roman L’ombre de l’épervier connaĂźt un vif succĂšs lors de sa diffusion en 1998 et en 2000, particuliĂšrement en GaspĂ©sie puisque l’histoire s’y dĂ©roule. Les tournages extĂ©rieurs sont filmĂ©s au parc national Forillon. De nombreuses personnes du coin y collaborent de diverses maniĂšres. On pense bien sĂ»r aux figurants·es, mais plus surprenant, l’un d’eux se voit confier la tĂąche de crĂ©er des jardins potagers fidĂšles Ă  ceux des familles gaspĂ©siennes dans les annĂ©es 1920, Ă©poque oĂč se dĂ©roule l’intrigue.

Horticulteur et rĂ©sident de L’Anse-au-Griffon

Rédigé par Marie-Josée Lemaire-Caplette Rédactrice en chef

Pour Allen Synnott, l’aventure commence Ă  l’automne 1996 alors qu’il est envisagĂ© de tourner les scĂšnes du tĂ©lĂ©roman sur son terrain et sur celui de son voisin Ă  L’Anse-au-Griffon. C’est Ă  ce moment-lĂ  qu’il rencontre l’équipe de tournage et qu’il parcourt avec eux l’espace. Le projet tombe finalement Ă  l’eau puisque le secteur de Grande-Grave sera

choisi comme lieu. Toutefois, ce n’est que le dĂ©but de l’aventure pour M. Synnott! Le 23 juin 1997, Allen reçoit un coup de fil du responsable des dĂ©cors extĂ©rieurs qui a remarquĂ© l’imposant potager de M. Synnott sur son terrain lors de sa visite. La demande est simple de prime abord : concevoir deux potagers d’antan avec des rĂ©coltes « à terme ».

Avant de lui accorder officiellement le contrat, le responsable lui demande un croquis du grand potager qui fera environ 30 pieds (9 mÚtres) de large par 40 pieds (12 mÚtres) de long. Tout de suite, Allen pense à sa grand-mÚre Rosanne Sylvestre (1905-1996) qui était une excellente jardiniÚre et une cuisiniÚre hors pair. Ayant eu 19 enfants, elle pouvait compter

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 35 ]
RĂ©cit d’Allen Synnott
[DOSSIER]
Grand potager à la fin de la journée de transplantation à Grande-Grave, 1997. Collection Allen Synnott

sur le potager qui fournissait les lĂ©gumes pour que toute la famille ait le ventre bien plein. Cette derniĂšre Ă©tant rĂ©cemment dĂ©cĂ©dĂ©e, il demande Ă  sa mĂšre CĂ©cile CĂŽtĂ© de dessiner le croquis. Cette derniĂšre a hĂ©ritĂ© du pouce vert, mais surtout des connaissances de sa mĂšre en matiĂšre de jardinage. Le croquis est immĂ©diatement acceptĂ©, mais la demande se complexifie Ă  l’annonce de l’échĂ©ance : tout doit ĂȘtre en place pour le 8 aoĂ»t, ce qui laisse environ un mois et demi!

De la semence au potager Allen Synnott possĂšde les Serres Synnott de 1989 Ă  2017. Il dĂ©tient un diplĂŽme de l’Institut de technologie agroalimentaire du QuĂ©bec en horticulture ornementale, en plus d’avoir suivi diverses formations comme producteur de serres. Mais pour lui, le plus important est le savoir des Anciens. Allen possĂšde donc l’expertise pour rĂ©aliser ces

potagers, le défi est le temps.

Ne disant jamais non, Allen Synnott se met en mode dĂ©brouillardise. Nous sommes Ă  la fin juin, tout a Ă©tĂ© vendu et les serres sont vides. Qu’à cela ne tienne, on repart des semis et on fait pousser les lĂ©gumes en serres pour accĂ©lĂ©rer leur croissance. Carottes, tomates, rutabagas, pommes de terre, fĂšves, etc., sont ainsi plantĂ©s. On fait preuve d’ingĂ©niositĂ©, par exemple, les choux poussent dans des pots d’un gallon afin d’arriver Ă  maturitĂ©.

AprĂšs un dĂ©lai d’une petite semaine supplĂ©mentaire, le grand jour arrive et la plantation en terre a lieu le 16 aoĂ»t 1997. Ça demande une grosse journĂ©e de travail de transplanter tous les lĂ©gumes en rangs bien droits. L’entretien et l’arrosage seront assurĂ©s par l’équipe de tournage. Celle-ci en profite aussi pour piger dans le potager et se rĂ©galer des lĂ©gumes. À la fin du projet, il en reste toutefois beaucoup et c’est l’organisme Blanche-Goulet qui se voit remettre la rĂ©colte.

Conseiller en tous genres

L’équipe de tournage n’hĂ©site pas Ă  consulter Allen Synnott lorsqu’elle se bute Ă  des obstacles en tous genres. Allen se souvient entre autres que le gazon, alors bien jaune, doit devenir vert pour « avant hier ». Il se retrouve donc Ă  peindre le gazon avec un produit spĂ©cial sans danger pour la nature, en plus d’étendre du sulfate de fer qui fait verdir l’herbe.

Les scĂšnes intĂ©rieures sont tournĂ©es Ă  MontrĂ©al; on y voit des arbres matures par les fenĂȘtres. Lors du tournage extĂ©rieur, on remarque

qu’il n’y a aucun arbre devant les maisons. On demande alors Ă  M. Synnott rien de moins que d’en planter! Allen part ainsi en tracteur sur sa terre Ă  bois et dĂ©racine des bouleaux qu’il met en pot. Le lendemain matin, ils sont tous morts. Il recommence avec d’autres essences, sans succĂšs. Puis, il a une idĂ©e! Il va chez ses parents qui possĂšdent des pruniers importĂ©s par Blanche Bernard, une voisine, de la baie des Chaleurs. Les pruniers rĂ©sistent et Allen fournit donc 15 de ces arbres en pot. Un seul sera finalement utilisĂ©.

Ces anecdotes illustrent les dĂ©fis occasionnĂ©s par le tournage et l’ingĂ©niositĂ© des gens en coulisses pour les relever. Toujours aussi passionnĂ©, Allen Synnott se remĂ©more ses moments avec plaisir, mais c’est surtout le souvenir du savoir transmis par sa grand-mĂšre et sa mĂšre qui le rend fier et lui met le sourire aux lĂšvres.

du Magazine Gaspésie et de la mise en valeur de notre riche histoire! Fier partenaire Stéphane Sainte-Croix Député de Gaspé
À gauche de la photo : CĂ©cile CĂŽtĂ©, mĂšre d’Allen Synnott, et au centre : Rosanne Sylvestre, sa grand-mĂšre. Collection Allen Synnott Plantation des divers lĂ©gumes en rangs, 1997. Collection Allen Synnott

LES

ELSIE REFORD : EXOTIQUE ET NATURALISÉE

Elsie Reford (1872-1967) est surtout reconnue pour avoir façonnĂ© un domaine horticole aux portes de la GaspĂ©sie; ses jardins auront 100 ans en 2026. À la suite de leur ouverture au public le 24 juin 1962, les Jardins de MĂ©tis sont devenus avec le temps un des fleurons de la rĂ©gion et un de ses attraits les plus frĂ©quentĂ©s. C’est le premier investissement majeur du gouvernement Lesage pour crĂ©er des pĂŽles d’attraction sur la route touristique de la GaspĂ©sie.

Au moment de son ouverture en 1962, on vante le Domaine Reford (le site porte le nom de Jardins de MĂ©tis seulement depuis 1978) et sa collection de « plantes ornementales ». Aujourd’hui, les spĂ©cialistes en horticulture divisent les plantes entre plantes exotiques et plantes indigĂšnes. Et le plus souvent, on ajoute deux autres catĂ©gories, soit les plantes naturalisĂ©es et les plantes envahissantes. Les plantes naturalisĂ©es sont des plantes exotiques qui se reproduisent naturellement dans leur nouvel environnement, comme le Rosa rugosa ou la Marguerite blanche.

Les plantes exotiques envahissantes modifient l’écosystĂšme naturel, comme l’Érable de NorvĂšge, la Berce de Caucase ou le Phragmite, et font partie de celles contre lesquelles on lutte pour les enlever ou les contrĂŽler.

La valorisation des plantes indigĂšnes du QuĂ©bec prend de l’ampleur aprĂšs qu’Elsie a quittĂ© la scĂšne. Les guides Fleurbec commencent Ă  se promener dans les mains des randonneuses et randonneurs, et des botanistes Ă  partir de 1975, en initiant plusieurs Ă  la reconnaissance des plantes indigĂšnes autour de nous. OĂč se situe donc Elsie

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 37 ]
Alexander Reford Historien et directeur, Jardins de MĂ©tis et arriĂšre-petit-fils d’Elsie Reford Elsie Reford dans ses jardins, vers 1935. Photo : Robert W. Reford Collection Les Amis des Jardins de MĂ©tis Jardin du ruisseau, 2020. Photo : Marjelaine Sylvestre Collection Les Amis des Jardins de MĂ©tis
[DOSSIER]
ÉCOUTEZ
BALADOS « LES FABULEUX JARDINS D’ELSIE REFORD »

Reford dans la culture et la mise en valeur des plantes indigĂšnes de la vallĂ©e du Saint-Laurent? Autodidacte, elle commence son jardin Ă  l’été 1926. L’histoire familiale raconte qu’Elsie, alors atteinte d’une appendicite, doit laisser de cĂŽtĂ© pour l’étĂ© sa vraie passion, la pĂȘche au saumon. Le jardinage est conseillĂ© par son mĂ©decin; une activitĂ© plus sereine pour une femme « fragile » en rĂ©cupĂ©ration de chirurgie. Elle a alors passĂ© le cap des 54 ans.

32 ans de passion

Elsie Reford commence son travail de jardiniĂšre. Elle arrĂȘte seulement Ă  la fin de l’été 1958, Ă  l’ñge de 86 ans. Tous les jours, ou presque, de mai Ă  octobre, pendant 32 ans, ses carnets de notes tĂ©moignent de son amour pour le jardinage et de son intĂ©rĂȘt pour les plantes et leur rendement Ă  Grand-MĂ©tis. Elle rĂ©ussit Ă  implanter et Ă  cultiver sur son domaine des dizaines d’espĂšces exotiques, la plus remarquĂ©e Ă©tant le pavot bleu provenant de l’Himalaya. Bien avant l’apparition des cartes de zones de rusticitĂ© des plantes d’Agriculture Canada, son jardin est un champ d’essai. « Trial and error » (essaierreur) est son guide. Son portefeuille et sa patience l’aident Ă  implanter des espĂšces rares (et coĂ»teuses) pour voir leur capacitĂ© Ă  rĂ©sister au climat du bord du ïŹ‚euve

Saint-Laurent. Subissant un Ă©chec une annĂ©e, on change telle plante de place (de mĂȘme que de sol et de fertilisant) l’annĂ©e suivante. Elle cumule les Ă©checs, mais ses rĂ©ussites sont nombreuses.

DĂšs la fin des annĂ©es 1930, elle commence Ă  partager ses succĂšs avec les plantes dans des articles qu’elle Ă©crit pour des revues spĂ©cialisĂ©es publiĂ©es au Royaume-Uni et aux États-Unis, notamment ceux de la SociĂ©tĂ© royale d’horticulture de

Londres et de la North American Lily Society.

Le défi des plantes exotiques

Elles aussi jugĂ©es « fragiles », les plantes exotiques sont devenues pour elle un dĂ©fi horticole sans pareil. Et malgrĂ© la qualitĂ© de ses jardiniers, elle vante surtout le climat comme l’alliĂ© naturel le plus aidant, car la neige hĂątive l’hiver ainsi que la fraĂźcheur et l’humiditĂ© l’étĂ© offrent aux plantes exotiques les conditions idĂ©ales pour favoriser leur acclimatation dans un Ă©cosystĂšme fort diffĂ©rent de leur habitat naturel. On calcule environ 3 500 espĂšces, variĂ©tĂ©s et cultivars dans sa collection, une collection qui a peu d’équivalent au Canada dans les annĂ©es 1930, Ă  l’exception du Jardin botanique de MontrĂ©al, des Jardins Burlington en Ontario et des jardins de Jennie Butchart Ă  Brentwood Bay, prĂšs de Victoria en Colombie-Britannique. MĂȘme si le vocabulaire distingue la plante exotique de l’indigĂšne, pour le jardinier ce clivage n’est pas important. Elsie Reford est plutĂŽt motivĂ©e par le dĂ©sir de pouvoir offrir une ïŹ‚oraison sur une saison entiĂšre. Le jardin est une piĂšce de théùtre, il y a des vedettes horticoles et plusieurs acteurs dans un second rĂŽle. On

[ 38 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
Elsie Reford posant pour son mari, Robert, dans le jardin du ruisseau, vers 1930. Photo : Robert W. Reford Collection Les Amis des Jardins de Métis Allée des azalées aux Jardins de Métis, 2020.
[DOSSIER]
Photo : Marjelaine Sylvestre Collection Les Amis des Jardins de Métis

parle de plus en plus de « scĂ©nographie horticole », reconnaissant que le jardin et ses plantes sont un ensemble et que la jardiniĂšre ou le jardinier est Ă  la fois auteur, chorĂ©graphe, metteur en scĂšne et technicien. Les plantes indigĂšnes et exotiques sont utilisĂ©es pour leur force et leur beautĂ©, de mĂȘme que les plantes annuelles sont incorporĂ©es pour ajouter couleurs de ïŹ‚oraison ou de feuillage, hauteur ou parfum. L’amĂ©nagement de son jardin est aussi inspirĂ© des principes et exemples du « wild gardening » ou jardinage sauvage, un mouvement nĂ© en Angleterre Ă  la fin du 19e siĂšcle, sous l’inïŹ‚uence du jardinier et Ă©crivain irlandais William Robinson, auteur du livre The Wild Garden (1870). Ce mouvement favorise l’intĂ©gration des plantes indigĂšnes et exotiques.

L’importance des plantes indigùnes

Les plantes indigĂšnes sont importantes aux yeux d’Elsie Reford. Au dĂ©but, elles jouent un rĂŽle secondaire. Avec le temps, elle apprend que certaines plantes d’ici sont essentielles. Par exemple, bien avant que les recherches des derniĂšres dĂ©cennies Ă©tablissent le rĂŽle et la relation entre les arbres et les mycorhizes dans la croissance des racines des plantes, elle lutte pour prĂ©server les arbres. Les Ă©pinettes, mĂ©lĂšzes, cĂšdres, bouleaux, peupliers et sorbiers ne sont pas coupĂ©s, mais plutĂŽt prĂ©servĂ©s pour offrir une protection aux plates-bandes et espĂšces qui poussent Ă  leurs pieds. Leur forme et leur Ă©cran vert offrent aussi une arriĂšre-scĂšne fort importante pour mettre en vedette les espĂšces pleines de couleurs. Des arbres exotiques, notamment des pommiers, pommetiers, marronniers, noyers et aubĂ©pines sont ajoutĂ©s pour bonifier la forĂȘt de feuillus.

Un vaste terrain de jeux

DotĂ©e d’un domaine de prĂšs de 1 000 acres avec des boisĂ©s, des champs, des cours d’eau et les rives de la riviĂšre Mitis sur plus de quatre kilomĂštres, Elsie Reford ne

manque pas d’endroits pour prĂ©lever des plants dans leur milieu naturel. Mais ses explorations en « touring car » (voiturette de tourisme) pour montrer les beautĂ©s de la rĂ©gion avec ses invitĂ©s·es sont transformĂ©es en explorations botaniques. Elle fait souvent la cueillette en milieu naturel (ce qui est fortement dĂ©conseillĂ© et mĂȘme contraire Ă  la loi aujourd’hui). Souvent, son carnet indique que ses yeux d’horticultrice sont toujours en alerte. Et que sa pelle, sa truelle et son seau ne sont jamais loin. On a donc des talles de cypripĂšdes (Cypripedium parviïŹ‚orum) et des colonies de fougĂšres qui sont le fruit de ses explorations

botaniques il y a plus de 80 ans. Son intĂ©rĂȘt pour les orchidĂ©es indigĂšnes, qu’elle a mĂȘme lĂ©guĂ© Ă  son petitfils Robert, qui explore avec elle les fossĂ©s et les boisĂ©s, a fait de lui un orchidophile et un ornithologue averti.

Son amour des lys engendre une de ses grandes dĂ©ceptions comme collectionneuse, car le Lis du Canada (Lilum canadense), la seule espĂšce indigĂšne du lys, ne lui offre que des Ă©checs. Le lys pousse et ïŹ‚eurit pour elle, mais ne survit pas aux hivers. On a rĂ©ussi Ă  l’implanter ces derniĂšres annĂ©es, mais le criocĂšre du lys, un insecte envahissant du Japon, nous offre des dĂ©fis

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 39 ]
Notes d’Elsie Reford sur la localisation et la ïŹ‚oraison des orchidĂ©es, 1938. Jardins de MĂ©tis

qu’Elsie Reford n’a pas eu Ă  relever. De domaine privĂ© Ă  jardin populaire

Le frĂšre Marie-Victorin connaĂźt bien la GaspĂ©sie. Est-ce que l’auteur de la bible des plantes indigĂšnes du QuĂ©bec, Flore laurentienne, est une inspiration pour Elsie Reford? Leur

correspondance est muette sur le sujet, mais on croit que MarieVictorin fait partie des « experts botaniques » citĂ©s dans son carnet, qui se sont arrĂȘtĂ©s pour voir son domaine Ă  Grand-MĂ©tis et qui l’ont quittĂ© fort impressionnĂ©s. On sait que son bras droit, Henry Teuscher, architecte-paysagiste et

concepteur du Jardin botanique de MontrĂ©al, s’y est arrĂȘtĂ© plus d’une fois. AprĂšs une premiĂšre visite en 1940, Teuscher et Elsie Reford s’échangent des plantes. Teuscher fait la promotion de l’Ɠuvre d’Elsie dans ses confĂ©rences Ă  MontrĂ©al et Ă  New York. C’est grĂące Ă  son enthousiasme et Ă  sa rĂ©putation que les jardins d’Elsie Reford ont Ă©tĂ© sauvegardĂ©s, ayant convaincu le gouvernement qu’un domaine privĂ© aux portes de la GaspĂ©sie pouvait devenir un jardin public et populaire.

Aujourd’hui, on reconnaĂźt l’avantgardisme dans l’approche d’Elsie Reford. Son jardin est tĂ©moin d’une Ă©poque, mais aussi d’une approche Ă©cologique moderne. Elle Ă©tait une femme exotique, mais qui s’est naturalisĂ©e. Son jardin demeure un heureux mĂ©lange de plantes de diverses rĂ©gions du monde, dont bon nombre de la rĂ©gion qu’elle a transformĂ©es avec son jardin.

Elsie Reford dans le jardin du ruisseau, vers 1930.
[DOSSIER]
Photo : Robert W. Reford Collection Les Amis des Jardins de Métis

LE TRAITEMENT DES ARCHIVES, UNE ACTION IMPORTANTE ET PRÉCIEUSE

Il est toujours pertinent de parler du traitement des documents offerts par les donatrices et donateurs puisque c’est une Ă©tape trĂšs importante dans un centre d’archives. Plus particuliĂšrement, il est intĂ©ressant de se pencher sur ce que rĂ©vĂšle le traitement. Prenons en exemple deux petits fonds d’archives de deux dames importantes pour l’histoire et le patrimoine de la GaspĂ©sie : EugĂ©nie Lalonde Ranger et Carmen Roy.

Le traitement des archives est une Ă©tape cruciale permettant une bonne conservation et menant vers une mise en valeur adĂ©quate. Contrairement Ă  la croyance populaire, les documents ne font pas que dormir sur une tablette! Le Centre d’archives souhaite permettre une consultation simple et efficace d’un fonds ou d’une collection d’archives conservĂ©s entre ses murs. En premier lieu, il faut prendre en compte l’entiĂšretĂ© des documents donnĂ©s. Par la suite, l’archiviste, une ressource Ă  contrat ou un·e bĂ©nĂ©vole ayant reçu une formation de l’archiviste divise ces documents selon des thĂ©matiques prĂ©cises que nous nommons sĂ©rie. Il se peut que les thĂ©matiques puissent ĂȘtre aussi subdivisĂ©es.

La personne responsable du traitement doit, entre autres, enlever les broches, car elles rouillent, sortir les photographies des albums et s’assurer que les cartes demeurent à

plat. Lorsque cette Ă©tape est terminĂ©e et que les documents sont mis dans des chemises sans acide, c’est la description qui dĂ©bute. Elle mĂšne Ă  la composition d’un document nommĂ© « instrument de recherche » ou « description des dossiers ». DĂšs lors, toutes les personnes qui se prĂ©sentent au Centre d’archives peuvent consulter ce document et ainsi ĂȘtre en mesure de connaĂźtre le contenu des fonds et des collections d’archives. Il n’y a pas de consultation sans traitement! IdĂ©alement, les documents sont ensuite numĂ©risĂ©s. Cela favorise la diffusion, car le public ne pouvant se rendre au Centre d’archives a ainsi l’occasion de les consulter. C’est une longue Ă©tape qui demande beaucoup de ressources. Depuis quelque temps, le MusĂ©e de la GaspĂ©sie se donne les moyens d’y arriver peu Ă  peu.

Allons-y maintenant avec deux exemples concrets de traitement de fonds d’archives, rĂ©cemment

effectuĂ©s par Élaine RĂ©hel, bĂ©nĂ©vole au Centre d’archives.

Fonds Eugénie

Lalonde Ranger

EugĂ©nie Lalonde Ranger naĂźt Ă  Vaudreuil le 6 juillet 1878. Elle mĂšne une carriĂšre journalistique en Ă©crivant entre autres pour La Patrie. S’intĂ©ressant Ă©normĂ©ment Ă  la biologie et Ă  la gĂ©ologie, elle passe ses vacances d’étĂ© Ă  PercĂ©, et ce, pendant plus de 48 ans! Elle profite de l’endroit pour parfaire ses recherches sur ses deux sujets de prĂ©dilection et crĂ©e son musĂ©e de PercĂ©.

PionniĂšre dans la rĂ©gion, elle lĂšgue ses archives Ă  la toute jeune SociĂ©tĂ© historique de la GaspĂ©sie en 1964. Elle y adhĂšre l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente et collabore plusieurs fois Ă  la Revue d’histoire et de traditions populaires de la GaspĂ©sie (l’ancĂȘtre du prĂ©sent Magazine GaspĂ©sie).

Le traitement nous permet de comprendre l’implication de

Marie-Pierre Huard Archiviste, Musée de la Gaspésie
Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 41 ]
Élaine RĂ©hel traite le fonds d’archives de Carmen Roy au MusĂ©e de la GaspĂ©sie, 2022. MusĂ©e de la GaspĂ©sie

Mme Lalonde-Ranger dans le milieu culturel et gĂ©ologique de la pĂ©ninsule. La correspondance dĂ©crite nous renseigne sur les relations qu’elle a avec Michel LeMoignan, Claude Allard, Mireille Éthier, en plus d’évoquer Paul Dansereau. Le traitement nous permet aussi de classer convenablement tous les documents en lien avec la crĂ©ation de son musĂ©e de PercĂ©, tous les articles qu’elle Ă©crit sous diffĂ©rents pseudonymes ainsi que ses cahiers de notes dont un sur les sciences occultes!

Fonds Carmen Roy Carmen Roy naĂźt Ă  Bonaventure le jour de NoĂ«l 1919. Elle grandit Ă  Cap-Chat. C’est Marius Barbeau qui l’initie au monde folklorique alors qu’elle fait ses Ă©tudes Ă  l’UniversitĂ© Laval, et ce, dĂšs 1947. Pendant les quatre annĂ©es qui suivront, Carmen Roy entreprend un grand projet d’enquĂȘte orale en GaspĂ©sie

qui la mĂšne vers l’écriture de sa thĂšse LittĂ©rature orale en GaspĂ©sie. DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1950, elle travaille au MusĂ©e national du Canada (aujourd’hui le MusĂ©e canadien de l’histoire). C’est elle qui sera Ă  la direction du Centre canadien d’études sur la culture traditionnelle lors de sa crĂ©ation au musĂ©e en 1970.

Les premiers documents du fonds Carmen Roy sont arrivĂ©s au MusĂ©e de la GaspĂ©sie l’annĂ©e de son dĂ©cĂšs en 2006. D’autres sont donnĂ©s en 2013 et en 2022. Le traitement effectuĂ© par notre bĂ©nĂ©vole nous permet de connaĂźtre la grande diversitĂ© des documents, et ce, mĂȘme si elle dispose de deux autres fonds d’archives conservĂ©s dans deux autres institutions diffĂ©rentes. Le trĂšs grand nombre de photographies personnelles nous permet de voir cette grande dame de

l’ethnologie et du folklore diffĂ©remment. La correspondance, maintenant bien classĂ©e, nous informe sur les relations professionnelles qu’elle entretenait et les sujets qui l’animaient. En effet, nous apprenons qu’elle avait un projet trĂšs prĂ©cis de crĂ©er un musĂ©e d’histoire et de traditions populaires Ă  PercĂ© dĂšs 1954. GrĂące aux enregistrements sonores dĂ©crits, le public peut Ă©couter une conversation entre elle et l’artiste Suzanne GuitĂ© en 1980.

Vous venez de lire deux petits exemples parmi tant d’autres Ă©voquant l’importance du traitement des fonds d’archives. Sans cette Ă©tape, le MusĂ©e n’est pas en mesure de bien conserver et connaĂźtre le contenu des boĂźtes qu’il a le privilĂšge de sauvegarder. Et dans ce cas, il demeure impossible d’aller vers une diffusion optimale!

Portraits de quatre jeunes femmes; Carmen Roy est la deuxiĂšme en partant de la gauche, 1938. MusĂ©e de la GaspĂ©sie. P106 Fonds Carmen Roy. Extraits d’une lettre envoyĂ©e Ă  Carmen Roy par Charles-Émile Gadbois, crĂ©ateur du recueil La Bonne chanson. Il indique ses instructions concernant la collecte de donnĂ©es que Carmen Roy s’apprĂȘte Ă  effectuer, 1948.
[NOS ARCHIVES]
Musée de la Gaspésie. P106 Fonds Carmen Roy.

DES OUTILS À LA TONNE : LA FABRICATION DES TONNEAUX

Autrefois, la fabrication des tonneaux reprĂ©sente l’un des savoir-faire les plus importants au sein des communautĂ©s de pĂȘcheurs en GaspĂ©sie. Ils sont employĂ©s autant pour l’entreposage des denrĂ©es que pour le transport de celles-ci, et surtout pour l’exportation de la morue sĂ©chĂ©e salĂ©e. Plusieurs des outils nĂ©cessaires Ă  la confection des tonneaux sont communs Ă  la menuiserie, comme les compas, les vilebrequins, les rabots, les haches et les scies. Ainsi, cette chronique ne dresse pas un inventaire exhaustif de tous les outils utilisĂ©s ou de toutes les Ă©tapes nĂ©cessaires Ă  leur fabrication, mais elle se penche plutĂŽt sur quelques piĂšces parmi les plus intĂ©ressantes conservĂ©es dans les rĂ©serves du MusĂ©e de la GaspĂ©sie en lien avec la tonnellerie.

Le façonnage des douves (douelles)

Une Ă©tape importante est le façonnage des douves ou des douelles, c’est-Ă -dire des piĂšces de bois qui

forment le corps des tonneaux. Le principal outil employé à cette étape est la plane. En tonnellerie, elle est utilisée pour exécuter les opérations de parage et de vidage. Le parage

consiste Ă  arrondir l’extĂ©rieur de la douve afin de lui donner une courbe suivant la circonfĂ©rence du tonneau alors que le vidage est l’opĂ©ration par laquelle la surface intĂ©rieure

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 43 ]
[NOS OBJETS]
De gauche à droite : baril à alcool, petit tonneau provenant de Penouille et baril à cognac de la marque P.H. Richard. Musée de la Gaspésie

d’une douve est façonnĂ©e afin de la rendre concave.

Contrairement Ă  la plane qui est un outil commun en menuiserie, le jabloir est un outil exclusif Ă  la fabrication des tonneaux. Il a pour fonction est de crĂ©er le jable, c’est-Ă -dire la rainure qui est pratiquĂ©e Ă  l’extrĂ©mitĂ© des douelles d’un tonneau pour y fixer le fond.

La tille de l’üle Jersey Une tille est une petite hache en forme d’herminette, dont le fer est perpendiculaire au manche et le tranchant recourbĂ© vers celui-ci. TrĂšs courte, elle est manipulĂ©e d’une seule main et est adaptĂ©e Ă  diverses tĂąches, notamment pour niveler l’extrĂ©mitĂ© d’un tonneau. L’intĂ©rĂȘt de cet objet est liĂ© Ă  son propriĂ©taire, John Sorsoleil. Entre 1830 et 1835, il quitte l’üle Jersey avec sa famille et plusieurs autres pour s’installer Ă  Jersey Cove, un petit hameau situĂ© entre L’Anseau-Griffon et Cap-des-Rosiers dont, le nom rappelle le lieu d’origine de ses habitants·es. Dans cette traversĂ©e, il aurait amenĂ© avec lui quelques biens, dont cette tille. En 1870, John Sorsoleil, sa famille et ses camarades jersiais ont quittĂ© Jersey Cove. C’est son arriĂšre-petit-fils, Carl O. Nelson, qui a remis cette piĂšce au MusĂ©e de la GaspĂ©sie. Elle constitue une des seules traces matĂ©rielles du passage de ces insulaires en GaspĂ©sie.

Joseph Adélard Briard, menuisier

De Joseph Adélard Briard (1909-1994)

de Cap-aux-Os, le Musée conserve deux outils en lien avec la tonnellerie :

une rouanne ainsi qu’une scie Ă  chantourner. Une rouanne est un outil Ă  main permettant d’inscrire sa marque sur les tonneaux. Le tonnelier, le fabricant ou, par exemple, l’agent des accises peuvent appliquer une telle inscription. La scie Ă  chantourner est utilisĂ©e quant Ă  elle pour scier en rond les fonds des tonneaux d’aprĂšs le tracĂ© fait au compas. M. Briard est menuisier et a occupĂ© plusieurs fonctions au cours de sa vie. Il a notamment travaillĂ© au phare de Pointe-Ă -la-RenommĂ©e et a participĂ© Ă  la construction des bĂątiments du site de Fort-PĂ©ninsule durant la DeuxiĂšme Guerre mondiale.

Il ne reste que trÚs peu de détentrices et détenteurs en Gaspésie

de ce savoir-faire qui autrefois comptait parmi les habiletĂ©s techniques les plus rĂ©pandues. L’économie de la rĂ©gion Ă©tant alors tournĂ©e vers l’exportation de ses ressources, les gens qui fabriquent des tonneaux Ă©taient nombreux sur la pĂ©ninsule. Aujourd’hui, il est possible de visiter l’un des bĂątiments du Site historique national de PaspĂ©biac (SHNP) entiĂšrement dĂ©diĂ© Ă  l’interprĂ©tation et la mise en valeur de ce mĂ©tier.

Remerciements Ă  Jeannot Bourdages, conservateur du SHNP ainsi qu’à Hubert Briard pour les prĂ©cieuses informations.

1. Tille ou asse de rabattage de John Sorsoleil, vers 1850. MusĂ©e de la GaspĂ©sie 2. Rouanne et scie Ă  chantourner de Joseph AdĂ©lard Briard, vers 1950. MusĂ©e de la GaspĂ©sie 3. Plane de Joseph Roy de Val-d’Espoir, vers 1930. MusĂ©e de la GaspĂ©sie. Don de Denis Roy
2 4 1 3 [NOS OBJETS]
4. Jabloir de Fernand Ste-Croix de Cap-des-Rosiers. Musée de la Gaspésie

En 1915, les Fusiliers du St-Laurent (189e bataillon), sous le commandement du lieutenantcolonel Philippe-Auguste Piuze, entreprennent une campagne de recrutement en GaspĂ©sie. Bien que la grande majoritĂ© des soldats enrĂŽlĂ©s par le 189e sont, selon la terminologie de l’époque, des Canadiens français, un bon nombre d’anglophones et d’Autochtones se sont joints Ă  eux.

Parmi les nouvelles recrues, on retrouve Frank Narcisse Jerome de Gesgapegiag. NĂ© le 17 juillet 1885, son baptĂȘme est cĂ©lĂ©brĂ© Ă  l’église Sainte-Brigitte de Maria. ÂgĂ© de 29 ans, Jerome s’enrĂŽle le 6 juin 1916 Ă  New Carlisle. Nul ne peut se douter ce jour-lĂ  que Frank Narcisse Jerome va devenir un des soldats les plus dĂ©corĂ©s de toute l’histoire militaire canadienne.

Combattre ensemble

Peu de temps aprĂšs l’arrivĂ©e du 189e bataillon en Angleterre Ă  l’au-

FRANK NARCISSE JEROME :

UN DES MILITAIRES LES PLUS DÉCORÉS
 ET OUBLIÉS

Il est difficile de chiffrer le nombre exact de soldats autochtones qui se sont enrĂŽlĂ©s au sein de la Force expĂ©ditionnaire canadienne lors de la PremiĂšre Guerre mondiale Ă  travers le pays. Dans certaines communautĂ©s isolĂ©es, il y a peu d’intĂ©rĂȘt des jeunes hommes Ă  se joindre aux rangs de l’armĂ©e, tandis que dans d’autres, les recruteurs sont trĂšs peu enclins Ă  accepter les gens issus de ces communautĂ©s. Par contre, en GaspĂ©sie, au sein des deux communautĂ©s mi’gmaques les plus populeuses, Listuguj et Gesgapegiag, le taux d’enrĂŽlement durant la pĂ©riode 1914-1918 est sensiblement Ă©quivalent Ă  celui de la population non autochtone de la rĂ©gion.

tomne de 1916, l’état-major de la Force expĂ©ditionnaire canadienne dĂ©cide d’utiliser ses membres pour renforcer d’autres unitĂ©s dĂ©jĂ  prĂ©sentes au front. Le rĂȘve de mener un bataillon composĂ© d’hommes du Bas-Saint-Laurent et de la GaspĂ©sie au champ de bataille se termine ainsi pour le lieutenant-colonel Piuze. Pour Frank Narcisse Jerome, cette tournure d’évĂšnement signifie un transfert au 14e bataillon, le Royal Montreal Regiment.

À la fin novembre 1916, quelques jours aprĂšs la fin de la Bataille de la Somme, un des chapitres les plus sanglants de la PremiĂšre Guerre mondiale, Frank Narcisse Jerome arrive au front. Le premier grand rendez-vous de Jerome face Ă  l’ennemi se produit le 9 avril 1917 lors d’une bataille devenue mythique Ă  la crĂȘte de Vimy. C’est ici, prĂšs de la ville française d’Arras, que pour la premiĂšre fois de la guerre, toutes les forces canadiennes vont combattre ensemble. AprĂšs des mois de

préparation minutieuse, sur un front de sept kilomÚtres, les Canadiens, sous le commandement du général britannique sir Julian Byng, réussissent à soutirer ce promontoire stratégique des mains des Allemands.

Une bravoure rĂ©compensĂ©e À la suite de son baptĂȘme de feu Ă  Vimy, Frank Narcisse Jerome va suivre une formation sur une arme avec laquelle il va rapidement devenir un expert : la mitrailleuse Lewis. Outil indispensable pour les unitĂ©s d’infanterie canadienne lors de la PremiĂšre Guerre mondiale, la mitrailleuse Lewis a une capacitĂ© de tir de 550 cartouches de calibre .303 par minute.

L’étĂ© et l’automne 1917 vont ĂȘtre particuliĂšrement Ă©prouvants pour les troupes canadiennes. Tour Ă  tour, elles engagent des combats sanglants contre les Allemands Ă  la cĂŽte 70, en France, et Ă  Passchendaele, en Belgique. À la suite de

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 45 ]
PassionnĂ© de l’histoire militaire gaspĂ©sienne et rĂ©sident de New Richmond Uniforme de Frank Narcisse Jerome, un des soldats les plus dĂ©corĂ©s de l’histoire militaire canadienne.
ÉCOUTEZ
[NOS PERSONNAGES]
Photo : Tom Eden Centre d’interprĂ©tation culturel de Gesgapegiag
EN ENTREVUE TOM EDEN RACONTER LE PARCOURS DE JEROME

ceci, Frank Narcisse Jerome et le 14e bataillon se retrouvent prĂšs d’Arras Ă  la fin novembre 1917. C’est ici que Jerome se voit dĂ©cerner sa premiĂšre MĂ©daille militaire pour bravoure.

La MĂ©daille militaire est dĂ©cernĂ©e aux soldats du Commonwealth en reconnaissance d’un ou de plusieurs actes de bravoure. La citation pour la premiĂšre MĂ©daille militaire que reçoit Frank Narcisse Jerome se lit comme suit : « Pour sa bravoure et son dĂ©vouement au devoir
 En tant que membre d’un Ă©quipage de mitrailleuse Lewis. SĂ©vĂšrement Ă©branlĂ© Ă  deux reprises par des explosions d’obus, cet homme continue son service, aide Ă  repousser deux raids ennemis, puis forme volontairement une patrouille pour obtenir des identifications. Son sang-froid sous le feu Ă©tait une brillante incitation Ă  tous les grades. ».

Une reconnaissance toute relative

C’est en 1918 que les Canadiens s’imposent comme des soldats capables de frapper rapidement et de foncer Ă  travers les lignes allemandes avec brio. Avec ses camarades du 14e bataillon, Frank Narcisse Jerome prend de l’assurance et devient un leader respectĂ© pour sa bravoure et sa compĂ©tence. Il est dĂ©corĂ© de la MĂ©daille militaire Ă  deux autres reprises au cours de cette annĂ©e et gravit les Ă©chelons, se voyant bientĂŽt promu sergent.

En tout, seulement 38 Canadiens se sont vu dĂ©cerner la MĂ©daille militaire Ă  trois reprises. En fait, le sergent Jerome se retrouve ex aequo avec le caporal Francis Pegahmagabow comme le soldat autochtone le plus dĂ©corĂ© de l’histoire militaire canadienne. Bien que Pegahmagabow ait connu une certaine notoriĂ©tĂ©

dans l’aprĂšs-guerre, devenant chef de sa communautĂ©, Wausauksing, en Ontario, il en est tout autre pour Frank Narcisse Jerome. Il est retournĂ© Ă  Gesgapegiag aprĂšs la guerre et a vĂ©cu dans un anonymat relatif. En 1926, il Ă©pouse Rose Anna VĂ©zina Ă  l’église de Saint-Jules-de-CascapĂ©dia. Jerome dĂ©cĂšde le 21 juin 1934, quelques semaines avant son 49e anniversaire. Il repose dans le « vieux cimetiĂšre » Ă  Gesgapegiag, au coin de la rue Main et du Chemin Eagle, alors qu’une pierre tombale est aussi prĂ©sente dans le nouveau cimetiĂšre derriĂšre l’église Kateri Tekakwhita. EspĂ©rons que la mĂ©moire collective permettra de prĂ©server son nom Ă  travers l’histoire.

Il n’existe malheureusement aucune photographie de Frank Narcisse Jerome. Citation de la premiĂšre MĂ©daille militaire remise Ă  Frank Narcisse Jerome pour bravoure, 1918. BibliothĂšque et archives Canada MĂ©dailles militaires dĂ©cernĂ©es Ă  Frank Narcisse Jerome en 1918-1919.
[NOS PERSONNAGES]
Photo : Tom Eden Centre d’interprĂ©tation culturel de Gesgapegiag

UNE GASPÉSIENNE EXCEPTIONNELLE : LA MAJOR (RETRAITÉE)

PAULETTE BROUSSEAU, CD, A DE C1

Paulette Brousseau est native de Petite-VallĂ©e. En 1975, elle joint les Forces armĂ©es canadiennes. L’excellence de son dossier scolaire lui permet de choisir l’un des mĂ©tiers les plus exigeants alors disponible. Pour elle, pas question de mĂ©tiers traditionnellement destinĂ©s surtout aux dames. Il y a tout lieu de croire qu’elle serait la toute premiĂšre femme Ă  devenir Ă©lectrotechnicienne en instrumentation d’avion au sein de l’Aviation royale canadienne.

Capitaine (retraité), conjoint de Paulette Brousseau et résident de Petite-Vallée

Paulette rĂ©ussit d’abord, avec brio, l’exigeant cours de recrue Ă  la base militaire de SaintJean-d’Iberville aprĂšs un entraĂźnement intensif de quelque trois mois. Ce succĂšs lui permet de poursuivre sa formation, mais cette fois en Ă©lectronique. Quelque temps plus tard, soit en juillet 1976, elle se retrouve Ă  l’école d’électronique de l’aviation (CFSAOE) Ă  la base de Borden, en Ontario, oĂč elle se perfectionne dans son domaine, tout en maĂźtrisant de mieux en mieux la langue de

Shakespeare. Elle est alors initiĂ©e aux rudiments de son nouveau mĂ©tier Ă  l’aide d’aĂ©ronefs destinĂ©s Ă  la chasse anti-sous-marine. En 1976, Paulette est mutĂ©e Ă  la base de Bagotville, au Saguenay. Les avions de chasse les plus perfectionnĂ©s de l’Aviation royale canadienne ainsi que les hĂ©licoptĂšres de recherche et sauvetage deviennent son nouveau terrain de jeu.

En 1980, Paulette est mutée à la base militaire du commandement aérien de Portage-la-Prairie, située

au Manitoba. Son expertise est alors mise Ă  profit afin de maintenir en excellent Ă©tat de vol les aĂ©ronefs servant Ă  la formation des aspirants-pilotes. Trois ans plus tard, elle est de retour Ă  Bagotville, mais cette fois ce sont les avions de chasse ultramodernes Hornet F18 qui font l’objet d’un entretien mĂ©ticuleux grĂące aux connaissances de techniciens comme Paulette, laquelle continue Ă  travailler dans un environnement oĂč la gent fĂ©minine se fait rarissime. Au cours de sa carriĂšre, elle

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 47 ]
Classe du cours CT-133, à Shearwater en Nouvelle-Écosse, 1985. Collection Paulette Brousseau

obtiendra les diffĂ©rentes qualifications de son mĂ©tier sur 14 diffĂ©rents types d’avions, du CF-101 Voodoo au CF-18 Hornet incluant le CT-114 Tutor (Snowbird), et du CH-136 Kiowa au CH-118 Iroquois (recherche et sauvetage). En 1983, elle suit une formation, Digital Computer Principles Ă  Kingston en Ontario, qui consiste Ă  construire un ordinateur, alors que ceux-ci font leur apparition. Cette formation lui permettra plus tard de se joindre Ă  l’équipe de techniciens des F-18 comme analyste informatique (EPLTS).

En 1990, elle quitte le domaine de l’aviation pour collaborer Ă  l’étude notariale de son conjoint. Ses vastes connaissances acquises au cours de sa carriĂšre militaire lui sont d’un grand secours afin d’apprivoiser les Ă©quipements informatisĂ©s que le notariat utilise. Sportive Ă©mĂ©rite, Paulette dĂ©tient une ceinture noire, 2e dan, dĂ©cernĂ©e par Judo Canada.

Une femme major : une rareté

Quelques annĂ©es plus tard, le naturel revient au galop. Paulette retourne au centre de recrutement afin de devenir officier instructeur du mouvement des cadets. Son leadership exceptionnel est mis Ă  profit et ses supĂ©rieurs l’invitent Ă  poursuivre sa formation sur la voie

accĂ©lĂ©rĂ©e. En l’espace de seulement quelques mois, elle est promue capitaine et devient commandant d’une unitĂ©. Son travail acharnĂ©, ses capacitĂ©s hors du commun et son expĂ©rience antĂ©rieure du monde militaire lui valent d’ĂȘtre promue au grade de major. Paulette devient ainsi la toute premiĂšre femme Ă  atteindre cet important grade au sein de sa qualification dans l’Est du QuĂ©bec.

Son attitude positive, son dossier Ă©difiant, sa diplomatie, sa connaissance Ă©laborĂ©e de la culture militaire et la maĂźtrise des connaissances variĂ©es de son domaine d’expertise lui valent d’ĂȘtre invitĂ©e Ă  devenir Aide de Camp honoraire auprĂšs du cabinet du lieutenant-gouverneur du QuĂ©bec. C’est auprĂšs de cette institution que Paulette continue Ă  dĂ©velopper constamment ses talents dans l’art du protocole.

Au cours de son illustre carriĂšre militaire, Paulette reçoit les distinctions suivantes, notamment : la dĂ©coration canadienne avec agrafe, la mĂ©daille du 50e anniversaire du JubilĂ© de la Reine Élisabeth II et celle du 60e anniversaire du JubilĂ©

de la Souveraine, la mĂ©daille du Souverain pour le bĂ©nĂ©volat, la mention Ă©logieuse du ministre des Anciens combattants, la mĂ©daille d’or du lieutenant-gouverneur du QuĂ©bec remise par l’honorable Pierre Duchesne et la mĂ©daille pour services exceptionnels du lieutenant-gouverneur du QuĂ©bec dĂ©cernĂ© par l’honorable Michel Doyon. Paulette obtient Ă©galement une lettre de fĂ©licitations du premier ministre du Canada Stephen Harper et une du premier ministre du QuĂ©bec Jean Charest, l’épinglette du 150e anniversaire du Canada et l’épinglette du JubilĂ© de platine de Sa MajestĂ© la reine Elisabeth II. Enfin, en 2004, elle reçoit le Prix du Duc d’Édimbourg Ă  titre de leader, DĂ©fi Jeunesse Canada. Au-delĂ  de ces reconnaissances, Paulette Brousseau a surtout su tracer sa propre voie grĂące Ă  ses compĂ©tences et sa dĂ©termination.

Note

[ 48 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023
1. CD signifie DĂ©coration canadienne et A de C fait rĂ©fĂ©rence Ă  Aide de Camp. Certificat de rĂ©ussite militaire de l’école de gĂ©nie aĂ©rospatial et du service de matĂ©riel des Forces canadiennes, 1976. Collection Paulette Brousseau Paulette Brousseau reçoit la DĂ©coration canadienne, 1987.
[NOS GASPÉSIENNES]
Collection Paulette Brousseau

MITTERRAND EN GASPÉSIE

À travers mes souvenirs, mon histoire gaspĂ©sienne gravite autour de la visite officielle du prĂ©sident de la RĂ©publique française François Mitterrand, le mardi 26 mai 1987, Ă  GaspĂ©, Fort-PrĂ©vel et PercĂ©.

Responsable de la visite protocolaire de Mitterrand en Gaspésie

Ce qu’il faut savoir, c’est que Mitterrand doit venir au Canada pour une visite officielle, mais qu’un arrĂȘt au QuĂ©bec ne coĂŻncide pas avec le volet canadien. Sachant cela, le dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral du QuĂ©bec Ă  Paris Jean-Louis Roy nĂ©gocie alors de son cĂŽtĂ© avec l’ÉlysĂ©e, afin de mieux protĂ©ger et promouvoir les intĂ©rĂȘts du QuĂ©bec. Or, dans le journal Le Soleil du 24 mai 1987, la Presse canadienne rapporte les propos de Roy, en mentionnant que la partie quĂ©bĂ©coise du voyage a Ă©tĂ© nĂ©gociĂ©e par QuĂ©bec de bout en bout, en toute indĂ©pendance. Il rajoute aussi qu’il n’y a pas eu de rencontre tripartite et que l’ambassadeur Ă  Paris Lucien

Bouchard et lui-mĂȘme, ont toujours Ă©tĂ© reçus sĂ©parĂ©ment Ă  l’ÉlysĂ©e.

Jean-Louis Roy souligne qu’il n’y a pas eu d’accrochage et que l’ambassade canadienne a fait son travail avec l’ÉlysĂ©e, nous de mĂȘme, mais nous ne nous sommes jamais rĂ©unis Ă  trois, spĂ©cifie Roy.

Une sécurité à toute épreuve

DĂšs la fin de fĂ©vrier 1987, les contacts et les rencontres avec les gens du ministĂšre des Relations internationales et du Consulat gĂ©nĂ©ral de France Ă  QuĂ©bec sont Ă  l’agenda. La tĂąche est Ă©norme et tout doit se concrĂ©tiser dans la perspective de la rĂ©ussite certaine d’une

telle visite officielle, et ce, selon les exigences du Protocole conjointement avec l’ÉlysĂ©e. Pour ce faire, le cĂŽtĂ© sĂ©curitĂ© est principalement chapeautĂ© par la SĂ»retĂ© du QuĂ©bec et la Gendarmerie royale du Canada. De plus, quatre gardes du corps de la sĂ©curitĂ© rapprochĂ©e de Mitterrand viennent s’installer Ă  GaspĂ© dĂšs avril 1987, afin de fignoler le tout dans les plus grands dĂ©tails, comme ils sont habituĂ©s de le faire dans le cadre des visites officielles du prĂ©sident français.

Mais, Ă  la demande de nos amis de l’Hexagone, une installation sine qua non spĂ©ciale est requise. Il est alors primordial d’établir un lien direct et constant entre GaspĂ©

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 49 ]
[NOS ÉVÈNEMENTS]
Le président de la République française François Mitterrand lors de son allocution au Musée de la Gaspésie, 1987. Musée de la Gaspésie. Fonds Musée de la Gaspésie. P1/7/3

Couverture du programme Visite officielle au Québec du président de la République française et de Mme François Mitterrand, 1987. Musée de la Gaspésie. P321 Fonds Robert Tremblay.

et le palais de l’ÉlysĂ©e Ă  Paris. Ainsi, je me rappelle que l’équipe de QuĂ©bec-TĂ©lĂ©phone installe une antenne « provisoire » sur le territoire gaspĂ©sien. Or, Ă  partir de leurs installations centrales de la rue Adams Ă  GaspĂ©, une antenne parabolique de lien micro-ondes rejoint le rĂ©seau hertzien de Capdes-Rosiers, afin d’établir un circuit prioritaire transatlantique Ă  haut niveau de sĂ©curitĂ©, dĂ©diĂ© Ă  l’usage unique de l’ÉlysĂ©e. Comme me le fait remarquer Gaby Johnson, directeur d’exploitation de QuĂ©bec-TĂ©lĂ©phone Ă  GaspĂ©, les communications par satellites en 1987 n’existent pas encore et on doit traverser l’ocĂ©an par cĂąble sous-marin.

Or, au matin du 23 mai 1987, nous prenons livraison des voitures utilisées dans le cortÚge de certains dignitaires. Déjà, la voiture toute spéciale présidentielle est entreposée dans un endroit secret et bien gardé.

Soulignons ici que durant la nuit du 25 au 26 mai 1987 précédant la

venue de Mitterrand, un maĂźtrechien de la SĂ»retĂ© du QuĂ©bec s’assure que le couvercle en acier de chaque trou d’homme soit soudĂ©, et ce, sur l’entiĂšretĂ© du parcours prĂ©sidentiel, tout en vĂ©rifiant l’absence d’explosifs et tous autres objets suspects.

Un protocole rĂ©glĂ© au quart de tour Mon travail consiste Ă  recevoir et Ă  m’occuper du protocole concernant les dignitaires de la France, du QuĂ©bec et les diffĂ©rents reprĂ©sentants rĂ©gionaux de la GaspĂ©sie. Les journalistes internationaux, nationaux et rĂ©gionaux sont aussi invitĂ©s au dĂ©jeuner historique offert par le ministre des Relations internationales du QuĂ©bec, Gil RĂ©millard. Ainsi, le dĂ©roulement officiel de la journĂ©e du 26 mai 1987 dĂ©bute avec l’arrivĂ©e de Mitterrand Ă  l’aĂ©roport de GaspĂ© Ă  11 h. Nous voyons de plus en plus de gardes du corps de la sĂ©curitĂ© rapprochĂ©e sur tout le terrain d’opĂ©ration. Soulignons aussi la prĂ©sence d’une vedette maritime de la SĂ»retĂ© du QuĂ©bec surveillant les abords du MusĂ©e de la GaspĂ©sie.

Premier arrĂȘt : GaspĂ© À l’étape de la prĂ©paration entourant la visite de la cathĂ©drale de GaspĂ©, nous apprenons, de la part de l’ÉlysĂ©e, qu’il n’est absolument pas

question que Mitterrand entre dans une Ă©glise, car il n’apprĂ©cie guĂšre s’y montrer, malgrĂ© son mysticisme connu. Or, nous leur mentionnons que nous dĂ©sirons seulement et simplement lui prĂ©senter le tableau de Charles-de-Foucray qui orne un mur situĂ© juste Ă  l’entrĂ©e latĂ©rale et qu’il n’a pas Ă  se dĂ©placer davantage dans ce lieu. D’autant plus, prĂ©cisons-nous, que l’Ɠuvre a Ă©tĂ© donnĂ©e par le gouvernement français et installĂ©e dans la cathĂ©drale en 1984; elle illustre l’arrivĂ©e de Jacques Cartier Ă  GaspĂ© en 1534. C’est Ă  notre avis, un beau parallĂšle Ă  faire avec la visite officielle du prĂ©sident de la RĂ©publique française, leur disonsnous. C’est ainsi que nos arguments rĂ©ussissent Ă  lui faire franchir quelques pas dans la cathĂ©drale, et ce, sans aucune dĂ©ception de part et d’autre, car aprĂšs avoir franchi la porte, il n’a qu’à se retourner et lever les yeux sur la toile. L’ÉlysĂ©e constate alors le tout petit chemin Ă  parcourir et la simplicitĂ© de notre « tour de force ».

Par la suite, Mitterrand et le premier ministre Robert Bourassa dĂ©posent chacun une gerbe de ïŹ‚eurs au pied de la croix de Jacques Cartier avant de se rendre au MusĂ©e de la GaspĂ©sie pour une visite. C’est lĂ  que le prĂ©sident français prononce son discours inoubliable et historique devant plus de mille personnes et 120 journalistes de tous les pays.

Une foule impressionnante est réunie pour le discours du président de la République française François Mitterrand sur le site du Musée de la Gaspésie, 1987. Musée de la Gaspésie. Fonds Musée de la Gaspésie. P1/7/3

[ 50 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023

Déjeuner officiel à Percé

Arrivés à Percé en provenance de Gaspé, deux hélicoptÚres se posent à 13 h sur le domaine du restaurant

Le Gargantua. Les dignitaires sont conduits en voiture jusqu’au quai, afin que le prĂ©sident de la RĂ©publique s’adonne Ă  des poignĂ©es de main avec les pĂȘcheurs. Il fait aussi un arrĂȘt Ă  La Maison du PĂȘcheur, un restaurant trĂšs connu. Le chef et propriĂ©taire Georges Mamelonet le reçoit en lui faisant une brĂšve prĂ©sentation des produits marins qu’il utilise pour s’en faire une rĂ©putation dĂ©jĂ  enviĂ©e de tous. Rappelons que Mamelonet est issu de l’École de la Marine nationale française Ă  Marseille et il s’entretient maintenant avec le compatriote invitĂ©.

De retour avec les voitures officielles, le prĂ©sident de la RĂ©publique française et son Ă©pouse Danielle Gouze (alors toujours nommĂ©e comme madame François Mitterrand), le premier ministre du QuĂ©bec Robert Bourassa et AndrĂ©e Simard, RenĂ© LĂ©vesque et Corinne CĂŽtĂ©-LĂ©vesque, et le ministre des Finances du QuĂ©bec GĂ©rard-D. Levesque et Denyse Lefort sont conduits au restaurant Le Gargantua. À 13 h 30, dĂ©bute le dĂ©jeuner privĂ© offert par le premier ministre du QuĂ©bec. Pierre et

Ginette PĂ©resse, d’origine bretonne, accueillent leurs prestigieux invitĂ©s·es. En bons GaspĂ©sien et GaspĂ©sienne d’adoption depuis 1959, ils concoctent homards, crabes, pĂ©toncles et bigorneaux; fromages et vins de choix accompagnent le copieux banquet.

Déjeuner protocolaire et médiatique à Fort-Prével

À la suite de la visite au MusĂ©e de la GaspĂ©sie, j’accueille de mon cĂŽtĂ© les dĂ©lĂ©gations française et quĂ©bĂ©coise ainsi que de nombreux journalistes Ă  l’Auberge du Fort-PrĂ©vel pour un dĂ©jeuner offert par le ministre des Relations internationales du QuĂ©bec, Gil RĂ©millard. À 13 h, sur le parvis extĂ©rieur Ă  l’entrĂ©e principale de l’établissement hĂŽtelier, je reçois un Ă  un les hauts dignitaires Ă  leur sortie des limousines et des autocars, en

leur souhaitant personnellement la bienvenue et je les invite à se rendre dans la salle de réception officielle. Plusieurs personnes du Protocole sont déjà assignées pour les accompagner.

Avec tout le dĂ©corum, le ministre Gil RĂ©millard porte un toast Ă  la fin du dĂ©jeuner. Par la suite, j’accompagne les plus hauts dignitaires et nous nous rendons sur le grand balcon franc nord surplombant le terrain gazonnĂ© du complexe hĂŽtelier, car les nombreux journalistes sont conviĂ©s Ă  une sĂ©ance de photos que je qualifie d’impressionnante.

La rĂ©ception officielle se termine Ă  14 h 45 pour les invitĂ©s·es de l’Auberge du Fort-PrĂ©vel qui se dirigent maintenant vers l’aĂ©roport de GaspĂ©.

Du cĂŽtĂ© du Gargantua, la suite de Mitterrand quitte PercĂ© Ă  15 h 05 Ă  bord des deux hĂ©licoptĂšres affrĂ©tĂ©s. De son cĂŽtĂ©, Didier Mulet, garde du corps de la sĂ©curitĂ© rapprochĂ©e du PrĂ©sident, me confie plus tard que RenĂ© LĂ©vesque lui demande gentiment s’il peut retourner Ă  l’aĂ©roport dans la camionnette conduite par ce sympathique gendarme français. Évidemment, mĂȘme surpris, il accepte volontiers de raccompagner son unique et illustre passager, car son Ă©pouse Corinne prĂ©fĂšre le retour dans l’hĂ©licoptĂšre attitrĂ©. Sans doute veut-il admirer davantage Ă  son aise le trajet restant par la route, avant de quitter possiblement avec nostalgie, sa natale GaspĂ©sie.

Le moment du départ

La journĂ©e s’achĂšve donc Ă  l’aĂ©roport de GaspĂ©. Tous les dignitaires sont lĂ . La tempĂ©rature est idĂ©ale et les astres sont ainsi alignĂ©s.

Tant de siĂšcles aprĂšs, les lys du roi François 1er portĂ©s par Jacques Cartier de Saint-Malo signifient pour les habitants du QuĂ©bec et particuliĂšrement ceux de la GaspĂ©sie la signification d’un dĂ©but, la signification de temps nouveaux, des terres nouvelles pour des temps nouveaux. De fait, [c’est] Ă  partir de lĂ  que s’édifiera la lente Ă©laboration d’un peuple.

Extrait du discours de François Mitterrand, président de la République française, à Gaspé, 26 mai 1987.

Avril - Juillet 2023 | MAGAZINE GASPÉSIE [ 51 ]
[NOS ÉVÈNEMENTS]
Le Gaspésien et ancien premier ministre du Québec René Lévesque et le ministre des Finances du Québec Gérard D. Levesque sur le site du Musée de la Gaspésie, 1987. Musée de la Gaspésie. Fonds Musée de la Gaspésie. P1/7/3

de l’escalier le menant au Dash 8, il revient Ă  nouveau sur le tarmac et nous partageons une solide poignĂ©e de main et un bref Ă©change de cordialitĂ©.

Comme prĂ©vu, le 26 mai 1987 Ă  15 h 30, le prĂ©sident de la RĂ©publique française et madame François Mitterrand montent Ă  bord de l’avion prĂ©sidentiel et quittent GaspĂ© Ă  destination de QuĂ©bec.

Pour en savoir plus : Un recueil Ă©toffĂ© rĂ©digĂ© et assemblĂ© par Robert Tremblay est disponible pour consultation au Centre d’archives du MusĂ©e de la GaspĂ©sie. Il comprend des souvenirs, des documents officiels, les menus, une revue de presse, etc.

Toutefois, en attendant le dĂ©part, je vois le premier ministre Robert Bourassa s’entretenir avec Mitterrand juste Ă  cĂŽtĂ© de son Dash 8. Je prends alors congĂ© de

mon interlocuteur français pour me rendre auprĂšs du PrĂ©sident et lui faire les salutations d’usage protocolaires, mais comme il a dĂ©jĂ  un pied posĂ© sur la premiĂšre marche

LES ÉDITIONS GID LES ÉDITIONS GID

Avril - Juillet 2023 leseditionsgid.com i 418 877-3666
Louis-Vincent Barthe 978-2-89634-520-5 i 36,95 $ Pascal Alain et Pierre Lahoud 978-2-89634-515-1 Jean Breton 978-2-89634-518-2 i 34,95 $ Henri Dorion 978-2-89634-517-5 i 24,95 $ Sylvie Pineau et Ricahrd Saindon 978-2-89634-521-2 i 34,95 $
CONSULTEZ LE DISCOURS DE MITTERRAND [NOS
De gauche à droite : le président de la République française François Mitterrand, le premier ministre du Québec Robert Bourrassa et le président du Musée de la Gaspésie Jules Bélanger, 1987. DerriÚre eux, on aperçoit les gardes du corps. Musée de la Gaspésie. Fonds Musée de la Gaspésie. P1/7/3
ÉVÈNEMENTS]

Prochain thĂšme

L’art de se rassembler!

Festivals et évÚnements populaires

Correctif du n° 205

-p.51-52 : Les légendes des deux photos de croix de Saint-Jean-de-Brébeuf ont été inversées.

C’est votre Magazine!

Pastilles Web

Les pastilles Web à la fin de certains articles vous invitent à consulter un extra en exclusivité sur notre site Web : magazinegaspesie.ca

Faites-nous part de vos commentaires et suggestions sur le Magazine Gaspésie : magazine@museedelagaspesie.ca 418 368-1534 poste 106 [NOS

MC
PARTENAIRES]
Bénédiction des bateaux au quai de RiviÚre-au-Renard, années 1950. Musée de la Gaspésie. P268 Fonds Ladislas Pordan.
CONSULTEZ L’APPEL
[ VOTRE MAGAZINE]
DE TEXTES
[ 54 ] MAGAZINE GASPÉSIE | Avril - Juillet 2023 Chez-nous, c'est le service ! ÉLECTRICITÉ ‱ PLOMBERIE ‱ CHAUFFAGE GaspĂ© - Cap d'Espoir - Petite VallĂ©e TĂ©l. : 418 368-5425 | info@groupeohmega.com | www.groupeohmega.com Poissonnerie & Fumoir Les PĂȘcheries GaspĂ©siennes Inc. 5, rue de la Victoria (Parc Industriel) C.Pp 2973, RiviĂšre-au-Renard (QuĂ©bec) G4X 5G3 418 269-5999 www. pecheriesgaspesiennes .com 156,ruedelaReine,GaspĂ©(QuĂ©bec)G4X1T4 T418360-0363F418360-0091www.scmnotaires.com INFORMER.ACCOMPAGNER.PROTÉGER.
r André Banville
D
M.V. Dre Katherine Brousseau M.V.

Écoutezlavoixdesgensd’ici!

À NE PASMANQUER SURNOSONDESDULUNDI AU VENDREDI

Lemonde selonJack

De6h Ă  9h

Avec Jacques Henry et RichardO’Leary

LePunch

De13hĂ 15h

Avec Dave Ferguson

Entretiens

De9hĂ  12h

Encompagniede CarolineFarley

Ilétaitune fois

dansl’Est

De15h Ă 18h

Avec Yannik Bergeron

LesHitsdumidi

De12hĂ  13h

Pourunmidi toutenmusique!

DestinationCountry

De18h Ă  19h

Uneheure 100%Country!

radiogaspesie.ca

Bienvenue chezvous

Venezrencontrer une Ă©quiped’experts quivous guidera dans l’accomplissement devos petitsetgrands projets!

151, boul. deGaspé,Gaspé Tél. : 418368-2234 info@kega.co

INSPIRATION ETCONSEILS ÉCO ATTITUDE CONSEILS PEINTURE RÉNOVATION ET DÉCORATION
Promutuel Assurance est ïŹĂšre de s'impliquer dans la collectivitĂ©, avec et pour les gens d'ici. au cƓur de la GaspĂ©sie 1 800 463-0705 promutuelassurance.ca

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook

Articles inside

Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
Magazine Gaspésie no. 206 - Au coeur du rÚgne végétal by Magazine Gaspésie - Issuu