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Comment était votre bulle ?

Le vendredi noir du 13 mars, notre quotidien s’est disloqué. D’un seul coup, tout s’est effondré comme un château de cartes. Les annonces stupéfiantes ont succédé les unes aux autres. Ecoles vidées, frontières bloquées, restaurants et magasins fermés, avions cloués au sol, confinement… où est-ce que ça allait s’arrêter? Chacun s’est retrouvé enfermé dans sa bulle. La moitié de la planète en résidence surveillée. Bulle paradisiaque ou traumatisante, sereine ou catastrophique, solitaire ou surpeuplée, lente ou frénétique, querelleuse ou amoureuse, affamée ou opulente, douce ou violente, étouffante ou libératrice, protégée ou précaire, ennuyeuse ou épuisante, il y a eu autant de bulles que d’individus, avec chaque fois des drames, des joies et des espoirs. Chaque personne aurait une histoire différente à raconter. En voici quelques-unes d’Anniviers, glanées pendant le confinement:

« Le premier week-end du confinement, il y a eu un mouvement d’inquiétude et d’incompréhension qu’on a fortement ressenti au magasin. Les touristes étaient choqués par la fermeture des remontées mécaniques et par cette situation surréaliste et brutale. Certains comprenaient, mais beaucoup minimisaient le risque et trouvaient que les mesures étaient trop restrictives. Ils étaient venus jusque-là et voulaient profiter de leur week-end de ski. Suite au mouvement de panique dans les magasins en plaine, certains ont fait le choix de venir faire leurs courses dans la vallée. Ils avaient peur, parce qu’ils étaient plongés dans l’inconnu. C’était une ambiance bizarre. Les deux premières semaines, j’avais la boule au ventre, c’était compliqué de faire

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respecter les gestes barrières dans le magasin. Certaines personnes ne prenaient pas de précautions, venaient plusieurs fois par jour au magasin ou ne se désinfectaient pas les mains. Ce n’était pas si facile de s’habituer à ces nouveaux gestes d’hygiène, pour tout le monde, même pour nous : c’était un apprentissage. Beaucoup de gens ont fui des zones risquées et sont arrivés d’autres cantons ou d’autres pays pour se réfugier dans leur résidence secondaire. Ils sont venus ici pour se protéger. J’ai rencontré un jour un client qui était surpris d’apprendre qu’il y avait des cas de coronavirus dans la vallée ; il avait la fausse impression qu’ici il était à l’abri, que personne n’était contaminé et qu’il ne risquait rien. Maintenant, les gens ont appris à faire attention, les gestes barrières sont devenus une habitude, un réflexe, donc ça me panique moins. » Coralie

« Je voudrais bien que ce soit comme avant, pour revoir mes amis et retourner à l’école. Je n’ai même pas dit au revoir à ma maîtresse, je ne savais pas que c’était le dernier jour d’école. Maintenant, avec mes amies, on ne peut plus échanger des jouets, ou toucher la même chose, ou se dire bonjour. On joue aux barbies à deux mètres l’une de l’autre. Je pense que quand on retournera à l’école on aura des masques et des gants. Mais si mes gants sont trop grands, comment je vais écrire ? … ça me fait un peu peur. Je prendrai tout en double, comme ça je n’aurai pas besoin d’emprunter quelque chose. Je ne prendrai pas de goûter, parce que sinon je risque de le partager à la récré, d’oublier qu’on ne doit pas. » Mafalda

« La globalisation nous montre une autre de ses faces sombres. La science n’est pas surprise par cette première pandémie mondiale, c’est l’économie qui voit son rêve éveillé tourner au cauchemar. Elle ira comme d’habitude saigner les faibles et ponctionner la classe laborieuse pour sauver ses privilèges, et même ses bénéfices. Le spectacle doit continuer, le système ne

connaît que la croissance, il préfère courir à l’effondrement plutôt qu’évoluer. Au final, survivre, ce n’est pas acheter, mais produire ce dont on a besoin, au niveau des individus puis des sociétés. Cette crise nous met le nez dans la merde, en plus de polluer et de nous obliger à gesticuler en tous sens, la globalisation transmet les maladies à une vitesse jamais atteinte. Ce ne sera pas la dernière pandémie, mais la pollution, l’extinction des espèces et les conflits à venir m’inquiètent bien plus : seule notre fin apaiserait ces crises-là. Nous avons eu du temps pour penser, vérifier nos stocks de papier WC, profiter des beautés de la montagne au printemps. La masse reprendra ses habitudes, elle voyagera pour gagner de quoi voyager plus loin, vendra son temps pour acheter et alimenter l’illusion de posséder. Une élite se dégagera pourtant, son analyse de la situation lui fera cultiver son jardin, profiter du pays où elle vit, aimer l’écosystème auquel elle participe. Nombreux, vu l’ampleur du chambardement et du temps laissé à la réflexion, ces esprits se joindront aux écolos et autres adeptes de la décroissance, de la vie en adéquation avec la nature. Bientôt ils seront assez nombreux pour inverser le mouvement, assez sages pour se contenter d’aimer ce qui est proche plutôt que tenter d’atteindre le lointain. Et si nous renonçons aux déplacements inutiles, peut-être aurons-nous les moyens d’acheter bio, de rechercher la santé dans l’équilibre plus que dans les produits des pharmas. Et tout ira bien, comme on peut le lire sur des balcons. […] Cette civilisation n’est pas vendue au capital comme je le craignais. Les états ont pris le dessus dans la crise, la collectivité adopte et impose les décisions qui protègent sa survie et celle de ses membres les plus faibles. Quand les élus d’une démocratie directe décident dans l’urgence de mesures exceptionnelles au mépris des lobbies commerciaux, c’est beau et émouvant : le contraire d’une dictature capitaliste qui estime pouvoir perdre 200’000 de ses concitoyens sans trop en souffrir. Prenons acte de la leçon en cours, consommons les tomates valaisannes, partons en vacances au Bouveret, partageons l’espace vital et les ressources en PQ comme toutes les autres. Manu « Le 13 mars, à l’annonce du début du confinement, et les jours suivants, il y a eu un afflux massif de gens à la pharmacie et beaucoup d’appels téléphoniques ! Ils voulaient tous acheter des masques, des solutions pour se désinfecter les mains, du paracétamol et faire une réserve de leurs médicaments. Nous avons dû mettre sur pied rapidement des normes de sécurité pour protéger les clients et le personnel. Nous nous sommes mises à porter un masque, à désinfecter régulièrement les surfaces, à délimiter au sol les distances entre les personnes, puis avons installé des plexiglas. L’approvisionnement de masques et de solutions hydroalcooliques fut très compliqué ! Du coup, nous avons fabriqué nous-mêmes la solution désinfectante : de ce fait, les gens de la vallée ont toujours pu en obtenir. Le stress et l’inquiétude des clients fut aussi très difficile à gérer. Nous avons eu peur de ne pas pouvoir répondre aux besoins de la clientèle, de manquer de médicaments, de solutions désinfectantes ou encore de masques, mais surtout d’être confrontées au virus, de tomber malades et de contaminer le reste de l’équipe, puis d’être contraintes de fermer la pharmacie ! Maintenant, cela se passe dans la sérénité, la situation s’est bien calmée. Nous avons mis sur pied un service de livraison pour la population de la vallée et notre principal défi sera de pouvoir subvenir aux besoins de celle-ci jusqu’au bout de cette crise. » L’équipe de la pharmacie

« Quand je suis tombé malade, je n’ai pas tout de suite été sûr que c’était le coronavirus, mais au bout de 3 ou 4 jours, oui. Je n’ai pas eu peur, j’ai pensé à ne pas contaminer nos proches. J’ai trouvé la maladie longue, mais pas trop handicapante. La récupération a été peu linéaire. [Le 13 mars], j’étais stupéfait que ça nous arrive dans cette dimension-là. Cette situation [de confinement] m’a supprimé les bons moments entre copains. Il m’a apporté la collaboration avec nos enfants dans les activités scolaires. Il y a eu des hauts et des bas. De bons moments de partage en famille, mais aussi des frustrations et des incertitudes. Je constate que le système dans lequel on évolue est extrêmement fragile. J’apprends de cette crise que nous devons revenir à des valeurs plus simples : baisse de la consommation, baisse du rythme de vie, consommation locale. En résumé, retour aux années 50, avec le confort actuel. Je ne pense pas trouver un réel sens à une telle situation [de pandémie], mais nous devons ouvrir les yeux et réagir à la suite de ce message. » Pasco

« C’était très dur de faire l’école à la maison, car quand maman fait la prof, c’est pas très bien expliqué…. On s’est un petit peu engueulé. Quand je vais retourner à l’école, je vais avoir peur de transmettre le virus, plus que de l’attraper.» Luca

« Je suis une personne dite à risque, mais je vais marcher chaque jour dans la nature que j’observe au fil des saisons. Je pense que la cause de cette pandémie vient du non-respect de l’homme par rapport à la nature, à sa façon de traiter les animaux, à surexploiter les ressources de la planète. L’homme fait tellement de conneries que c’est normal qu’à un moment donné il doit les assumer! S’il y a toujours eu des épidémies, elles se succèdent de plus en plus souvent. Je ne cherche pas de signification ou de sens, j’espère seulement que les gouvernements vont prendre des mesures pour éviter un nouveau confinement dans quelques années. Ce qui m’interroge, ce sont les moyens considérables mis en œuvre pour sauver des vies alors que des millions de personnes même dans nos sociétés occidentales ne font tout simplement que survivre. Ce confinement va-t-il changer les priorités, les besoins, la manière de vivre de suffisamment de personnes pour changer la société, ou une majorité n’attend que le moment de reprendre ce qui a été interrompu momentanément ? » Christine

« J’ai l’impression que le monde s’est figé, tout est lent…. Et moi je cours comme une folle. Je travaille beaucoup plus qu’avant.

Il y a une disparité énorme entre ceux qui courent dans tous les sens et ceux qui ne font plus rien. A l’EMS, les résidents ne reçoivent plus de visite, alors ils sont plus en demande qu’avant. Les soignants sont épuisés. Il y a deux EMS en Valais où il y a eu beaucoup de morts parmi les résidents et de malades parmi les soignants. Là-bas, les résidents doivent être isolés dans leurs chambres pour être protégés. Mais sans animation, ils dépérissent. Heureusement, nous n’avons eu aucun cas de coronavirus dans l’EMS où je travaille. Mais le niveau de stress a quand même changé chez les résidents. Ceux qui comprennent sont angoissés et ceux qui ne comprennent pas sont déprimés sans savoir pourquoi. Leurs proches leur manquent. Quand ils reçoivent des appels de leur famille, certains embrassent leur téléphone, le serrent jusqu’à le casser, le caressent. Je suis très attentive à ne pas être contaminée à l’extérieur pour ne pas risquer la vie des résidents de l’EMS. Ca me stresse beaucoup si des gens se rapprochent de moi dans la queue du supermarché. Je ne me pardonnerais jamais d’être la cause de la mort de quelqu’un. Ce qui va être difficile, c’est quand tout le monde va reprendre une vie normale, parce que nous, on n’aura pas le droit de se relâcher. Dans trois mois, ce sera plus compliqué que maintenant où tout le monde fait attention. Dans les EMS, il faudra peut-être attendre jusqu’à fin 2020 pour que la situation redevienne normale : en même temps, on ne peut pas se retenir d’exister pendant un an ! Je ne regarde pas le téléjournal pour ne pas être plombée dès le matin quand j’arrive au travail. Je garde le masque toute la journée, et à force de respirer mon propre souffle, j’ai mal au crâne tous les soirs, surtout avec la chaleur qui règne dans l’EMS. Cette crise a beaucoup soudé notre équipe et chacun est devenu plus polyvalent. On a dû inventer de nouvelles façons d’animer, avec des groupes plus petits, sans sorties, sans se toucher. Il y a eu des moments émouvants, comme la joie des résidents de pouvoir sortir dans le jardin, leur tristesse quand je leur refuse d’habituels gestes de tendresse ou leur incompréhension devant mon masque. Ils me disent : « tu as peur que je te contamine ? ». Debbie

« Le 13 mars, j’étais soulagée que les écoles ferment afin de limiter la propagation du virus et de protéger ma famille. J’avais besoin que les mesures deviennent plus strictes. Le semi-confinement et le fait d’avoir été malade ont stoppé mes loisirs en grande partie. J’ai été moins heureuse qu’avant, car les amis, la famille et les moments de partage me manquaient. J’ai pu constater de la peur dans le regard de certaines personnes. La mondialisation du commerce et les importants déplacements de personnes font que les épidémies évoluent vite en pandémies. Un commerce plus local et une hausse du tarif des vols, parmi d’autres démarches, seraient un début de leçon qui donnerait du sens à l’irruption de cette épidémie. [Si cette crise est comme un révélateur et un miroir pour notre société], dans ce miroir, j’ai vu des images de files de voitures devant les McDo. Cela m’a stupéfaite et attristée. » Stéphanie

Propos recueillis par Pauline Archambault

Alain Zuber

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