N° 46 - Mars 2022

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patrimoine

La disparition des anciens métiers Rebouteux et rebouteuses en Anniviers: un métier en pleine métamorphose

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ans les campagnes d’ici et d’ailleurs, les rebouteux sont des personnages déconcertants et respectés. Un peu magiciens, un peu médecins, et pourtant ni l’un ni l’autre… Pendant des siècles, le reboutement se transmettait de père en fille, de mère en fils. On ne pouvait l’apprendre ni dans les livres, ni sur les bancs d’école.

Ce savoir se nichait dans le geste : il n’était pas consigné dans des écrits ou livré au public. Pour devenir rebouteux, il fallait avoir le don, c’est-à-dire être doué par naissance de cette sensibilité si particulière qui permet de percevoir l’énergie d’une autre personne, ses blocages : une perception mais surtout un toucher, un doigté, une capacité à être un pont entre le malade et sa guérison. Georges Delaloye, thérapeute en soins énergétiques, faiseur de secret et magnétiseur, parle ainsi de ce mystérieux savoir-faire : « Je ne suis que le fil conducteur dans lequel passe le courant, l’intermédiaire. Je désire ardemment guérir de tout mon cœur, mais je ne puis jamais promettre. Je ne suis ni la puissance ni l’aboutissement. Et je ne détiens aucun pouvoir sur la vie, la guérison ou la mort. »1 Dans le val d’Anniviers aussi, des rebouteux soulagent depuis des générations les maux des habitants. Mais lentement, le reboutement s’est transformé : d’un savoir sans mot, il est devenu une pratique enseignable et transmissible en dehors de la lignée familiale. Des thérapeutes de divers horizons ont commencé à se former au reboutement et à l’intégrer à leur pratique. Les gestes ancestraux se sont alliés à d’autres méthodes pour les compléter et sont ainsi devenus des outils en plus dans

la trousse des ostéopathes et des guérisseurs. En Anniviers, Nadia Florey-Pellat témoigne de cette métamorphose. Dans la famille côté paternel, son grand-oncle Maurice Abbé de Mayoux, rebouteux connu et apprécié de tous les Anniviards était une référence ! Nadia a soulagé les corps et les âmes de la vallée durant de nombreuses années, et avec génie, mais elle ne pratique plus aujourd’hui. Voici son récit. « J’ai été formée d’une manière rigoureuse, dès 2008, pendant quatre ans, en tant que masseuse-rebouteuse par Georges Bergoz, un jeune ostéopathe rebouteux de 35 ans. Il avait recensé dans plusieurs pays les tournemains d’anciens rebouteux, rhabilleurs, renoueurs. Ce sont les paysans qui ont élaboré ces gestes, cette sensibilité, car ils voulaient sauver et soigner dans l’urgence leurs animaux, c’està-dire leur trésor et leur gagne-pain. Dans chaque famille, il y en avait toujours un qui « avait des mains ». Georges Bergoz est donc allé chez des paysans qui n’avaient pas transmis leur savoir, ou seulement oralement, parce qu’ils étaient illettrés ou parce qu’ils avaient peur de noter, car ils n’étaient pas sûrs de leurs mots, de leur vocabulaire, de leur syntaxe. Ils n’avaient pas de formation officielle et avaient peur de l’ordre médical, car beaucoup de rebouteux se sont fait brûler comme sorciers pendant le Moyen Âge. Donc tout se transmettait oralement pour qu’il n’y ait pas de trace. Georges Bergoz a mis par écrit ce savoir oral pour ne pas qu’il se perde et il a créé quatre manuels de formation et une école en France. Il a rassemblé d’incroyables techniques venues de France, de Suisse, … Avec lui, j’ai appris une centaine de tournemains. Chaque rebouteux déve-

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loppe son propre tournemain : le renoueur libère les vertèbres en dégrippant ou en réduisant, le rhabilleur réduit les fractures et les luxations, un autre sera videur de vésicules car la technique viscérale sera sienne. Certains noms de techniques rudimentaires m’ont beaucoup fait rire au début de la formation, comme par exemple délarder avec une pièce de 20 cts, la balade de Gargamel, ou la garbure, du nom d’une ancienne soupe qui se faisait avec plein de légumes : les gens se mettaient autour du chaudron pour tourner la soupe. Dans cette technique, on reste sur un point et on tourne, on dénoue, on crochète, on ponce, on déparasite surtout pour les entorses ou les foulures. Un autre tournemain s’appelle le dépiquage, le délaçage : on appuie sur un point longtemps, on tourne aussi, on agrippe la peau avec les deux mains et on tire vers le haut «d’un coup sec et sûr» afin que les fibres se défassent et que le sang circule. J’ai aussi appris la technique du sang noir, technique maîtresse commune à toutes les traditions de reboutement musculaire. C’est une combinaison de pression glissée et de crochetage, sorte de massage en bandes, qui donne des résultats surprenants pour expulser «le mal de la loge», le déloger de la gaine tendineuse. Dans l’esprit du rebouteux, il faut «expulser le mal au plus vite.» Il n’y a pas de magie, il faut se débrouiller et dékyster les points de tension ; c’est un peu comme faire sauter des punaises sur une nappe en papier. Il y a aussi les cabestans, qui est une technique d’étirement précis des muscles dans la direction opposée, du nom des techniques de levier que connaissaient les marins bretons et normands. Les vieux rebouteux parlaient de «pomper le muscle», «jouer de la harpe», ou de «l’envol des ailes de palombe». Contrairement à ce que l’on


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