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Au coeur des glaciers

évasion

écouter le silence

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Ushuaia. Nous sommes le 22 février 2020. Il est 16 heures. Je prends place à bord du navire de la compagnie norvégienne Hurtigruten dont la flotte de croisière d’expédition est l’une des plus respectueuses de l’environnement. Il quitte la Terre de Feu en Argentine, puis traverse le canal de Beagle et le Cap Horn. Il s’engage ensuite dans le redoutable détroit de Drake pour une traversée d’environ 1000 km. Ce passage maritime sépare l’Amérique du Sud de l’Antarctique et relie les océans Pacifique, Atlantique et Austral.

Ici, il n’y a plus rien pour freiner les masses d’air. C’est pourquoi les pires conditions météorologiques de toute la planète s’y affrontent. Le vent austral se lève, le ciel devient pesant, des embruns humidifient l’atmosphère, les vagues sont puissantes et terrifiantes avec une houle de 7 à 10 mètres.

Après deux nuits et un jour de navigation agitée, j’aperçois enfin les îles Shetland du Sud qui marquent l’arrivée en Péninsule Antarctique. Cette navigation ressemble à la traversée d’un tunnel qui débouche au paradis. C’est bouleversant, magique.

Le bateau avance tout tranquillement, sans bruit aucun parmi les baleines qui soufflent et dansent. D’immenses icebergs flottent sur l’eau couleur indigo, teinte propre à l’océan Austral. A part le couinement des manchots, l’écho de la glace qui se brise et le clapotis de la mer, aucun chuchotement ne vient rompre le silence.

Rongé Island - Détroit de Gerlach - Péninsule Antarctique, 1 er mars 2020.

Sur le pont, tous les passagers sont médusés, attentifs et respectueux, envahis par un sentiment d’impuissance devant cette nature grandiose, immaculée. C’est si beau que j’en ai le souffle coupé. Mes yeux sont éblouis de beauté. Remplis de larmes d’émotion, ils peinent à faire le point de manière précise pour immortaliser ces paysages sublimes qui défilent, malgré la qualité de mon matériel photo.

Lors de cette croisière, durant une conférence sur la glaciologie, un professeur chilien m’a demandé mon origine. Lorsqu’il a appris que j’étais Suisse, il a bondi de joie et m’a dit qu’il collaborait régulièrement avec des spécialistes des Alpes valaisannes. Il a ajouté que la Suisse, mon

Manchots Papou - Paradise Bay - Péninsule Antarctique, le 27.02.20

petit pays, tient une place importante parmi tous les pays actifs dans les Pôles du fait de la qualité de ses activités dans les zones alpines et extrêmes. Cela m’a surprise, car je n’en savais rien ! Quelle fierté pour moi !

Comprendre le passé et anticiper l’avenir Au XIX e siècle, de nombreux pêcheurs partent chasser les phoques et les baleines le long des rives de l’Antarctique. Ils sont les premiers êtres humains à approcher ce coin du globe jusqu’alors inconnu mais dont les Grecs avaient déjà soupçonné l’existence. C’est le marin britannique William Smith qui révèle l’existence du Grand Blanc et certifie avoir aperçu des oiseaux et des terres au sud du 62 e degré ouest. C’était le 19 février 1819.

L’Antarctique ne ressemble à rien de connu. C’est un immense dôme de glace, le plus isolé et le plus froid du monde. Ses températures peuvent descendre jusqu’à moins 85° C. Cela rend ce territoire inhospitalier, seules des équipes de scientifiques de différentes nationalités y résident de manière temporaire. L’Inlandsis excite le monde des chercheurs et incarne un enjeu colossal. Il possède en effet 70% des réserves mondiales d’eau douce, prisonnières des glaces. Il constitue les archives climatiques de la planète.

Patrimoine commun à l’humanité, cet endroit est fragile car ses glaces fondent, victimes du réchauffement climatique. Son avenir dépend de quelques nations qui ont les moyens de maintenir une activité scientifique sur le continent.

Sa superficie de 14 millions de km2 représente 340 fois celle de la Suisse. C’est le continent le plus élevé du globe avec une altitude moyenne de 2250 m. Il est couvert d’une calotte glaciaire d’environ 5000 mètres d’épaisseur. A lui seul, il possède 90% des glaces de la terre. Son point culminant jaillit du socle rocheux du massif Vinson à 4897 m. Au cœur du continent, le Pôle Sud atteint 2835 mètres d’altitude.

La flore de l’Antarctique est composée de lichens et de micro-organismes adaptés pour survivre au grand froid. Les eaux et les rivages abritent des oiseaux marins et une faune exubérante de manchots, de phoques et de baleines. Sous leur peau, ces créatures possèdent une couche de graisse qui les protège du froid pendant les longs mois d’hiver. Leur nourriture est abondante et se compose de petits poissons et de krill.

Terre de Paix - Le traité de l’Antarctique Cet accord clarifie le patrimoine commun à l’humanité, prône la paix (les armes y sont interdites) ainsi que la recherche scientifique et la conservation de la nature. Signé par quelques 50 Etats le 1er décembre 1959, il est en vigueur depuis le 23 juin 1961. Il réglemente tout ce qui a trait à l’Antarctique et son but est de protéger ce territoire de toutes violations humaines. Les douze états fondateurs de ce pacte sont l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Chili, les États-Unis, la France, le Japon, la Norvège, la NouvelleZélande, le Royaume-Uni et la Russie. Cependant, tous les pays membres des Nations Unies ou les Etats invités par tous les signataires du traité peuvent y adhérer.

Depuis 1990, la Suisse possède uniquement un droit de parole, car elle n’a pas de base scientifique là-bas. Ses contributions en faveur de la recherche polaire sont toutefois importantes.

La Suisse met le cap sur l’Antarctique Tout commence en 2007-2008. Les cadres de l’Ecole Polytechnique Fédérale (EPFL) de Lausanne et ceux de l’Institut Fédéral de Recherches sur la Forêt, la Neige et le Paysage (WSL) de Birmensdorf, incitent la Suisse à s’engager pour partager les frais et la gestion de la base scientifique belge, Princesse Elisabeth. Celle-ci est novatrice et fonctionne aux énergies éoliennes, thermiques et solaires, selon le modèle «zéro émission».

Cette collaboration permet à notre pays d’adhérer au Traité de l’Antarctique et de prendre part à des projets sur le désert de glace. Il serait autrement utopique pour la Suisse d’installer une station suisse en Antarctique à partir de rien, même si les idées de projets helvétiques dans des lieux aux conditions extrêmes ne manquent pas : glaciologie, climatologie, systèmes d’énergie renouvelable, organismes vivants, traque aux météorites (justement, l’un des plus gros cailloux tombé de l’espace, d’un poids de 18 kg, a été déniché près de la station belge), etc… Par la suite, le Swiss Polar Institute (SPI), un consortium réunissant les deux EPF, les universités de Berne et de Lausanne ainsi que des instituts de recherche suisses a été créé avec le soutien de Frederik Paulsen (avide explorateur et sponsor suédois). Destiné à rejoindre l’antenne valaisanne de l’EPFL à Sion, le SPI renforce les sections scientifiques déjà actives en Valais dans les domaines de l’énergie, de la chimie verte, de l’environnement et de la santé. Les projets menés par cet institut sont visionnaires et ambitieux. Ils se réalisent grâce aux échantillons conservés au plus profond des glaces depuis la genèse des espèces. Ils fournissent de précieux indices sur les origines de la vie mais également sur l’avenir du manteau glaciaire, notamment dans nos Alpes.

La première expédition scientifique du SPI, l’Antarctique Circumnavigation Expedition a lieu en 2016. Il s’agissait de contourner complètement le continent blanc pendant trois mois à bord d’un brise-glace russe, l’Akademic Treshnikov, transformé en laboratoire scientifique pour l’occasion. Sur 120 personnes présentes à bord, quelque 60 scientifiques issus de 18 pays, dont la Suisse.

Le SPI est un institut de recherche scientifique dont la tâche est de contribuer de manière renforcée aux développements de la diplomatie, de la science et de l’économie suisses. Son objectif est de stimuler la recherche polaire en lien avec les défis environnementaux tels que la gestion des ressources mondiales et les changements climatiques, des sujets essentiels qui, de nos jours, préoccupent la planète toute entière. Le SPI rejoindra l’EPFL Valais dès 2021 dans le cadre plus large du centre de recherche en environnement alpin et extrême (Alpôle), en cours de construction.

photos & texte : Dominique©Epiney Regolatti

Sources • 29.04.2013. Journal Le Temps.

Projet de base «suisse» en Antarctique, article du journaliste scientifique,

Olivier Dessibourg. • 20.04.2016. www.rts.ch/la-suisse-se- lance-dans-l’exploration-des-glacesde-l-antarctique. • 20.12.2016. www.tdg.ch/savoirs/ sciences/tour-antarctique-90-jours/ story. • Antarctic Peninsula. British Antarctic

Survey 2016. Natural Environment

Research Council. • 27.04.2020. https://www.epfl.ch/ about/campus/fr/valais-fr/ epfl-en-valais/page-122739-fr-html/.

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