Dossiers Publics 3 2019

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Edito Architecture et ingénierie à l’heure des défis contemporains

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rchitectes, designers, ingénieurs ou bâtisseurs peuvent contribuer, à leur mesure, à changer le monde. Imaginant, dessinant ou construisant, ils peuvent chacun défendre une haute idée de la responsabilité écologique et d’un «vivre ensemble» toujours amélioré. C’est sur ce postulat fort que s’est conçu ce nouveau numéro de Dossiers Publics. Un numéro pour lequel nous avons réuni des figures créatives ou industrielles parmi les plus novatrices, radicales ou inspirantes de notre époque. Premier d’entre eux, l’architecte franco-suisse Bernard Tschumi. Auteur de réalisations emblématiques à Paris (Parc de la Villette, etc.), New York (Blue Tower, etc.) ou Genève (manufacture Vacheron Constantin, etc.), ce créateur exceptionnel offre, lors d’un entretien exclusif, une méditation puissante sur les responsabilités citoyennes et environnementales qui incombent à l’architecture contemporaine. À sa suite, nous invitons à s’exprimer des personnalités qui œuvrent à changer la course d’un siècle hanté par la catastrophe environnementale. Parmi eux, Laurent Jospin, initiateur avec sa société Servipier SA de la première «autoroute solaire» d’Europe. Ou encore Langli Landrou, ingénieur togolais inventeur à l’EPFZ d’un «béton sans ciment» qui, demain, pourrait bien changer fondamentalement la donne dans le domaine du bâtiment. De même que nous proposons un éclairage sur la démarche One Planet Living® soutenue par le WWF pour la construction de «quartiers durables». «Durable»? La question traverse également notre entretien avec Christian Constantin, brillant concepteur de bâtiments et promoteur immobilier valaisan incontournable. De même qu’elle occupe notre rencontre avec le Lausannois Raphaël Lutz, designer star des arts de la tables qui rappelle combien créer est toujours affaire de responsabilité. D’une rencontre avec Rafael Jimez, spécialiste de la blockchain, à un éclairage sur le programme «Collart-Palmyre» développé par l’UNILausanne, d’un dossier consacré aux évolutions du coworking à un autre dédié aux changements que précipitent l’avènement des véhicules électriques en ville, Dossiers Publics dresse un panorama des enjeux et transformations les plus urgentes aujourd’hui poursuivies en Suisse. La rédaction

IMPRESSUM 3/2019- Septembre 2019 Rédaction, administration Rêmedia SA Rue Viollier 2, 1207 Genève Tél. +41 (0)22 809 94 49 info@re-media.ch info@dossierspublics.ch www.dossierspublics.ch Editeur Rêmedia SA Fondateur Roland Ray Directrice de publication Aby Wane Journalistes David Brun-Lambert, Emmanuel Bianchi, Nathalie Brignoli Ont collaboré à ce numéro Lionel Marquis, Valérie Banton, Jennifer Kesler Production Régis Chamberlin - ChamberlinProd. Diffusion et abonnements Hervé Braillard diffusion@re-media.ch Publicité Media Live SA Missionstrasse 82 | 4055 Bâle Tél. 061 561 52 80 Contact : Lila Maalem Directrice commerciale E-mail : ap@medialive.ch Conseillère commerciale Maryam Maalem Graphisme Lionel Portier Remerciements Greg Barton, Alissa Lopez Serfozo Photos : © DR sauf mention contraire La reproduction, même partielle, des articles, photos et illustrations parus dans Dossiers Publics n’est autorisée qu’avec l’accord formel de l’éditeur. L’éditeur n’assume aucune responsabilité pour les textes et les illustrations qui ne sont pas issus de la Rédaction du magazine.

ISSN : 2504-2246 Prix au numéro : CHF 12,50 © 2019, RêMedia SA Couverture : © DR

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Sommaire 6 Instantanés 9 Nominations 12 La Grande Interview

Bernard Tschumi: «Il est important d’avoir l’esprit ouvert»

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Christian Constantin: «Construire, c’est d’abord une responsabilité»

24 Finance

Rafa Jimenez : la Blockchain va tout changer

28 Mobilité

Les véhicules électriques boulversent la mobilité

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32 Société

Le Coworking change le travail et la donne immobilière

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34 Norme

One Planet Living® encourage la construction de quartiers durables

36 CAHIER SPÉCIAL

ARCHITECTES ET INGÉNIEURS

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Révolution. Gnanli Landrou: Du béton écologique pour répondre aux défis du futur Architecture. Frédéric Levrat: «L’architecture est un art pour reconsidérer son milieu» Ingénierie. Et si la solution venait des femmes? Innovation. La première autoroute solaire va voir le jour à Fully (VS) Formation. Le Swiss Design Center fête ses dix ans Réalisations. Golf Resort La Gruyère, Aéropôle de Payerne, CIO Lausanne

78 Culture

Le projet Collart-Palmyre de l’UNIL reçoit un soutien décisif

88 Biblio

Sélection de livres. Architecture ou blockchain: Des ouvrages pour interroger le présent

90 Salons

RH management et Salon du Design

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INSTANTANÉS

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INSTANTANÉS

SUISSE

issus d’un milieu socio-culturel élevé et ceux issus d’un milieu modeste était de 0,23 d’unité d’écart type avant les vacances et de 0,39 après. Un retard qui ne sera souvent pas comblé au cours de l’année. Les petits Romands disposent de 7 à 8 semaines de congé, mais il existe de grandes différences dans le reste de la Suisse puisque les Bernois n’ont que 5 semaines et les Tessinois 11. À Genève, le Département de l’instruction publique envisage d’ajouter une semaine à Pâques et d’en enlever une l’été. > EN SUISSE, 42% DES FEMMES DE 25 À 34 ANS ONT UN DIPLÔME SUPÉRIEUR

> LE DÉCROCHAGE SCOLAIRE, UN FLÉAU PERSISTANT, SURTOUT EN SUISSE ROMANDE Le nombre de jeunes adultes sans formation de degré secondaire a presque doublé depuis 2010, atteignant 11%, selon une enquête fédérale. La proportion de jeunes qui ont décroché est plus importante en Suisse romande. Alors que 6% des jeunes adultes n’avaient pas obtenu de diplôme dans le secondaire II en 2010-2011, cette proportion s’élevait à 11% en 2014-2015. C’est la Suisse romande qui présente la plus importante proportion d’élèves qui décrochent, rapporte l’étude réalisée auprès de 30’000 jeunes de 19 ans. > LES INÉGALITÉS SCOLAIRES SE CREUSENT DURANT LES LONGUES VACANCES D’ÉTÉ La longue pause a un effet pervers: elle augmente les inégalités entre les enfants issus de milieux pauvres et aisés. L’écart de connaissances entre les enfants

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À la fin des années 1990, elles étaient moins de 10% à obtenir un diplôme supérieur. Elles sont aujourd’hui plus de 42%. Les femmes de la tranche d’âge 25-34 ans ont plus de diplômes supérieurs que leurs homologues masculins. En Suisse, ce bond en avant sur ces vingt dernières années s’explique notamment par le développement des hautes écoles et par la formation des enseignants qui a basculé dans le tertiaire.

> LA PROPORTION DE FEMMES DANS LES PARLEMENTS CANTONAUX EN HAUSSE Après des années de stagnation, la représentation des femmes dans les législatifs cantonaux est repartie à la hausse ces dernières années. Les femmes restent toutefois largement minoritaires dans les travées des Parlements, avec moins de 30%. Dans l’ensemble des cantons, la part des élues dans les législatifs s’élève aujourd’hui à 29,3%, en hausse de 3,4 points sur quatre ans. Entre 1999 et 2015, la proportion des femmes n’avait plus vraiment augmenté, oscillant entre 24% et 26%. Mais ces dernières années, le vote féminin semble avoir retrouvé de la vigueur.

> LES CFF METTENT EN VENTE LEURS VIEUX TRAINS SUR INTERNET La compagnie a récemment ouvert un magasin d’occasions en ligne pour y vendre anciennes locomotives, rails et aiguillages qui ne servent plus Le site SBBresale.ch offre tout ce qui peut réjouir les enthousiastes du rail. D’après le site, un transformateur triphasé est parti pour 75’000 CHF, tout comme trois aiguillages des années 2002 et 2003 pour des sommes comprises entre 25’000 et 29’000 CHF. En revanche deux rames automotrices à 800’000 et 1,3 million de CHF attendent toujours preneur.


INSTANTANÉS

CANTONS

> FRIBOURG Les automobilistes seront taxés sur la puissance de leurs véhicules Le canton a mis en consultation l’avant-projet de loi sur l’imposition des véhicules. Pour les véhicules propres, les rabais d’impôt pourront aller jusqu’à 50 %. Pour les véhicules hybrides ou à gaz avec étiquette B, les bonus pourront atteindre jusqu’à 25 %. À relever que ce passage de la taxation de la cylindrée à la puissance, a déjà été pratiqué dans les cantons de Schwyz, Tessin et Vaud. Il rapportera 108 millions de CHF par an au canton et aux communes fribourgeoises.

cet automne d’un nouveau cursus, financé par le canton et les participants eux-mêmes. Cette nouvelle offre répond à un mandat du Département des institutions et de la sécurité, dirigé par la conseillère d’État Béatrice Métraux. > VALAIS Le Grand Conseil alloue 400 millions de CHF à ses remontées mécaniques En acceptant ce projet par 98 voix contre 8 et 13 abstentions, le Parlement cantonal a rappelé que le tourisme est et demeurera une priorité pour le Valais. Le fonds cantonal pour les remontées mécaniques, décidé en mai 2018, viendra en aide aux sociétés concernées de trois manières différentes. Il contient des prêts

pour un montant de 270 millions de CHF, des cautionnements à hauteur de 100 millions de CHF, 20 millions destinés à des subventions à fonds perdus, alors que 10 millions seront provisionnés.

> VAUD Formation pour les responsables religieux dès cet automne Elle s’adresse aux représentants de toutes les religions, mais les communautés en voie de reconnaissance dans le canton - comme les musulmans ou les évangéliques y trouveront un intérêt particulier. Connaissance des institutions, des différentes confessions, égalité homme-femme... Le Conseil d’État vaudois a annoncé le début pour

> JURA Le canton met au concours l’intégralité de son réseau de bus C’est une première suisse, mais pas une surprise: les autorités avaient déjà annoncé la couleur en 2017, estimant les coûts facturés par Car Postal trop élevés et très opaques. L’affaire Car Postal, qui a pris une ampleur nationale, a poussé les autorités cantonales à passer de la parole aux actes, et à poursuivre la mise en œuvre de cette opération inédite, qui est censée ramener la confiance entre les différents partenaires. Les entreprises de transport intéressées ont jusqu’à fin novembre pour soumissionner.

> GENEVE Initiative pour abolir les rentes à vie des conseillers d’État Plusieurs cantons ont déjà mis fin à ce système, mais pas Genève, où le parti Vert’libéral a déposé au service des votations 7785 signatures pour son initiative populaire cantonale qui vise «l’abolition des rentes à vie des Conseillers d’État». L’objectif du texte est de «mettre sur un pied d’égalité les anciens conseillers d’État ou chanceliers avec le reste de la population du canton». Les Verts libéraux chargent le Grand Conseil de cette révision. Mais ils en fixent les grandes lignes: une rente annuelle à la fin du mandat sur une durée maximale de 24 mois, à hauteur de 70 % du dernier traitement: soit les mêmes conditions que pour l’assurance chômage.

> NEUCHATEL Le canton renonce à doubler les frais d’écolage des écoles supérieures Une pétition munie de 2670 signatures avait été remise à la Chancellerie le 1er avril dernier pour demander au Conseil d’État de revenir sur sa décision. Dans un arrêté du 12 juin, ce dernier avait décidé de maintenir les frais d’écolage à 1000 CHF par an et de ne pas les passer à 2000 CHF. Les filières d’éducateur/trice de l’enfance, de droguiste, de designer horloger et des métiers techniques étaient notamment touchées.

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INSTANTANÉS

COMMUNES cette douzième édition devrait boucler ses comptes dans le rouge avec 355 000 billets qui ont été vendus sur un total de 420 000. François Margot, l’abbė-président de cette édition de 2019, a confirmé que les comptes devraient se solder par un manque à gagner de près de 16 millions de CHF.

> LAVAUX (VD) Les vignerons contraints de baisser de 15% la production de blanc Cette mesure doit éviter un effondrement des prix dû à des stocks trop importants car les suisses boivent de moins en moins de vin, et le blanc en pâtit: entre 2017 et 2018, sa consommation a chuté de 15 % alors que le stock final a explosé à plus de 8 millions de litres, selon les chiffres du canton. Face à cette crise, exacerbée par la concurrence étrangère, la section de Lavaux de la Fédération vaudoise des vignerons a décidé de s’imposer un quota de production. > GENÈVE Face au réchauffement climatique, Genève veut se végétaliser

ticules fines. En Ville de Genève, la surface végétalisée par habitant est de 26 m2. De nombreuses inégalités existent cependant d’un endroit à un autre. Aux Pâquis, la surface végétalisée par habitant n’est par exemple que de 2 m2. > BAGNES (VS) Le patois de Bagnes a désormais son premier dictionnaire scientifique Après des années de travail, l’Université de Neuchâtel a inauguré samedi le dictionnaire scientifique du patois de Bagnes, le premier du genre consacré à un dialecte romand. Avec ses quelque 15000 mots et 1200 pages, il témoigne de l’importance d’une langue que parlaient encore plus de 650 habitants de la vallée il y a trente ans. Le dialecte figure parmi les mieux documentés de Suisse romande et a donc intéressé Raphaël Maître, concepteur scientifique de l’ouvrage de l’Université de Neuchâtel. > VEVEY (VD) Fête des Vignerons 2019: En rouge comme le vin Malgré un record de fréquentation

Végétaliser devient une nécessité. Le réchauffement climatique pousse la municipalité à agir. Les arbres sont un moyen de faire chuter les températures et de lutter contre les îlots de chaleur. Les plantes permettent aussi d’atténuer la pollution, en fixant les par-

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> ZERMATT On recycle le plastique en l’intégrant dans le revêtement routier Une société écossaise a trouvé un moyen nouveau pour valoriser les déchets à base de plastique: les intégrer au bitume qui sert au revêtement des routes. Pour la première fois en Suisse, une portion de route de la région de Zermatt a été asphaltée avec ce matériau innovant qui intègre des déchets plastiques dans le bitume, a priori sans impact négatif sur l’environnement. Pour produire l’asphalte, on a mélangé 150 kilos de déchets plastiques à 45 tonnes de bitume. Une telle quantité ne représente, toutefois, qu’à peine plus de 0,3 % du volume total.


NOMINATIONS

> UN AMBASSADEUR SUISSE NOMMÉ ENVOYÉ PERSONNEL D’ANTÓNIO GUTERRES Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres a nommé un Suisse pour être son envoyé personnel pour le Mozambique. MIRKO MANZONI est ambassadeur suisse à Maputo depuis 2014 et accompagnera le dialogue entre le gouvernement et la Résistance nationale du Mozambique (RENAMO): il soutiendra la signature et la mise en œuvre d’un accord de paix entre les parties.

> STÉPHANE ROSSINI A ÉTÉ DÉSIGNÉ POUR DIRIGER L’OFFICE FÉDÉRAL DES ASSURANCES SOCIALES Le socialiste valaisan de 55 ans, a été président du Conseil national en 2015. Aujourd’hui consultant indépendant, ce spécialiste des politiques sociales et de la santé préside la Commission fédérale AVS/ AI et le conseil de l’institut des produits thérapeutiques Swissmedic. Il accompagnera la mise en œuvre de la réforme du 1er pilier, le projet AVS 21.

> L’EPFL NOMME HUIT PROFESSEURS DONT TROIS FEMMES Le 12 juillet dernier, le Conseil des Ecoles polytechniques fédérales a nommé huit professeurs. Parmi ceuxci trois femmes: KATHRYN HESS BELLWALD est nommée professeure ordinaire de sciences de la vie et de mathématiques à la Faculté

CHRISTINE LAGARDE

des Sciences de la Vie (SV) et à la Faculté des Sciences de Base (SB); ANNE-MARIE ­KERMARREC est nommée professeure ordinaire d’informatique et systèmes de communication à la Faculté d’Informatique et Communication (IC) et NEGAR KIYAVASH est nommée professeure associée de Business Analytics au Collège du Management de la Technologie (CDM).

EST NOMMÉE À LA TÊTE DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE (BCE)

Le 2 juillet dernier, l’ancienne directrice du FMI (Fonds Monétaire International) a été nommée par le Conseil de l’Europe pour succéder à Mario Draghi à la tête de la Banque Centrale Européenne dont le siège est à Francfort. Nommée en 2011 au FMI, elle prendra ses nouvelles fonctions le 1er novembre 2019. Christine Lagarde, 63 ans, est la première femme à occuper ce poste depuis sa fondation le 1er juin 1998.

> L’ALLEMANDE URSULA VON DER LEYEN ÉLUE PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE L’ex-ministre de la Défense d’Angela Merkel a été élue par 383 députés européens. Elle remplace JeanClaude Juncker dont le mandat arrivait à échéance. C’est la toute première femme à la tête de cette institution. La durée du mandat de président de la Commission Européenne est de 5 ans, renouvelable une seule fois. Des treize présidents de la Commission Européenne, seuls trois ont effectués deux mandants: Walter Hallstein (1958-67); Jacques Delors (1985-95) et José Manuel Barroso (2004- 14).

> L’ARMÉE SUISSE VA AVOIR UN NOUVEAU CHEF THOMAS SÜSSLI dirigera l’armée suisse dès l’an prochain. L’ancien banquier de 52 ans à la tête actuellement de la Base d’aide au commandement a été retenu mercredi par le Conseil fédéral pour succéder à Philippe Rebord. Après son instruction en tant qu’officier et un engagement de l’ONU en Namibie, il s’est reconverti à Bâle dans l’informatique auprès de la Société de Banque Suisse. Titulaire d’un Executive Master of Business Administration, il a fait une carrière bancaire, qui est passée par l’UBS, la banque Vontobel et Crédit Suisse.

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INSTANTANÉS LA GRANDE INTERVIEW

BERNARD

"Il est important l’esprit ouvert

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TSCHUMI d’avoir toujours et inventif"

VACHERON CONSTANTIN Siège de la manufacture de l’horloger à Plan-lesOuates inauguré en 2005

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Propos recueillis par DAVID BRUN-LAMBERT

L

e Parc de la Villette à Paris ou la «Blue Tower» de Manhattan. Le Musée de l’Acropole à Athènes ou le siège international de Vacheron Constantin à Plan-les-Ouates. À 75 ans, Bernard Tschumi ne connaît pas de répit créatif, poursuivant entre New York et Paris, sièges de ses deux agences, des recherches fondamentales menées entre pensée et événement, espace et mouvement. Aborder l’œuvre du Lausannois, fils de l’architecte genevois Jean Tschumi, c’est suivre la trace d’un investigateur rétif aux poncifs du modernisme et à ses courants consécutifs. Théoricien à l’avantgarde d’abord inscrit dans une carrière académique, il se fait ensuite constructeur global au début des années 1980, proposant de l’Europe aux États-Unis, de la Chine au Moyen-Orient, une architecture prestigieuse, dynamique, dépouillée, définie non pas du point de vue du style, mais à partir de concepts qui puisent leur nature dans le cinéma et la littérature, les arts plastiques et la philosophie. Pour la liberté créative dont fait preuve cet enseignant réputé, ayant exercé tant à l’Architectural Association de Londres qu’à l’Université Columbia de New York, Bernard Tschumi connaît ses détracteurs en Suisse romande. Admirées par les uns, mais boudées par d’autres, ses réalisations menées à Rolle (Carnal Hall) ou Lausanne («Interface» pour la gare du Flon) lui valent ainsi éloges, méfiances ou jalousie. Mais qu’importe pour lui! Cinq ans après la vaste exposition rétrospective (Bernard Tschumi, Concept & Notation) que lui a consacré le Centre Georges Pompidou à Paris, ce créateur hors-norme dessine et construit encore pour «comprendre l’architecture», comme il dit.

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New York est étroitement lié à votre parcours personnel et créatif. Qu’est-ce qui vous a originellement frappé dans cette ville? J’avais 17 ou 18 ans quand je suis venu ici pour la première fois et ce qui m’a marqué c’est de découvrir une ville hors norme, d’une activité et d’une dimension insoupçonnée. En tant qu’adolescent, je connaissais Paris, Milan ou Londres, mais New York était à part. Par la suite, j’y suis retourné à intervalle régulier. Jusqu’à ce que je décide d’y passer plusieurs mois durant les années 1970. Je voulais y développer certaines idées très liées au monde créatif de l’époque, et notamment celui qu’on trouvait à Manhattan. Là, j’ai attrapé le virus. La preuve, j’y suis encore. (rire) Qu’avez-vous découvert en vous installant ici? Une ville en déclin, dans un état alors lamentable, au bord de la faillite, et en même temps d’une richesse culturelle incroyable. New York connaissait des problèmes économiques tels que les loyers étaient ridiculement bas. Il n’y avait plus de réglementation. Cette phase d’économie difficile a permis à certaines activités et à certaines personnes d’être des agents de renouvellement. Une génération de jeunes artistes a pu ainsi trouver des lofts somptueux au cœur d’espaces industriels, à Soho notamment, faisant de ces quartiers des lieux ouverts à des possibilités d’invention permanente dans toutes les disciplines: image, peinture, sculpture, danse, poésie… J’étais pour ma part proche de la scène Performance Art. Durant cette ère, l’architecture était-elle également questionnée par une avant-garde? Les prémices d’un changement apparaissent au fil des années. Dans les années 1960, il y a eu chez les artistes un questionnement – une notion fondamentale présente dans l’art, mais aussi dans la politique. Les artistes se posaient par exemple la question du musée ou des galeries commerciales. Certains créateurs réfléchissaient à ne pas s’inscrire dans le marché de l’art et inventaient l’art conceptuel, le Land Art ou le Performance Art. Mais ces questionnements se trouvaient également dans d’autres champs d’activité. Dans la littérature et la philosophie, par exemple, avec des penseurs comme Michel Foucault, Roland Barthes, Jacques Derrida ou Gilles Deleuze. Ce questionnement a trouvé son apogée en France avec Mai 1968, mais aussi aux États-Unis à la même période. Vous avez activement participé à la grande bousculade intellectuelle de Mai 1968 à Paris. Quel impact cet épisode a t-il eu sur vos réflexions théoriques autour de la ville, de la citoyenneté et du «vivre ensemble» dans l’espace urbain? 1968 a remis en question toutes les bases, tout le dictionnaire des idées reçues dans beaucoup de domaines, et notamment dans l’architecture. Le résultat, c’est une période de réflexion qui, pour moi, fut aidée par le fait qu’après Paris je suis parti à Londres enseigner à l’Architectural Association où des gens

© Peter Mauss-ESTO

Intellectuel de premier plan et théoricien puissant, l’architecte franco-suisse enchaîne depuis trente-cinq ans les réalisations majeures partout dans le monde. Entretien exclusif


LA GRANDE INTERVIEW

«Pour moi, un bâtiment n’est pas une chose statique. C’est toujours quelque chose de dynamique.»

NOUVEAU MUSÉE DE L’ACROPOLE Inauguré au pied du site antique du centre historique d’Athènes en 2009

comme Rem Koolhaas ou Zaha Hadid étaient également venus se réfugier, car il ne se passait pas grand-chose en architecture, nulle part. Ce lieu me permettait de poser les bonnes questions. À ce moment-là, pour moi, il n’y avait pas encore d’image. C’était vraiment une réflexion théorique qui n’était pas exprimée par la forme.

The Manhattan Transcripts Project. Et ce n’est qu’après, au début des années 1980, qu’une chose intéressante s’est passée. J’avais l’impression d’avoir fait le tour de cette réflexion théorique dans son illustration et sa transposition à travers le dessin, et j’ai décidé de l’appliquer à un vrai projet ou à un problème architectural.

Sur quoi portaient spécifiquement vos travaux d’alors? Au centre de ma réflexion, il y avait la société, le corps dans l’espace, la ville ou plutôt ce qui fait la ville, ce qui fait la différence entre une ville progressiste ou réactionnaire. Également, il y avait certains parallèles qui m’intéressaient beaucoup et m’intéressent encore entre l’architecture et d’autres champs d’activité: architecture et philosophie, architecture et art, architecture et littérature ou encore cinéma. Pendant cette période, j’étais donc plutôt dans une réflexion que dans une production. Ensuite je suis parti à New York. Et c’est là que je me suis remis à dessiner. Car entre 1968 et 1976, j’avais pratiquement arrêté.

En 1983, à l’aube de vos 40 ans, vous remportez le Grand concours du Parc de la Villette, votre premier concours d’architecture. Quel rôle a joué votre «innocence» d’alors dans cette réalisation? C’est incroyable que ce projet ait pu réussir. Depuis 35 ans, le parc vit et évolue de manière tellement différente, inattendue, toujours avec la même intensité. L’ambition était immense à l’époque de la part des gens qui ont décidé de créer un parc à cet endroit. Et ensuite, il y avait ma propre ambition. L’innocence? Oui, elle a joué un rôle important. Le fait d’ignorer tous les problèmes qu’on pouvait rencontrer en faisant un projet de cette envergure. Un projet, en plus, qui voulait être une nouveauté, qui refusait tous les poncifs des parcs paysagers de l’époque. De ne pas savoir ces difficultés, vous permet d’escalader des montagnes parce qu’au début, on n’est justement pas conscient qu’on est en train d’escalader une montagne. (rire) Ça a été très dur. J’ai encore dans mes archives les lettres échangées à l’époque. Il y avait des conflits terribles entre les différents politiques. Je me retrouvais coincé entre le marteau et l’enclume à certains moments. Puis tout s’est mis en place, peu à peu.

Sentiez-vous un appel qui vous pousse à dépasser la théorie pour enfin mettre en pratique vos réflexions? On s’aperçoit très vite que ce n’est pas parce qu’on a une idée, qu’on peut la transformer en un bâtiment! (rire) Durant ces années, j’ai développé un certain travail qui avait une capacité à être communiqué. Ce n’était pas exactement de l’architecture conventionnelle, mais plutôt un questionnement sur l’idée de narration, d’action ou d’événement. J’ai montré ces travaux dans des galeries d’art sous le nom

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«BLUE TOWER» Symbole du dynamisme de Manhattan, inauguré en 2007

Quel rôle a joué l’influence de Manhattan dans l’élaboration du Parc de la Villette? Les principes conceptuels du Parc se trouvent pour la plupart dans les quatre épisodes des Manhattan Transcripts: la notion de la combinatoire, de la superposition de différents systèmes, de l’acceptation que l’architecture n’est pas seulement la réciprocité entre un usage et une forme, mais que c’est aussi parfois un conflit ou une indifférence. Cette réalisation a-t-elle aiguisé votre appétit pour la construction? Oui. Tout à coup je me suis aperçu que la pensée une fois traduite en réalité ça devenait incroyablement excitant! Et que le travail d’architecte qui pouvait à la fois penser et bâtir, c’était une combinaison extraordinaire. Là encore, j’ai attrapé le virus.

© Laura Sanburn

«On ne vient me trouver que lorsque le projet, le site, la politique ou le budget est difficile.» Durant ces années et jusqu’à aujourd’hui, vous avez continué d’enseigner l’architecture à l’Université de Columbia. Que transmettez-vous à vos étudiants? Je leur apprends à se poser les bonnes questions. J’enseigne un séminaire qui est pour moi relativement simple à faire et qui étudie l’architecture de 1968 à nos jours: c’est à dire toutes les questions que se sont posées les différentes générations d’architectes. Durant cet atelier, je pose un certain nombre de questions qui forcent les étudiants à réfléchir pour éviter ce que j’appelle «le dictionnaire des idées reçues de l’architecture». C’est un domaine dans lequel il y a beaucoup de clichés, de redites. Il est important d’avoir toujours l’esprit ouvert et inventif. En Suisse, vos projets ont marqué les esprits. Pourtant, votre anti-dogmatisme agace certains de vos contemporains. Comment expliquez-vous cet amourdésamour pour votre œuvre ici? On fait tous partie de la même culture. On vit à la même époque. On est témoins des mêmes événements. Mais il y a différentes manières de les interpréter. Je remarque qu’il y a parfois une volonté de conserver les acquis. Et parfois, une volonté d’accélérer. Il me semble qu’il y a une architecture suisse excellente, remarquable dans tant de domaines, constructifs notamment, mais qui essaye de conserver les acquis. Là où moi, j’aurais tendance à vouloir essayer en même temps de me projeter vers l’avant – et ce n’est pas complètement incompatible. Mais ça créée parfois des malentendus, des quiproquos. Pourquoi fait-on appel à vous? Je me suis souvent posé la question! Je m’aperçois qu’en général on m’appelle quand un projet est d’une certaine dimension. Mon agence compte une vingtaine de personnes – une dizaine à Paris, une quinzaine à New York. Nous avons toujours de grands projets, souvent peu évidents. J’aimerais bien faire un projet tout simple, un logement ou un bureau, mais on ne vient jamais me chercher pour ça. On ne vient me trouver que lorsque le projet, le site, la politique ou le budget est difficile. Dans ce genre de cas, on se dit: «tiens, Tschumi va pouvoir nous aider!» (rire) L’avantage, c’est que ça permet de trouver des solutions originales à des choses parfois complexes.

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LA GRANDE INTERVIEW

Quel serait l’ADN commun à l’ensemble de vos réalisations? C’est un ADN assez complexe puisqu’il n’y a jamais une volonté d’utiliser toujours le même vocabulaire formel. Là, je pense à des architectes dont on apprécie le travail, qui utilisent toujours le béton ou le verre de la même manière. Pour moi, ce qui prime, c’est la recherche d’une idée. Et ensuite de traduire cette idée à travers des matériaux, et aussi quelque chose qui encourage le mouvement. Pour moi, un bâtiment n’est pas une chose statique. C’est toujours quelque chose de dynamique. C’est peut-être dans ce sens que tous les bâtiments ou les lieux que j’ai construit possèdent une démarche commune. La nature d’un bâtiment, c’est d’évoluer? Absolument. Je ne peux pas séparer un bâtiment de son usage. Je ne fais pas des monuments aux morts. L’architecture c’est quelque chose de complètement dans la vie. Je regarde des bâtiments construits il y a 1000 ans, des églises romanes, par exemple, et qui ont encore complètement leur vie. Cela, ça m’intéresse. Bernard Tschumi Architects www.tschumi.com

BERNARD TSCHUMI EN 10 DATES Faculté d’Architecture, > 25 janvier 1944 Naissance à Lausanne Planning and Preservation, de > 1969 l’Université de Achève ses études en Columbia, New York > 1988 architecture à l’EPFZ > 1970 Ouvre l’agence Bernard Tschumi Enseigne à l’Architecture Architects à New York Association, Londres > 2004 Réalisation du siège > 1981 Développement du de l’horloger Vacheron projet The Manhattan Constantin, Plan-lesOuates Transcripts > 1983 > 2007 Achèvement de la tour Remporte le Grand Blue Condominium, concours pour la New York construction du Parc de la Villette, Paris et y > 2009 ouvre son agence Achèvement de l’Acropolis Museum, > 1988 Athènes Nommé doyen de la BINHAI SCIENCE MUSEUM Musée des sciences et des technologies inauguré en 2019 à Tianjin, Chine

© Kris Provoost

Aimez-vous les contraintes dans la création? Je travaille avec toutes les contraintes. Il n’y a pas d’architecture sans contraire. Plus les contraintes sont grandes, plus ça me permet de développer des idées qui, elles, sont sans restrictions. Les contraintes de la réalité permettent à l’imagination de développer des concepts qui sont parfois nouveaux.

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INSTANTANÉS INTERVIEW

CHRISTIAN CONSTANTIN

«CONSTRUIRE, C’EST D’ABORD UNE RESPONSABILITÉ» Personnalité clé du paysage médiatico-sportif romand, le président du FC Sion est l’un des grands constructeurs de Suisse. Rencontre à Martigny avec un géant du bâtiment 20

DOSSIERS PUBLICS SEPTEMBRE 2019

Propos recueillis par David Brun-Lambert Photos Nathalie Pallud

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n Valais et bien au-delà, Christian Constantin est une légende. Hyperactif notoire, homme libre prétendu incontrôlable, ce personnage romanesque autrefois gardien de but professionnel dirige entre nez fin, pragmatisme aiguisé et quelques coups de sang légendaires un empire immobilier: Christian Constantin SA. Un bureau d’architecture fondé à vingt-et-un ans et qui, près de quatre décennies plus tard, compte parmi les sociétés d’entreprise générale et de promotion im-


mobilière parmi les plus reconnues du marché suisse. Nous l’avons retrouvé dans son bureau situé à la Porte d’Octodure, complexe fameux bâti à Martigny-Croix et depuis lequel il dirige sa «marque»: une entreprise déjà responsable de quelques deux millions de mètres carrés de surfaces construites de Sion à Genève et au-delà. Échange avec un titan découvert ce jour-là en homme affable, disponible, féru d’histoire de l’architecture et pour qui «bâtir» est d’abord affaire d’aventure humaine partagée. Quarante ans après vos débuts, comment envisagezvous votre métier? Dès que tu construits un bâtiment, tu sais qu’à moins d’un cataclysme tu l’auras devant les yeux pour le restant de tes jours. Par conséquent, si tu as fait une «merde», eh bien tu sais que c’est une «merde» qui va rester. Construire, c’est donc d’abord une responsabilité vis-à-vis de soi-même. Il faut que ce soit bien fait et que ça apporte aux autres quelque chose de différent. Un bâtiment réussi, c’est quoi? Cela peut être un bâtiment intégré, par exemple, ou un immeuble qui n’a pas d’âge. Je pense notamment à cette construction datée de 1901 à Montreux, située juste derrière le Palace, qu’on a terminée il y a quelques années. Elle n’avait jamais pu être achevée à cause des guerres. Elle représente aujourd’hui une lecture des constructions élégantes qu’on trouvait sur la Riviera vaudoise au tout début du XXe siècle.

technologie nécessaire pour concevoir dans une seule pièce des parois vitrées de sept mètres de long par trois mètres de haut comme aujourd’hui, on peut imaginer qu’elle aurait été employée bien plus tôt. Réinventer l’architecture, je ne crois donc pas que ce soit possible. On la développe en fonction des possibilités techniques disponibles au moment où l’on construit. La signature Constantin, c’est quoi? D’abord, je veux dire qu’il y a deux axes majeurs auxquels peut être confronté un bâtisseur: le théorique et le pratique. Quand tu créés un projet, tu peux imaginer plein de choses. Mais quand tu construis, il y a toutes les «emmerdes» inévitables que tu vas devoir affronter: problèmes financiers et d’autorisations, problèmes avec les clients, les entreprises ou bien les délais. Mais à la fin, tu as bâti! Moi, ce que j’aime, c’est suivre un projet depuis le début jusqu’à la fin. Finir les choses: c’est ça qui compte. Pourquoi? Pour l’adrénaline. Comme dans le foot où dès que tu pénètres dans un vestiaire, tu ressens toute la tension, l’énergie, et puis la sueur. C’est pareil dans la construction. En fin de journée, quand tu entres sur un chantier et que tu sens la chaleur et l’odeur du béton qui sèche, ça te ramène à toute l’implication humaine qui se cache derrière ce projet.

«Bâtiment ou football: tu dois respecter le mec que tu as en face de toi et terminer ce que tu as commencé afin de sortir la tête haute.»

Comment la notion du beau a-t-elle évolué dans le batiment ces dernières décennies? Une de mes premières propriétés a été la Villa Soleil à Sion. Elle a été construite entre 1963 et 1964 par Paul Morisod, Jean Kyburz et Edouard Furrer, des architectes du coin qui avaient fait leur stage aux États-Unis chez Frank Lloyd Wright. Ils se sont inspirés de sa célèbre Maison sur la cascade (1939): une architecture tendue, moderniste, qui privilégie le béton et le verre. À sa construction, la Villa Soleil a fait scandale à Sion. Ça a été très violent. Aujourd’hui, elle est protégée et considérée comme un bijou architectural. Tout cela pour dire que la notion du beau évolue parfois très fortement aux cours des générations.

Quelle notion puisée dans le football avezvous appliqué à votre métier? La première: lorsque tu parles aux gens, tu dois d’abord t’adresser à leur cœur. Bâtiment ou football: tu dois respecter le mec que tu as en face de toi, et terminer ce que tu as commencé afin de sortir de là la tête haute. Ces notions, je les applique à tous les compartiments de ma vie. Ça m’a permis de mener à terme environ 90% des projets que j’ai imaginés. Et cela, même si certains d’entre eux ont pris parfois vingt ans pour voir le jour.

LA VILLA SOLEIL Construite en 1963-1964 à Sion, elle constitue en Valais un des témoins les plus représentatifs du Mouvement Moderne (1921-1970)

Vous plongez-vous dans l’histoire de l’architecture quand vous concevez un projet? Je suis quelqu’un qui recherche le futur dans l’histoire. Par exemple, si je m’intéresse à l’architecture romaine, je trouverai là des éléments que je pourrais reprendre et appliquer aujourd’hui. Maintenant, disons que je doive concevoir des bains thermaux: je serais probablement aussi intéressé par ce que les romains ont réalisé. C’est ainsi: l’histoire répond souvent à certains besoins. Après, intervient une autre problématique: celle des matériaux. Si des siècles plus tôt on avait disposé de la

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INTERVIEW CHANTIER DES TERRASSES DE LAVAUX Christian Constantin coordonne les travaux

Quels projets ont particulièrement compté dans votre carrière? Difficile à dire... Disons que cet immeuble de 1906 à Montreux, situé près de l’Alcazar et qui devait être démoli avant qu’on le sauve a été important pour moi. Il a pour particularité d’avoir été conçu par des artisans fantastiques qui avaient réalisé là des plâtres, des vitraux ou des moulures simplement extraordinaires. Pour ces raisons, c’est un projet que j’ai beaucoup aimé. Bien sûr, je fais aussi des centres commerciaux dont la durée de vie ou la fonctionnalité seront très différentes. Mais dans mon activité, ces projets très distincts coexistent facilement. Parmi les projets en cours, lesquels vous tiennent particulièrement à cœur? Celui des Terrasses de Lavaux mené sur le site de l’ancien Grand Hôtel du Signal à Puidoux. Mon voisin direct, c’est l’UNESCO. Là, je fais un projet à hauteur d’environ 300 millions qui comprend plusieurs dizaines de résidences avec services hôteliers et une zone d’activités sportives. Pourquoi? Parce que je pense qu’on est entré dans une ère où le mouvement va prendre de plus en plus d’importance. Cela parce que le digital détourne l’humain de son corps. En robotisant l’activité, on est en train de piéger l’être humain dont on sait la tendance naturelle à l’oisiveté. Je crois que ce qui est en train de s’estomper, c’est le courage, la bravoure. Les Terrasses de Lavaux se construisent en réaction à ce constat. Ce sera un complexe consacré à la performance. L’écologie est-elle une notion que vous avez à l’esprit quand vous construisez? Ça a toujours compté pour moi, et pour le Valais en général! Quand j’étais gamin, on allait jouer

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«Quand je bâtis, c’est toujours en fonction de la préservation de la nature» au foot dans les champs des vaches. Tu pouvais être sûr en arrivant là le lundi que quelqu’un était venu faire un feu durant le week-end en laissant son bordel derrière lui. Les animaux pouvaient se blesser en mangeant ce qui restait des boîtes de conserve abandonnées, et notre place de jeu était bousillée. On a donc tout de suite appris qu’on avait tout intérêt à prendre soin de l’environnement. Depuis, quand je bâtis, c’est toujours en fonction de la préservation de la nature. Vous dessinez toujours? J’apporte toujours mon trait aux projets que je mène dans mon bureau d’architecture. J’ai dans mon équipe un type avec qui je travaille depuis plus de trente ans, Vasile Muresan. Il a le mérite de me comprendre immédiatement quand je lui fais trois traits afin de préciser ou de rectifier un dessin ou bien un plan. C’est fondamental pour moi d’intervenir personnellement sur l’aspect créatif des projets que je poursuis. Quel est votre programme pour les prochaines années? En tout, sur 2019-2023, je dois réaliser un total de trente-cinq opérations. Ça représente un tiers du million de mètres carrés de terrain à bâtir qu’il reste en ma possession.

CHRISTIAN CONSTANTIN EN 5 DATES > 07.01. 1957 Naissance à Martigny > 1975 Débute une carrière de gardien de but professionnel (jusqu’en 1991) > 1978 Ouverture du bureau d’architecture Christian Constantin SA > 2003 Reprend la direction du FC Sion (après une première présidence de 1991 à 1997) > 2018 Publie le texte autobiographique Je voulais vous dire (avec Philippe Dubath, éditions de l’Aire)


LES RÉALISATIONS EN COURS DE CHRISTIAN CONSTANTIN Christian Constantin sur tous les fronts L’infatigable bâtisseur poursuit actuellement quelques trente-cinq projets menés du Valais au canton de Vaud. Entre ville, villégiature et montagne: panorama de son savoirfaire en trois constructions en cours de réalisation

LES TERRASSES DE LAVAUX

Par Valery Banton Images 3D Saywhat Creative Factory

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’infatigable bâtisseur poursuit actuellement quelques trente-cinq projets menés du Valais au canton de Vaud. Entre ville, villégiature et montagne: panorama de son savoir-faire en trois constructions en cours. Les Terrasses de Lavaux SA, Puidoux Construit sur le site de l’ancien Grand Hôtel du Signal à Puidoux, le complexe situé dans la région des vignobles en terrasses du Lavaux, patrimoine mondial de l’UNESCO, comprend sur vingt-deux hectares un ensemble de vingt appartements de standing offrant une vue imprenable sur le Lac Léman. Implanté au cœur d’une nature authentique, il sera complété d’un hôtel de luxe avec restaurant gastronomique et d’installations sportives haut de gamme: piscine semi-olympique, courts de tennis, salle de sport et équipements de fitness de pointe.

RÉSIDENCE LA 13e

Résidence La «13e», Sion Situé proche du cœur de Sion, le bâtiment qui comprend quarante-cinq appartements (de 2,5 à 5,5 pièces) et offre 82 places de parking, propose une situation stratégique. Implantée à proximité de la vielle ville, des écoles, des commerces et des transports, la résidence assure à ses résidents des espaces lumineux et un confort optimal, leur garantissant en outre de jouir du calme et des paysages incomparables du Valais. Les Champs de Poudreuse, Crans-Montana Organisée en cinq chalets de cinq appartements chacun, cette résidence de haut standing profite d’un emplacement ensoleillé de premier choix au cœur de la célèbre station valaisanne. Orientée plein sud, chaque parcelle bénéficie également d’une vue panoramique à couper le souffle sur les Alpes valaisannes, du Weisshorn jusqu’au Mont-Blanc. Aux Champs de Poudreuse, les sommets parmi les plus légendaires de Suisse sont à vos pieds.

LES CHAMPS DE POUDREUSE

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CAHIER SPÉCIAL

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mpliqués dans la construction de nouveaux langages du bâti ou dans l’élaboration de solutions énergétiques neuves, des talents suisses imaginent des voies inédites pour l’architecture contemporaine ou l’ingénierie. Visionnaires, faisant preuve d’une audace salutaire, ces femmes et hommes proposent, de La Côte au Valais et jusqu’à New York, des réponses innovantes aux grandes problématiques urbaines ou environnementales. Panorama.

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Sommaire 38 Révolution: Béton sans ciment 43 Architecture: Frédéric Levrat 46 Les femmes ingénieures 50 Autoroute solaire 58 Swiss Design Center 68 Golf Resort La Gruyère 71 Aéropôle de Payerne 72 CIO de Lausanne 73 Les Jardins de la Pâla

Photo © DR

74 Nestlé Vevey

SWISSTECH CONVENTION CENTER Situé sur le campus de l’EPFL, il est le premier centre de congrès entièrement automatisé au monde

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GNANLI LANDROU Du béton écologique pour répondre aux défis du futur

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RÉVOLUTION

Sélectionné par le programme Forbes 30 Under 30 comme l’un des jeunes inventeurs parmi les plus prometteurs, le Togolais a mis au point avec sa start-up Oxara un «béton sans ciment» qui pourrait bien révolutionner partout le domaine de la construction Par EMMANUEL BIANCHI

À

seize ans, venu du Togo, il s’installe à Marseille dans une famille d’accueil. Pour principal bagage, alors, Gnanli Landrou possède son seul talent scientifique. Quinze ans plus tard, ce trentenaire également DJ reggae et dub à ses heures compte parmi les ingénieurs-pionniers les plus prisés du globe. Pour avoir co-inventé un nouveau ciment capable de répondre aux défis environnementaux sa démarche inspire et force unanimement le respect. En effet, à l’heure de l’appauvrissement des ressources naturelles et du changement climatique, son «cement-free concrete» développé au sein de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) pourrait bien bouleverser l’industrie mondiale du bâtiment. Une perspective intimidante que l’ingénieur envisage néanmoins avec sagesse. «Ma vision consiste juste à permettre l’accès à des logements sains et abordables aux quatre coins du monde», résume-t-il humblement.

dance et utilisée depuis plus de dix mille ans dans le secteur de la construction», détaille-t-il. Par la suite, inscrit dans une école française, son intelligence hors norme est remarquée par un enseignant qui l’aide à rattraper son retard scolaire. Baccalauréat en poche, il part ensuite pour Limoges suivre une formation universitaire en sciences des matériaux, puis rejoint l’École polytechnique fédérale de Lausanne en 2013 où il défend sa thèse. «J’ai eu de la chance», se contente de résumer Gnanli, un rien amusé, quand on l’interroge sur son itinéraire idéal. Un parcours académique sans faute qui, en 2014, le voit engager à l’EPFZ un doctorat en «construction durable» dans le cadre de la chaire dirigée par Guillaume Habert. Intitulée «Développement de béton

«L’argile est un matériau idéal, disponible en abondance et utilisé depuis plus de dix mille ans dans le secteur de la construction.»

«J’ai eu de la chance» Le Togo, alors. Gnanli Landrou y est né il y a 29 ans, grandissant dans «une maison en terre battue en compagnie de mes frères et sœurs», comme il le rapporte pudiquement. Peu avant l’adolescence, il traverse cette fois l’Afrique de l’Ouest en compagnie de son oncle, un travailleur itinérant auprès de qui il apprend à cultiver la terre et à construire des habitats en argile. L’épisode le marque fortement. «J’ai d’abord réalisé durant ces années que l’argile est un matériau de construction idéal, disponible en abon-

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RÉVOLUTION

«Grâ ce à notre technologie, les matériaux d’excavation argileux sont remployés et permettent de construire des murs non porteurs moins chers que le béton et que les briques»

à base d’argiles auto-compactantes», sa recherche porte sur le «transfert de connaissances en béton auto-compactant et de technologies de moulage par coagulation directe dans la terre en tant que matériaux de construction pour la mise au point d’un béton alternatif», comme Landrou l’explique soigneusement. En germe, attend un processus «qui permet de transformer les matériaux d’excavation à base d’argile en un béton alternatif sans addition de ciment». «90% plus respectueux de l’environnement» Le béton? Le matériau de construction le plus utilisé au monde. Mais un matériau à la fabrication affreusement polluante. «Le béton contribue à détruire la planète. Pour chaque mètre cube généré c’est en effet une tonne d’équivalent en CO2 relâchée dans l’atmosphère», explique Gnanli Landrou qui, citant des articles scientifiques récents, avance

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GNANLI LANDROU EN 5 DATES > 1990 Naissance au Togo > 2013 Défend sa thèse à l’EPFL > 2014 PhD dans le cadre de la chaire «construction durable» à l’EPFZ > 2018 Lancement de la start-up Oxara soutenu par Pioneer et EPFZ > 2019 Sélectionné par le prestigieux programme Forbes 30 Under 30

même: «sa fabrication est responsable d’une pollution atmosphérique égale, voire supérieure, à celle produite par les voitures et les avions cumulés dans le monde!» Associé au spécialiste des matériaux Thibault Demoulin et à l’architecte Daria Ardant au sein de la start-up Oxara fondée en 2018, l’ingénieur élabore alors un béton sans ciment «90% plus respectueux de l’environnement et 60% moins coûteux», comme il le précise. «Au cours de mes études, j’ai étudié les défis auxquels doit faire face l’industrie mondiale de la construction, raconte Gnanli: que ce soit la production de ciment à forte intensité d’énergie et de CO2, la diminution de l’offre de sable et de gravier de construction ou le coût élevé du béton qui rend son utilisation inabordable dans de nombreux pays, africains notamment. Pour élaborer notre procédé, mes associés et moi avons changé notre regard sur les matériaux d’excavation, nous disant que ce n’était finalement là rien


d’autre que du «bêton sans ciment». Une fois assimilé cette donnée, il a suffi de «tricher» afin de créer du bêton écologique.» «Moins cher et moins polluant» Afin de créer ce ciment «modifié», Oxara propose d’utiliser en premier lieu les matériaux d’excavation argileux, résidus généralement négligés. Ajoutez à cela de l’eau et un additif spécialement mis au point et un «béton sans ciment» peut être aisément obtenu. «En Suisse, nous disposons de matériaux d’excavation en abondance, et cela alors même que Genève encourage à trouver des solutions permettant de s’en débarrasser sans devoir les décharger en France à prix d’or, détaille Gnanli Landrou. Grâce à notre technologie, non seulement les matériaux d’excavation argileux sont remployés, mais ils permettent de construire des murs

«En Suisse, nous disposons de matériaux d’excavation en abondance, et cela alors même que Genève encourage à trouver des solutions permettant de s’en débarrasser sans devoir les décharger en France à prix d’or.»

de bourse Pioneer. Dotée d’un capital de départ de 150 000 CHF, elle jouit en outre d’un coaching personnalisé et de bureaux mis à sa disposition sur le campus de l’EPFZ. Parmi ses objectifs immédiats: la production de milliers de mètres cubes de «béton sans ciment» en vue d’une construction à grande échelle. Que Gnanli et son équipe atteignent cet objectif et le marché de la construction pourrait en être rapidement (et radicalement) changé. À titre d’exemple, pour le seul territoire suisse, ce business est actuellement estimé à environ 700 millions de CHF! Une perspective de succès majeur qui n’affole pas Landrou pour autant, l’ingénieur récemment distingué par le programme international Forbes 30 Under 30 (sélection annuelle des trente entrepreneurs les plus prometteurs au monde réalisée par le magazine américain Forbes, NDLR) préférant évoquer son premier salaire de doctorat utilisé pour rentrer au Togo «après huit ans d’absence» afin de rendre visite à sa famille. «Je peux maintenant prendre en charge les frais de scolarité de mes frères et sœurs», déclare-t-il, ne cachant cette fois pas sa fierté. Site officiel: www.oxara.ch

OXARA: UNE ÉQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE

constituée par (de gauche à droite): Daria Ardant, architecte et ses deux fondateurs, l’ingénieur togolais Gnanli Landrou et Thibault Demoulin, tous deux spécialistes des matériaux

non porteurs moins chers que le bêton et que les briques, et jusqu’à 90% moins polluants en CO2.» Associée au Rwanda à l’ONG Earth Enable, Oxara a récemment utilisé sa technologie pour construire des dalles destinées à des constructions habitables. Succès. Et crispations immédiates dans l’industrie de la construction. «Certaines sociétés du bâtiment nous ont approché, nous demandant de poursuivre notre activité tout en intégrant un peu de ciment à notre procédé, rit Gnanli Landrou. Nous avons refusé. D’abord, parce que cela irait à l’encontre de notre démarche initiale. Ensuite, parce que notre procédé ne peut simplement pas fonctionner avec du ciment, même en l’injectant à très faible quantité!» Perspective de succès majeur Récent lauréat du prestigieux concours Together We’re Better 2019 (catégorie Think Globally, Act Locally) créé par la Direction du développement et de la coopération et le Secrétariat d’État à l’économie, Oxara est également soutenu par le programme

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ARCHITECTURE

FRÉDÉRIC LEVRAT

«l’architecture est un art pour reconsidérer son milieu» Formé à l’EPFL, l’architecte vaudois installé à New York depuis trois décennies poursuit une approche avant-gardiste où construire est une forme d’expression artistique qui signifie constamment interroger, inventer et renouveler. Entretien

Par DAVID BRUN-LAMBERT

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ubaï et Kaboul, Abou Dabi et Mumbai, Zurich ou New York: résident de la Grosse Pomme depuis la fin des années 1980, Frédéric Levrat défend, loin de Lausanne où il a étudié, une architecture déconstructiviste capable, comme il le dit, d’interroger la «complexité du monde contemporain». Disciple de Peter Eisenman (notamment auteur du Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe), ce fin théoricien par ailleurs enseignant en architecture au sein des plus prestigieuses universités américaines, se démultiplie entre constructions à l’avant-garde, conférences données au Japon,

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ARCHITECTURE RELIQ SHOWROOM Réalisation du showroom newyorkais de la marque internationale de jeanswear en 2005

Osaka. Une fois ces deux expériences achevées, je suis retourné à Lausanne boucler mon diplôme. Quel regard portez-vous sur l’enseignement en architecture que vous avez reçu en Suisse? Concernant l’EPFL, je dirais que c’est une très bonne école pour apprendre les choses de bases, un certain pragmatisme. Mais j’étais déjà plus intéressé par une approche philosophique de l’architecture. Une approche qui ne regarde pas nécessairement le passé, mais au contraire plutôt le présent et le futur proche. Construire une ville ou un habitat est quelque chose d’à la fois très sérieux et passionnant. Pour l’appréhender, autant disposer d’idées riches appuyées sur un socle intellectuel contemporain solide. Cette démarche n’était alors pas considérée en Suisse? Disons qu’à l’époque la Suisse opposait souvent un certain conservatisme aux idées nouvelles. Vous proposiez: «on va faire quelque chose de totalement expérimental et qui n’a jamais été fait». On vous répondait: «non, on fait comme ceci ou comme cela depuis des siècles, et on n’a pas besoin de faire autrement!» C’est un pays que j’aime toujours, dont j’apprécie l’organisation, la culture, les paysages. Mais je ne trouve pas que ce soit un lieu facile pour explorer ou expérimenter en architecture.

«Je suis depuis longtemps intéressé par la relation qui existe entre le visuel, le virtuel et le physique.»

en France ou en Chine, ou encore publications remarquées traitant de l’impact des nouvelles technologies sur les espaces publics. Parmi ses dernières réalisations saluées: la construction d’un restaurant sur St. Mark’s Place à Manhattan ou la conception d’une école dans le Bronx. Dialogue avec un New-Yorkais de cœur n’ayant rien oublié de l’importance de son héritage culturel suisse. Comment vous êtes retrouvé à New York? Le cursus que je suivais en tant qu’étudiant en architecture à l’EPFL imposait une année de stage. Je suis donc parti à Manhattan travailler chez l’architecte et théoricien américain Peter Eisenman. De manière intéressante, j’ai dessiné un projet pour Eisneman à Tokyo, le Koizumi Building. Je suis ensuite allé faire un stage chez Tadao Ando à

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Pour autant, vous y avez mené quelques projets… En effet, j’y ai travaillé sur un projet pour Peter Eisenman qui aurait dû être créé Place des Nations. Il a été finalement annulé après une votation en 1998. Plus tard, j’ai réalisé un centre de recherche pour l’Université de Genève à Versoix. Pendant un moment, j’avais même un bureau à Genève et un autre à New York. Toutes les deux semaines je voyageais entre ces deux villes. C’était épuisant. Il m’a fallu choisir. Ce fut New York. À quoi ressemblait Manhattan quand vous vous y installez à la fin des années 1980? La ville se relevait de la banqueroute économique qui l’avait frappée durant les années 1970. New York opérait encore sa transition entre un système de production économique et industriel à bout de souffle, et l’avènement d’un système économique tertiaire. Tous les grands entrepôts de Soho ou Tribeca étaient plus ou moins vides, squattés par des artistes, ainsi que des quartiers entiers comme l’East Village, où je me suis établi. Des opportunités attendaient partout. J’aimais cette jungle urbaine où rien n’était jamais fixé, précisément en contraste avec la Suisse où la société est beaucoup mieux organisée. Pour autant, construire à New York n’est pas sans difficulté… En effet, bâtir à Manhattan est compliqué. D’abord parce que la ville est déjà très construite. Ensuite parce qu’il est difficile de faire en sorte que toutes les conditions soient parfaitement alignées: client, lieu, design, budget. Il y a donc beaucoup plus de transformations ou d’aménagements intérieurs à New York que de nouveaux bâtiments érigés. La tendance y est actuellement de détruire un


immeuble de trente étages pour construire à sa place un nouveau building de soixante étages! L’architecture a-t-elle un pouvoir? Elle est capable d’influer sur la vie des gens. L’architecture ne consiste pas à placer un toit et des fenêtres sur un immeuble. C’est un art qui permet à chacun de reconsidérer son milieu. Je suis depuis longtemps intéressé par la relation qui existe entre le visuel, le virtuel et le physique. J’essaye de construire des bâtiments qui questionnent cette relation entre environnement visuel et environnement physique.

SHAMS TOWER Projet d’un immeuble résidentiel de 35 étages à Shams Island, Abu Dhabi

Vous avez poursuivi plusieurs projets dans les pays du Golfe. Est-ce un lieu plus propice à l’expérimentation architecturale? Dubaï, par exemple, est un véritable terrain de jeu pour architecte! On y construit des centaines de bâtiments chaque année. Pourquoi? Peut-être parce que les aspects sociaux, politiques ou économiques y sont contemporains et en permanente fluctuation. C’est un endroit en opposition totale de la Suisse qui, elle, a un bagage culturel magnifique, mais très lourd. À Dubaï, une société qui vient de naître, qui est à la fois ouverte à tout et à rien, on n’hésite pas à innover. Quelle place tient l’enseignement dans votre travail? Une place importante. Avoir enseigné pendant vingt ans à l’Université Columbia de New York et aujourd’hui notamment au Pratt Institute me permet de mettre à l’épreuve auprès des étudiants des théories architecturales nouvelles, mais aussi de leur transmettre des outils fondamentaux: savoir construire une idée, par exemple. Ou encore voir jusqu’à quel point le conceptuel possède en lui-même un projet d’organisation, et comment il peut devenir un système à part entière. La relation entre le matériel et l’immatériel, l’informationnel et le physique, est au cœur de ma réflexion.

comme une protection envers les choses qui nous menacent. Aujourd’hui, il faut constituer un nouveau contexte afin de comprendre un environnement qui n’est plus forcément in situ, mais plutôt fondé sur de l’information non-située. Pour moi une des conditions les plus critiques de notre environnement contemporain est l’éducation par expériences médiées, essentiellement à travers des écrans, plutôt que par des expériences vécues personnellement. L’environnement construit, comme la ville ou des bâtiments architecturaux, peuvent devenir des charnières expérientielles entre notre contexte informationnel et physique. Site officiel: www.levratdesign.com

Qu’est-ce qui vous a mené à explorer ce questionnement théorique? Il me semble que les gens ne comprennent pas forcément quel impact les informations qu’ils reçoivent ont dans le monde physique. Peter Eisenman disait qu’on devrait construire l’architecture

«Construire une ville ou un habitat est quelque chose à la fois très sérieux et passionnant.»

APPARTEMENT DB Réalisation d’un appartement privé à Manhattan

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PORTRAIT SYLVIE VILLA Ingénieure physicienne à l’EPFL et de leadership à l’IMD

Le métier d’ingénieur:

et si la solution venait des femmes?


INGÉNIERIE

Quelle image avons-nous du métier d’ingénieur? Comment sensibiliser le public à l’importance de ce métier, à sa richesse et à sa dimension créative? Entre pénurie et manque d’attractivité, deux femmes ingénieures au parcours exemplaire nous apportent quelques pistes Par NATHALIE BRIGNOLI

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n dépit d’une demande en très forte augmentation ces dernières années en Suisse, la pénurie d’ingénieurs demeure évidente et marquée. Selon les récentes publications du SECO, qui prévoient un manque accru dans le moyen à long terme, d’environ 50 000 professionnels dans cette branche. Comment y remédier? La solution pourrait-elle venir des femmes? Force est de constater que les entreprises ont du mal à recruter dans ce secteur et, quand elles le font, il y a souvent une forte discordance entre les attentes de l’employeur et les demandeurs. Toutes les branches du MINT (Mathématiques, Informatique, Sciences naturelles et Techniques) nécessitent ainsi d’être renforcées par des mesures visant à transformer la politique de formation et à attirer davantage les femmes, notamment par des initiatives créées entre les entreprises. Un manque d’attractivité Quelques chiffres éloquents: selon l’étude de l’Académie suisse des sciences publiée fin 2017, pendant l’année académique 2016, sur les quelque 230 000 étudiant-e-s immatriculé-e-s dans des universités et des hautes écoles spécialisées (HES) suisses, près de 63 000 l’étaient dans des filières MINT au sens le plus large (incluant notamment l’architecture, les Life Sciences et l’agriculture): et sur ces 63 000, 30 000 l’étaient dans les domaines de la technique et de l’informatique… en bref le T et le I du MINT sont particulièrement demandés sur le marché du travail. Autre constat: la proportion de femmes est extraordinairement faible dans ces disciplines I et T, exemple en génie mécanique (9% à EPF’s et 4 à 5% HES), en électricité (13% EPF’s et 5% HES) et en informatique (11% EPF’s et 7% HES). Les choses semblent pourtant changer quelque peu… Si l’on se penche sur les vingt dernières années, la proportion de femmes a tout de même augmenté. Nous sommes actuellement à un stade où les femmes qui veulent apprendre et exercer le métier peuvent le faire de différentes manières et sans trop d’obstacles, ce qui est déjà un progrès. Cependant, le fait que peu de femmes choisissent cette voie et y occupent des postes de direction montre que du travail reste à faire.

Deux femmes ingénieures engagées Pour comprendre cette discordance entre la demande d’ingénieurs et la pénurie de spécialistes, ainsi que la sous-représentation des femmes dans les écoles d’ingénieurs, nous avons rencontré Brigitte Manz-Brunner, ingénieure ETH, directrice générale NaTech Education et de l’ASFI (en allemand SVIN Schweizerische Vereinigung der Ingenieurinnen) et Stv. Managing Partner, Senarclens, Leu + Partner AG; et Sylvie Villa, ingénieure physicienne à l’EPFL et de leadership à l’IMD. L’ASFI s’engage en exposant des modèles positifs, en présentant la diversité des parcours professionnels dans les domaines de l’ingénierie, par exemple avec l’exposition «Ich bin Ingenieurin », avec laquelle elle vise à montrer que le domaine MINT ouvre de nombreuses perspectives professionnelles. Avec son projet KIDSinfo, elle envoie les femmes ingénieurs dans les classes primaires afin qu’elles présentent leur travail quotidien et contribuent à démontrer la fascination et les perspectives de ses disciplines MINT. De son côté, Sylvie Villa, après plusieurs années dans l’industrie, a enseigné (elle fut notamment responsable du domaine Ingénierie et Architecture chapeautant les six écoles d’ingénieure-s de Suisse romande) et créé des événements et programmes pour encourager les jeunes femmes à s’engager dans des formations et professions techniques et scientifiques. Entrepreneure, elle a fondé sa propre structure, LYVA, dont le but est d’apporter aux femmes du concret pour évoluer vers de nouveaux modèles. Il s’agit d’un programme inédit, ludique et didactique, qui réunit ambassadrices, apprenties et écolières et développe l’enthousiasme des jeunes filles pour les métiers techniques.

«C’est à nous de créer et d’imposer des modèles de fonctionnement pour les jeunes femmes, en étant présentes sur le terrain»

Changer l’image et les structures Sylvie Villa et Brigitte Manz-Brunner se rejoignent clairement sur un point: dans certains groupes professionnels, comme, par exemple la pédagogie et la médecine. Les changements se sont produits plus rapidement. Dans d’autres disciplines, notamment dans le domaine MINT, rien n’a changé pendant longtemps. Brigitte Manz-Brunner développe: «Il est pratiquement impossible de trouver une explication unique au manque d’intérêt des jeunes femmes pour la technologie et l’ingénierie. Le manque de modèles féminins, que toutes les parties regrettent, est tout autant une réalité en Suisse que le déséquilibre flagrant entre la dépendance et l’intérêt pour la technologie dans notre société. Sans doute ne trouvons-nous pas les bonnes approches pour susciter la curiosité et l’intérêt des jeunes, en particulier celle des jeunes femmes ou alors les professions souffrent-elles

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PUBLIREPORTAGE

L’EAU, UNE RESSOURCE PRÉCIEUSE Economisez 50% d’eau potable grâce à la récupération d’eau de pluie par les solutions proposées par RVG Conseils

S

eulement 1 % de l’eau de notre terre peut être considérée comme potable. Cette eau doit donc être consommée de façon responsable afin de la préserver. Il n’est pas utile d’utiliser l’eau potable par exemple pour toutes les tâches ménagères comme la toilette ou l’arrosage. Pour ces utilisations, celle-ci peut être remplacée par de l’eau de pluie. Rapides et faciles à installer Pourquoi gaspiller de l’eau potable qui coûte cher pour des activités qui ne le nécessitent pas? L’eau de pluie, outre le fait qu’elle soit gratuite, ne contient ni calcaire, ni chlore; pour arroser son jardin, ses fleurs, ses plantes, ses légumes, laver sa voiture, ses outils de jardin..., il n’y a pas mieux! Le potentiel d’économies est d’environ 50 % pour les ménages et environ 85 % pour des projets commerciaux. RVG conseils, établis depuis 2002 à Enges installent de tels systèmes! Pour récupérer une eau de bonne qualité, il est indispensable de la filtrer. Débarrassée des salissures de toutes sortes et protégée de la lumière, l’eau demeure claire et fraîche. Mais attention, les filtrages ne

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CONSOMMATION D’EAU MOYENNE PAR MÉNAGE (environ 130 litres) EAU POTABLE

Cuisson, boisson

3l

Autres

Lavage vaisselle

6l

9l

Installation d’une cuve pour maison autarcique

47 l Bain, douche

EAU DE PLUIE

16 l Arrosage jardin, nettoyage

Lavage linge

Toilettes

14 l

35 l

rendent pas pour autant l’eau de pluie potable: Pour cela, RVG conseils installe des filtres Ultraviolet. Cependant, une séparation entre le réseau public et le réseau d’eau de pluie est obligatoire car il est interdit de connecter le réseau d’eau de pluie sur celui de l’eau de ville. L’eau de pluie est écologique et économique Les avantages des solutions proposées par RVG Conseils: • Economie d’argent réalisée • Eau de qualité • Protection de la nappe phréatique • Réduction des dépenses d’énergie pour le traitement de l’eau potable • Multiples solutions pour les collectivités, comme le soulagement du réseau d’assainissement collectif ou les économies d’eau potable. RVG est importateur des produits Graf depuis 2002.


INGÉNIERIE d’un manque d’attractivité…» Brigitte Manz-Brunner met ainsi l’accent sur l’image de soi (doutes sur sa propre compétence technique), en lien avec différentes études qui confirment le rôle décisif de l’image de soi par rapport à la technologie - le «concept de soi» - par rapport à la technologie. Elle cite l’exemple des performances des filles et des garçons dans les matières scolaires mathématiques et physique. À l’école primaire, les deux groupes obtiennent des résultats presque égaux, mais cela change nettement avec le début de la puberté. Dans cette phase le développement du positionnement du genre joue un rôle très important. Si l’on sait que ces deux branches sont fortement associées aux caractéristiques du sexe masculin dans la perception des jeunes gens, il est moins surprenant que les compétences MINT ne soient pas très attractives pour le développement identitaire des jeunes femmes. Cette corrélation négative entre l’image masculine de MINT et l’affinité pour cette branche s’explique bien dans ce contexte. «Les métiers d’ingénierie sont de plus en plus des domaines d’activité idéaux pour les femmes, dont on dit généralement qu’elles ont des compétences sociales et de communication supérieures à celles des hommes. Mais pour que les femmes ingénieures et techniciennes deviennent la norme sur le marché du travail, il faudrait que chaque petite fille à l’école enfantine surprenne sa famille une fois par an avec le message: «Aujourd’hui j’ai construit une machine à vapeur», ajoute Brigitte ManzBrunner Une voie d’avenir Sylvie Villa, quant à elle, distingue deux volets: «C’est à nous de créer et d’imposer des modèles de fonctionnement pour les jeunes femmes, en étant présentes sur le terrain, pour les inciter à se lancer. Les femmes travaillent à 100%, pourquoi pas dans le MINT? Premièrement, il faut travailler sur l’image de ce métier et bien le «vendre». Peu de jeunes femmes imaginent tout ce qu’il y a à faire pour le recyclage, l’énergie renouvelable, ce sont d’énormes enjeux auxquels il faut les sensibiliser ! Il y a beaucoup de sujets sensibles, comme l’avenir de nos panneaux photovoltaïques…» Deuxièmement, une fois que les femmes choisissent cette voie, il faut les maintenir actives dans leur poste de travail, en considérant leur vie familiale dans sa globalité et l’on en vient ainsi au problème du recrutement, où l’on cherche

toujours des jeunes pas trop chers. Je dis clairement qu’il faut «démocratiser» le métier d’ingénieur, il est accessible, pas réservé à une élite (j’ai démarré moimême par un apprentissage d’électronicienne), cela peut se construire par étapes, c’est un métier à valoriser, en le liant au bien-être quotidien.» Motivation et passion pour le terrain Il nous reste à comprendre quelle est la motivation des femmes qui se lancent dans ce métier. Faut-il des qualités ou des dons spécifiques? Brigitte Manz-Brunner développe: «Il s’agit surtout de «changer» les structures actuelles pour que cette option devienne naturelle aussi pour les femmes! Il y a cent ans, les femmes se trouvaient dans une situation où il n’y avait pas de femmes occupant des postes de direction dans aucun groupe professionnel. Ces dernières ont peu à peu formulé leurs exigences et elles ont ainsi modifié des systèmes qui s’étaient développés au fil des générations. Nous exigeons à présent que plus de femmes soient présentes dans les professions d’ingénieurs et les fonctions de direction, alors que la société a été dominée par les hommes pendant des générations. Pour faire évoluer cette structure, il faut d’abord que toutes les parties réfléchissent honnêtement aux raisons pour lesquelles il faut diversifier les équipes d’ingénieurs d’aujourd’hui, et reconnaître la valeur ajoutée de la diversité! C’est un métier qui demande une passion pour le terrain et une motivation à s’y développer. Les femmes qui se lancent ont besoin d’un sentiment de confiance en soi particulièrement prononcé! Ce qu’il y a de merveilleux dans cette profession, c’est qu’elle est basée sur le langage des sciences naturelles, un langage mondial qui est compris partout et qui offre des connaissances solides et donc la base et la reconnaissance d’une profession solide, par exemple dans les sciences de l’ingénieur.» Sylvie Villa poursuit: «Bien sûr que j’ai une nature de femme d’action et de terrain, pour exercer ce métier il faut aimer apporter des solutions. J’ai démarré par un apprentissage d’électronicienne et j’ai eu la chance de ne pas avoir de modèle dans mon éducation, ce qui m’a apporté une grande liberté. Les hommes ont encore tendance à cultiver l’image d’un métier très «matheux», alors qu’il n’y a pas que la technique. Ce métier offre un environnement idéal pour une formation par étapes, avec des parcours atypiques.»

Brigitte Manz-Brunner: «Il est pratiquement impossible de trouver une explication unique au manque d’intérêt des jeunes femmes pour la technologie et l’ingénierie»

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INNOVATION

LA PREMIÈ AUTOROU RE VA VOIR LETE SOLAIRE JOUR À FU LLY La société zougoise SERVIPIER poursuit un projet pilote en Valais qui, à terme, pourrait mener les autoroutes suisses à se couvrir de panneaux photovoltaïques. L’énergie produite remplacerait celle que génère le parc nucléaire suisse Par EMMANUEL BIANCHI IMAGINEZ: PRÈS DE 750 KILOMÈTRES D’AUTOROUTE EN SUISSE recouvertes de structures métalliques supportant une myriade de panneaux solaires, mais aussi dotées d’une technologie de conversion de l’énergie éolienne. Un dispositif efficient qui, dans quelques années, pourrait bien remplacer l’ensemble du réseau nucléaire. Douce utopie? Au contraire! Sous la direction de l’ingénieur Laurent Jospin, la société Servipier AG s’y consacre pleinement. Fin 2021, elle aura achevé son projet-pilote. Soit l’installation d’une structure érigée au-dessus de l’autoroute A9 à Fully, en Valais, sur 1,6 kilomètres. Recouverte de quelques 37 000 panneaux photovoltaïques, ce système permettra de produire 19 GWh par an –­ soit la consommation d’environ 20 000 personnes.

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AVANTAGES COMPLÉMENTAIRES Bien plus qu’une autoroute seulement solaire, la solution est conçue de façon à apporter toute une série d’avantages complémentaires les uns aux autres, dont, notamment, une forte capacité d’extraction d’énergie éolienne, une réduction du service hivernal autoroutier, la prolongation de la durée de vie du revêtement routier, la captation des eaux de pluie, le passage de câbles divers, le soutien à l’e-mobilité, et d’autres encore. L’ensemble forme un tout cohérent capable de produire un équilibre économique sous des latitudes et des climats totalement différents.


«Notre capacité de production dépasse déjà le maximum possible de nos concurrents.» Laurent Jospin

ÉNERGIE SOLAIRE ET ÉOLIENNE «Nous travaillons à ce concept depuis maintenant dix ans, précise Laurent Jospin, ingénieur aux commandes de Servipier AG depuis 2000. En 2009, nous avons élaboré l’idée qui a permis de développer l’ensemble du projet. L’année suivante, nous avons lancé le projet Swiss EnergyPier afin de relever le défi des énergies renouvelables consistant à produire de grandes quantités d’énergie électrique en couvrant de larges surfaces disponibles dans le monde entier: autoroutes, routes, voies navigables.» L’ensoleillement exceptionnel du Valais (plus de 2000 heures par an) et l’existence d’un long bout droit d’autoroute à Fully a convaincu l’ingénieur de la pertinence de celui-ci pour y tester son concept. Il ne s’agira pas d’une chaussée solaire contrainte de supporter l’usure générée par le trafic, comme celle expérimentée, puis finalement abandonnée en Vendée. Mais une variante ingénieuse de ce dispositif où les panneaux solaires sont positionnés en dessus du flux des véhicules. Habile, l’idée permet de réduire les coûts et l’érosion des installations, et de maximiser le rendement des panneaux photovoltaïques tout en garantissant une sécurité maximale des usagers. Mais Servipier AG n’entend pas se contenter de produire seulement ici de l’énergie solaire. En effet, les structures imaginées fonctionneront également comme un catalyseur de vent. «De cette manière, explique Laurent Jospin, le segment de Fully pourra générer jusqu’à 38 Gwh d’énergie naturelle. En outre, la proximité d’installations hydroélectriques pourrait également permettre de créer d’intéressantes synergies.» Débuts 2011, le projet était soumis à l’Office Fédéral des Routes (OFROU).

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INNOVATION Intéressé par la possibilité d’intégrer cette solution dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050, le département autorisait alors Servipier à développer son concept sous son contrôle concernant tous les aspects liés à la sécurité du trafic. Le 22 août 2018, la société signait finalement une convention avec l’OFROU, étape nécessaire en vue d’une mise à l’enquête. Le lancement du chantier était programmé à l’automne 2019. Il devrait durer huit mois. Coût de l’opération: 50 millions de francs issus de fonds privés. Aucune subvention n’est envisagée. UN PROTOTYPE Pour Servipier, ce «mille» (mesure terrestre anglosaxonne équivalente à une longueur d’environ 1609 mètres) expérimenté à Fully vaut pour «vitrine» comme l’assure Laurent Jospin. En effet, loin de se cantonner au Valais, l’ambition de la société s’affiche d’emblée nationale, sinon mondiale. Alors que par le passé, d’autres projets similaires avaient déjà été inaugurés aux États-Unis, en Hollande, en Chine ou même en Suisse, l’entreprise zougoise est à ce jour la seule à être parvenue à mettre sur pied son séduisant concept. «Toutes les initiatives comparables préalablement lancées étaient impossibles à financer, explique Laurent Jospin. Certaines exigeaient un budget à hauteur de 100 millions de francs le kilomètre! À titre de comparaison, nous sommes à 30 millions le kilomètre. Et sur la partie solaire, notre capacité de production dépasse déjà le maximum possible de nos concurrents.» Parmi les rêves futurs de l’ingénieur: recouvrir de panneaux photovoltaïques et de catalyseurs de vent 750 des 2200 km d’autoroutes suisses. L’opération se chiffrerait à 22 milliards de francs. Elle permettrait de remplacer l’ensemble du réseau nucléaire helvète existant. Technologie à la pointe, synergie innovante menée dans l’alliance des énergies solaires et éoliennes, enfin coûts réalistes et forte rentabilité: «l’autoroute solaire» imaginée par Servipier AG est aujourd’hui au cœur d’une forte attention, tant en Suisse alémanique qu’à l’étranger où des acteurs puissants ne cachent plus leur enthousiasme pour cette innovation. «On travaille actuellement sur une deuxième projet du côté de Zurich pour lequel les financements seraient cette fois publics, confirme Laurent Jospin, qui poursuit, secret: l’objectif reste de transformer cette technologie en un produit d’exportation 100% helvétique, et des distributeurs nous demandent déjà une exclusivité pour leurs pays respectifs.» www.energypier.ch

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La structure suffisamment haute et aérée est éclairée naturellement

«Le segment de Fully pourra générer jusqu’à 38 Gwh d’énergie naturelle.» Le tracé d’une longueur de 1600 m avec une largeur de 48 m pourra recevoir 38 000 modules solaires d’une taille de 2m2



RAYONNEMENT SUISSE

BERNARD TSCHUMI

É

tabli entre New York et Paris, le Francosuisse compte parmi les plus grands théoriciens de l’architecture mondiale. Préoccupé par l’événement, le mouvement, le collage de situations, voire le conflit, ses réalisation s’inspirent du cinéma et de la philosophie de la déconstruction

ACROPOLIS MUSEUM Inaugurée en juin 2009, cette création a remporté le prestigieux AIA Institute Honor Awards for Architecture 2011

PARC DE LA VILLETTE Le premier projet réalisé par Bernard Tschumi est l’un des paysages déconstructivistes les plus aboutis de la fin du XXe siècle.

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«BLUE TOWER» Le BLUE CONDOMINIUM, ouvert dans le Lower East Side de New York City en 2007, est la première structure résidentielle construite par Bernard Tschumi


PHILHARMONIE DE L’ELBE Bâtie à Hambourg, l’une des salles les plus grandes et performantes conçues pour la musique symphonique

PHILHARMONIE DE L’ELBE Vue de la salle de concert

HERZOG & DE MEURON

L

es Bâlois Jacques Herzog et Pierre de Meuron sont des incontournables de l’architecture internationale. De Pékin à Londres, leurs projets inaugurent des voies nouvelles pour le langage architectural et défendent une alliance raffinée entre modernisme et poésie.

NEW TATE MODERN Construit dans une centrale électrique désafectée, l’édifice regroupe depuis 2000 la collection nationale d’art moderne et d’art contemporain de la Tate Gallery

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RAYONNEMENT SUISSE

LE CORBUSIER

C

onsidéré comme l’un des architectes les plus importants des temps modernes, Charles-Édouard JeanneretGris (dit Le Corbusier dès 1920) fut aussi urbaniste, théoricien, peintre et homme de lettres. Créateur visionnaire, il a façonné la perception de l’architecture moderne.

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CHAPELLE NOTREDAME-DU-HAUT Construite de 1953 à 1955, l’icône de l’architecture sacrée chrétienne révolutionna la construction religieuse au XXe siècle LA CITÉ RADIEUSE Édifiée à Marseille en 1952, la cité bâtie sous forme de barre sur pilotis a concrétisé une nouvelle approche architecturale, dite de «village vertical»


UNIVERSITY PORT MALMÖ Construite dans le port historique industriel de Malmö, la nouvelle université a été inaugurée en 1997

DIENER & DIENER

É

tabli à Bâle depuis 1940, le cabinet d’architecture fondé par son père Marcus est dirigé depuis 2011 par Roger Diener, chantre d’un design sobre mis au service d’une architecture qui entre en résonance avec la cohésion sociale des villes contemporaines. EXTENSION DE L’AMBASSADE SUISSE À BERLIN Situé devant la Chancellerie, l’édifice aux lignes ascétiques propose une confrontation architecturale avec l’ancien palais

PARLIAMENT ASSEMBLY Inauguré en 1962 à Chandigarh, le bâtiment destiné à accueillir l’assemblée législative indienne est une icône de l’architecture brutaliste

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RAYONNEMENT SUISSE MARIO BOTTA

A

rchitecte précoce, le Tessinois dessine sa première maison à seulement seize ans. Six décennies plus tard, ce «citoyen du monde» basé à Mendrisio a conservé l’énergie et l’audace de l’adolescence. Mario Botta est un réinventeur des formes les plus simples, les plus évidentes: cercle, carré, rectangle qu’il décline en de multiples combinaisons. En 50 ans de carrière, il a conçu et bâti 22 bâtiments religieux et de nombreuses autres œuvres en Europe, au Japon, aux États-Unis….

SAN FRANCISCO MUSEUM OF MODERN ART L’un des plus grands musées au monde consacré à l’art moderne et contemporain

ATRIUM San Francisco Museum of Modern Art. Autour de l’atrium, s’organisent galeries, bibliothèque et café

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MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN WATARI Construit en 1990 à Shibuya, un quartier de Tokyo

CATHÉDRALE DE LA RÉSURRECTION D’ÉVRY La seule cathédrale bâtie en France métropolitaine au XXe siècle

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INSTANTANÉS

RAPHAËL

LUTZ LE DESIGN RADICAL ET RESPONSABLE

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DESIGN

Talentueux touche-à-tout et designer férocement doué, le Lausannois s’est spécialisé dans les arts de la table avec succès. Échange avec un instinctif racé, patron d’un studio réputé et initiateur, parmi d’autres bonnes idées, du format Designer’s Table

NEW WAVES Miroir inspiré des reflets et des mouvements de l’eau

Par DAVID BRUN-LAMBERT

«Je

n’ai jamais été employé de ma vie, j’ai toujours suivi mes envies».

Disant cela, Raphaël Lutz rit de bon cœur, d’un timbre grave et immédiatement séduisant. Le Lausannois, trente-cinq ans cette année, on lui parle par téléphone alors qu’il s’offre une pause dans les préparatifs qui l’occupent à temps plein, soit la Biennale Design Zurich qui s’annonce et où il affichera ses créations, en habitué. «Entre les préparatifs pour la troisième édition des Designers’ Table en novembre et les différents projets que mène actuellement mon Studio, je n’arrête jamais» concède-t-il dans un autre rire. Ainsi en va-t-il de l’emploi du temps chroniquement saturé d’un créateur-entrepreneur parmi les plus inspirants de sa génération. Design thinking Comment envisager l’ensemble des talents que possède Raphaël Lutz, exactement? Si la question peut tarauder qui essaye de faire rentrer dans une seule case le designer vaudois, elle amuse l’intéressé, franchement. «Je suis fils d’indépendants ayant monté ma première start-up à dixsept ans, puis d’autres boîtes au cours des années suivantes au gré de mes désirs ou besoins», résume l’élégant parti vivre en Chine après le Gymnase, puis revenu au bercail «faire un apprentissage accéléré de mécanique de précision. Je voulais toucher la matière, ça m’intéressait de savoir comment les choses sont construites. Au bout de six mois, j’ai déchanté, comprenant que je voulais être la personne qui dessine l’objet, et non celle qui le fabrique.»

Depuis plusieurs mois, il regardait de loin l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL). Il y posait un dossier de candidature «en filière design industriel», comme il le précise, puis filait en Allemagne pour suivre un stage dans une «boîte de design». À 24 ans, finalement admis à l’ECAL, Lutz renouait soudain avec les études. Mais problème: «Je n’avais pas d’argent. Du coup, j’ai lancé une autre start-up: Étudiant à tout faire. J’allais chez les gens avec ma perceuse-visseuse, je montais des meubles ou posais des lampes. Ça marchait bien. Ça m’a permis de financer ma formation.» En 2012, son diplôme en poche, le Vaudois ne doutait toujours pas. Fondant son propre bureau de design, Studio Raphaël Lutz, il rebaptisait sa start-up Généraliste et intégrait Design Studio Renens (DSR), «une sorte d’incubateur à jeunes designers se lançant dans l’entrepreneuriat placé sous la houlette de mon ancien professeur de design, Christophe Marchand, explique-t-il. Là, j’ai appris le métier à la dure. J’ai commencé à être exposé et progressivement reconnu dans le milieu du design.» Plus tard, après une période durant laquelle le local de DSR devenait une petite maison d’édition (baptisée «Studio») comprenant un espace collaboratif pour créatifs, Raphaël Lutz s’échappait à Zurich. «Je m’y suis frotté au human centered design, explique-t-il, réfléchissant à utiliser le design dans une stratégie d’entreprise, dessinant des processus, des expériences clients, des services, travaillant sur des arborescences d’utilisation ou des résolutions de tension d’utilisabilité.»

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DESIGN Made in Vaud En 2016, de retour à Lausanne, Lutz reprenait pour lui seul l’espace hier occupé par Studio et, le rebaptisant LAB, en faisait un «un laboratoire d’innovation dédié aux expérimentations pluridisciplinaires». Collaborations, workshops, rencontres entre créatifs, entreprises, start-ups ou particuliers: l’espace était entièrement dédié au «design pour l’innovation», voyant son patron bientôt contacté par le restaurant gastronomique l’Hôtel de Ville de Crissier. «Cette fois, on m’a confié un mandat extraordinaire, raconte-t-il: la conception du plat de présentation du Bocuse d’Or 2017, le concours culinaire le plus important au monde! Durant trois mois, j’ai travaillé sur des supports à nourriture ou des hiérarchies de présentation. Tous les supports qu’on a fabriqués pour

«Je désirais questionner le rapport de l’humain avec son repas, analyser la gestuelle propre à l’acte de manger»

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ce concours ont été réalisés par des artisans vaudois. Là, j’ai eu un déclic, réalisant: on a des artisans géniaux ici, avec un savoir-faire formidable et qui ne demandent qu’à travailler, quand nous, créateurs, voulons que nos objets soient réalisés de façon irréprochable.» Depuis, le travail de Raphaël Lutz s’applique à faire la part belle aux artisans de la région, estampillant «Made in Vaud» l’immense majorité de ses objets, séries, mobiliers sur mesure ou encore pièces uniques destinées aux galeries de design. «Cette démarche vise à mettre en valeur le savoir-faire exceptionnel des artisans de ce canton, mais aussi à avoir un impact sur l’écologie, précise le Lausannois. Je défends que les industriels avec qui collaborent les designers sont responsables d’une part importante de la


pollution mondiale. De fait, en tant que créatifs, notre responsabilité écologique est énorme concernant nos choix de matière, de type de production ou de transport. En faisant fabriquer un objet chez l’artisan du coin ou en éduquant les industriels et en supprimant le plus d’intermédiaires possible, tout le monde y gagne: l’objet est durable et fait sens sur le plan écologique.» Radical Cette philosophie «écoresponsable», Raphaël Lutz l’applique également depuis 2017 à un format qui a profondément nourri sa renommée bien au-delà des frontières romandes: les Designer’s Table. Un projet de «design expérimental des arts de la table» lancé dans le cadre de la manifestation Lausanne à Table. «À l’origine de ce programme, il y a l’idée d’organiser des tables d’hôtes dans les 200 m2 qu’occupent mon studio et où se trouve également une belle cuisine, détaille-t-il. Je voulais inviter à manger des mets cuisinés avec des ingrédients locaux et de saison dans une vaisselle spécialement dessinée pour l’occasion: assiettes en céramique, bois, imprimés en 3D ou métal, outils pour servir et pour manger. Le design apporte une expérience unique aux convives qui mangent par exemple sur un plat à la verticale, ou avec une saucière directement intégrée dans l’assiette, à l’envers. Mais aussi, par ce type de dispositif, je désirais questionner le rapport de l’humain avec son repas, analyser la gestuelle propre à l’acte de manger, observer dans quelle mesure l’expérience de la table évolue si l’on change un détail.» Passé le succès remporté lors la première édition, les Designer’s Table ont été reconduits l’année suivante, accompagnés de nouveaux concepts, souvent radicaux, au gré des douze dates programmées. En novembre prochain s’ouvrira la troisième saison d’un rendez-vous très select qui vaut à son initiateur d’avoir intégré le comité éditorial informatif du guide gastronomique Gault et Millau, de connaître désormais des appuis prestigieux (Piguet Galland, etc.), ou encore d’être invité à Copenhague et Barcelone à présenter le savoir-faire acquis avec ses «tables d’hôtes». «Oh! Cela, c’est un honneur», souffle Raphaël Lutz, reconnaissant.

Studio Raphael Lutz: www.raphaaellutz.ch Designer’s Table: www. designerstable.ch

«En tant que créatif, notre responsabilité écologique est énorme concernant nos choix de matière, de type de production ou de transport» DOSSIERS PUBLICS SEPTEMBRE 2019

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Articles inside

Biblio

3min
pages 90-91

Culture

17min
pages 80-89

Formation. Le Swiss Design Center fête

7min
pages 60-69

Ingénierie. Et si la solution venait des

10min
pages 48-51

Réalisations

13min
pages 70-79

Innovation. La première autoroute solaire

11min
pages 52-59

Architecture. Frédéric Levrat

6min
pages 45-47

Norme

4min
pages 36-37

La Grande Interview

16min
pages 14-21

CAHIER SPÉCIAL ARCHITECTES ET INGÉNIEURS

1min
pages 38-39

Interview

9min
pages 22-25

Révolution. Gnanli Landrou: Du béton

6min
pages 40-44

Société

4min
pages 34-35

Finance

6min
pages 26-29

Instantanés

8min
pages 8-10
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