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Si je m’ouvre c’est pour dire absence
Marylène Mayer
Je sais dire trop peu mais j’écoute beaucoup il me semble qu’entendre s’approche de vivre. Il y a tant de mots qui glissent sur ta langue là où ça retrousse pour m’accueillir. J’annote les pages de garde de tes recueils pour dire s’il faut que tu m’écrives commence par la faille ouverte aux étoiles. C’est toujours par là que les femmes sont créées qu’elles sont pensées. Je m’écarte toute grande me déplie pour que tu aies de quoi m’inventer en fêlure tu me poétiseras par la négative en partant du rien entre les jambes. Je dis écris-moi de travers comme tu écrirais ce qui n’existe pas.
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J’ai lu quelque part les filles mentent dans leur journal intime parce qu’elles espèrent et moi je mens c’est dire j’espère pouvoir me défaire les mots du corps me libérer la parole engluée au fond de la gorge. Je passe le crayon sur mes lèvres y laisse des traces d’encre bleue comme des chemins à suivre menant à la nuque là où tout le poids pèse. Il y a des erreurs à encercler je laisse des croix dans la marge pour indiquer l’endroit où ça fait mal. Je couche mes riens sur le papier pour que mes hanches tanguent et que le reste suive jusqu’à ce que tout soit tordu. Je m’écris dans le monde en femme disjointe.
Si je rédige les dents serrées et que je lis difficilement c’est que les mots font violence s’agrippent et égratignent de l’intérieur la douleur saillante là où on me dit épouse mère ou absente. Les théories qu’on me vante fondatrices s’effritent sous les grands silences des oubliées. Moi je meurs un peu chaque fois que je m’émeus pour des poésies tracées par des mains coupables chaque fois qu’une larme est versée devant une toile peinte dans l’horreur d’un corps fragmenté chaque fois qu’on me dit trop personnelle trop subjective trop vivante. Les femmes c’est moi et on me voudrait morte.
Ta langue serpente derrière mes oreilles et calme les ardeurs quand la rage sort des intérieurs bouillants. Tout a fondu au-dedans et je dis passe ta main dans mes cheveux que je continue à lire. Si tes doigts ne me retiennent pas par la racine je serai avalée ça m’appelle entre les pages on s’attend de moi
que je dénude les épaules pour y entrer. Tu me couvres de phrases inachevées qui se referment sur elles-mêmes pour que je n’aie pas à dire. Il y a enfin l’apaisement dans le vacarme et la lecture se poursuit la poésie passe mieux quand on ne l’entend pas.
Je m’éloigne des amours et du mot femme qui me reviennent pourtant toujours. J’écris pieds nus et cœur nu les mains argentées par la mine un dictionnaire posé sur les cuisses pour la forme. Je sais que mon nom ne s’y trouve pas ni celui de mes sœurs. Le mot sororité dans les s là où il n’y aura pas de définition les groupements de petites insignifiances font peur lorsque vient le temps de les rédiger. Je dis écris-moi par la faille mais je préfère que tu ne m’écrives pas du tout pour que je revêtisse la dentelle et me joigne au bal des absentes. La dentelle comme moi n’existe que par ses espaces vides. Je suis de celles qu’on pense en écueils.
Les jambes ouvertes et la bouche fermée la langue bien soudée au frein j’écris à en perdre la force dans les doigts pour ne pas être entendue. Tu me veilles laisse un crayon à l’encre dans le creux de ma paume et une tasse dans laquelle laisser couler mes peines afin que j’arrive à déposer mes cris sur les pages le moment choisi. Le sommeil n’arrive jamais je te tente et te laisse entrer méfiante des mots qui adviendront demain. Les jambes entrelacées autour de la gorge pour dire refuge en attendant de rejoindre celles qu’on a oubliées.
Il n’existe pas d’oubli sans les mots pour le nommer pas de mots sans silence et pas de paroles sans absence. Moi je sais que la rage ne s’éteint pas qu’elle se cultive dans l’écriture là où on ne pense plus à celles qui hurlent. Si tu me veux couchée sur le papier il faudra me retourner de l’intérieur pour m’étudier en partant de la faille.
Je ne suis pas pleine je suis femme.