N° 46 - Mars 2022

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patrimoine

Notre histoire.ch par Michel Savioz de Vissoie

V

ariante à la face nord de l’Ai- et sans espoir guille du Midi, 12 septembre d’ améliora1966 tion pour un Par Joseph Savioz, guide, Vissoie (VS) Le téléphérique a du bon : il donne des idées. Celui qui nous hisse, fort agréablement, de Chamonix à l’Aiguille du Midi m’a suggéré à plusieurs reprises de céder un jour ma place à une dame à talons aiguille ou à l’un de ces messieurs à nœud papillon qui prennent couramment les choucas pour des aigles, et m’a inspiré le désir de plus en plus net et irrésistible d’escalader ce sommet par sa face nord. Justement l’occasion se présente... sous les traits d’un client, amateur de ce genre d’ascensions. C’est le 12 septembre, et le temps est à l’orage. La première nuit se passe donc à Chamonix, mais le lendemain ce n’est pas un joyeux rayon qui nous ouvre la paupière : le ciel est toujours noir, comme il le fut si souvent en cet été 1966. Petit déjeuner, balade à travers la ville, passage devant le bureau des guides, fermé vu l’heure matinale. Et, naturellement, consultation du baromètre. Miracle : il est au vert ! Puis tout à coup il vire au rouge ! Encore la radioactivité de mon nez de Valaisan qui le fait changer de couleur ? La petite secrétaire du bureau des guides, arrivant sous son parapluie, ne nous donne pas les prévisions de la météo, mais la constatation de la réalité, et c’est qu’il pleut à ficelles. Si nous retournions vers « le soleil radieux du Valais » ? L’idée nous effleure un moment, mais nous apprenons que Marcel Burnet a renoncé à partir pour Zermatt et le Cervin: il croit le temps décidément gâté

jour ou deux. Et puis, malgré tout, nous nous décidons. A une heure et demie, après le casse-croûte de midi, nous nous dirigeons vers la station du téléphérique. L’employé qui délivre les billets n’est pas du tout optimiste. Cette fois-ci pourtant, notre Joseph Savioz (1928-2012), Eperon des Cosmiques, Chamonix résolution est prise, et il a beau parler de mauvais vent située au-dessus de la cuisine d’où monte à l’Aiguille et ne rien augurer de bon, il ne une douce chaleur, bienvenue par ce temps réussit pas à nous faire changer d’idée. Si humide. nous avons le nez radioactif, nous avons Le mercredi matin, à quatre heures et deaussi la tête de la mule, et nous ne rebrous- mie, nous sortons péniblement du lit avec l’espoir qu’il pleut toujours, car il faut être serons pas chemin. Au chalet du Plan de l’Aiguille, nous trou- franc et reconnaître qu’à cette heure-là vons tout seuls le gardien Joseph Tournier nous continuerions volontiers à dormir. Il et sa femme. Dès qu’il apprend notre in- nous suffit d’un petit coup d’œil au-dehors pour constater que le ciel est plein d’étoiles, tention, l’homme nous répond : - Ah ! vous voulez aller au Frendo. Ce soir, il et que la mer de brouillard ne recouvre pleut, demain vous trouverez bien de la glace. plus que le fond de la vallée. Rapidement C’est à vous refroidir un peu d’entendre nous déjeunons et préparons nos sacs. Ils parler de glace par une soirée pleine de sont, bien sûr, légers : nous n’avons nulle brouillard. Heureusement qu’une bonne envie de bivouaquer. Le matériel superflu bouteille de rouge et le succulent ragoût est laissé à la station intermédiaire du Plan d’un lapin, que les braconniers n’ont pas (2300 m). De là, vers six heures et demie, réussi à tirer, nous sont offerts par Madame nous montons en direction du Glacier des Tournier. Encore un bon café et nous Pèlerins. Sous la pluie, il a fait peau neuve allons nous coucher dans une chambre et nos semelles ont de la peine à y adhérer.

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