

Éditorial fragmenté
la fenêtre est presque nue tracée en mille chemins de dentelle fnement bleue les rayons sans pudeur ni retenue des bourrasques ça siffe entre les fentes le froid le vent le temps ébranle son cadre l’intérieur répond d’un premier spasme la fenêtre assiste à une folle incandescence un brasier se tord redouble d’excitation une main vient se plaquer à la vitre la condensation lui lèche le bout des doigts puis des gouttes s’invitent dans le creux entre épaule et clavicule une respiration qui se gorge de retenue la main quitte la vitre et s’agrippe au rideau elle se retient s’abandonne arquée en chute saccadée le tissu glisse sous ses ongles comme attendu depuis trente-mille secondes une paume humide accueille les fbres dans sa chair puis l’autre main continue de s’agriffer bien bas de battre sa cadence profonde et si proche elle transpire d’aller juste assez vite
presque une crampe dans la cuisse l’index tâte pour vérifer mais trop vite trop vif et l’ongle pénètre dans la peau entaille l’épiderme une goutte rouge rouge rouge au centre en plein centre des draps clairs que les mains venaient de coincer sous le lit une housse blanche choisie pour sa nouveauté sans froissures comme inconnue à tous corps inconnue aux syllabes embrassées dépourvue de la sueur des nuits courtes des matins trop rapides puis des semaines pleines de pleurs et maintenant tout est sale sale sale sale c’est dégoûtant le sang fermente déjà un cri s’élance vers le vent et monte jusqu’à mordre l’air la main arrache les draps du lit arrache les rideaux de la fenêtre d’un coup tout est encore plus nu en pleine démence lascive la main saisit l’amas de tissu rouge tissu clair et se jette au complet à la lessive mouillée
Éditorial fragmenté
Le salut est désuet. Je préfère votre gorge muette. Je choisis par prudence, mais le moment venu le divan-lit la table de cuisine la vanité de salle de bain est une île au milieu de la maison. Les murs se désagrègent. Nous n’avons besoin que d’un appui. J’invente des vallons, des montagnes le long de la nuque, de l’épaule. Je tire sur les doigts, je déverse mon ventre. J’accueille votre langue qui susurre près de mon rein. /
La nudité me sied. On me voit crochie sur une chaise, maladroite. Le quotidien m’absorbe. Puis on me voit dévêtue, dépliée, brillante. Le corps qui s’étire, la bouche infnie. On se jette à mes pieds. Cherchez-moi; dans la jouissance je laisse passer la lumière. Vous épanchez; je suis à la fois le verre et ce qui vous presse. Je vous laisserai peut-être m’essuyer les lèvres. /
L’eau est brûlante; je suis dedans. J’appelle les corps pour les réchauffer à leur tour. Je vous mets sous ma dent. C’est qu’il faut s’accorder, savoir comment gonfer pour occuper la chambre. Investir l’espace; il faut être créatif·ve. Parfois iels ne savent pas, parfois l’on se noie. C’est selon.
Mes préféré·e·s me transforment de leurs mains. Pelez, pétrissez. Le mot d’ordre : la démesure. Les meilleur·e·s sauront resémiotiser et je trouverai ma voix quelque part entre leurs hanches.
Éditorial fragmenté
On grimpe aux rideaux lorsqu’on s’énerve, se fâche ou s’alarme, comme si les rideaux entretenaient un rapport intime avec les débordements émo tionnels, particulièrement ceux qu’on attribue aux femmes. Le deuxième sens de l’expression tient en un mot : jouir. « Grimper aux rideaux » célèbre la parenté qu’entretiennent dans l’imaginaire collectif le plaisir sexuel, la féminité et les émotions incontrôlables.
Grimper aux rideaux, c’est vaincre une fois pour toutes cet ex qui te repro chait de porter des couleurs vives.
C’est le kitsch, le rococo, le tape-à-l’œil. C’est tout ce qui est trop : trop féminin, trop extravagant, trop queer, trop triste, trop feuri, trop quétaine, trop de plaisir.
C’est ta tante divorcée au salon live laugh love trop rose qui « fait son show ».
C’est la crise de colère que fait ta mère parce que ta petite sœur se maquille en « guédaille ».
C’est ton amant qui te dit à chaque fois qu’il vient dormir chez toi quand vas-tu t’acheter des stores on vient encore de donner un spectacle aux voisins et toi qui réponds mes rideaux sont très bien et puis tant mieux pour eux.
C’est embrasser ta chatte sur le ventre en lui disant elle est à qui la belle cha tonne, elle est à moi, mais quelle belle fflle à maman avec son ventre poilu et ses petites moustaches, qui est l’amour de ma vie, c’est toi ma pitchounette en acceptant que tu as l’air d’une folle.
Derrière ta fenêtre, le monde entier sursaute et vibre comme le rabbit à 150$ que tu t’es procuré avec l’argent du CRSH.
Éditorial fragmenté
On a pas vu apparaître nos rides l’ennui allonger son séjour on a tiré les rideaux il faut sortir de la léthargie
on accroche les toiles au plafond danse sur les murs les mobiles au plancher
on parle de l’éclatement des bidules ajoute des lettres à l’alphabet des pronoms au dictionnaire rebaptise les rues
on s’écarte les fesses pour la caméra cesse de fouter la vulve s’accoutume aux caresses naϊves la main est juste une main le sein un sein
les sextagénaires dorment avec une peluche on fait l’amour doucement autrement retrouve le pluriel des ivresses
la lumière perce les murs infuse les chambres les cuisines on trempe nos gâteaux dans demain le printemps est là dans la champlure
Éditorial fragmenté
4 ½ (675 pieds/carré)
Très lumineux avec fenêtres sur trois côtés deux chambres fermées. Bien entretenu (deuxième étage sans voisins au-dessus) environnement paisible.
Pour l’insonorisation nous coincerons nos vêtements entre les craques du plancher ça empêchera tout le reste de s’y loger; les miettes, les cheveux, les soupirs, il faudra les balayer
L’été il fera chaud canicule montréalaise dans la chambre nous dévisserons les ampoules du luminaire pour les glisser dans les pots de vitres que nous aurons gardés - germes de blé, salsa douce, tisane bonne nuit, sauce spaghetti –épars dans l’appartement. Nos corps moites nous ne les toucherons que du bout des doigts et la tension suffra à ce qu’émane une lumière feutrée Lampions do it yourself
Nous crierons plus fort pour couvrir le bruit du ventilateur sur pied avant de nous inquiéter d’avoir brisé la quiétude du lieu qu’on commencera à peine à s’approprier.
Nous ne l’aurons pas bâti mais nous aurons planté des clous, construit des meubles, peinturé les murs, nous aurons choisi la couette de lit la plus douce, rayé le plancher, accroché les rideaux ceux qu’on aura tissé de nos échanges de nos essais de nos différends de nos réconciliations. Même si oui, je sais, il faudrait commencer par une visite.


Table des matières
Femme assise à l’écharpe verte 12 Ève Lemieux-Cloutier
J’ai des rideaux à brûler 14 Elena Dakka
Déroute 16 Annabelle Payant
Béatitude 20 Lyna Houchi
J’ai jamais été casual 23 Zoé Larocque
Rèmedeleste 26 Élise Guerrero
Respirer en haut 28 Lydia Roy-Simard
Si je m’ouvre c’est pour dire absence 34 Marylène Mayer
Opéra en trois actes 36 Daniel Sigouin Vanity case 38 Catherine Paquet
Ève Lemieux-Cloutier
Femme assise à l’écharpe verte1
Entre deux étreintes ses doigts parcourent la carte de mes vaisseaux bleutés sa langue implore mes lèvres de l’accueillir sans attendre elles lui répondent deux amant·e·s qui ne cessent de tenter l’érotisme exténué·e·s par ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques2
je croise le regard de la femme assise à l’écharpe verte ses yeux sortent de l’ombre pour suivre la danse de nos corps ses jambes croisées ressentent l’urgence de s’ouvrir la passivité dont elle est prisonnière m’enfamme (être une muse n’est pas aussi excitant qu’on le pense) pour elle et pour toutes les autres3 je renverse la tête et j’en redemande encore
une mare de désirs nous berce nos va-et-vient se conjuguent je serre son corps jusqu’à l’ingérer la chaleur m’enivre j’ai envie d’être brûlée
la femme assise à l’écharpe verte vire à l’écarlate son euphorie fait chanceler les murs sous les secousses m’ébranlant je n’ai plus la force de m’y opposer la jouissance se proclame souveraine de ma chair le plaisir jaillit de ma gorge en hoquets convulsifs4 et un cataclysme s’échappe d’entre mes cuisses
épuisée je murmure bonne nuit pour la femme assise à l’écharpe verte.
J’ai des rideaux à brûler
Elena Dakkamessage envoyé par hasard à quatre heures du matin : t’es réveillé? pas besoin de plus, j’enlève les politesses inutiles. j’ai un seul but : te voir. je ferme mes rideaux en dentelle sachant très bien que mon voisin m’observe souvent à travers. j’allume une bougie parfumée à la lavande et modife pour la troi sième fois la disposition de mes oreillers. mon téléphone m’avertit : j’arrive. je décide d’éteindre la bougie. la dentelle, ça prend feu.
enroulée dans mon attente, je guette ton arrivée par la fenêtre. je détache mes cheveux, je les rattache, j’hésite à me couper une frange avec des ci seaux. j’endure l’impatience. les papillons de mon ventre remontent dans ma gorge, j’ai envie de les vomir pour m’en débarrasser. je ne sais plus si c’est une bonne idée. j’ai hâte de te voir. tu frappes à la porte. je laisse mes cheveux tomber en cascades sur mes épaules (je ne suis pas sûre de ce que ça veut dire, mais j’aime croire que mes cheveux ont le pouvoir de faire ça). je tamise les lumières – je sais que tu me trouves plus jolie dans la pé nombre. je t’ouvre, tu portes exactement la même chemise que la dernière fois.
tu nous verses du vin, tu ne me parles que de toi, tu ne m’as pas demandé comment je vais, tu ne m’as pas dit que j’étais belle. je m’imagine te casser un verre sur la tête. je me retiens. le sang, ça tache et mon immense t-shirt est blanc. je prends une gorgée. puis deux. à la troisième, j’oublie que ta personnalité m’agace, j’ai envie de toi. une partie de moi t’aime. mais une autre sait que ce n’est pas réciproque et que je me casse les dents sur la route de cet amour à sens unique. je t’embrasse, pour qu’on puisse enfn se taire.
je lèche tes lèvres, je ferme les yeux, je mords l’oreiller. j’ai une crampe à la jambe que j’essaye de dissimuler sous le plaisir. tu ne remarques rien, tu embrasses ma paupière gauche. je me donne en spectacle devant toi, mon unique audience (ne te retourne pas, mon voisin nous regarde). j’aimerais que tu puisses me déchirer la gorge, que tu découvres tous les poèmes qui s’y trouvent. on va dormir ensemble tu me dis que ta voiture est mal sta tionnée, que tu dois partir, tu me dis bye, tu es déjà dans l’embrasure de la porte. je n’ai plus envie de dormir.
j’ai 21 ans d’accord, j’en ai 23. aspirant à la maturité, je fais preuve d’une logique infaillible. ça m’arrive de frôler la folie, mais toujours de manière raisonnable. solliciter ta présence n’a aucun sens, je devrais m’interdire de te voir à tout jamais. de toute façon, tu ne m’intéresses plus. je vais reprendre le contrôle sur moi-même. cette fois, c’était la dernière, c’est fni. on se parle demain, hein? jour après jour, c’est un échec.
aujourd’hui, je change mes rideaux. j’en achèterai des plus lourds, des plus opaques, qui tomberont jusqu’au plancher. ces nouveaux rideaux englou tiront complètement ma fenêtre. mon voisin n’aura plus la chance de me voir (et toi non plus). je vais abandonner la manie de t’attendre fébrilement tard la nuit à tout moment. mon téléphone reste éteint, j’allume une bougie neuve. je prends le temps de savourer son odeur, de regarder sa famme danser. l’air de mon appartement est encore saturé d’envie.
j’éclabousserai les murs de parfum pour m’en débarrasser.
Annabelle Payant
Serveuse (20-25 ans).
Amie (18-24 ans).
Cliente Tim Hortons (rôle muet).
Employée 1. Copine d’Alex.
Annie (24-35 ans). Intéressante et drôle. Pas du genre « petite matante ». Elle est cool.
Jeune femme.
Cliente femme (25-35 ans). Look authentique. Kate (début vingtaine). Allure pas trop raffnée, mais unique. Collègue bureau femme (20-25 ans). Timing comique. Pas connue. Femme.
Flirt de Simon (30-35 ans). Femme (24-34 ans). Elle dégage une belle confance. Jolie. Infrmière (25-30 ans).
Voici la liste de tous les rôles pour lesquels j’ai auditionné dans les der nières années. Peut-on appeler ça des personnages? J’en doute. La plupart du temps, ils n’ont même pas de nom : seulement un genre attribué à la naissance ou, au mieux, une fonction.
Auditionner est un grand mot. Poser, fgurer ou parader serait peut-être plus acceptable dans ce contexte. Le plus souvent, votre réplique est impro visée ou réécrite le matin même. Inutile de vous préparer. Il se peut aussi que vous n’ayez pas de texte, que vous vous déplaciez seulement pour réagir — un regard complice, un air étonné, un sourire radieux. Surtout, ne faites pas un son. Vous avez un rôle muet. Il est interdit de vous entendre. Même les onomatopées sont proscrites. Silence.
On vous envoie un fchier PDF bourré de fautes et on vous attend vingtquatre heures plus tard dans un studio bétonné du Mile End. Il est requis d’honorer cette convocation de dernière minute. On s’attend à ce que vous
annuliez votre quart de travail, trouviez une gardienne, manquiez votre cours, déplaciez votre rendez-vous chez le coiffeur, le psychologue, le vétérinaire, le dentiste. Votre extraction des dents de sagesse peut certainement attendre. Votre colonoscopie aussi. Après tout, c’est peut-être la chance de votre vie. Le contrat que vous attendiez depuis si longtemps. Annulez tout, même vos va cances. C’est bien connu, vous quittez la ville une semaine et soudainement les opportunités pleuvent. Jouez à Tetris avec votre agenda. Sortez le Liquid Paper. C’est la moindre des choses. Ce rendez-vous glorieux d’une durée maximale de cinq minutes pourrait vous faire rencontrer un grand réalisateur. Un mentor. Votre âme sœur artistique. Qui sait?
Les studios sont vides. Le jury n’y est pas. Le réalisateur, comme toujours, est absent.
Un quadragénaire dont le visage vous dit vaguement quelque chose vous dirige. Diriger est un grand mot. Il vous dit quoi faire, vous le montre, vous le mime si à ses yeux vous manquez de vivacité d’esprit. Quelqu’un flme votre perfor mance — quelqu’un qui ne vous a même pas dit bonjour quand vous avez passé la porte. Si vous êtes chanceux, on vous laisse trois prises. Trois tentatives pour montrer qui vous êtes. Tout ce que vous savez faire. Pour dévoiler vos couleurs. Croquer la McCroquette.
Le réalisateur regardera peut-être la vidéo qu’on fera de vous. Peut-être pas. Vous ne le saurez jamais.
***
Avec les années, vous construisez tout un catalogue de vous-même. Des photos de casting reprises au moindre changement capillaire, ou parce que six mois plus tard, vous n’aimez plus vos clichés de la dernière séance. Votre ordinateur est saturé de vos portraits. De toutes ces fois où vous vous êtes flmé. Où vous avez passé des heures à refaire une scène stupide. Croquer le panini, boire le café, sourire de contentement dans le vide, sacrer contre votre animal de com pagnie qui est entré dans le cadre et a ruiné la prise. Laissé à vous-même, vous avez la possibilité de vous analyser à l’infni. Vous n’êtes jamais satisfait.
J’ai tapissé les murs de ma chambre de ces reliques. Collé tous les textes, les breakdowns, les photos. Recouvert le papier peint de tous mes angles, le bon profl, le mauvais. Une mini-rétrospective de moi-même. Une commémora tion privée organisée en l’honneur de mon acharnement. Ma volonté. Mon espoir. Déchus.
Il suffrait de craquer l’allumette. De regarder la famme jaillir, prendre de l’ex pansion. De lever le bras au-dessus de la tête. Puis, l’air déterminé, de lancer le feu derrière soi. Après, il ne resterait probablement pas grand-chose. Peutêtre quelques morceaux de visages cramés. Des mots orphelins, des syllabes amputées. Des miettes à donner aux oiseaux. Ou juste de la poussière.
Ce « je » humilié maintes fois n’existerait plus. Il serait loin derrière, se dissi perait dans le ciel. Sans une larme. Sans adieu.
Mon corps avance le long de la 132. Il marche tout seul. Sans jamais se re tourner. La grêle martèle mon crâne depuis L’Anse-à-Gilles. Je franchis SaintJean-Port-Joli. Onze heures avant Kamouraska. Ma terre d’accueil. Mon havre. Des voitures passent. Leurs phares broient mes iris. Ici, il fait noir. Pour voir quelque chose, on doit aveugler la nuit.
Une station wagon me dépasse puis s’arrête. Deux petits coups de klaxon. La vitre du côté passager s’abaisse. J’ai les yeux embués. Rien de discernable à part deux silhouettes. Des amoureux, des amis, des frères peut-être. On me parle. Un accent européen. Français. Pas un accent du sud. Un accent breton. Ou peut-être belge. On me demande où je vais. Kamouraska. Eux aussi. Un adon. On m’invite à monter. J’hésite deux secondes. J’embarque. Couvre de grêle la banquette arrière. Nous roulons. Doucement, ma vision se désem brouille. Des visages candides. Des cheveux de moutons malgré la calvitie. Ils me disent vaguement quelque chose. L’un me demande ce que je faisais à marcher dans la noirceur. J’avançais vers ma terre promise. L’autre me lance que vite comme ça, de dos, je ressemblais à Rosetta. Rosetta. L’homme du côté passager se tourne vers moi et me sourit. Un temps. Je lève les yeux et croise
le regard du conducteur dans le rétroviseur.
Je suis sur la banquette arrière des frères Dardenne. Luc. Jean-Pierre. Mes grands maîtres. Mes cinéastes préférés. Je me liquéfe.
— Et qu’est-ce que vous faites dans la vie?

Béatitude
Lyna Houchi
Scruter la foule
Le fot se scinde Du coin de l’œil Les regards ne se mentent pas
Cinq pas L’allure se détaille Palpitation frénétique décousue Reconnaître l’inconnue
La pupille éclate le cœur hurle martelé de douceur impossible (douces…) rivières veloutées fuant en fusion paumes errantes vallées fuyantes courbures complices
Elles n’osent franchir l’abîme les brèches les nœuds L’attente est indomptable
Esquisser l’ouverture
mais les lèvres closes (crever)
D’envies incomplètes
De solitude en crier sans bruit faire écho aux larmes d’extase sans visage purgées en prières s’esquiver s’abandonner à ses blasphèmes maux mouillés se maudire d’un même geste se retourner
Crever l’inatteignable en crescendo
combler l’abîme claquer les volets tendre les paupières effeurer les émeraudes incendiaires
au milieu de la rue regards dévoilés
s’affronter en image en perdre la raison prunelles en braises laisser l’attente se sublimer les entrailles s’enfammer exaltées des racines aux orteils se dévorer sans bouger se foutre du crime du brasier
béatitude.
J’ai jamais été casual
Zoé Larocque
C’est quoi ma couleur préférée? C’est tu une fucking joke. Ça fait huit mois que je put myself out there pour me faire demander ma couleur préférée?
Pis tsé quoi, tu m’écoutes même pas, tu louches sur mes seins. Tu vas avoir oublié dans 15 secondes ce que je t’ai dit, parce que t’es ce genre de gars qui parle pour s’écouter. Ce genre de gars qui pose une question parce qu’il jouit à l’idée que je dise « et toi? ». Ce genre de gars qui va me dire que j’es saye de sortir du moule si je dis jaune, que j’essaye d’être une flle unique. Spéciale. Originale. Pis que je mérite pas vraiment, pas réellement qu’on pense ça de moi. Non, je mérite pas ça, je suis just like other girls.
Pis tu le sais ça, parce que toi, tu les connais les autres flles…
Après tout, t’as une mère, une sœur, deux-trois amies que tu gardes autour au cas où elles daigneraient fnalement coucher avec toi, pis t’as fait venir au moins une flle sur trois depuis que t’es actif sexuellement. D’après toi, les flles qui disent jaune se mentent à elles-mêmes. Elles se font croire qu’elles sont NOT LIKE OTHER GIRLS.
La véritable other girls, pour ftter dans ledit moule, elle déclare bleu, en disant que c’est une bonne question, non ironiquement. Other girls, pour te plaire, va être d’accord avec toi. Other girls, elle aurait acquiescé quand tu aurais proclamé que ton ex c’tune folle, c’tune malade mentale, qu’elle était tout le temps frue pis qu’elle te suçait pas assez.
Donc. Tu veux pas que je dise jaune. Mais en même temps, tu veux pas que je dise bleu. Parce que t’es le genre de gars qui a crissement hâte de déver ser son monologue sur pourquoi le bleu est une couleur HAUTEMENT supérieure par son éternellllllle versatilité. Pis tu veux pas juste dire, « moi aussi, c’est le bleu ma couleur préférée », tu veux me RACONTER le bleu. Tu veux me dire, point par point, pourquoi t’es BRILLANT de dire bleu.
T’aurais pu dire rouge, couleur de guerre et de passion, mais non t’es un doux. Un romantique. Tu aimes le bleu parce que t’es un homme sensible. Un homme tendre qui va me demander si c’était le meilleur sexe de ma vie après m’avoir fait missionnaire six minutes. Le bleu, c’est toi tout craché. Tu le sais, tu te connais. T’es tellement apaisant. Bienveillant. Pis t’as une ESTI de GROSSE empathie. T’es un gars qui mérite mieux que other girls.
Mais l’affaire, là, c’est que other girls, elle existe pas. C’est tout le monde et personne en même temps. L’effet de comparaison ultime. C’est juste un autre criss de moyen de nous dresser les unes contre les autres.
Ça fait huit mois que je put myself out there , pis je me demande tout le temps si je suis sexiste de mettre un col échancré pour me faire payer des verres. Est-ce que j’ai le droit de profter d’un système qui m’avantage pas de toute façon? C’est tu correct de faire de la prostitution moderne soft version troc?
Pis c’est tu pas féministe de coucher avec le gars on the frst date? Je set tu un précédent? Est-ce que j’incarne toutes les flles du monde quand je prends une décision qui a pas d’allure? Est-ce que je set back la cause de 15 ans quand je joue à la conne? Tout ça, pour que quelqu’un tripe sur moi. Parce que c’est plate, mais ça marche. C’est bien connu qu’un homme bande de se penser plus wise que sa date. Pis moi, mon estime se résume à la validation que j’obtiens quand je me fais demander mon numéro. Ça là, ça s’appelle un win-win, sauf pour le féminisme.
Si je ris à toutes ses blagues, il va payer pour mes verres. Toutes ses bla gues, ça, ça inclut les poches, les misogynes, les racistes et aussi les blagues qui me donnent envie de m’excuser à la serveuse, pis de lui offrir tout mon compte-chèques pour sa position ingrate de dommage collatéral. Être forcée de regarder une wannabe-NOT-like-others-girls rire aux pires esti de call pour s’éviter le bill, ça doit porter atteinte à son intégrité.
Ça fait huit mois que je put myself out there , seulement pour pas réellement dealer avec ma solitude alors que je dis fèrement « hey criss que ça fait du bien d’être toute seule » et que je m’arrange pour avoir un minimum de deux dates par mois. Juste pour keep it light keep it fun. Esti que je l’ai l’affaire.
Pis je sais même pu à quoi je m’attends, c’est comme si le strict minimum était too much. Je suis pas une flle qui en demande trop, me semble. J’ai merais juste ça que quelqu’un me demande comment ma journée s’est passée. Bon, c’est sûr, je veux qu’il m’aime, me chérisse, pis me worship et qu’il écrive un recueil sur how fucking great I am.
Ce quelqu’un, il sait pas encore que quand je dis que je suis spontanée, ça veut dire que j’aime les surprises, mais que je pleure s’il déplace nos plans.
Il sait pas que j’ai peur du unknown, d’être seule, ou pire, d’attendre pour rien. Si on se marie pas éventuellement, dans plus ou moins cinq ans, pourquoi on se parle? Pourquoi tu accapares mes belles années, où rien pend, rien plie? Je suis souple, soyeuse et je me rase encore avant une pre mière date. Tu devrais te considérer chanceux de m’orbiter.
Ça fait huit mois que je put myself out there parce que l’idée de pas être amoureuse me freak out, mais l’idée d’être en couple me donne encore plus la chienne.
Pis j’ai compris que je tofferai pas huit mois de plus si je me refais deman der ma couleur préférée.
Mais bref, ce soir, c’est rose, ma couleur préférée. Mais je vais te dire bleu.
Pis on va défnitivement coucher ensemble si tu me payes un autre mojito.
Rèmedeleste
Élise Guerrero
le Rèmedeleste me fait grimper aux piliers de béton, quick quick ils me promettent pas d’argiles sensibles dans le sol, quick quick grimper aux quais anticipés, à la science-fction fossile de l’ossature grise
vite vite je lèche leur gorge de bourgeois cinquantenaires pour m’abreuver des hypocrisies qui pleurent de leurs lèvres du paternalisme qui bave de leurs yeux des projets comme le nôtre n’autres qui n’habitez pas sous ses voies
Rèmedeleste fais-moi grimper aux cravates de satin
je grimpe quick je grimpe mes ongles ancrés dans leur gorge pâle, rendue au menton je suis presque tête en bas, je suis Spider-Man sous le métro newyorkais, je lance mes pieux qui se balancent et se piquent entre le menton et la lèvre, je tire mon corps vers le haut, plante mes orteils sur le mou de leur langue qui ne profère que le masculin et je jouis des milieux naturels pleins de pissenlits
rendue si haut je suis nez à nez bouche bée avec le Rèmedeleste aérien, je crache un caillot d’asphalte sur la plateforme, quick quick empoigne mon fl de bave et y glisse comme sur une tyrolienne, atterris les deux talons dans le béton, je pète un coup et le grand vent le porte à leurs tympans, je pète plus fort que les rails mal fxés du CN et le vacarme de la construction
Rèmedeleste fais-moi grimper aux murets antibruits
quick quick donnez-moi de belles simulations silencieuses, des images pleines d’un désir pleines de boucane, quick un orgasme ferroviaire léger, une rame entre mes jambes, un pilier entre mes cuisses et mon pubis frotté sur le train
après ma houle des corps s’extirpent hors des fenêtres des maisons, s’acha landent sous les poutres, tremblent aux heures de pointe, la horde s’amal game avec des sons mouillés, des sons de souffe, yeux révulsés on hurle quick, oui, quick
Rèmedeleste fais-moi grimper au tablier
Rèmedeleste tout mon amour gravite vers Mercier et ma peur grimpe à ma peau, mes fuides biologiques font plus d’écho que les chantiers
la horde prend d’assaut la peau grise des ingénieurs civils, on ne voit presque plus leur pomme d’Adam monter et descendre, notre tribu prend l’emprise Souligny de haut en bas, de piliers en pylônes, sous notre poigne ils pro mettent des voies végétales bafouillent des BAPE, talk pissenlit to me et nous
c’est ce qu’on voulait après tout.
Respirer en haut
Lydia Roy-Simard
Mireille, 32 ans, est installée dans un hamac accroché au-dessus d’une grande fenêtre sans rideaux, dans le salon de son appartement. Elle lit. Sur le plancher, sous elle, on voit une tringle et des rideaux traîner un peu pêle-mêle. Près d’elle, il y a un escabeau.
Mélissa, la sœur de Mireille, 29 ans, cogne à la porte.
MIREILLE
Entre! C’est ouvert!
Mélissa ouvre la porte. Elle regarde à droite et à gauche dans la pièce.
MÉLISSA
Mireille?
MIREILLE
Regarde en haut. Je suis en haut de la fenêtre.
Mélissa lève la tête et y découvre sa sœur installée dans le hamac.
MÉLISSA
Ben voyons, qu’est-ce tu fais là?
MIREILLE
Ben, je lis. Pourquoi? T’as l’air surprise de me voir lire.
MÉLISSA
Non, mais qu’est-ce que tu fais en haut? Ça a l’air vraiment bancal ton affaire. Es-tu sûre que ça tient?
MIREILLE
Inquiète-toi pas : j’ai drillé ça dans le mur vraiment solide. Je suis rendue ici
parce que depuis quelques temps, tout me tape sur les nerfs en bas. Pis comme j’étais un peu tannée de briser mon habillage de fenêtres, je me suis dis que ça serait peut-être une bonne idée de m’arranger pour rester un peu plus longtemps en haut.
MÉLISSA
De quoi « briser ton habillage de fenêtres »? Je comprends rien.
MIREILLE
Trois fois. Trois fois hier que j’ai essayé de grimper aux rideaux. Une fois dans le salon (pointe les rideaux par terre) pis deux fois dans la cuisine.
MÉLISSA
Mais… pourquoi tu fais ça?
MIREILLE
Ben, je sais pas si t’as remarqué, mais des rideaux là, on en trouve autour de chaque esti de fenêtre. Fait qu’à un moment donné, ça a été plus fort que moi. C’était comme un appel.
Mireille essaie de se redresser dans son hamac en tentant de s’agripper maladroitement au mur.
MÉLISSA
Attention, tu vas tomber! Là, descends de là, tu me stresses. Tu vas te co gner la tête pis… pis tu vas mourir! C’est dangereux en haut. En bas, c’est stable. (elle tape du pied sur le sol) Tu vois? Ça s’appelle un « plancher ». C’est fait pour soutenir les gens.
MIREILLE
Non, toi monte! Tu vas voir : ça fait vraiment du bien!
MÉLISSA
Es-tu malade? Je monte pas là.
MIREILLE, lentement et doucement, style hypnose Ok. Respire et écoute le son de ma voix. Là, tu vas penser à ta facture d’Hydro
Savais-tu qu’ils ont encore augmenté les frais en janvier?
MÉLISSA
Je vois pas le rapport avec mon compte d’Hydro. Go, là, descends!
MIREILLE, lentement et doucement, style hypnose Charles. Pense à ton ex Charles quand il oubliait tout le temps de refermer les portes d’armoire. Ou quand il oubliait de vider l’eau de son bain. Ou quand il -
MÉLISSA
Voyons, je m’en fous de Charles, ça fait longtemps que je suis passée à autre chose.
MIREILLE
Même si je te rappelle le bruit qu’il faisait quand il mangeait des céréales devant la télé? (fait le bruit avec sa bouche)
MÉLISSA, se bouche les oreilles Ark! Arrête, arrête, arrête! Ok, ça. Ça c’était insupportable.
MIREILLE
Ok, fait que tu viens-tu en haut?
Mélissa se dirige vers le sofa et s’assoit dessus. Elle regarde sa sœur en haut.
MÉLISSA
Tu me décourages.
MIREILLE
C’est tellement votre vie à vous autres ça, les gens d’en bas : « être décou ragé·e·s ».
MÉLISSA
Mais peut-être parce que nous autres, le « monde d’en-bas », on gère mieux nos émotions? Peut-être qu’on vit une belle relation, nous autres , avec nos rideaux?
MIREILLE
Regarde. Je comprends que tu saisisses pas tout. Mais tu vois, pour moi, m’installer ici, c’est un peu comme prendre des vacances. Si j’étais partie dans le Sud, personne me jugerait de prendre un break. Mais là, au lieu d’al ler me perdre à genre Cayo Coco pendant une semaine, j’ai juste à regarder par ma fenêtre pis j’ai accès gratuitement à l’horizon. (elle regarde par la fenêtre) Wow! Eille, y’a un chat qui traverse la rue! (se retourne vers Mélissa) Pour vrai, tu serais vraiment étonnée du bien que ça fait. En haut : pas de ménage à faire, pas de vaisselle, pas de lunchs -
MÉLISSA
Mais attends : comment tu fais pour faire pipi?
Les deux sœurs se regardent en silence pendant quelques secondes.
MIREILLE
Là, tu poses beaucoup trop de questions.
MÉLISSA, long soupir
Bon, ok. S’il faut que tu meures, j’aimerais mieux mourir avec toi. Fait que... par où il faut que je passe pour monter?
MIREILLE
L’escabeau est juste là! (pointe l’escabeau à côté d’elle)
Mélissa monte dans l’escabeau pour aller rejoindre Mireille. Les deux tentent maladroi tement de se coucher l’une à côté de l’autre dans le hamac, passant très près de tomber en bas à quelques reprises.
MIREILLE
Pis? C’est cool, en?
MÉLISSA
J’avoue que c’est quand même un petit peu excitant le feeling d’être au-dessus de nos affaires. Dans le sens de « toutes les affaires à faire sont en bas », là.
MIREILLE
Bon, tu vois!
MÉLISSA
En tout cas, faut que je t’aime en maudit pour faire des niaiseries de même.
MIREILLE
Tout est toujours une question de perspective, ma sœur. Si on se sent en paix où on est, dans le moment présent, ça nous aide à profter un peu plus de la vie. Moi aussi, je t’aime.
Mireille et Mélissa proftent silencieusement de ce moment de partage et de plénitude. On entend soudainement des pas décidés provenant de l’appartement au-dessus, puis un bruit de drill.
VOISINE D’EN HAUT (voix off – un peu lointaine, mais audible) (crie) Pu capable! Argh!
On entend un objet métallique tomber sur le sol.
MÉLISSA
Penses-tu que ce serait une bonne idée d’aller parler « rideaux » avec ta voisine d’en haut?

Marylène Mayer
Si je m’ouvre c’est pour dire absence
Je sais dire trop peu mais j’écoute beaucoup il me semble qu’entendre s’ap proche de vivre. Il y a tant de mots qui glissent sur ta langue là où ça re trousse pour m’accueillir. J’annote les pages de garde de tes recueils pour dire s’il faut que tu m’écrives commence par la faille ouverte aux étoiles. C’est toujours par là que les femmes sont créées qu’elles sont pensées. Je m’écarte toute grande me déplie pour que tu aies de quoi m’inventer en fêlure tu me poétiseras par la négative en partant du rien entre les jambes. Je dis écris-moi de travers comme tu écrirais ce qui n’existe pas.
J’ai lu quelque part les flles mentent dans leur journal intime parce qu’elles espèrent et moi je mens c’est dire j’espère pouvoir me défaire les mots du corps me libérer la parole engluée au fond de la gorge. Je passe le crayon sur mes lèvres y laisse des traces d’encre bleue comme des chemins à suivre me nant à la nuque là où tout le poids pèse. Il y a des erreurs à encercler je laisse des croix dans la marge pour indiquer l’endroit où ça fait mal. Je couche mes riens sur le papier pour que mes hanches tanguent et que le reste suive jusqu’à ce que tout soit tordu. Je m’écris dans le monde en femme disjointe.
Si je rédige les dents serrées et que je lis diffcilement c’est que les mots font violence s’agrippent et égratignent de l’intérieur la douleur saillante là où on me dit épouse mère ou absente. Les théories qu’on me vante fon datrices s’effritent sous les grands silences des oubliées. Moi je meurs un peu chaque fois que je m’émeus pour des poésies tracées par des mains coupables chaque fois qu’une larme est versée devant une toile peinte dans l’horreur d’un corps fragmenté chaque fois qu’on me dit trop personnelle trop subjective trop vivante. Les femmes c’est moi et on me voudrait morte.
Ta langue serpente derrière mes oreilles et calme les ardeurs quand la rage sort des intérieurs bouillants. Tout a fondu au-dedans et je dis passe ta main dans mes cheveux que je continue à lire. Si tes doigts ne me retiennent pas par la racine je serai avalée ça m’appelle entre les pages on s’attend de moi
que je dénude les épaules pour y entrer. Tu me couvres de phrases inache vées qui se referment sur elles-mêmes pour que je n’aie pas à dire. Il y a enfn l’apaisement dans le vacarme et la lecture se poursuit la poésie passe mieux quand on ne l’entend pas.
Je m’éloigne des amours et du mot femme qui me reviennent pourtant toujours. J’écris pieds nus et cœur nu les mains argentées par la mine un dictionnaire posé sur les cuisses pour la forme. Je sais que mon nom ne s’y trouve pas ni celui de mes sœurs. Le mot sororité dans les s là où il n’y aura pas de défnition les groupements de petites insignifances font peur lorsque vient le temps de les rédiger. Je dis écris-moi par la faille mais je préfère que tu ne m’écrives pas du tout pour que je revêtisse la dentelle et me joigne au bal des absentes. La dentelle comme moi n’existe que par ses espaces vides. Je suis de celles qu’on pense en écueils.
Les jambes ouvertes et la bouche fermée la langue bien soudée au frein j’écris à en perdre la force dans les doigts pour ne pas être entendue. Tu me veilles laisse un crayon à l’encre dans le creux de ma paume et une tasse dans laquelle laisser couler mes peines afn que j’arrive à déposer mes cris sur les pages le moment choisi. Le sommeil n’arrive jamais je te tente et te laisse entrer méfante des mots qui adviendront demain. Les jambes entre lacées autour de la gorge pour dire refuge en attendant de rejoindre celles qu’on a oubliées.
Il n’existe pas d’oubli sans les mots pour le nommer pas de mots sans si lence et pas de paroles sans absence. Moi je sais que la rage ne s’éteint pas qu’elle se cultive dans l’écriture là où on ne pense plus à celles qui hurlent. Si tu me veux couchée sur le papier il faudra me retourner de l’intérieur pour m’étudier en partant de la faille.
Je ne suis pas pleine je suis femme.
Daniel Sigouin
I. Ouverture. Pieta tristamente
Le Saint Chrême aux parfums de javel et de clercs met fn au carême. Je m’érige sur le Calvaire en croix démembrée. Ma crucifxion désarmée n’est qu’un membre hémophile : sa lance veut percer les côtes jusqu’à l’hérésie. La croisade s’achève sur un gorgoton rempli des éclairs du Golgotha. Mes yeux n’ont pas la honte des gorgones, mais ma chevelure salamandre siffe une tempête prémonitoire de Pentecôte.
Depuis mon ciel de lit jusqu’aux ténèbres, expie le tonnerre : sa déchirure prostitue le temple de Salomon. L’infdélité de milliers d’hommes lessive le linceul immaculé de pierre en fls. Ivre de ma vendange, je laisse la vierge exsangue ; ses enfants livreront leur corps à l’eucharistie de mes gonades pneumoniques.
(Attaca.)
II. Ballet. Tasto solo
La vague févreuse sonne le crescendo des minuits. Au raz de la ligature, une ronde crochera le silence.
Motus et bouche-oreille : palper le frisson de l’écume. Le clocher claque et assourdit la langue. Ses papilles muettes s’empâtent à la toile, et son battant coud de lèvre en lèvre. Houle de la panse : l’écho salive aux ombres digitales. Les phalanges attouchent les anses indicibles de la fûte à bec ; à la faussure, l’orgue asthmatique soupire. Et sous la robe, se tisse en sourdine la lie diluvienne.
(Intermezzo. Ô! l’alluvion! Je veux la boire jusqu’à l’érosion.)
III. Aria. De viva voce
J’apprends l’Éden :
La minceur des murs est à jouir, Quand les louves accouchent, Avec des rires d’hyènes.
Maintenant, j’ai faim.
RIDEAU.
Catherine Paquet
Le corps nu de la Grande disparaît dans le souffe de sa bouche ouverte sur le miroir. Elle met du mascara par mouvements rapides en clignant des yeux dans les restes de vapeur chaude. La toilette coule non-stop dans la minuscule salle de bain sans fenêtre, un gargouillis gossant qui résonne sur la céramique. D’une main, la Grande tient le tube de Lash Blast Volume Waterproof orange fuo, de l’autre, elle monte le volume de son iPod plug gé au speaker sur le réservoir – « Hollaback Girl » de Gwen Stefani. Dans l’élan, elle renverse le verre Igloofest qui contient les brosses à dents. S’en écoule un jus épais et blanchâtre qui infltre les joints des dalles du plancher, serpente entre les carreaux et mouille la tête des deux brosses à dents. Ark esti. La texture du liquide lui rappelle celle du sperme, bave sirupeuse qui s’étend plus on la nettoie. La Grande se souvient de la sensation au fond de sa gorge. Un genre de mucus amer-salé. Elle jette les brosses, tourne sur elle-même, fouille le périmètre des yeux, laisse enfn tomber le mascara sur le rebord de l’évier et se résigne à éponger le dégât avec l’essuie-main. Fucking serviette de marde qui absorbe fuckall. Qui spread le sperme partout. L’image fait tressauter son bas-ventre d’un épicurisme curieux. En se re levant, elle croise son regard pétillant, constellé de taches de pâte à dents.
Grande inspiration, elle s’empare du eyeliner et retourne se coller à l’ar moire pharmacie. Petite wing à gauche, petite wing à droite – un pas de recul pour constater... l’asymétrie – retouche à gauche, retouche à droite, gauche, droite, gauche, droite, jusqu’à avoir l’air d’Amy Winehouse dans ses jours les plus glorieux. À peine retenu par le silicone en lambeaux, le lavabo wiggle au rythme des touch up inutiles. Un cerne rougeâtre borde le drain recrachant quelques cheveux mauve bleuté : un mandala de crasse. Tout est bancal, croche, sale. Mais de ce grotesque et de la lumière jaunâtre du plafonnier émerge une incandescence lascive.
Quand la Grande s’applique du lipstick aubergine-presque-noir, une perle d’eau glisse de ses cheveux relevés. La goutte ondule de son cou vers son
mamelon gauche, qui durcit. Elle le frôle de son avant-bras tout en s’affai rant à obscurcir ses lèvres entrouvertes. Elle libère sa crinière et chatouille son sein droit de ses mèches humides pour le faire bander à son tour. Puis elle recule pour admirer ses boobs, fermes malgré les vergetures qui les auréolent. Elle les empoigne pour qu’ils débordent de ses mains et gonfent entre ses doigts, se jette un regard provocant. Tu vas en briser des cœurs avec ces yeux-là, lui avait dit le voisin d’en face quand elle était la Petite. La Grande écoute le battement du sien, son cœur, qui accélère à mesure qu’elle glisse de pensée en corporéité, d’épiderme à refet.
Lentement, elle fait couler une traînée de crème à l’aloès de marque géné rique sur son ventre. Son abdomen tressaille sous la gelée laiteuse. Elle la répand de son nombril vers ses hanches, dont elle suit la courbe du bout des doigts. Descend jusqu’à ses fesses, les serre un peu, les masse soyeusement. Sa peau brille, d’une moiteur fraîche qui rappelle la condensation dans une annonce de Perrier. La Grande se cambre pour s’offrir un angle à la Kar dashian : cul sorti tête par-dessus l’épaule, menton incliné. Chaude. Vraiment chaude. L’envie la pogne par le ventre.
Elle sort furtivement pour pas que le coloc la voie, sur le bout des orteils. Drift au coin de sa porte de chambre – restait un peu d’eau sous la plante de ses pieds. Frisson. Ferme la porte, ouvre la lampe de chevet rose et le premier tiroir de la commode, plonge dans le fouillis de lingerie noire. Elle en extirpe une bralette avec sa matching culotte échancrée qui sangle les lèvres comme elle l’aime, les enfle en frétillant d’excitation.
Magie des ombres, du clair-obscur sur les virages du corps ; elle ne spot plus les poils qui dépassent ni l’éternel bourrelet. Dans le sépia de la chambre, il ne reste plus que sa shape, fatalement femme. La Grande caresse la résille aux mailles serrées qui recouvre sa poitrine, trace des sentiers aléatoires sur son bassin. Elle suit ses mains des yeux dans le miroir de la vanité. Son regard s’accroche aux boucles étincelantes à ses oreilles, et elle, elle se cram ponne au feeling de son index qui glisse entre ses cuisses, de la pression qui augmente. Insaisissable miroitement, émoi vertige doux. Je devrais me faire un OnlyFans. Y a du monde qui payerait pour voir ça. Devant son spectacle, elle res pire fort, semi par exprès, semi par plaisir. Elle tire la fourche de sa culotte, le tissu presse délicieusement les zones sensibles, elle gémit, glisse parfois
ses doigts dans sa chatte, se tease, mouille. Chaque muscle de son corps se contracte, se crispe, se concentre sur le toucher habile de ses doigts cou lants, glissants sans aucun lube. Une envahissante vague de plaisir monte de ses bobettes. Quelques paillettes traînent ici et là sur la vanité ; extase épar pillée, presque jouissance. Not yet. La main gauche dans la culotte, la droite grab son cell, ouvre la caméra puis l’accote sur le miroir. L’objectif vers elle sur retardateur en contre-plongée ; elle saute sur la douillette mauve.
10 secondes face à la caméra:
elle se place à quatre pattes, s’admire la main retourne vers le sexe
9 -8 -7
croupe retroussée, hanche découpée épaules prosternées smudged cat eye, cheveux défaits
6-5-4 clito pompé entre l’index et le majeur, culotte soakée de cyprine, lèvres ruisselantes,
3-2 soubresauts miaulements, spasmes, 1
petite mort immortalisée.

1 Pablo Picasso, Femme assise à l’écharpe verte, 1960.
2 Colette, Le blé en herbe, 1923.
3 Dora Maar, Adèle Bloch-Bauer, Mona Lisa, La jeune flle à la perle, La dame à l’hermine...
4 Joyce Mansour, Spirales vagabondes et autres parallèles inédites en laby rinthe, 2018.
COMITÉ ÉDITORIAL
Isabel Corona
Madeline Tessier
Mathilde Vallières
Amélie Ducharme
Florence Lavoie Juliette Lapointe-Roy ILLUSTRATIONS
Sophie Langlois @croissants_de_soleils
CONCEPTION GRAPHIQUE ET MISE EN PAGE
Florence Lavoie Isabel Corona
RÉVISION LINGUISTIQUE
Florence Lavoie Camille Garant-Aubry
IMPRIMÉ CHEZ
Le Caïus du livre 2177 rue Masson, local 111 Montréal, H2H 1B1 (514) 524-9542
Dépôt légal 2022 Bibliothèque et archives Canada Bibliothèque et archives nationales du Québec ISSN 1929-8552 (imprimé)
LIEU COMMUN REMERCIE
Le Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill ainsi que l’ADELFIES et l’AGELF
The team would like to acknowledge the fnancial support of The Arts Undergraduate Society and The Post-Graduate Student Society 2022, Tous droits réservés
