N° 42 - Avril 2021

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patrimoine

La disparition des anciens métiers d’Anniviers

n arrivant dans le val d’Anniviers, le voyageur est souvent surpris par ces drôles de tuiles en bois qui recouvrent les toits, quelquefois neuves, droites et couleur saumon, d’autres fois grisâtres, vieilles et effilochées : les bardeaux.

Dans les autres vallées latérales, les anciens toits sont souvent en pierre. En plaine, on trouve plutôt des tuiles en terre cuite, en éternit, en ardoise ou en tôle. Le bardeau est rare. Il donne une poésie particulière aux villages de la vallée. L’utilisation des bardeaux est très ancienne. Les humains habitèrent tout d’abord des cavernes, puis construisirent des huttes recouvertes de branches. Rapidement, dès le néolithique, des éléments en bois remplacèrent les branchages : la tuile en bois était née. Le plus ancien bardeau a été découvert à Auvernier, dans le canton de Neuchâtel: partiellement carbonisé, il a été fabriqué au IXème siècle avant Jésus-Christ, il y a 2800 ans ! Au Moyen-Âge, les tuiles en bois étaient très répandues dans toute l’Europe : le toit du château de Chillon en était recouvert jusqu’en 1301. A l’époque, lorsqu’elles n’étaient pas fabriquées en chaume, les toitures étaient couvertes de bardeaux en mélèze, en chêne, en cèdre, en châtaignier ou en épicéa. Les tuiles en bois furent progressivement remplacées par celles en terre cuite, car des incendies ravageaient des villages entiers. Dès le XVIIème siècle, on ne trouvait plus beaucoup de toitures en bardeaux en plaine. En montagne, les bardeaux continuèrent à être largement utilisés jusqu’au XIXème siècle, car le bois était facile à trouver sur place et les transports de tuiles depuis la plaine s’avéraient compliqués à organiser.

Le tavillonnage est à la fois un art et un patrimoine culturel précieux : c’est une tradition intemporelle, un savoirfaire ancestral, des gestes immémoriaux transmis uniquement oralement et par la pratique. Il y a trente ans, ce métier était menacé de disparition par manque d’artisan et de demande. Aujourd’hui les bardeaux reviennent à la mode. On les trouve authentiques, jolis, naturels et typiques; Bernard, le père de Rémy Epiney, cloue des bardeaux sur un toit ils incarnent la préservation du patrimoine et le développe- Comment as-tu appris le métier de tavilment local durable. Quoi de plus beau lonneur ? qu’une toiture fabriquée avec les mélèzes J’ai commencé à découvrir ce métier à l’âge des alentours ? Une toiture qui, une fois ef- de deux ans et demi. Mon papa, Bernard, fondrée, se transformera en humus et ren- travaillait à l’ancienne scierie d’Ayer et je dra à la forêt ce qu’elle lui a pris. En plus, le lui apportais les 9 heures et les 16 heures. bardeau a une longévité supérieure à celle Pour y aller, je prenais un petit chemin. A de la tuile. Il offre l’avantage d’être léger, l’époque, il y avait environ une voiture par ce qui permet de construire des charpentes heure qui passait. J’avais un petit bidon à moins massives. Il nécessite peu d’entre- étages : dessous, le café et en haut, le pain tien, son grisage étant le fait de sels miné- et le fromage. J’ai appris le métier avec les raux qui remontent à la surface du bois et yeux, en regardant faire. J’en ai vu passer forment une couche protectrice naturelle. du bois ! Je regardais, je posais des quesC’est enfin un isolant thermique plus effi- tions et j’essayais. J’étais passionné par le cace que la tuile, l’ardoise ou l’éternit. travail du bois, la scierie, le bûcheronnage. J’ai appris de mon père et j’ai transmis Alors, ce merveilleux savoir-faire est-il ce que je savais à mon frère Nicolas et à menacé par l’oubli ? Rémy Epiney, tavil- Vincent. Ce que j’aimais le plus dans ce lonneur d’Ayer à la retraite, a eu la gen- métier, c’était le bon bois. Ce que j’aimais tillesse de bien vouloir nous raconter les le moins, c’était les mauvais bardeaux. Et secrets de son métier : je détestais poser des bardeaux quand il

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© photo privée

Le métier de tavillonneur: témoignage de Rémy Epiney


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