N° 42 - Avril 2021

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éducation

Et si on faisait l’école en forêt ?

I

maginez qu’à la rentrée d’automne, alors que vous accompagnez comme chaque année votre enfant à l’école, l’enseignante vous annonce devant la porte du centre scolaire : « à partir de demain, nous ferons l’école dans la forêt. Apportez des habits chauds et imperméables, ainsi qu’un piquenique. » L’école en forêt ? Mais où ? Comment ? S’asseoir sur des troncs, ou par terre ? Ecrire sur ses genoux? Être piqué par des insectes, se faire grimper dessus par des araignées ? Et s’il pleut, s’il neige ? Mais à quoi ça sert ? Quelle idée absurde ! Pendant des centaines de milliers d’années, les enfants ont pourtant appris dehors, dans les forêts et les steppes ou sur les océans, tout ce qui leur était nécessaire pour devenir des adultes efficaces. Jusqu’à l’invention de l’agriculture il y a 10 000 ans, nous étions tous des chasseurs-cueilleurs et les jeunes apprenaient sans école. Ou plutôt disons qu’ils n’apprenaient pas dans un lieu séparé, à l’intérieur, auprès d’adultes spécialisés et selon un horaire et un programme bien définis. L’apprentissage était horizontal, d’enfant à enfant, sans esprit de promotion, de mérite individuel ou de réussite scolaire. Dans ces sociétés le plus souvent animistes, le rythme de la vie était calqué sur celui des éléments, et la culture n’était pas séparée de la nature. L’étude des groupes de chasseurs-cueilleurs existant encore aujourd’hui, comme les Pygmées forestiers, les Badjos marins pêcheurs ou les Mbororo pastoralistes, nous permet d’avoir une idée du système éducatif des sociétés nomades d’avant l’agriculture. Il n’y avait pas d’école, et pourtant les enfants devaient apprendre énormément de choses, des

Le canapé forestier à St-Luc

choses absolument indispensables à leur survie : comment pister le gibier et trouver des indices de son passage, comment fabriquer des arcs, des flèches, des sarbacanes, des collets ou des filets pour piéger les animaux sauvages, ou quelles étaient les habitudes des 200 à 300 espèces différentes de mammifères et d’oiseaux à chasser. Pour la cueillette, il fallait connaître le plus grand nombre possible de variétés comestibles de fruits, de racines, de graines, de tubercules, de noix et de légumes (quand et où les trouver, comment creuser ou les cueillir, comment les transformer, les cuisiner, …). Il fallait aussi savoir se déplacer dans des milieux hostiles, ne pas se perdre dans des jungles exubérantes, circuler sur les eaux, fabriquer des huttes, faire du feu, repousser les prédateurs et lire dans le ciel le temps qu’il va faire. Et aussi soigner les blessures, connaître les gestes et les plantes

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qui sauvent des maladies, éviter les baies et les champignons empoisonnés, ou encore aider les femmes qui accouchent. Il était aussi nécessaire d’acquérir des compétences sociales, comme l’art de négocier avec les clans voisins, de raconter des histoires pour amuser ou transmettre, de faire de la musique, de danser ou de pratiquer des rituels. Qui de nos jours sait faire tout ça ? Et pour apprendre, pas d’école. Pas de leçons, d’horaire, d’objectif annuel ou de programme d’apprentissage. Pas d’adulte qui motive ou surveille les progrès. Les enfants apprenaient par eux-mêmes grâce à leurs jeux et leurs explorations. Ils étaient libres de jouer et de découvrir toute la journée, jusqu’à l’âge de 10 ans, et même dans certains groupes (comme les Efé) jusqu’à 17 ans. Les chasseurs-cueilleurs pensaient que pour que l’apprentissage soit efficace, il était indispensable de lais-


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