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J’ai jamais été casual

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Respirer en haut

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Zoé Larocque

C’est quoi ma couleur préférée? C’est tu une fucking joke. Ça fait huit mois que je put myself out there pour me faire demander ma couleur préférée?

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Pis tsé quoi, tu m’écoutes même pas, tu louches sur mes seins. Tu vas avoir oublié dans 15 secondes ce que je t’ai dit, parce que t’es ce genre de gars qui parle pour s’écouter. Ce genre de gars qui pose une question parce qu’il jouit à l’idée que je dise « et toi? ». Ce genre de gars qui va me dire que j’essaye de sortir du moule si je dis jaune, que j’essaye d’être une fille unique. Spéciale. Originale. Pis que je mérite pas vraiment, pas réellement qu’on pense ça de moi. Non, je mérite pas ça, je suis just like other girls.

Pis tu le sais ça, parce que toi, tu les connais les autres filles…

Après tout, t’as une mère, une sœur, deux-trois amies que tu gardes autour au cas où elles daigneraient finalement coucher avec toi, pis t’as fait venir au moins une fille sur trois depuis que t’es actif sexuellement. D’après toi, les filles qui disent jaune se mentent à elles-mêmes. Elles se font croire qu’elles sont NOT LIKE OTHER GIRLS.

La véritable other girls, pour fitter dans ledit moule, elle déclare bleu, en disant que c’est une bonne question, non ironiquement. Other girls, pour te plaire, va être d’accord avec toi. Other girls, elle aurait acquiescé quand tu aurais proclamé que ton ex c’tune folle, c’tune malade mentale, qu’elle était tout le temps frue pis qu’elle te suçait pas assez.

Donc. Tu veux pas que je dise jaune. Mais en même temps, tu veux pas que je dise bleu. Parce que t’es le genre de gars qui a crissement hâte de déverser son monologue sur pourquoi le bleu est une couleur HAUTEMENT supérieure par son éternellllllle versatilité. Pis tu veux pas juste dire, « moi aussi, c’est le bleu ma couleur préférée », tu veux me RACONTER le bleu. Tu veux me dire, point par point, pourquoi t’es BRILLANT de dire bleu. 23

T’aurais pu dire rouge, couleur de guerre et de passion, mais non t’es un doux. Un romantique. Tu aimes le bleu parce que t’es un homme sensible. Un homme tendre qui va me demander si c’était le meilleur sexe de ma vie après m’avoir fait missionnaire six minutes. Le bleu, c’est toi tout craché. Tu le sais, tu te connais. T’es tellement apaisant. Bienveillant. Pis t’as une ESTI de GROSSE empathie. T’es un gars qui mérite mieux que other girls.

Mais l’affaire, là, c’est que other girls, elle existe pas. C’est tout le monde et personne en même temps. L’effet de comparaison ultime. C’est juste un autre criss de moyen de nous dresser les unes contre les autres.

Ça fait huit mois que je put myself out there, pis je me demande tout le temps si je suis sexiste de mettre un col échancré pour me faire payer des verres. Est-ce que j’ai le droit de profiter d’un système qui m’avantage pas de toute façon? C’est tu correct de faire de la prostitution moderne soft version troc?

Pis c’est tu pas féministe de coucher avec le gars on the first date? Je set tu un précédent? Est-ce que j’incarne toutes les filles du monde quand je prends une décision qui a pas d’allure? Est-ce que je set back la cause de 15 ans quand je joue à la conne? Tout ça, pour que quelqu’un tripe sur moi. Parce que c’est plate, mais ça marche. C’est bien connu qu’un homme bande de se penser plus wise que sa date. Pis moi, mon estime se résume à la validation que j’obtiens quand je me fais demander mon numéro. Ça là, ça s’appelle un win-win, sauf pour le féminisme.

Si je ris à toutes ses blagues, il va payer pour mes verres. Toutes ses blagues, ça, ça inclut les poches, les misogynes, les racistes et aussi les blagues qui me donnent envie de m’excuser à la serveuse, pis de lui offrir tout mon compte-chèques pour sa position ingrate de dommage collatéral. Être forcée de regarder une wannabe-NOT-like-others-girls rire aux pires esti de call pour s’éviter le bill, ça doit porter atteinte à son intégrité.

Ça fait huit mois que je put myself out there, seulement pour pas réellement dealer avec ma solitude alors que je dis fièrement « hey criss que ça fait du bien d’être toute seule » et que je m’arrange pour avoir un minimum de deux dates par mois. Juste pour keep it light keep it fun. Esti que je l’ai l’affaire.

Pis je sais même pu à quoi je m’attends, c’est comme si le strict minimum était too much. Je suis pas une fille qui en demande trop, me semble. J’aimerais juste ça que quelqu’un me demande comment ma journée s’est passée. Bon, c’est sûr, je veux qu’il m’aime, me chérisse, pis me worship et qu’il écrive un recueil sur how fucking great I am.

Ce quelqu’un, il sait pas encore que quand je dis que je suis spontanée, ça veut dire que j’aime les surprises, mais que je pleure s’il déplace nos plans.

Il sait pas que j’ai peur du unknown, d’être seule, ou pire, d’attendre pour rien. Si on se marie pas éventuellement, dans plus ou moins cinq ans, pourquoi on se parle? Pourquoi tu accapares mes belles années, où rien pend, rien plie? Je suis souple, soyeuse et je me rase encore avant une première date. Tu devrais te considérer chanceux de m’orbiter.

Ça fait huit mois que je put myself out there parce que l’idée de pas être amoureuse me freak out, mais l’idée d’être en couple me donne encore plus la chienne.

Pis j’ai compris que je tofferai pas huit mois de plus si je me refais demander ma couleur préférée.

Mais bref, ce soir, c’est rose, ma couleur préférée. Mais je vais te dire bleu. Pis on va définitivement coucher ensemble si tu me payes un autre mojito.

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