vois-tu ce que je te dis ce que je prends dans mes mains huileuses et ouvertes mes mains de femme démontée comme tu m’aimes quand je me prête au jeu quand mes mains s’agrippent à toi et que je crie doucement je n’irai nulle part
Éditorial fragmenté
stagnation
Amélie Ducharme 30 janvier 2023
Éditorial fragmenté
mon homme la bête pullule le soir de tes 13 ans sors de son réveil fais vite trouve un abri tu connais ta chambre mieux que personne l’armoire fous-t’y et restes-y elle te fera pas sortir mon homme dissimule ton entrejambre faute d’un lièvre perspicace t’es mieux que ça inspire expire mon homme elle est là fuck it. fais d’une pierre deux coups prends ton destin par les cornes et la bête par la queue
tôt ou tard
3 février 2023
César Al-Zawahra
Éditorial fragmenté
Un élan, deux élans
Que faire
Partout, je suis en dehors
Tout part d’une unité
Tout diverge
Tout m’échappe
Comment trouver
Une destinée résistante
Qui ne se fera pas percer
Comme moi par ces extrémités
Comment trouver la force
De rassembler, lier ces épines dispersées
D’affronter ce qui me chasse
Ce que j’alimente en munition
Irina Kjelsen 17 février 2023
Éditorial fragmenté
dans le fauteuil horaire dans le bureau hebdomadaire
130 dollars de l’heure chaque semaine 520 par mois 6240 par année combien d’années
je pourrais rester ici
je pourrais rester agrippée à mon taureau mécanique jusqu’à ce que je n’en puisse plus de mettre des mots sur « ce qui m’est arrivé » jusqu’à ce que je n’en puisse plus de serrer son flanc de dire non je ne vais pas lâcher sinon je m’écrase dans le matelas qui m’avale gagnée à l’usure
les heures s’accumulent entre les quatre murs le passé s’entasse doit se faire plus petit
je n’ai pas flanché cette fois-ci ça ne m’a rien fait j’ai battu le temps c’était facile
je continue de nommer de dire la honte et tous les autres mots qui sont infiniment les mêmes pour celles comme moi celles qui sont recalées aux bureaux et aux fauteuils taureaux mécaniques ce fauteuil qui fait tout pour m’expulser
si je pouvais m’y brocher j’attendrais de voir si un jour il vient à bout de moi ou moi à bout de lui
Juliette Lapointe-Roy 24 février 2023
J’ai dans mes poches un couteau 10
Zoé Larocque
Le taudis 12
Loriane Comeau
Religieuse à l’anguille 13
Margot Ferrera
Parlez cornes 14
Nour Desrousseaux reprises 16
Philippe Green
Fuite en cinq temps 20
Margaux Blair
je fabrique 23
Alexandru Fechet
Désarticulée 26
Stéphanie Michaud
Des adventices poussent partout dans ma tête 29
Élise Guerrero
Ariane Beaudry
Chambre d’hôpital 32
Vicky Bernard
Le huitième cercle 34
Célia Wagenfuhrer
J’ai dans mes poches un couteau
Zoé Larocque
J’ouvre chaque boîte
Pour ensuite la verrouiller
Je cachette chaque lettre
Alimente l’incendie
Un subtil dégoût
Quand tu existes sans moi
Tu ne me nommes pas
Je survis tous les silences
Ne m’appelle pas
J’ai ton nom tatoué derrière mes lèvres
Après tout
On a vu ensemble tout ce qu’il y avait
De beau
Ma valise retourne au sous-sol
Les hublots oublient notre reflet
Tu me demandes
Entre désir et mensonge
De fermer les yeux
Sous tes mains sur
Tes contradictions
C’est dans le noir que tu me souris
À tâtons dans les draps
Je cherche la version de toi
Qui m’appartient
Dans mon lit de miroirs
Je m’endors en fracas
Je te regarde
Entre orgueil et amitié
Tu refuses de nous faire justice
De come back home
Et changer tes croyances
D’un bout à l’autre du couloir
La distance n’a pas eu raison de nous
Aujourd’hui
Cachés derrière nos frontières
On perdure
Dans toutes les églises
Je garde mon nom
J’ai cassé mon vase
Entre deux déménagements
Entre deux vols
J’ai dans les os
L’absence
Convenue
De roses en février
Je garde sous mes hanches
Un frisson
En souvenir de toi
Ta langue a plus de mots que la mienne
Et j’espère encore de tes nouvelles
Pour tromper l’attente
Je prends le déni par les cornes
J’alterne l’objet de mes larmes
Dans mes rêves
Tu pointes le sang dans mon dos
Le taudis
Loriane Comeau
Je me range sur le seuil de son taudis, en califourchon sur le coin des mouchoirs encrassés. Je laisse son souffle sécher sa bave, graver la saleté sur ma peau. J’existe en pli sur un matelas double. Je coma.
J’ai les symptômes en sourdine, noyés dans sa barbe qui sent le chêne. Je me sens m’effriter en petits éclats de verre, retourner à l’état sableux. Je pleure en douceur que mes jours grugent mes papillons, mon ventre et le reste. Mes gestes se gênent. Je rampe.
Je repasse et je liste un tas d’ongles rongés, de Laloux, d’eau salée, de films-anesthésie. Les draps se tachent et durcissent. Mes doigts se perdent dans les trous de cigarettes. Je tripote agressivement le briquet des Canadiens, je le gratte, m’y abîme les doigts. Je m’agite.
J’essuie en horreur le sexe qui file sur mon corps en sangsue. Je regarde mes jambes se gercer, ma peau se tordre et se fendre, mes cheveux se déraciner. Ma bouche est en marbre, mon dos perd son arc. Je m’insurge.
Je déchire le coton et j’étends mes membres. Le plancher souffre de ses pas surchargés, se cache sous les lambeaux de draps perdus. Ses bras s’allongent et je m’élargis. Ses dents se pavanent, se dressent en rang dans le creux du trou noir. Ma peau s’épaissit. Je me forge un habit de bataille. Je m’enrage.
Je le dévore comme il le fait, lui arrache tout du crâne. Mes jointures s’excitent, se gâchent, se percutent en festivité. Je souris le sourire rouge. Mes genoux se creusent dans son centre. Je cloue mes ongles à son torse, ses taches de sueur. Je regarde les fils de coton emmêlés qui se joutent sur le matelas double, je les noie dans sa gorge. Je brise ses formes, ses longues lignes qui terminent au bout du drap. Je casse.
Je contemple le corps calme et les clous rouillés du taudis. Je m’écarte, me considère. Je marche sur les fils, fais gémir les planches. Je ramasse le coton et j’essuie les cris sur ma peau. Je quitte.
Religieuse à l’anguille
Que servir à l’amant·e qui crache dans notre bouche ?
Une seiche dans son encre, un agneau d’argile ?
Mais à toi je donne la pitance habituelle.
Du mezcal, des mandarines au sel, et du verre brisé.
Va, je ne te hais point.
Je suis trop polie et tu as l’estomac fragile.
À ta gauche, j’ai posé le pain blessé
– À la mie bleue pleine d’ongles –
Dans lequel a craché à son tour
L’apprenti·e de l’Ange Boulanger.
Et à ta droite, une religieuse à l’anguille.
Margot Ferrera
Parlez cornes
Nour Desrousseaux
« Vous tous qui vous taisez parce que la tâche vous paraît impossible, vous tous qui préférez le silence au cri, vous tous qui couvrez les plaintes des malheureux, parlez cornes ! Parlez cornes et vous serez sauvés lorsque le signe de la bête poussera sur vos têtes ! Le corps ne ment pas, la fatigue que vous ressentez vient de votre tête chauve. Il vous faut accueillir la Vérité. »
Le prophète de malheur est de nouveau à l’emplacement habituel, à l’angle de l’avenue Henri-Julien et de la rue Jean-Talon. Entre le marchand de légumes et la plaque d’égoûts, il s’égosille en vain devant les passants aux yeux assoupis. Ils n’écoutent plus la complainte de la Cassandre du quartier depuis bien longtemps. Avec son pardessus vert passé et sa canne qu’il agite dans tous les sens, notre pasteur fait bien peine à voir. Son auditoire passe son chemin, change de trottoir ou regarde par terre et accélère le pas. Un homme s’approche et, le prenant pour un mendiant, lui dépose une pièce. Notre héraut ne l’entend pas de cette oreille et vlan, lui renvoie la pièce qui atterrit retentissante sur le front du malheureux. La pièce sonne et tombe dans le caniveau. Tout cela dans l’indifférence générale. Personne ne s’est retourné vers notre oiseau de malheur.
Après tout, qui peut leur en vouloir ? Qu’est-ce-que c’est que cette histoire de cornes ? Qui est cet huluberlu qui dérange le calme de ce quartier paisible ? À cause de son obsession pour les cornes, on le surnomme Moïse, celui qui a mené tout un peuple et porté sur son dos un fardeau immense. Mais personne ne fait plus confiance au Verbe. Il crie tellement que sa voix finit par dérailler. Jour après jour, il la perd davantage. Pourtant, il tient bon. Tant bien que mal il gonfle ses poumons. « Parlez cornes, parlez cor…nes, n’oubliez pas que le monde doit être renversé ! Il faut changer de perspective et reculer à pieds joints ! ».
Mais voilà qu’un beau matin, il n’est plus venu sur la place du marché. À sa place habituelle se tenait bien plié son pardessus, et sa canne posée juste à côté. Je me suis approchée par curiosité. Les nippes du personnage m’atti-
raient étrangement. Je jurerais que ce n’est pas moi qui ai saisi la canne mais qu’elle est venue à moi, d’elle-même elle s’est trouvée dans mes mains. Le pardessus me parut soudain brillant et neuf comme au premier jour. À qui avait-il appartenu ? Je ne me souvenais déjà plus. Mais il était parfaitement à ma taille. Pourtant étais-je celle qui avait été appelée ? Que faire si je prenais la place d’un autre ?
Mais il y avait un feu dans ma gorge, quelque chose voulait en sortir. Je ne connaissais pas ces mots, ce n’était pas les miens. Et pourtant je n’avais jamais entendu quelque chose d’aussi beau. Était-ce vraiment moi qui réveillerait les hommes ? Mais déjà je ne parlais plus, je chantais l’alliance nouvelle entre les hommes et la Qeren. Au loin se dressait la masse des indifférents.
Pourquoi sont-ils tous habillés de gris ?
La tâche est énorme.
En vain l’on parlera de cornes. En vain je tenterai de les alerter. En vain je frotterai les deux petites bosses sur mon front pour les empêcher de grandir. Mais je sais pourtant que ni l’indifférence, ni le silence de mon peuple ne m’écorneront. Le vent aura beau souffler, ma voix plus forte, parviendra à vos oreilles.
Philippe Green
I. quand
la petite mort frappe l’épaisseur du réel me sépare de la lame
je fixe alors l’étrange pulsation dans mon bras – on dirait que ça veut sortir me bondir au visage –chaque fois cette sensation qui se souvient
toujours la peur du malheur qui ramène à moi l’éveil du langage de l’attente
les espoirs passent et se retrouvent
je cesse de retracer le passé aussitôt que la lame s’émousse
je me refais une vie amorce la trentaine sur une énumération –
se déchausser de l’espoir des autres repousser l’affection qui s’enracine et redevenir anonyme
je saute d’une langue à l’autre l’expérience d’une réalité qui s’allonge –je documente les manques de mes rêves réinvestis promettre de ne plus revenir à la maison
parfois je m’efface dans le paysage j’arpente le passage des pieds sur un pavé séculaire pourtant je m’arrête frappé par l’hypothèse d’une rencontre
je dépose mes bottes alla sua porta
sur le parcours de lèvres étrangères
je retrouve mon visage l’évocation d’un ailleurs s’anticipe dans un fantasme aux airs salins
je me désaxe pour un regard de Malte
je m’éprends des mots qui s’adressent bien souvent à la candeur sur mon visage –cette joliesse de rêver d’un langage après avoir goûté aux reprises de la petite mort pieds nus sur les pavés je poursuis ma liste recycler sa présence sans oublier cachée en poche la lame émoussée
Fuite en cinq temps
Margaux Blair « Votre pays vous hait, votre époux est sans foi : dans un si grand revers, que vous reste-t-il ? » — Corneille
Tu erres sous la lumière crue des néons de la pharmacie. Tes pas résonnent dans l’allée, tu es une des seules clientes. Il est tôt, tu as devancé les pèlerins quotidiens qui quémandent des pilules, des prescriptions, des pommades, qu’en sais-tu ? Ton esprit est déjà assez préoccupé.
La lueur froide de l’anneau que ton mari a posé sur le comptoir. L’anneau froid aussi d’être séparé de la chaleur de sa main. Sa main sans anneau, sa main qui ne tiendra plus la tienne. Les gestes sans cérémonie de ton époux qui te répudie. Tu avais tout abandonné pour lui. Pour vous. Il t’avait promis la maison, les enfants, et il te les a donnés, le laissant libre, libre de se délester de toi. Il a trouvé une femme plus jeune, plus belle, peut-être, moins dévouée que toi, mais c’est sans doute ce qui l’attire, l’idée qu’il a à la conquérir. Il ne voit plus d’opportunité en toi.
Que t’arrivera-t-il quand on les trouvera ?
Tu jettes dans ton panier des objets sans les voir, l’instinct seulement guide ta main vers une boîte de barres tendres, des verres fumés. Tu dévalises l’allée des miniatures de voyage, pâte à dents et déodorant s’ajoutant au panier. Une bouteille de peroxyde pour les cheveux, tant qu’à y être.
La détresse. L’abîme furieux, déchirant, qui a envahi tes poumons, t’a fait hurler jusqu’à t’écorcher la gorge. Tu as cassé chacune des assiettes dans ta cuisine en espérant y trouver une réserve d’oxygène, puis tu t’es attaquée aux tasses quand la souffrance a persisté, avant de t’affaler sur le plancher, les bris de porcelaine t’ont coupé les mains, les joues, ont troué ton coûteux chandail de laine que tu portais à votre première rencontre. Tu as tiré sur les mailles,
as déchiré le tissu jusqu’à ce qu’il ne te reste qu’un lambeau sanglant entre les mains. Tu es convaincue que personne n’a vécu ta détresse, que ta souffrance a creusé plus loin, jusqu’à la faille la plus profonde dans tes entrailles, la fissure qui suffira pour te perdre.
Que croira-t-on quand on les trouvera ?
Une femme enceinte feuillette un magazine à l’étal, tu manques de lui entailler les talons avec ton panier. Elle se déplace d’un pas pour te permettre de passer, mais tu restes un instant fascinée par elle, tu la fixes, ta bouche un rictus oblique, et elle s’éloigne, les sourcils froncés, la main posée sur le ventre d’un geste protecteur. Tu la hais brièvement.
Après les larmes est venue la rage, caressante de fer blanc et de fumée, qui t’a menée, toi suffocante, à trouver une solution. À montrer que tu avais beau sembler conquise, tu n’étais qu’en dormance. Il pouvait cracher sur tes sacrifices, tes cicatrices, sur les sourires éclatants qu’il avait jugés ensorcelants autrefois, tu cracherais plus fort, un flux de bile et de haine, tu décimerais tout ce qu’il aime, danserais sur leurs cendres.
Qui restera-t-il quand on les trouvera ?
La caissière, une adolescente alanguie. Elle ne connaîtra jamais la détresse que tu vis, qui t’étourdit, qui fait pulser chaque battement sourd de ton cœur jusque sous tes paupières. Tu ne rencontres pas son regard en payant, les pièces de monnaie tintent sur le comptoir, une pluie d’argent et de billets froissés que la jeune compte en soupirant. Tu jettes un énième regard par la vitrine, t’assures que ta voiture est bien là où tu l’as laissée. Sa masse grise est ton salut. La caissière te demande si tu pars en voyage. Tu réponds que oui.
Tes enfants endormis, côte à côte, déjà pâles dans la lumière glauque qui s’immisce entre les rideaux. Une partie de toi dans ces lits. Tu sais soudain ce qu’il te faut faire. La rage t’enserre toujours les os, fait pulser tes yeux, tes tempes, floute encore plus les silhouettes dans la chambre tamisée. Tu inspires, secoues un peu ta colère, dépoussières ta raison en t’assurant toutefois de la garder dans cet espace distordu de ton être, le reflet belliqueux qui affirme que tu as raison. Tes doigts sont crispés, mais tu es calme. Tu n’as déjà plus
rien, avant même d’agir. Alors autant finir le travail. Tu t’efforces de garder les yeux ouverts. Il faut viser juste.
Où iras-tu quand on les trouvera ?
Tu conduis, tes mains sur le volant épousent les traces de sang que tu y a laissées tout à l’heure. Tu baisses la vitre sur l’autoroute, le vent trop froid de novembre te lapide les joues, te lacère peut-être la peau, tu ne sens rien. Ton corps est engourdi, ton pied sur l’accélérateur qui pèse, pèse toujours plus. Tu te sens invincible, ou peut-être déjà morte, la ligne est trop fine pour la voir, aussi fine que la chance que tu cherches. Dans ta vitesse et ton état de somnolence, ou d’hyper-attention, tu n’entends que le halètement de ton souffle, ne sens que les frissons sur tes bras. Le soleil qui point à l’horizon droit devant toi t’aveugle, tu enfiles les lunettes soleil médiocres que tu viens d’acheter. Tes oreilles bourdonnent, tes cheveux agités par le vent frétillent autour de ton visage, tu vas encore plus vite. Tu n’entends pas les sirènes, tu n’y prêterais même pas attention si tu le pouvais. Le soleil te brûle, te désintègre.
Puis, le noir.
je fabrique
le présent m’évade un peu plus tous les jours je tourne en ici cyclique en maintenant nu une origine absente ma pupille vue pas vue une brèche de moi à moi pour peu si peu immense
Alexandru Fechet
ici tout arrive rien n’appartient moi percé le dehors passe dedans passe changeant entre les mains vides je lui fabrique un miroir un suppôt une bébelle un sublime un amour flambant, troué des deux bords
creuse une langue creuse assez pour y vivre plusieurs de nulle part
c’est des rêves de haute-pauvreté des oublis d’oubli
je m’y remets construis des ponts qui brûlent entrevois entre les noms des flammes le reflet de ton œil l’ombre de nos ombres une trouée d’instant où nous nous sommes rencontrés trompés de corps
Stéphanie Michaud
Mes membres marionnettes désaxés de moi
ma soif de vivre abreuve ma chair son fruit
je rempote mes sourires dans un terreau fertile l’engrais a servi à nourrir les oiseaux
* je plie bagage entre deux soupirs et sors par ma cage thoracique
j’y laisse mes colères et mes regrets en courtepointe
*
je noue mes matins froissés comme des draps suspendus à la fenêtre de ma gorge
j’entends les pleurs et je retourne par en-dedans m’y construire un lit
* je regarde un soleil rouge couché en cuillère sur le fleuve d’encre noir les contours ne veulent plus s’assembler
une collection de naufrages en profondeur
* je n’entends plus les lambeaux de ma jeune chair qui rampent encore vers moi
mes chuchotements crachent leur lait maternel mon nouveau visage porte la vergeture d’un cordon ombilical
* le sang sur mes poignets décousus déborde le verre pris dans ma glande thyroïde
étouffe mes ambitions
* hier à la clarté d’un miroir je sèche mes cheveux mouillés de fatigue je vomis la nostalgie comme un placenta
* aujourd’hui mes bords ébréchés arrivent à me contenir
son odeur ouvre les rideaux entre mes côtes
Des adventices poussent partout dans ma tête
Élise Guerrero
Des adventices poussent partout dans ma tête
Leurs feuilles à toute épreuve ébouriffent mon crâne
Je croque leurs racines laiteuses par en- dedans.
Les adventices ont colonisé mon cerveau
Avant toute culture tout traitement toute droiture
Elles poussent tout croche et ne produisent rien
Que le chaos vivant et des feuilles sauvages trop
Amères pour la salade d’alexandrins.
Il faudra éviter de l’appeler mauvaise herbe
Étêtez la maladie mentale elle repousse double.
Inutile de cultiver les adventices
Comme tous les chardons des champs elles s’abreuvent
Dans mes yeux se nourrissent de mon cœur organe
Où leur ombre empêche la croissance rangée
Et gagnent du terrain en étant toujours plus
Tenaces sous la pluie plus rapides à pousser –
Plus entraînées à dévorer la terre fraîche.
Ariane Beaudry
il y a des fantômes dans mes rêves je les appelle pas je te jure pas de ouija board en dessous de mon lit j’ai pas le temps anyway, j’ouvre des barres tendres aux fraises je lave des pyjamas je fais l’épicerie en ligne mais la nuit dans mon lit rose il y a des ondes qui se faufilent entre moi et le moyen-grand corps chaud à côté du mien je pense qu’elles entrent en moi pendant que j’essaie de respirer len-te-ment inspire : je me calme expire : tout est merveilleux sauf que rien est merveilleux quand je m’endors je fais pas exprès c’est les fantômes ils prennent le contrôle ils font des pièces de théâtre des dramaticomédies des scènes de ce qui aurait pu être, de ce qui a été sans que je le veuille des feels d’avant reviennent à la vie le temps d’un ciel noir pis je suis bien pour vrai je suis bien dans ces parenthèses-là je l’avouerais pas mais des fois je vois en arrière de mes yeux d’autres chapitres à mon histoire et je me dis que peut-être que ci peut-être que ça pis je regarde pis je peux rien faire je peux pas faire pause je peux pas revenir à ma vraie vie je peux juste me laisser aller dans le fleuve des presques pis là pis là j’entends un cri aigu sorti d’une bébé bouche ou l’alarme sonne ou le soleil se faufile derrière mon rideau de velours je décolle les paupières contente-triste-perdue-je sais pas la journée commence même s’il reste des miettes de fantaisies envahissantes copié-collé d’hier pis sûrement d’après-demain
on est quel jour déjà ?
un deux trois attends je suis pas prête fuck pas le choix d’être prête un deux trois go bye les fantômes à ce soir barres tendres aux fraises pyjama épicerie en ligne
Vicky Bernard le lit longe le mur lumière tamisée on se croirait dans une salle de massothérapie moins la musique douce je m’y étendrais bien moi aussi
soudain les murs de la pièce se resserrent sur moi je manque d’air lui gris étendu plus là fascinée par ses doigts étranges une fleur qui s’est refermée
non ça va pas besoin de rester seule avec lui (mes adieux sont faits depuis longtemps sans qu’on s’en rende compte la mort prend parfois toute une vie)
on vous dira que mon père est mort en tondant son gazon c’est sûr c’est plus bucolique son cœur le gazon la nature la fin le retour tout ça c’est beau c’est simple c’est propre
ne les écoutez pas en réalité mon père est mort
Chambre d’hôpital
dans l’air saturé de poussière sur le bord de la 10 un après-midi de printemps aux relents de frites d’asphalte et d’essence
mon père est mort dans le parking du Valentine quand ma sœur a déposé son chagrin insondable dans mes bras déjà fatigués
non attendez mon père est mort bien avant ça par ses cris ses mensonges ma peur la nuit qu’il portait en lui
mais vous savez peu importe ce qu’on vous dira peu importe
mon père est mort
Célia Wagenfuhrer
Tu erres dans les fosses du huitième cercle.
Le sexe pantelant et la langue enflée par l’aridité de l’air.
Les Assemblées se vident et les orgies ne comblent plus depuis longtemps.
J’ai laissé ces peaux brillantes qui excitent le ventre des hommes et qui ne valent pas plus que le plastique oublié dans les rues.
Les artifices des femmes creuses.
Les parfums génériques.
J’ai endossé ma peau de louve, pleine encore du sang de ses entrailles et de ses chaleurs.
Je pense à tous les lui, les comme toi aux membres gonflants pour quelques centimètres et mes muscles se tendent, mes yeux se ferment pour penser à l’ailleurs toujours en suspens.
Ma main se déploie et se parfume comme une pivoine sous la pluie de mars et ma main connaît son pouvoir insondable et ma main a l’odeur douce de fleurs, de charogne et de souffre des forêts de Java.
Et ma main n’est pas guidée par la tienne.
Elle est loin la faîtière grinçante du possible que tu prétendais offrir.
Les reins brisés sous le poids des cathédrales de ton industrie.
Je n’ai pas peur de ton compas et je suis d’équerre.
Tu ne m’as pas créé et je ne sors pas des côtes de la Mort. Tu as attendu de moi que je graisse mon visage de blanc comme si cela pouvait cacher mon regard.
Tu as exigé des tissus trop serrés et dévoilés sans mesure.
Que je pare mon corps de l’argent de l’Orient et du bronze des vents du Nord.
J’ai arraché de mes dents ton visage de plâtre et je l’ai jeté en pâture à mes sœurs.
Je lève les yeux vers le ciel, tu n’es pas là.
Le soleil me lavera de tout
Le soleil me lavera de toi.
Tu resteras dans le huitième cercle de l’enfer.
Tu n’es plus mon roi.
COMITÉ ÉDITORIAL
Amélie Ducharme
Madeline Tessier
Florence Lavoie
Juliette Lapointe-Roy
Irina Kjelsen
César Al-Zawahra
Marie Chartrand-Caulet
ILLUSTRATIONS
Sara Pruneau Bélanger @saraprune
Amélie Ducharme @frombootoyou
CONCEPTION GRAPHIQUE ET MISE
EN PAGE
Florence Lavoie
RÉVISION LINGUISTIQUE
Florence Lavoie
Dépôt légal 2023 Bibliothèque et archives Canada
Bibliothèque et archives nationales du Québec
ISSN 1929-8552
LIEU COMMUN REMERCIE
Le Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill ainsi que l’ADELFIES et l’AGELF