N° 42 - Avril 2021

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ser l’enfant libre, pour qu’il ait le temps d’expérimenter, de regarder, de participer, d’essayer, d’apprendre par ses propres erreurs et de devenir autonome. Il pouvait arriver qu’un adulte montre comment faire quelque chose un peu mieux, mais c’était uniquement sur demande de l’enfant. Les petits n’étaient jamais exclus des activités des adultes : ils apprenaient en observant ceux-ci, en les imitant. Il n’y avait pas de frontière claire entre le jeu et le travail : par exemple, les enfants jouaient à attraper des insectes, puis à chasser des petits mammifères, ils commençaient ensuite à ramener des animaux à la maison pour les déguster, jusqu’à ce qu’ils rejoignent les adultes pour la véritable chasse. Un enfant très jeune jouait à imiter des cris d’animaux ou à creuser la terre pour extraire une racine. Un enfant plus âgé enfumait des porcsépics pour les faire sortir de leur cachette et les manger, ou construisait un radeau utilisable : c’était encore un jeu, mais aussi une activité utile et valorisée par le groupe. Un adolescent pêchait, faisait un grand feu pour le clan ou fabriquait un outil: c’était un jeu, une activité, et même un travail. Ainsi, graduellement, à son rythme, avec plaisir et intérêt, l’enfant apprenait en

Depuis les années cinquante, l’idée de faire sortir l’école de ses murs se répand. Des écoles privées d’un nouveau genre apparaissent un peu partout : l’enseignement y est donné la plupart du temps dans la nature, été comme hiver. Ces écoles à ciel ouvert feront l’objet d’un autre article complémentaire dans la prochaine édition des 4 saisons. Mais qu’en est-il aujourd’hui de l’école publique ? De plus en plus, elle réserve une demi-journée ou un jour entier à des activités en plein air. Par exemple, le centre scolaire de Vissoie développe des canapés forestiers. Ce sont des huttes en bois rondes et sans toit, des sortes de palissades circulaires constituées de branches empilées les unes sur les autres entre des pieux qu’on a plantés. Un fortin rudimentaire et archaïque. On y place quelquefois un foyer au centre, pour se réchauffer. Il n’y a aucune toiture et le ciel est le seul plafond, mais on peut toujours tendre une bâche en cas de neige ou de pluie. Des petits bancs ou des billots de bois sont les tables et les chaises de cette étrange salle de classe. Les murs en branchages sont suffisamment bas

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pour que les adultes puissent regarder pardessus, mais assez hauts pour que les enfants ne voient rien au-delà. Cela permet aux élèves de se sentir protégés et de ne pas être trop distraits par ce qui se passe pardelà l’espace du canapé forestier. Celui-ci est à la fois un refuge et le point de départ de toutes les explorations : il peut être tour à tour un salon, un centre de biologie, un vaisseau spatial, une salle de classe, une cabane de nains, un navire de pirates ou un laboratoire de chimie expérimentale. Il se laisse modeler par l’imagination des enfants. Le canapé forestier est souvent réalisé en commun avec les élèves: ils peuvent par exemple commencer la construction en formant un cercle en se tenant tous par la main, puis tracer la limite de leur future salle de classe en grattant le sol de la forêt avec le bout de leurs souliers. La construction du canapé forestier apprend aux enfants à limiter leur impact sur l’environnement : le canapé est démontable et élaboré avec ce que l’on trouve sur place. Quand elles ne seront plus utilisées, on pourra rendre à la forêt les branches mortes qu’on lui a empruntées et elles enrichiront le sol en se décomposant. On évite donc de couper des branches ou des tiges vivantes pour construire : on cherche plutôt du bois mort. Comme le dit Sarah Wauquiez1, « construit le plus souvent avec les élèves, le canapé forestier favorise la collaboration et la débrouillardise. Il démontre qu’on peut facilement construire de quoi nous asseoir avec les éléments de la nature. Il y a des modèles, tailles et formes très variés de canapés forestiers, allant de simples troncs d’arbres par terre au château fort en plusieurs cercles. » En Anniviers, des enseignants du centre scolaire ont eux aussi voulu tenter l’expérience en construisant un canapé forestier à St Luc2. Fabienne Lourenço et Tatiana Dumont, enseignantes, ont eu la gentillesse de bien vouloir répondre à nos questions : Est-ce que les enseignants du centre scolaire de Vissoie ont utilisé le canapé forestier de St-Luc, et si oui, à quelle fréquence et pour des classes de quelle année ? Oui, les enseignants ont été nombreux à utiliser le canapé. Les classes qui s’y sont rendues vont de la 1H à la 8H. Concernant la fréquence, cela dépend des degrés. Certaines classes s’y rendent chaque deux semaines,

On peut même apprendre les mathématiques en forêt !

jouant et en imitant les autres, jusqu’à être capable d’un travail efficace. Tous les âges étaient mélangés et les activités n’étaient pas cloisonnées. L’enfant et l’adulte étaient égaux en droit ; le jeu, l’esprit communautaire et la liberté étaient valorisés. Les activités étaient peu spécialisées, mis à part la chasse réservée aux hommes et la cueillette dédiée aux femmes. Mais ce modèle d’éducation estil transposable à notre société ? Peut-on apprendre ainsi l’écriture ou l’arithmétique ? L’école dans la nature est-elle possible ici et aujourd’hui?


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