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Vanity case

Catherine Paquet

Le corps nu de la Grande disparaît dans le souffle de sa bouche ouverte sur le miroir. Elle met du mascara par mouvements rapides en clignant des yeux dans les restes de vapeur chaude. La toilette coule non-stop dans la minuscule salle de bain sans fenêtre, un gargouillis gossant qui résonne sur la céramique. D’une main, la Grande tient le tube de Lash Blast Volume Waterproof orange fluo, de l’autre, elle monte le volume de son iPod pluggé au speaker sur le réservoir – « Hollaback Girl » de Gwen Stefani. Dans l’élan, elle renverse le verre Igloofest qui contient les brosses à dents. S’en écoule un jus épais et blanchâtre qui infiltre les joints des dalles du plancher, serpente entre les carreaux et mouille la tête des deux brosses à dents. Ark esti. La texture du liquide lui rappelle celle du sperme, bave sirupeuse qui s’étend plus on la nettoie. La Grande se souvient de la sensation au fond de sa gorge. Un genre de mucus amer-salé. Elle jette les brosses, tourne sur elle-même, fouille le périmètre des yeux, laisse enfin tomber le mascara sur le rebord de l’évier et se résigne à éponger le dégât avec l’essuie-main. Fucking serviette de marde qui absorbe fuckall. Qui spread le sperme partout. L’image fait tressauter son bas-ventre d’un épicurisme curieux. En se relevant, elle croise son regard pétillant, constellé de taches de pâte à dents.

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Grande inspiration, elle s’empare du eyeliner et retourne se coller à l’armoire pharmacie. Petite wing à gauche, petite wing à droite – un pas de recul pour constater... l’asymétrie – retouche à gauche, retouche à droite, gauche, droite, gauche, droite, jusqu’à avoir l’air d’Amy Winehouse dans ses jours les plus glorieux. À peine retenu par le silicone en lambeaux, le lavabo wiggle au rythme des touch up inutiles. Un cerne rougeâtre borde le drain recrachant quelques cheveux mauve bleuté : un mandala de crasse. Tout est bancal, croche, sale. Mais de ce grotesque et de la lumière jaunâtre du plafonnier émerge une incandescence lascive.

Quand la Grande s’applique du lipstick aubergine-presque-noir, une perle d’eau glisse de ses cheveux relevés. La goutte ondule de son cou vers son 38

mamelon gauche, qui durcit. Elle le frôle de son avant-bras tout en s’affairant à obscurcir ses lèvres entrouvertes. Elle libère sa crinière et chatouille son sein droit de ses mèches humides pour le faire bander à son tour. Puis elle recule pour admirer ses boobs, fermes malgré les vergetures qui les auréolent. Elle les empoigne pour qu’ils débordent de ses mains et gonflent entre ses doigts, se jette un regard provocant. Tu vas en briser des cœurs avec ces yeux-là, lui avait dit le voisin d’en face quand elle était la Petite. La Grande écoute le battement du sien, son cœur, qui accélère à mesure qu’elle glisse de pensée en corporéité, d’épiderme à reflet.

Lentement, elle fait couler une traînée de crème à l’aloès de marque générique sur son ventre. Son abdomen tressaille sous la gelée laiteuse. Elle la répand de son nombril vers ses hanches, dont elle suit la courbe du bout des doigts. Descend jusqu’à ses fesses, les serre un peu, les masse soyeusement. Sa peau brille, d’une moiteur fraîche qui rappelle la condensation dans une annonce de Perrier. La Grande se cambre pour s’offrir un angle à la Kardashian : cul sorti tête par-dessus l’épaule, menton incliné. Chaude. Vraiment chaude. L’envie la pogne par le ventre.

Elle sort furtivement pour pas que le coloc la voie, sur le bout des orteils. Drift au coin de sa porte de chambre – restait un peu d’eau sous la plante de ses pieds. Frisson. Ferme la porte, ouvre la lampe de chevet rose et le premier tiroir de la commode, plonge dans le fouillis de lingerie noire. Elle en extirpe une bralette avec sa matching culotte échancrée qui sangle les lèvres comme elle l’aime, les enfile en frétillant d’excitation.

Magie des ombres, du clair-obscur sur les virages du corps ; elle ne spot plus les poils qui dépassent ni l’éternel bourrelet. Dans le sépia de la chambre, il ne reste plus que sa shape, fatalement femme. La Grande caresse la résille aux mailles serrées qui recouvre sa poitrine, trace des sentiers aléatoires sur son bassin. Elle suit ses mains des yeux dans le miroir de la vanité. Son regard s’accroche aux boucles étincelantes à ses oreilles, et elle, elle se cramponne au feeling de son index qui glisse entre ses cuisses, de la pression qui augmente. Insaisissable miroitement, émoi vertige doux. Je devrais me faire un OnlyFans. Y a du monde qui payerait pour voir ça. Devant son spectacle, elle respire fort, semi par exprès, semi par plaisir. Elle tire la fourche de sa culotte, le tissu presse délicieusement les zones sensibles, elle gémit, glisse parfois

ses doigts dans sa chatte, se tease, mouille. Chaque muscle de son corps se contracte, se crispe, se concentre sur le toucher habile de ses doigts coulants, glissants sans aucun lube. Une envahissante vague de plaisir monte de ses bobettes. Quelques paillettes traînent ici et là sur la vanité ; extase éparpillée, presque jouissance. Not yet. La main gauche dans la culotte, la droite grab son cell, ouvre la caméra puis l’accote sur le miroir. L’objectif vers elle sur retardateur en contre-plongée ; elle saute sur la douillette mauve.

10 secondes face à la caméra:

elle se place à quatre pattes, s’admire la main retourne vers le sexe

9 -8 -7 croupe retroussée, hanche découpée épaules prosternées smudged cat eye, cheveux défaits

6-5-4 clito pompé entre l’index et le majeur, culotte soakée de cyprine, lèvres ruisselantes,

3-2 soubresauts miaulements, spasmes,

1 petite mort immortalisée.

Notes

1 Pablo Picasso, Femme assise à l’écharpe verte, 1960.

2 Colette, Le blé en herbe, 1923.

3 Dora Maar, Adèle Bloch-Bauer, Mona Lisa, La jeune fille à la perle, La dame à l’hermine...

4 Joyce Mansour, Spirales vagabondes et autres parallèles inédites en laby rinthe, 2018.

COMITÉ ÉDITORIAL Isabel Corona Madeline Tessier Mathilde Vallières Amélie Ducharme Florence Lavoie Juliette Lapointe-Roy

ILLUSTRATIONS Sophie Langlois @croissants_de_soleils

CONCEPTION GRAPHIQUE ET MISE EN PAGE Florence Lavoie Isabel Corona

RÉVISION LINGUISTIQUE Florence Lavoie Camille Garant-Aubry IMPRIMÉ CHEZ Le Caïus du livre 2177 rue Masson, local 111 Montréal, H2H 1B1 (514) 524-9542

Dépôt légal 2022 Bibliothèque et archives Canada Bibliothèque et archives nationales du Québec ISSN 1929-8552 (imprimé)

LIEU COMMUN REMERCIE Le Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill ainsi que l’ADELFIES et l’AGELF

The team would like to acknowledge the financial support of The Arts Undergraduate Society and The Post-Graduate Student Society 2022, Tous droits réservés

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