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Sauvées des eaux
évasion
D’un port à l’autre, balloté de Sydney à Melbourne en Australie, le grand paquebot de croisière qui effectue un périple autour du monde ne permet plus à aucun passager de mettre pied à terre. Alors Félicie et Melissa ont décidé de rester à bord car la compagnie en charge des 2500 passagers se doit de tout mettre en œuvre pour les ramener en lieu sûr en ces temps de covid 19.
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Un rêve de grand tour les pieds sur la terre ferme d’abord Voyage déjà pratiqué auparavant aux USA, mais cette fois-ci, on passe un cran au-dessus : ce sera d’abord une visite des grands parcs américains d’ouest en est, en partant de Seattle. Nos deux globe-trotteuses louent une voiture et s’engagent dans ces Etats où la nature est reine encore, les paysages captivants, les parcs nationaux très bien organisés mêlant découvertes aventureuses comme des rencontres avec les ours, et parcours bien balisés.
Dans la même journée, passer d’une ville immense et encombrée, comme Los Angeles, San Diego ou Las Vegas à de petites cités fantomatiques, emprunter des routes à plusieurs voies, puis se retrouver sur de longs parcours à deux pistes en ligne droite des heures durant et ne croiser que deux ou trois véhicules, dont des camions énormes et rutilants.
Les contrastes sont saisissants. La mobilité de ce pays a vraiment été pensée pour les véhicules individuels et non pour les transports en commun. Les bus locaux ne sont pas chers, ce qu’elles ont pu tester à Hawaï plus tard. Les voies ferrées sont plus développées pour les marchandises que pour les voyageurs.
Le parc national du Bryce Canyon a particulièrement marqué nos deux voyageuses, mais c’est celui de Monument Valley, géré par les Indiens de cette région, qui leur a paru le plus beau.
Elles ont logé dans des motels bon marché, dans des campings, dans des B&B, partout assez corrects, peu de mauvaises surprises heureusement. Les deux dernières semaines à Hawaï ont tenu lieu de vacances.
A peine rentrées à fin novembre après trois mois de périple et plus de 18’000 KM, le grand tour a repris dès le 5 janvier, en bateau cette fois.
Embarquement immédiat Est-ce que la croisière s’amuse ? Eh bien on peut dire que oui pour la première partie du périple, de Gênes au Cap Vert, de Salvador de Bahia à Rio, de l’île de Pâques à Tahiti, des îles Cook à la NouvelleZélande. Les escales ont permis à Félicie et Melissa de visiter des lieux si différents, de croiser des populations si variées, de percevoir des ambiances festives ou pesantes parfois, opulentes ou indigentes, d’observer des styles de vie étonnants. Impressions contradictoires, opinions multiples. Quelquefois, elles auraient souhaité disposer de plus de temps, mais cette manière de voyager leur a permis d’avoir un coup d’œil général, quitte à l’approfondir par la suite.
La vie sur les eaux A bord, une vraie petite ville avec 2500 passagers et 1500 membres d’équipage s’organise avec toutes les commodités pos
sibles, spectacles, animations, piscine, salle de sports, restaurants, bars. Une majorité de retraités composent cette société éphémère, mais aussi d’autres générations. Félicie et Melissa ont fait de belles rencontres, le hasard leur a même fait partager la table avec deux autres Suisses.
L’équipage est aux petits soins et n’a pas le droit de se montrer familier avec des passagers, la pression de la surveillance est constante. Pour chaque escale des propositions de visites guidées ou non sont à l’affiche. Certains passagers se comportent de manière peu civilisée, là comme partout finalement.
Et soudain, arrêt brusque Suite à plusieurs informations et changements dus à la propagation du virus de par le monde, en Tasmanie le capitaine annonce finalement que plus aucune sortie du bateau ne sera possible et que Sydney marquera la fin de la croisière prévue initialement. Ce satané coronavirus a changé
Île de Paques


Rio de Jeneirio
drastiquement la suite du programme. Les nouvelles évoluent en continu. A Sydney, les deux jours à quai ont permis de renflouer le bateau en vivres et carburant. Départ pour Melbourne où ceux qui ont souhaité prendre un vol leur permettant peut-être de rentrer chez eux ont dû signer un papier. Peu l’ont fait car l’incertitude régnait. Félicie et Melissa n’ont pas quitté le bateau, meilleure décision possible. Les ports d’Australie n’ont pas voulu accueillir ce paquebot en attendant de trouver une solution pour ramener les passagers chez eux. Après avoir tourné en rond pendant plusieurs jours près du port de Fremantle, le voyage s’est poursuivi vers l’Océan Indien, puis le Canal de Suez et enfin la Méditerranée. En cours de navigation, seuls ont subsisté les arrêts nécessaires pour faire le plein de carburant et de nourriture. Au Sri-Lanka, l’ancrage indispensable s’est fait hors du port par exemple. Ambiance particulière Heureusement, nos deux passagères ont pu garder un contact, aléatoire parfois, avec leur famille. Durant cette période d’incertitude, alors que le bateau était renvoyé d’un port à l’autre autour de l’Australie, elles auraient préféré partager ces moments avec leurs proches et tournaient un peu en rond comme leur embarcation. En même temps, elles se sont rendu compte de leur chance de vivre dans cet environnement non touché par le virus, donc sans risque sanitaire. Pourtant de faux bruits ont circulé sur les réseaux sociaux affirmant que certains passagers étaient atteints, fake news heureusement !
Quarante jours de blocage strict à bord sans possibilité aucune de descendre, voilà leur confinement. La sécurité oui, mais dans une ambiance très particulière.
Monument Valley

Mettre pied à terre à Marseille le 20 avril a résonné bizarrement : que se passerait-il « dehors » ? Sur le bateau la distanciation sociale n’existait pas, comment la vivre à terre ? Dire au revoir à tout le monde, puis sortir dans le dernier flot de passagers avec masques et gants, ne plus toucher personne… très étrange sentiment. Le lendemain un bus affrété par MSC a ramené Félicie et Melissa en Suisse. Pour elles, le retour en Anniviers a pris un drôle d’aspect : la satisfaction de retrouver les familles et des contraintes difficiles à imaginer avant leur départ.
Le rêve du grand tour a été amputé de moitié, ce circuit autour de la planète effectué d’abord dans le sens contraire de celui du virus a fini en eaux troubles. Sauvées des eaux et motivées de voyager encore, Félicie et Melissa m’ont fait rêver d’autres traversées, l’espoir toujours. Simone Salamin