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Le Meiden à tout prix

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Anniviers Tourisme

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Le Meiden

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à tout prix

En acceptant de remplacer le curé d’Ergisch dans son village du Turtmanntal, juste là de l’autre côté du Meiden, chez nos voisins du HautValais, l’abbé Erasme Zufferey avaitil l’intuition que le chemin du retour vers son village natal Vissoie lui serait fatal ? Sa mission terminée là-bas, il a décidé de rentrer à pied, par le col du Meiden au-dessus de St-Luc. Le guide Karl Jäger à Gruben lui a pourtant proposé de passer la nuit chez lui, mais l’abbé l’a remercié et a souhaité poursuivre son périple au plus vite pour aller rendre visite à sa mère à Vissoie et passer ensuite quelques jours à Zinal comme il en avait l’habitude. On était à fin novembre 1931, il avait déjà neigé là-haut, il ne fallait pas traîner et traverser le col à tout prix avant qu’il ne soit plus accessible.

Un érudit, savant malheureux Erasme Zufferey est né à Vissoie en 1883 où il a passé son enfance, puis a étudié au collège de St-Maurice de 1897 à 1899 remportant chaque année le « 1er prix du progrès », a continué ses études au collège de Sion et là aussi obtenu la meilleure note. Ensuite, il s’est dirigé vers la philosophie et la théologie au séminaire de Sion puis à l’université d’Innsbruck où il a obtenu le grade de docteur en théologie. Ordonné prêtre en 1907, il a exercé les fonctions de vicaire de Conthey jusqu’en 1912 et ensuite à Vissoie. De 1923 à 1929, il a assumé la charge d’aumônier de l’hôpital de Sierre.

Dès le début de sa mission en tant que vicaire à Vissoie, il a consacré ses loisirs aux recherches relatives à l’histoire d’Anniviers et élaboré une monumentale étude. Membre de la Société d’histoire du Valais romand, il a également publié dans le bulletin Petites annales valaisannes.

Une vie difficile à partir de 1929, Erasme Zufferey s’est retiré dans la demeure paternelle où il a vécu deux ans en compagnie de sa mère pour la soutenir au mieux dans sa pauvreté. Il a connu de nombreuses privations matérielles supportées en silence. Un habitant de Chandolin de cette époque, Charles Caloz en gardait un souvenir touchant. Cheminant un jour de Vercorin à Chandolin en passant par les Voualans et Fang, Erasme Zufferey fut invité à la table d’Alexandre Caloz son ami et accepta ce qu’on lui offrit : un verre de vin et un morceau de pain. L’abbé, fatigué et tenaillé par la faim mangeait silencieusement. Puis, s’arrêtant tout à coup, il dit à son hôte : «Il est bon le pain quand on a faim ». Cette phrase a marqué Charles Caloz, enfant à ce moment-là. L’abbé portait une soutane élimée et rapiécée, les semelles de ses chaussures étaient retenues par des morceaux de ficelle, il semblait que tout en lui témoignait de sa pauvreté.

Trouver du secours Erasme Zufferey a recherché à de nombreuses reprises un poste de curé, toujours en vain… Pourquoi ? Son tempérament, teinté d’une extrême timidité et d’une certaine nonchalance ne l’a pas aidé, semblet-il. Sur les conseils d’amis, il a frappé à la porte du séminaire à Sion la veille de Noël 1930 pour trouver du secours. Le directeur, l’abbé Victor Beck l’a accueilli avec bienveillance et lui a procuré l’asile. Pendant l’année 1931, Erasme Zufferey seconda les ecclésiastiques qui devaient s’absenter de leur paroisse. Ainsi, lorsque le curé d’Ergisch dut se faire hospitaliser en novembre de cette année-là, Erasme Zufferey accepta de le remplacer. Ce fut son dernier grand voyage. A Ergisch on le croyait rentré à Vissoie et dans son village natal, on ne savait pas quand il rentrerait. Un responsable du Haut-Valais téléphona alors dans les villages d’Anniviers pour savoir si on l’avait aperçu et vu les réponses négatives, il envoya une colonne de secours depuis Unterems. Finalement, après avoir fouillé toutes les granges et tous les mayens côté Haut-Valais, on devina des traces de pas et de chute sur le col du Meiden, puis son corps fut découvert sous la neige dans la descente côté Anniviers. Un secouriste descendit rapidement à St-Luc pour donner l’alerte et cinq hommes montèrent avec lui pour récupérer la dépouille de l’abbé. Le triste cortège le ramena au village, attaché sur une échelle portée par quatre hommes. De là, un groupe de paroissiens de Vissoie le ramena dans son bourg natal pour y être enterré. Triste fin que m’a racontée mon papa.

Une personnalité hors norme Les journaux d’alors ont retracé ce parcours: « doué d’une volonté de fer et d’une vive intelligence, un prêtre pieux malgré des dehors frustres et des travers de caractère qui ont nui à son dévouement et à sa vie pastorale » écrit le Nouvelliste valaisan. La Feuille d’Avis du Valais note « prêtre exemplaire, avec un caractère très personnel », tandis que les Petites annales valaisannes relatent que « sous des dehors un peu frustres, le défunt, dans ses relations faisait preuve de bonté, de bonhomie et d’une grande force de travail ». Le Confédéré, quant à lui, précise que « son

tempérament ne favorisa pas sa carrière ecclésiastique… il avait rédigé un volumineux manuscrit sur l’histoire et surtout celle de sa vallée natale, mais peu versé dans les affaires, il ne sut pas assurer la publication entière de son œuvre… ». Erasme Zufferey a néanmoins accompli un travail de pionnier pour l’histoire locale d’Anniviers et de la région de Sierre.

Michel Salamin, l’historien passeur de trésor C’est grâce à lui que les résultats des travaux de recherche de l’abbé Erasme Zufferey ont été mis au propre et publiés en 1973. Il a fallu décortiquer 42 cahiers écrits à l’encre et 45 écrits au crayon. Michel Salamin précise qu’Erasme Zufferey « n’avait pas la prétention d’être historien, il se savait chercheur, il se voulait amasseur de matériaux ». Il a dénombré beaucoup d’utilisateurs de l’œuvre d’Erasme Zufferey, que ce soit par intérêt historique, ou personnel et intellectuel ; il cite le père Alexis Vianin, MM. Grégoire Ghika, Léon Monnier, ou encore Bernard Crettaz, parmi beaucoup d’autres.

Ainsi, Michel Salamin avec le concours de la Fédération des sociétés de développement, des communes et bourgeoisies d’Anniviers et de l’archiviste cantonal M. Jean-Marc Biner a réussi à amender et présenter les manuscrits de l’abbé Erasme Zufferey, « dont la consultation n’était pas toujours facile… puissent-ils permettre aux Anniviards de fait ou de cœur de mieux connaître leur vallée… » précise-t-il en conclusion de son précieux travail.

Simone Salamin

Erasme Zufferey. Le passé du Val d’Anniviers. L’époque moderne 1482-1798 et Le passé du Val d’Anniviers II. L’époque contemporaine 1798-1925. Présentés et amendés par Michel Salamin, Sierre, Editions du Manoir, 1973

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