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L’invité

L’invité Daniel Cornu

Le Tounot comme un miroir

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Comme tous les matins, ce dernier printemps, la petite charbonnière frappe obstinément aux carreaux. Elle y met un brin d’insolence. Petite charbonnière? Pour ne rien cacher, j’ai dû vérifier dans le petit atlas Payot «Oiseaux I». Planches de Robert Hainard. C’est bien à elle que mon obstinée ressemble le plus. Peu importe, au fond. Elle est la mésange messagère. Elle me fait signe.

Saint-Luc. Un très ancien souvenir, dans les années cinquante. Une excursion avec une classe de collégiens genevois. Et puis plus rien jusqu’au printemps 1981. Je rentrais de Paris, avec ma petite famille, après quatre ans en qualité de correspondant de la Tribune de Genève. Pas mal de chambardement. Alors, à Pâques, un fort besoin de se poser. Des amis nous conseillent le lac d’Orta, dans le nord de l’Italie. Très joli, Orta! Mais quel temps détestable, ces jours-là! La chambre n’est pas chauffée. Le petit dernier cherche les oeufs dans la neige. C’est trop.

Le lundi, sans attendre, retour à Genève. Au passage du Simplon, surprise. Le soleil. Pas royal, mais assez engageant pour faire éclore l’idée d’une halte fondue à Bettmeralp. Quand-même, quel dommage d’écourter si tôt des vacances tant attendues! Alors, nous reviennent les propositions de séjour, avant notre exil parisien, d’une ancienne voisine de palier propriétaire d’un grand chalet à Saint-Luc. Et si nous allions voir? Autour du village, les champs sont déjà dégagés, les perce-neige poussent le long des sentiers, une première promenade nous découvre un somptueux paysage alpin. À la Pension Favre, Gérard et Marie-Paule disposent encore d’une chambre pour nous loger. Nous restons jusqu’à la fin de la semaine.

L’accord est scellé. Pendant cinq ans, nous revenons chaque hiver à la Pension (aujourd’hui le Grand Chalet Favre), une semaine au moins. Puis nous nous accrochons. Un petit appartement dans les combles d’un chalet du vieux village. Vue sur le Cervin et sa suite. Plus intime, vue sur le Tounot.

Genève est le lieu de mes racines, Paris celui de mes rêves. Saint-Luc est mon lieu du dedans. J’y ai rédigé une partie d’une thèse de doctorat tardive, lu des pages et des pages, sur le balcon. La montagne du Tounot est un miroir, une invitation à un retour sur soi. Pour en décrire les métamorphoses, il faudrait la palette de Cézanne devant la montagne Sainte-Victoire. Le petite charbonnière, hélas! ne tient pas cet article.

Daniel Cornu journaliste, ancien rédacteur en chef de la Tribune de Genève

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