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culture
Je rêve de skier sur la Lune
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deuxième partie: mets de l’huile !
La (re)conquête de la Lune s’accélère : les noms et les visages des 13 astronautes américains sélectionnés pour les futures missions lunaires – baptisées Artémis, en l’honneur de la sœur jumelle d’Apollon/Apollo - ont été dévoilés par la NASA. Parmi eux, six femmes et parmi elles, LA première qui laissera son empreinte sur un monde extraterrestre... et espérons-le , son nom dans les livres d’Histoire à côté de celui de Neil Armstrong. Les Chinois, de leur côté, continuent leur petit bonhomme de chemin en rapportant 2kg d’échantillons du sol et du proche sous-sol lunaire (mission Chang’e 5). Des mesures récentes, principalement américaines, ont permis de mieux quantifier et localiser les réserves d’eau sur la Lune (plus abondantes et dispersées que prévu), indispensables à sa colonisation. Les industriels privés s’organisent pour exploiter ces gisements (eau mais aussi hélium 3 et métaux) et structurer jusqu’au secteur tertiaire lunaire émergeant – dont le tourisme fait partie. Un exemple: DHL propose déjà un service de colis entre la Lune et la Terre... Bref, j’ai déjà une idée du charter que j’utiliserai (américain: plus féminin), de ma destination (les complexes miniers du pôle sud) et de mon budget «carte postale»: au minimum CHF 500.- par envoi ! Mais avant de partir, je vais prendre des renseignements complémentaires auprès de mon astronome lunatique préféré et tenter de répondre à cette question glissante sinon brûlante: le sol lunaire est-il propice au ski ?
«Vue rasante de la région du pôle sud lunaire. C’est sur la base de photographies très haute résolution comme celle-ci (ici un cliché assez récent pris par la sonde de la NASA Lunar Reconnaissance Orbiter), que les futurs sites d’exploration puis de colonisation et d’exploitation seront choisis. Les cratères simples en forme de bol dont les parois et les fonds sont depuis toute éternité plongés dans l’obscurité la plus totale constituent des gisements potentiels de glace d’eau… et leurs pentes inclinées à plus de 40° de probables spots de glisse dont la taille dépasse celle du Val d’Anniviers»
- Avant de passer au problème des frottements, une dernière précision sur cette notion d’accélération : j’ai compris que pour retrouver sur la Lune les mêmes sensations euphorisantes de prise de vitesse que sur Terre, il me faudra une pente beaucoup plus raide… mais tu pourrais préciser ? - Bien sûr! (marmonnant, absorbé par ses pensées) la pente fait intervenir le sinus de l’inclinaison... et comme la pesanteur lunaire est divisée par 6 environ… cela donne une pente équivalente sur Terre - appelons-la Peq - qui doit ressembler à : Peq = arcsin (sinP:6), P étant la pente réelle sur la Lune - (énervé) Eh ! Je crois que nous prenons un très mauvais départ ! Si tu continues comme ça, il va y avoir - comment dire? - des tensions, des frottements dans nos rapports jusque-là cordiaux… - Et ça va chauffer ! Je vois... Pas de formule mathématique en guise d’échauffement… (tout penaud) Ceci dit, l’arcsinus est juste là pour faire joli… ou peur … - (toujours énervé) Laisse-moi plutôt réfléchir : la pente maximale ne peut pas dépasser 90°. Donc les sensations les plus extrêmes sont celles de la chute libre. Il me suffit finalement de savoir à quelle pente terrestre correspond une chute libre lunaire ! (se radoucissant un peu) C’est là que ta formule pourrait éventuellement nous être utile… - Merci ! et le calcul donne : à peu près 10° … Je résume : effectuer une chute libre sur la Lune, revient en termes d’accélération, c’est-à-dire de prise de vitesse, à glisser sur une piste bleue sur Terre… en négligeant toute forme de frottements ! Clairement, la Lune n’est pas propice aux godilles endiablées… L’intérêt est ailleurs, tu t’en souviens ? - Vaguement… L’absence d’atmosphère lunaire et donc de frottement aérodynamique peut-être ? - Exactement ! dans le cas d’une chute libre lunaire, ta prise de vitesse augmente de manière continue, alors que sur Terre la vi-

«L’empreinte laissée par les moonboots des premiers piétons lunaires de la mission Apollo 11 montre clairement que la poudreuse lunaire (régolithe) est composée de grains minuscules ayant une bonne cohésion entre eux. Si les caractéristiques mécaniques de cette poussière lunaire sont donc assez proches d’une neige fraiche et légère de quelques mm d’épaisseur, elle est en revanche plus noire que du charbon. C’est l’intense réverbération du Soleil qui donne cette fausse impression de blancheur.»
tesse se stabilise autour de 200km/h du fait de la traînée aérodynamique qui s’oppose au poids. Sur la Lune, il s’agit donc plutôt de battre des records de vitesse en faisant preuve de patience, car l’accélération y est divisée par 6... Mais dans le cas du ski, et non pas de la chute libre, tu es censé glisser sur le sol lunaire et c’est là que le bât blesse… - A cause des frottements ? J’y suis ! Pas d’atmosphère DONC pas de traînée MAIS pas d’atmosphère DONC pas de neige ! Pourtant j’ai entendu parler d’eau sur la Lune... Dans les mers peut-être ? D’immenses étendues d’eau pour faire du ski nautique ? - (un brin moqueur) Oui oui, souviens-toi du premier pas d’Armstrong sur une plage de la Mer de la Tranquillité , malheureusement il avait oublié son maillot de bain… -… et sa bicyclette et sa trompette… Bon je crois que nous avons fait le tour des homonymes célèbres de Neil... - Oui, revenons à nos moutons… de poussière lunaire… car les images des missions Apollo sont éloquentes ; notre satellite est aride et poussiéreux. Ceci est en fait connu depuis longtemps : la Lune et tous les objets célestes dépourvus d’atmosphère sont recouverts d’une sorte de poudre de roche ou de glace, éventuellement d’un mélange des deux, appelée régolithe… - Tu as bien dit poudre ? de la poudreuse ? … de la bonne « peuf » ? - Ne t’emballe pas… ce régolithe était toutefois source d’interrogations - composition ? granulométrie ? comportement mécanique ? - et finalement d’inquiétudes justifiées. Le sol lunaire allait-il se dérober sous le poids d’un vaisseau de plusieurs tonnes ? - (moqueur) Ne fais pas durer ce suspens insupportable, nous savons tous que c’est à cause de ce risque d’enlisement que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune… Un cas bien connu du syndrome du Vietnam... - (rires) C’est pourquoi les Soviétiques, qui n’avaient pas encore ce genre de blocage psychologique, ont pris de vitesse les Américains en réussissant le premier alunissage en douceur, trois ans avant le premier «petit pas pour l’homme mais bond de géant pour l’humanité». Dès 1966, tout risque d’enlisement dans un sol trop meuble était donc définitivement écarté . - Bon et alors ? combien de poudreuse ? - Un léger saupoudrage de quelques mm tout au plus - tiens, regarde la célébrissime photo de l’empreinte du premier pas de l’homme sur la Lune , elle en dit long sur les caractéristiques du régolithe. Pour te donner un autre exemple, le planter de bâton, je veux dire de hampe de drapeau, est fastidieux, car dès 5 cm le sol peut avoir la dureté de la roche. La fine couche de poudreuse a cependant mis à rude épreuve le matériel et les équipages. - Et pour quelles raisons ? - Le régolithe très fin - du genre poudre Caotina plutôt qu’Ovomaltine - est de surcroît chargé d’électricité statique et retombe doucement une fois soulevé - faible gravité lunaire oblige ! Juge plutôt : certains scientifiques pensent que la poussière remuée par les missions Apollo n’est pas encore totalement retombée 50 ans plus tard ! Ce régolithe s’insinue partout et se colle à presque toutes les surfaces; très abrasif - il n’a pas été émoussé par de l’air ou de l’eau liquide totalement absents sur la Lune - il risque par exemple de gripper les mécanismes ou de déchirer les combinaisons des astronautes. Sur la Lune, les chutes sont fréquentes même sans faire de ski ! Dois-je continuer ou tu as compris que faire du ski sur la Lune revient à glisser sur du papier de verre, recouvert d’une sorte de sable extrêmement fin ? - Alors c’est pas gagné ! Même avec des skis en Téflon, je risque de rester planté en haut de la pente à cause des frottements statiques, pente qui ne sera jamais mieux qu’une piste bleue terrestre… Au mieux, le ski lunaire ressemble à celui que certains terriens pratiquent sur des dunes ... Mon rêve de ski lunaire s’évapore… comme l’eau liquide dans le vide… - A moins que… Tu viens de me donner une idée : l’eau est peut-être la clé ! Car si la Lune semble aride sans la moindre goutte d’eau liquide, elle en contient en surface une quantité substantielle sous forme solide . La glace d’eau est en effet stable dans le vide, pourvu que la température reste basse. - Et sur la Lune, il fait suffisamment froid
pour garder longtemps cette eau gelée? - Tu peux oublier tous les endroits ensoleillés : il y fait environ +120°C et l’eau s’y est depuis longtemps sublimée. Mais les endroits à l’ombre affichent une température inférieure à -150°C, ce qui est compatible avec une présence durable de glace… - Alors il faut trouver des pentes nord et skier sur les ubacs, les faces à l’ombre, les Ombrintzes lunaires en quelque sorte… - Oui, mais des ubacs éternellement ombrés… Difficile d’imaginer un tel endroit sur Terre du fait de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre qui modifie au fil des saisons la hauteur et l’azimut du Soleil: seules de très rares pentes ne sont jamais balayées par ses rayons.... La situation est totalement différente sur la Lune dont l’axe de rotation n’est pas incliné : en un point donné de sa surface, la course du Soleil dans le ciel est toujours la même. Les saisons n’existent pas. Imagine alors ce qui se passe au niveau des pôles... - Un éclairage toujours rasant... Un hiver éternel ! Voilà qui est intéressant : je peux faire du ski quatre saisons sur la Lune aux pôles… ou plutôt zéro saison mais je ne suis pas sûr que cette formule enchante les départements marketing du tourisme lunaire. Mais au fait, comment la glace estelle arrivée là ? - Excellente question ! Qui n’a pas encore de réponse définitive, mais sa présence ne date en tous cas pas d’hier... ni de l’hiver dernier (rires). Autre certitude : au fond des cratères polaires, il règne une nuit éternelle et la température y atteint des records de froid, environ -230°C, depuis des milliards d’années. La glace, dure comme la plus dure des roches, est à l’abri dans ces super-congélateurs éternels… - (provocateur) Et alors, elle est tombée du ciel cette eau ? - Tu ne crois pas si bien dire : les scientifiques s’accordent sur l’existence d’un bombardement météoritique antédiluvien. La glace y aurait été déposée lors des impacts d’astéroïdes - d’immenses cailloux dont on sait désormais qu’ils peuvent contenir de l’eau liée à la roche - ou de comètes - de gigantesques boules de neige sale selon la formule consacrée. L’histoire n’est pas très différente sur Terre... - Bingo ! Je vais aller skier sur les pentes verglacées des cratères polaires. Sur de la neige cométaire quoi ! - C’est aussi en partie le cas lorsque tu skies sur Terre : probablement la moitié des molécules d’eau viennent des comètes … Mais examinons le cas le plus favorable sur la Lune : les pentes des cratères polaires sont possiblement recouvertes d’un placage de glace vive peu ancienne et très glissante. Tellement glissante qu’il ne faut pas espérer contrôler la direction... ni le freinage. Compte uniquement sur la pente opposée du cratère, située à plusieurs km, pour perdre de la vitesse... et recommencer dans l’autre sens… - Yes ! A moi les records de vitesse sur un half-pipe aux dimensions hors du commun ! - Ne t’emballe pas trop car à l’extrême inverse, il se peut que cette eau soit intimement liée à la roche comme dans le cas du gypse qui, comme tu le sais, se transforme en eau et en plâtre par chauffage… Tous les cas intermédiaires, mélange de roche et de glace plus ou moins liées entre elles, sont envisageables. Quoiqu’il en soit, les propriétés de glisse seront sans doute assez éloignées de celles que procure la neige qui, en fondant sous l’effet des frottements avec les patins, forme un mince film liquide qui agit comme un lubrifiant… - Bon alors je prévois des skis avec injection d’huile sur les semelles . J’ai mieux: des semelles chauffantes pour fabriquer in situ de l’eau - qui restera liquide une fraction de seconde - sous mes planches… - C’est exactement, mais à plus grande échelle, le principe retenu pour alimenter en eau les prochaines missions lunaires longue durée ! Des procédés sont déjà à l’étude pour chauffer la roche lunaire et en extraire la précieuse molécule H2O. Car, comme sa formule chimique l’indique, l’eau permet d’obtenir - en la cassant - de l’oxygène (O) et de l’hydrogène (H) utiles pour fabriquer des ergols (carburant et comburant) et fournir aux humains l’air de leur futur village lunaire. - Reste le problème de l’énergie, pour chauffer la roche et casser les molécules! Est-ce que finalement ce ne serait pas moins coûteux de faire venir l’eau depuis la Terre ? - A plus de CHF 100’000.- le litre d’eau, il est sans doute préférable de la fabriquer sur place ! D’autant plus que les quantités nécessaires au bon fonctionnement d’une base lunaire seront immenses... Il est aussi question que la Lune joue le rôle de station-service pour les missions en partance pour Mars. Mais rassure-toi. Pour alimenter tous ces processus industriels gourmands en énergie, la Lune bénéficie d’une source inépuisable : « l’énergie de toutes les énergies » comme l’appelait le patron d’un grand groupe pétrolier français en 1973 déjà ! - Le nucléaire ? - Pas exactement celui auquel tu penses: je veux parler de l’énergie solaire, qui provient il est vrai de la fusion nucléaire au cœur de notre étoile. Sur la Lune, le potentiel de cette énergie renouvelable, sans danger et bon marché est infiniment supérieur à celui du Valais pourtant réputé pour son ensoleillement exceptionnel ! - C’est un peu facile sans atmosphère ! Mais la nuit, comment faire ? - Touché ! D’autant plus que la nuit lunaire dure environ 14 jours terrestres… Cela nous ramène aux pôles... Les montagnes qui ceinturent les cratères y sont éternellement baignées de lumière solaire. Tout l’inverse de leur fond perpétuellement plongé dans les ténèbres. Et seulement quelques centaines de mètres séparent la matière première - la glace - de la source d’énergie infinie et gratuite pour l’exploiter - le Soleil. Le rêve de tout industriel qui pourra - cerise sur le gâteau - offrir à bon compte à ses employés un divertissement sur le site même de production : skier sur les pentes des carrières de glace... - Du ski industriel dans la nuit éternelle… Quel programme ! ... Il ne reste plus qu’à négocier l’installation de quelques canons à neige... - Tu es vraiment désespérant avec tes réflexes de terrien ! Je me demande si finalement Desproges n’avait pas trouvé la meilleure définition du mot alunissage… - … (intrigué) Tu peux me la rappeler ? - «Procédé technique qui consiste à poser des imbéciles sur un rêve enfantin !»
eric@ofxb.ch