N° 39 - Juillet 2020

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société

Le dernier voyage Le temps de trois articles, je me suis transformée en reporter pour aller glaner des idées, des impressions, des peurs et des rêves auprès des habitants d’Anniviers. Je voulais entendre parler les gens que nous croisons chaque jour dans nos villages. Les interroger sur des sujets si essentiels et pourtant si peu abordés : notre vision de ce que pourrait être notre futur dans 50 ou 100 ans, notre rapport au monde surnaturel et notre peur de la mort. Le premier article, publié dans l’édition des 4 Saisons de l’hiver 2019, suivait la promenade d’un personnage fictif, Cassandre, qui partait sur les routes de la vallée demander à ceux qu’elle croisait quel futur ils imaginaient. On vit ainsi des drones livrer des pizzas, des gens skier sur l’herbe, des guerres de l’eau se déclencher et des fermes se reconvertir en élevage de grillons. Pour le deuxième article, publié au printemps 2019, Cassandre repartit le long des sentiers pour savoir quelles étaient aujourd’hui les croyances et les superstitions de nos voisins et amis : l’un s’accommodait des esprits errants, un autre croyait en lui-même, une troisième nous parlait des esprits de la nature et nous disait de réapprendre à les écouter. Un enfant avouait sa peur des loups-garous, tout en doutant de leur existence. Enfin, dans le troisième article publié pendant l’hiver 2020, Cassandre demanda aux habitants de la vallée s’ils avaient peur de la mort. Certains étaient tristes ou terrorisés à l’idée de mourir. D’autres acceptaient l’inéluctable, ou trouvaient même que ce n’est rien. Suite à ces trois articles, une première

© Illustration d’Isabelle Plomb Gartner

de Cassandre

lettre de lecteur a été publiée. L’auteur y réfléchissait sur le monde surnaturel et la mort, parlant sous les traits d’un homme nu couché au soleil près d’un mayen. Il parlait d’une porte qu’il avait trouvée et derrière laquelle « des êtres fantastiques se mélangeaient dans un univers lumineux, minéraux, arbres, animaux, créatures de tous âges et de toutes formes dansaient », car « dans la lumière, le loup et l’agneau dansent ensemble ». Cette porte est-elle la mort ? Derrière elle, c’est « l’Ordre des Choses où les réalités cohabitent », où «le désir et la souffrance sont des notes de la musique, comme l’amour et la santé». L’homme nu terminait en disant : « si j’attends la déchéance de mon corps, je pense effectivement me retrouver devant cette même porte. » Après la parution de cette lettre en janvier, une seconde lettre arriva à la rédaction des 4 Saisons ; cette fois-ci, il

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s’agissait d’une lectrice et non d’un lecteur. Voici cette lettre : elle y raconte son rêve, évoque son lien au monde surnaturel et à la mort et explore les visions du premier lecteur, celle de l’homme nu dans la forêt et celle de la porte derrière laquelle irradie la lumière: « Chère petite Cassandre, j’ai fait un rêve… J’aime bien l’homme nu. Dans mon songe, il se mélange à la forêt qui nous entoure, aux mélèzes dorés de l’arrière-automne, au courant incessant du bassin dont l’onde finit par se mêler à la terre, aux pierres de l’honorable bâtisse, à la vapeur d’eau qui s’agglutine aux poussières sidérales quelque part au-dessus de nous… Il est la brise qui agite ses cheveux, la fourmi qui se perd dans ses poils et qui l’énerve, les flammes d’un feu qui le réchauffent la nuit


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