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Et si on faisait l’école en forêt ?

éducation

Et si on faisait l’école

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en forêt ?

Imaginez qu’à la rentrée d’automne, alors que vous accompagnez comme chaque année votre enfant à l’école, l’enseignante vous annonce devant la porte du centre scolaire : « À partir de demain, nous ferons l’école dans la forêt. Apportez des habits chauds et imperméables, ainsi qu’un piquenique. » L’école en forêt ? Mais où ? Comment ? S’asseoir sur des troncs, ou par terre ? Ecrire sur ses genoux? Être piqué par des insectes, se faire grimper dessus par des araignées ? Et s’il pleut, s’il neige ? Mais à quoi ça sert ? Quelle idée absurde !

Pendant des centaines de milliers d’années, les enfants ont pourtant appris dehors, dans les forêts et les steppes ou sur les océans, tout ce qui leur était nécessaire pour devenir des adultes efficaces. Jusqu’à l’invention de l’agriculture il y a 10 000 ans, nous étions tous des chasseurs-cueilleurs et les jeunes apprenaient sans école. Ou plutôt disons qu’ils n’apprenaient pas dans un lieu séparé, à l’intérieur, auprès d’adultes spécialisés et selon un horaire et un programme bien définis. L’apprentissage était horizontal, d’enfant à enfant, sans esprit de promotion, de mérite individuel ou de réussite scolaire. Dans ces sociétés le plus souvent animistes, le rythme de la vie était calqué sur celui des éléments, et la culture n’était pas séparée de la nature. L’étude des groupes de chasseurs-cueilleurs existant encore aujourd’hui, comme les Pygmées forestiers, les Badjos marins pêcheurs ou les Mbororo pastoralistes, nous permet d’avoir une idée du système éducatif des sociétés nomades d’avant l’agriculture. Il n’y avait pas d’école, et pourtant les enfants devaient apprendre énormément de choses, des choses absolument indispensables à leur survie : comment pister le gibier et trouver des indices de son passage, comment fabriquer des arcs, des flèches, des sarbacanes, des collets ou des filets pour piéger les animaux sauvages, ou quelles étaient les habitudes des 200 à 300 espèces différentes de mammifères et d’oiseaux à chasser. Pour la cueillette, il fallait connaître le plus grand nombre possible de variétés comestibles de fruits, de racines, de graines, de tubercules, de noix et de légumes (quand et où les trouver, comment creuser ou les cueillir, comment les transformer, les cuisiner, …). Il fallait aussi savoir se déplacer dans des milieux hostiles, ne pas se perdre dans des jungles exubérantes, circuler sur les eaux, fabriquer des huttes, faire du feu, repousser les prédateurs et lire dans le ciel le temps qu’il va faire. Et aussi soigner les blessures, connaître les gestes et les plantes qui sauvent des maladies, éviter les baies et les champignons empoisonnés, ou encore aider les femmes qui accouchent. Il était aussi nécessaire d’acquérir des compétences sociales, comme l’art de négocier avec les clans voisins, de raconter des histoires pour amuser ou transmettre, de faire de la musique, de danser ou de pratiquer des rituels. Qui de nos jours sait faire tout ça ? Et pour apprendre, pas d’école. Pas de leçons, d’horaire, d’objectif annuel ou de programme d’apprentissage. Pas d’adulte qui motive ou surveille les progrès. Les enfants apprenaient par eux-mêmes grâce à leurs jeux et leurs explorations. Ils étaient libres de jouer et de découvrir toute la journée, jusqu’à l’âge de 10 ans, et même dans certains groupes (comme les Efé) jusqu’à 17 ans. Les chasseurs-cueilleurs pensaient que pour que l’apprentissage soit efficace, il était indispensable de lais-

Le canapé forestier à St-Luc

On peut même apprendre les mathématiques en forêt !

ser l’enfant libre, pour qu’il ait le temps d’expérimenter, de regarder, de participer, d’essayer, d’apprendre par ses propres erreurs et de devenir autonome. Il pouvait arriver qu’un adulte montre comment faire quelque chose un peu mieux, mais c’était uniquement sur demande de l’enfant. Les petits n’étaient jamais exclus des activités des adultes : ils apprenaient en observant ceux-ci, en les imitant. Il n’y avait pas de frontière claire entre le jeu et le travail : par exemple, les enfants jouaient à attraper des insectes, puis à chasser des petits mammifères, ils commençaient ensuite à ramener des animaux à la maison pour les déguster, jusqu’à ce qu’ils rejoignent les adultes pour la véritable chasse. Un enfant très jeune jouait à imiter des cris d’animaux ou à creuser la terre pour extraire une racine. Un enfant plus âgé enfumait des porcsépics pour les faire sortir de leur cachette et les manger, ou construisait un radeau utilisable : c’était encore un jeu, mais aussi une activité utile et valorisée par le groupe. Un adolescent pêchait, faisait un grand feu pour le clan ou fabriquait un outil: c’était un jeu, une activité, et même un travail. Ainsi, graduellement, à son rythme, avec plaisir et intérêt, l’enfant apprenait en jouant et en imitant les autres, jusqu’à être capable d’un travail efficace. Tous les âges étaient mélangés et les activités n’étaient pas cloisonnées. L’enfant et l’adulte étaient égaux en droit ; le jeu, l’esprit communautaire et la liberté étaient valorisés. Les activités étaient peu spécialisées, mis à part la chasse réservée aux hommes et la cueillette dédiée aux femmes. Mais ce modèle d’éducation estil transposable à notre société ? Peut-on apprendre ainsi l’écriture ou l’arithmétique ? L’école dans la nature est-elle possible ici et aujourd’hui?

Depuis les années cinquante, l’idée de faire sortir l’école de ses murs se répand. Des écoles privées d’un nouveau genre apparaissent un peu partout : l’enseignement y est donné la plupart du temps dans la nature, été comme hiver. Ces écoles à ciel ouvert feront l’objet d’un autre article complémentaire dans la prochaine édition des 4 saisons. Mais qu’en est-il aujourd’hui de l’école publique ? De plus en plus, elle réserve une demi-journée ou un jour entier à des activités en plein air. Par exemple, le centre scolaire de Vissoie développe des canapés forestiers. Ce sont des huttes en bois rondes et sans toit, des sortes de palissades circulaires constituées de branches empilées les unes sur les autres entre des pieux qu’on a plantés. Un fortin rudimentaire et archaïque. On y place quelquefois un foyer au centre, pour se réchauffer. Il n’y a aucune toiture et le ciel est le seul plafond, mais on peut toujours tendre une bâche en cas de neige ou de pluie. Des petits bancs ou des billots de bois sont les tables et les chaises de cette étrange salle de classe. Les murs en branchages sont suffisamment bas pour que les adultes puissent regarder pardessus, mais assez hauts pour que les enfants ne voient rien au-delà. Cela permet aux élèves de se sentir protégés et de ne pas être trop distraits par ce qui se passe pardelà l’espace du canapé forestier. Celui-ci est à la fois un refuge et le point de départ de toutes les explorations : il peut être tour à tour un salon, un centre de biologie, un vaisseau spatial, une salle de classe, une cabane de nains, un navire de pirates ou un laboratoire de chimie expérimentale. Il se laisse modeler par l’imagination des enfants. Le canapé forestier est souvent réalisé en commun avec les élèves: ils peuvent par exemple commencer la construction en formant un cercle en se tenant tous par la main, puis tracer la limite de leur future salle de classe en grattant le sol de la forêt avec le bout de leurs souliers. La construction du canapé forestier apprend aux enfants à limiter leur impact sur l’environnement : le canapé est démontable et élaboré avec ce que l’on trouve sur place. Quand elles ne seront plus utilisées, on pourra rendre à la forêt les branches mortes qu’on lui a empruntées et elles enrichiront le sol en se décomposant. On évite donc de couper des branches ou des tiges vivantes pour construire : on cherche plutôt du bois mort. Comme le dit Sarah Wauquiez1, « construit le plus souvent avec les élèves, le canapé forestier favorise la collaboration et la débrouillardise. Il démontre qu’on peut facilement construire de quoi nous asseoir avec les éléments de la nature. Il y a des modèles, tailles et formes très variés de canapés forestiers, allant de simples troncs d’arbres par terre au château fort en plusieurs cercles. » En Anniviers, des enseignants du centre scolaire ont eux aussi voulu tenter l’expérience en construisant un canapé forestier à St Luc2. Fabienne Lourenço et Tatiana Dumont, enseignantes, ont eu la gentillesse de bien vouloir répondre à nos questions :

Est-ce que les enseignants du centre scolaire de Vissoie ont utilisé le canapé forestier de St-Luc, et si oui, à quelle fréquence et pour des classes de quelle année ? Oui, les enseignants ont été nombreux à utiliser le canapé. Les classes qui s’y sont rendues vont de la 1H à la 8H. Concernant la fréquence, cela dépend des degrés. Certaines classes s’y rendent chaque deux semaines,

dans le décor créé - raconter l’histoire oralement aux autres groupes - prolongement: les 5H ont pu reprendre l’activité en classe par écrit. Cette activité a de nombreux objectifs : la collaboration, la créativité, les arts visuels, l’expression de l’oral, l’expression de l’écrit (pour les 5H). Les enfants sont conscients que c’est un endroit où l’on vient travailler ! Nous avons de bons retours de la part des enfants, ils ont plaisir à y travailler.

Une activité de sciences en forêt : Quelles difficultés les enfants représentent comment ils s’imaginent le corps humain vous avez rencontrées ? d’autres une fois par mois, d’autres plus Pour l’instant, nous n’avons pas renconoccasionnellement. tré beaucoup de difficultés. Toutefois, la structure de la journée est différente, il faut Pouvez-vous raconter un moment pas- s’adapter à ce nouveau cadre ! sé au canapé forestier avec les élèves et quelles activités vous avez pu mettre en Qu’est-ce que l’enseignement en forêt applace ? porte de plus que l’enseignement à l’intéVoici un exemple d’une activité proposée rieur du bâtiment scolaire ? aux élèves en collaboration des classes 1H- Nous découvrons les enfants autrement. 2H et 5H (en groupes de 3-4 enfants) : Certains enfants sont beaucoup plus à choisir un endroit dans la forêt - créer un l’aise à l’extérieur qu’à l’intérieur de la décor - créer des personnages - inventer classe. une histoire et faire jouer les personnages Peut-on imaginer enseigner toutes les matières scolaires en forêt, et si non, lesquelles sont les plus adaptées au canapé forestier ? Oui, nous pouvons enseigner presque toutes les matières à l’extérieur ! Toutefois, certaines branches sont plus faciles à enseigner que d’autres car le cadre s’y prête particulièrement. C’est le cas par exemple des sciences de la nature ou encore des activités en lien avec le «corps et mouvement». Mais cela ne nous empêche bien évidemment pas d’enseigner le français, les mathématiques, l’allemand, les arts visuels.... Selon nous, cela dépend aussi du degré scolaire. Il est certainement plus facile d’adapter les matières dans les plus petits degrés.

Avez-vous d’autres rêves ou projets concernant l’école en forêt et le développement du canapé forestier ? Oui, nous souhaiterions pouvoir avoir un foyer pour y faire du feu en hiver (projet en cours...). En conclusion, tous (enseignants, élèves, parents...) sont plutôt très satisfaits de ce nouveau cadre de travail ! Nous pensons que cela apporte un plus à notre centre scolaire et que cela permet de varier l’enseignement traditionnel.

Pauline Archambault photos centre scolaire d’Anniviers

1 Sarah Wauquiez est enseignante, pédagogue et auteure des deux ouvrages « Les enfants des bois » et « L’école à ciel ouvert ». Ses paroles sont extraites du site enseignerdehors.ca 2 voir l’article paru à ce sujet dans Les 4 saisons d’Anniviers édition d’octobre 2020

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