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MITTERRAND EN GASPÉSIE
À travers mes souvenirs, mon histoire gaspésienne gravite autour de la visite officielle du président de la République française François Mitterrand, le mardi 26 mai 1987, à Gaspé, Fort-Prével et Percé.
Robert Tremblay
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Responsable de la visite protocolaire de Mitterrand en Gaspésie
Ce qu’il faut savoir, c’est que Mitterrand doit venir au Canada pour une visite officielle, mais qu’un arrêt au Québec ne coïncide pas avec le volet canadien. Sachant cela, le délégué général du Québec à Paris Jean-Louis Roy négocie alors de son côté avec l’Élysée, afin de mieux protéger et promouvoir les intérêts du Québec. Or, dans le journal Le Soleil du 24 mai 1987, la Presse canadienne rapporte les propos de Roy, en mentionnant que la partie québécoise du voyage a été négociée par Québec de bout en bout, en toute indépendance. Il rajoute aussi qu’il n’y a pas eu de rencontre tripartite et que l’ambassadeur à Paris Lucien
Bouchard et lui-même, ont toujours été reçus séparément à l’Élysée.
Jean-Louis Roy souligne qu’il n’y a pas eu d’accrochage et que l’ambassade canadienne a fait son travail avec l’Élysée, nous de même, mais nous ne nous sommes jamais réunis à trois, spécifie Roy.
Une sécurité à toute épreuve
Dès la fin de février 1987, les contacts et les rencontres avec les gens du ministère des Relations internationales et du Consulat général de France à Québec sont à l’agenda. La tâche est énorme et tout doit se concrétiser dans la perspective de la réussite certaine d’une telle visite officielle, et ce, selon les exigences du Protocole conjointement avec l’Élysée. Pour ce faire, le côté sécurité est principalement chapeauté par la Sûreté du Québec et la Gendarmerie royale du Canada. De plus, quatre gardes du corps de la sécurité rapprochée de Mitterrand viennent s’installer à Gaspé dès avril 1987, afin de fignoler le tout dans les plus grands détails, comme ils sont habitués de le faire dans le cadre des visites officielles du président français.
Mais, à la demande de nos amis de l’Hexagone, une installation sine qua non spéciale est requise. Il est alors primordial d’établir un lien direct et constant entre Gaspé et le palais de l’Élysée à Paris. Ainsi, je me rappelle que l’équipe de Québec-Téléphone installe une antenne « provisoire » sur le territoire gaspésien. Or, à partir de leurs installations centrales de la rue Adams à Gaspé, une antenne parabolique de lien micro-ondes rejoint le réseau hertzien de Capdes-Rosiers, afin d’établir un circuit prioritaire transatlantique à haut niveau de sécurité, dédié à l’usage unique de l’Élysée. Comme me le fait remarquer Gaby Johnson, directeur d’exploitation de Québec-Téléphone à Gaspé, les communications par satellites en 1987 n’existent pas encore et on doit traverser l’océan par câble sous-marin.
Couverture du programme Visite officielle au Québec du président de la République française et de Mme François Mitterrand, 1987. Musée de la Gaspésie. P321 Fonds Robert Tremblay.
Or, au matin du 23 mai 1987, nous prenons livraison des voitures utilisées dans le cortège de certains dignitaires. Déjà, la voiture toute spéciale présidentielle est entreposée dans un endroit secret et bien gardé.
Soulignons ici que durant la nuit du 25 au 26 mai 1987 précédant la venue de Mitterrand, un maîtrechien de la Sûreté du Québec s’assure que le couvercle en acier de chaque trou d’homme soit soudé, et ce, sur l’entièreté du parcours présidentiel, tout en vérifiant l’absence d’explosifs et tous autres objets suspects.
Un protocole réglé au quart de tour Mon travail consiste à recevoir et à m’occuper du protocole concernant les dignitaires de la France, du Québec et les différents représentants régionaux de la Gaspésie. Les journalistes internationaux, nationaux et régionaux sont aussi invités au déjeuner historique offert par le ministre des Relations internationales du Québec, Gil Rémillard. Ainsi, le déroulement officiel de la journée du 26 mai 1987 débute avec l’arrivée de Mitterrand à l’aéroport de Gaspé à 11 h. Nous voyons de plus en plus de gardes du corps de la sécurité rapprochée sur tout le terrain d’opération. Soulignons aussi la présence d’une vedette maritime de la Sûreté du Québec surveillant les abords du Musée de la Gaspésie.
Premier arrêt : Gaspé À l’étape de la préparation entourant la visite de la cathédrale de Gaspé, nous apprenons, de la part de l’Élysée, qu’il n’est absolument pas question que Mitterrand entre dans une église, car il n’apprécie guère s’y montrer, malgré son mysticisme connu. Or, nous leur mentionnons que nous désirons seulement et simplement lui présenter le tableau de Charles-de-Foucray qui orne un mur situé juste à l’entrée latérale et qu’il n’a pas à se déplacer davantage dans ce lieu. D’autant plus, précisons-nous, que l’œuvre a été donnée par le gouvernement français et installée dans la cathédrale en 1984; elle illustre l’arrivée de Jacques Cartier à Gaspé en 1534. C’est à notre avis, un beau parallèle à faire avec la visite officielle du président de la République française, leur disonsnous. C’est ainsi que nos arguments réussissent à lui faire franchir quelques pas dans la cathédrale, et ce, sans aucune déception de part et d’autre, car après avoir franchi la porte, il n’a qu’à se retourner et lever les yeux sur la toile. L’Élysée constate alors le tout petit chemin à parcourir et la simplicité de notre « tour de force ».
Par la suite, Mitterrand et le premier ministre Robert Bourassa déposent chacun une gerbe de fleurs au pied de la croix de Jacques Cartier avant de se rendre au Musée de la Gaspésie pour une visite. C’est là que le président français prononce son discours inoubliable et historique devant plus de mille personnes et 120 journalistes de tous les pays.
Une foule impressionnante est réunie pour le discours du président de la République française François Mitterrand sur le site du Musée de la Gaspésie, 1987. Musée de la Gaspésie. Fonds Musée de la Gaspésie. P1/7/3

Déjeuner officiel à Percé
Arrivés à Percé en provenance de Gaspé, deux hélicoptères se posent à 13 h sur le domaine du restaurant
Le Gargantua. Les dignitaires sont conduits en voiture jusqu’au quai, afin que le président de la République s’adonne à des poignées de main avec les pêcheurs. Il fait aussi un arrêt à La Maison du Pêcheur, un restaurant très connu. Le chef et propriétaire Georges Mamelonet le reçoit en lui faisant une brève présentation des produits marins qu’il utilise pour s’en faire une réputation déjà enviée de tous. Rappelons que Mamelonet est issu de l’École de la Marine nationale française à Marseille et il s’entretient maintenant avec le compatriote invité.
De retour avec les voitures officielles, le président de la République française et son épouse Danielle Gouze (alors toujours nommée comme madame François Mitterrand), le premier ministre du Québec Robert Bourassa et Andrée Simard, René Lévesque et Corinne Côté-Lévesque, et le ministre des Finances du Québec Gérard-D. Levesque et Denyse Lefort sont conduits au restaurant Le Gargantua. À 13 h 30, débute le déjeuner privé offert par le premier ministre du Québec. Pierre et

Ginette Péresse, d’origine bretonne, accueillent leurs prestigieux invités·es. En bons Gaspésien et Gaspésienne d’adoption depuis 1959, ils concoctent homards, crabes, pétoncles et bigorneaux; fromages et vins de choix accompagnent le copieux banquet.
Déjeuner protocolaire et médiatique à Fort-Prével
À la suite de la visite au Musée de la Gaspésie, j’accueille de mon côté les délégations française et québécoise ainsi que de nombreux journalistes à l’Auberge du Fort-Prével pour un déjeuner offert par le ministre des Relations internationales du Québec, Gil Rémillard. À 13 h, sur le parvis extérieur à l’entrée principale de l’établissement hôtelier, je reçois un à un les hauts dignitaires à leur sortie des limousines et des autocars, en leur souhaitant personnellement la bienvenue et je les invite à se rendre dans la salle de réception officielle. Plusieurs personnes du Protocole sont déjà assignées pour les accompagner.
Avec tout le décorum, le ministre Gil Rémillard porte un toast à la fin du déjeuner. Par la suite, j’accompagne les plus hauts dignitaires et nous nous rendons sur le grand balcon franc nord surplombant le terrain gazonné du complexe hôtelier, car les nombreux journalistes sont conviés à une séance de photos que je qualifie d’impressionnante.
La réception officielle se termine à 14 h 45 pour les invités·es de l’Auberge du Fort-Prével qui se dirigent maintenant vers l’aéroport de Gaspé.
Du côté du Gargantua, la suite de Mitterrand quitte Percé à 15 h 05 à bord des deux hélicoptères affrétés. De son côté, Didier Mulet, garde du corps de la sécurité rapprochée du Président, me confie plus tard que René Lévesque lui demande gentiment s’il peut retourner à l’aéroport dans la camionnette conduite par ce sympathique gendarme français. Évidemment, même surpris, il accepte volontiers de raccompagner son unique et illustre passager, car son épouse Corinne préfère le retour dans l’hélicoptère attitré. Sans doute veut-il admirer davantage à son aise le trajet restant par la route, avant de quitter possiblement avec nostalgie, sa natale Gaspésie.
Le moment du départ
La journée s’achève donc à l’aéroport de Gaspé. Tous les dignitaires sont là. La température est idéale et les astres sont ainsi alignés.
Tant de siècles après, les lys du roi François 1er portés par Jacques Cartier de Saint-Malo signifient pour les habitants du Québec et particulièrement ceux de la Gaspésie la signification d’un début, la signification de temps nouveaux, des terres nouvelles pour des temps nouveaux. De fait, [c’est] à partir de là que s’édifiera la lente élaboration d’un peuple.
Extrait du discours de François Mitterrand, président de la République française, à Gaspé, 26 mai 1987.
de l’escalier le menant au Dash 8, il revient à nouveau sur le tarmac et nous partageons une solide poignée de main et un bref échange de cordialité.
Comme prévu, le 26 mai 1987 à 15 h 30, le président de la République française et madame François Mitterrand montent à bord de l’avion présidentiel et quittent Gaspé à destination de Québec.



Pour en savoir plus : Un recueil étoffé rédigé et assemblé par Robert Tremblay est disponible pour consultation au Centre d’archives du Musée de la Gaspésie. Il comprend des souvenirs, des documents officiels, les menus, une revue de presse, etc.











Toutefois, en attendant le départ, je vois le premier ministre Robert Bourassa s’entretenir avec Mitterrand juste à côté de son Dash 8. Je prends alors congé de mon interlocuteur français pour me rendre auprès du Président et lui faire les salutations d’usage protocolaires, mais comme il a déjà un pied posé sur la première marche









