CONTENU
ÉDITORIAL
Lucinda M. Vardey
LE “NOTRE PÈRE” EN ARAMÉEN
Craig E. Morrison O.Carm
L’ENTRIEN DE MAGDALA
Emily VanBerkum avec Sœur Jo Robson OCD
LA LECTIO DIVINA INCARNÉE
Monica McArdle
LE POUVOIR DE LA PRIÈRE
John Dalla Costa
CONVERSER AVEC DIEU
Lucinda M. Vardey
PRIER EN COMMUNION
Kimberley Morton
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D’Un Commun Accord
Printemps 2023
La Prière Volume 3, Numéro deux
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Le catéchisme classe la prière en trois formes d’expression : vocale, méditative et contemplative. Notre principale prière vocale et la plus courante est bien sûr la prière du Seigneur, le Notre Père. Craig Morrison nous fournit quelques informations essentielles sur cette prière, telle qu’elle a été énoncée à l’origine par Jésus dans sa propre langue, l’Araméen.
La prière méditative (ou mentale) consiste à méditer sur la Parole de Dieu. Une expérience plus complète de l’Écriture peut se faire en utilisant non seulement l’esprit mais aussi le corps. Monica McArdle propose une pratique pour une telle rencontre dans son article La Lectio Divina incarnée.
Notre invitée pour l’interview Magdala, la carmélite Jo Robson, partage les réflexions et les conseils de Sainte Thérèse d’Avila, l’une des guides spirituelles les plus importantes de l’Église en matière de prière contemplative. Le but de la prière contemplative est de développer une relation d’amitié intime avec Jésus. Pour de nombreuses saintes, cet objectif d’amitié intime avec le Divin a constitué le fondement de leur vie de prière. Kimberley Morton présente trois saintes qui ont forgé une relation d’amitié avec elle et l’ont aidée à se lier d’amitié avec Jésus.
Les mystiques féminines ayant raconté leurs expériences sur le dialogue entre l’âme et Dieu, relatent la grande sagesse acquise par dans la contemplation. Nous avons résumé une partie de cet aspect conversationnel présent dans la prière contemplative chez la béguine médiévale Marguerite Porete, la cistercienne saxonne Mathilde de Magdebourg et Sainte Catherine de Sienne.
Éditorial
Lucinda M. Vardey Éditrice en chef
“La prière ressemble à un simple acte de langage...
Au fond il s’agit d’une posture, une implication du soi.”
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Patricia Hampl (Cité dans Wise Women - Femmes Sages)
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Craig E. Morrison O.Carm est professeur d’araméen et de syriaque à l’Institut biblique pontifical de Rome. Il a écrit pour «The Catholic Biblical Quarterly,» «The Bible Today,» «The Word Among Us» et «Give Us This Day,» ainsi que pour d’autres revues scientifiques. Ses recherches actuelles portent sur la publication critique de la Bible hébraïque, la Biblia Hebraica Quinta. Il dirige aussi occasionnellement des retraites au Centre spirituel du Mont Carmel, à Niagara Falls.
Le “Notre Père” en araméen
Craig E. Morrison O.Carm
LE MONDE ARAMÉEN DE JÉSUS
Dans la scène finale de Jésus Christ Superstar, Judas interroge Jésus sur les raisons de son apparition «à une époque si insolite.» L’étrangeté de l’époque de Jésus s’explique en partie par le lieu où il vivait, un véritable carrefour linguistique. Il prêchait en araméen, mais entre la période de prédication et l’apparition des Évangiles écrits (40 ans), le message fut traduit en grec.
La ville natale de Jésus, Nazareth, en Galilée au nord d’Israël, était probablement un village unilingue, ne parlant que l’araméen. Il est possible que certaines activités administratives se soient tenues en grec, mais la langue sur le marché de Nazareth était l’araméen. La ville plus développée de Sepphoris (à 6 km au nord-ouest de Nazareth)—centre administratif de la région de Galilée à l’époque de Jésus—était également une ville parlant principalement l’araméen, sa population cependant a pu être exposée au grec, plus que celle de Nazareth.
LES ÉVANGILES ARAMÉENS
Il n’existe plus d’évangiles originaux en araméen. Les évangiles araméens que nous possédons sont des traductions des évangiles grecs datant du IIIe au Ve siècle. Il est tout à fait possible qu’un évangile original en araméen ait existé puisque le message évangélique s’est répandu à l’ouest de Jérusalem en grec et à l’est de Jérusalem en araméen. Mais ces manuscrits originaux en araméen se sont perdus, et les chercheurs ne peuvent que rêver de les retrouver un jour.
On me demande souvent si Jésus parlait le grec. La réponse est simple : si c’était le cas, à qui se serait-il adressé ? En dehors de Jérusalem, la population juive parlait très peu le grec. Par conséquent, lorsque Jésus apprit à ses disciples à prier, il utilisa la prière que nous connaissons sous le nom de «Notre Père,» dans la langue qu’il avait apprise de Marie et de Joseph, l’araméen.
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L’araméen de Jésus apparaît périodiquement dans les évangiles grecs, et ces «aramaïsmes» sont conservés dans nos traductions. Le moment le plus significatif, (Marc 15,34), est celui où Jésus, proche de la mort, crie dans sa prière le premier verset du Psaume 22 : «Eloï, Eloï, lama sabachthani ?» «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» (L’explication de cette supplication doit être laissée pour une autre fois, mais elle révèle que Jésus a prié les Psaumes non pas en hébreu, mais dans sa langue maternelle, l’araméen). Il y a d’autres moments significatifs où Jésus parle sa propre langue dans les évangiles grecs. Il dit à la fille morte de Jaïre, (Marc 5:41) : «Talitha Koum,» «Fillette, je te le dis, lève-toi.» En Marc 7:11, Jésus prononce les mots «Est Korban,» que l’évangéliste grec traduit par «offrande sacrée,» car son auditoire ne connaissait pas l’araméen. En Marc 7:34 Jésus ouvre les oreilles d’un sourd avec le mot «Ephphatha !» «Ouvre-toi bien !» Marie Madeleine s’adresse à Jésus ressuscité en disant «Rabbouni !»( Jean 20:16) et Jésus se réfère à Dieu en disant «Abba !» (Marc 14:36) ou «Père.» De même, le «Amen» que nous utilisons dans la liturgie reflète une prononciation araméenne.
‘NOTRE PAIN QUOTIDIEN’
Le «Notre Père» contient des expressions très difficiles à traduire. L’une d’entre elles est «Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien» (Mt 6,11). Les traductions ont mis une note sur le mot «quotidien» (en grec : epiousios), ou «notre pain pour demain» nous offrant une transcription plus littérale du mot grec «quotidien.» Dans la traduction araméenne de ce verset grec, nous lisons «Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin» (littéralement «le pain nécessaire;» nous découvrons comment les premiers chrétiens parlant l’araméen interprétaient cette phrase. Mais que voulait dire Jésus ? Peut-être faisait-il allusion à la manne du désert, apparue pour la première fois dans Exode 16, pour nourrir les anciens esclaves israélites qui venaient de fuir l’Égypte et étaient affamés. Ou peut-être cette expression est-elle une allusion à tous les repas, (le mot «pain» en araméen a souvent le sens plus large de «repas»), évoqués dans les Évangiles, y compris à la dernière Cène. Ou peut-être ne connaissons-nous tout simplement pas son sens précis. Comme l’écrit saint Ephrem, l’interprétation de certains versets bibliques peut être aussi variée que le visage de leurs interprètes. Ces défis nous rappellent que nous prions une prière ancienne, prononcée pour la première fois devant une communauté juive des environs de la Galilée, à une époque et en des lieux très différents des nôtres.
‘A LA TENTATION’
Ces dernières années, le débat sur la traduction de la phrase «Ne nous soumets pas à la tentation» (Mt 6:13) a pris de l’ampleur. A première vue, cette supplication semble quelque peu déconcertante. Pourquoi Dieu nous soumettrait-il à la tentation ? Nous pouvons très bien le faire par nous-mêmes. Nous n’avons pas besoin de l’aide de Dieu. Pour éviter cette confusion, le pape François préfère la traduction «Ne nous laisse pas entrer en tentation» (traduction française actuelle). Une solution possible pour comprendre cette phrase énigmatique réside dans sa traduction araméenne.
Le problème ici n’est pas la phrase «Ne nous soumets pas.» Il n’y a guère de doute sur sa signification en grec ou en araméen. La difficulté réside dans l’usage du mot français
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«tentation.» Le mot grec derrière le mot français «tentation» est «peirasmon», mais ce mot grec a deux significations : «tentation» et «épreuve.» La Vulgate l’a interprété par «temptationem,» d’où la préférence du français pour le mot «tentation.» Mais lorsque nous examinons les traductions araméennes des évangiles grecs, nous découvrons que le mot grec peirasmon a été traduit au IIIe siècle par le mot araméen nesyuna, qui signifie «épreuve.» Ainsi, les chrétiens parlant l’araméen ont interprété cette phrase comme signifiant «ne nous soumets pas à l’épreuve» ou, plus librement, «ne nous mets pas à l’épreuve.» Derrière cette phrase se trouve peut-être le premier verset lu dans Genèse 22 : «Après ces événements, Dieu mit Abraham à l’épreuve,» qui relate l’histoire connue sous le titre, «Le Sacrifice d’Isaac.» Lorsque nous disons à Dieu «ne nous mets pas à l’épreuve,» nous lui rappelons que nous n’avons pas la force d’âme d’Abraham. Dieu a pu mettre Abraham à l’épreuve et ce dernier est resté fidèle. Mais nous, nous pourrions très bien échouer et c’est pourquoi nous prions «ne nous mets pas à l’épreuve.»
La majeure partie de la prière du Notre Père a un sens clair, bien que profond. Je me suis concentré sur les deux lignes compliquées de cette prière, pour faire apprécier la profondeur de leur signification dans le monde juif araméen de Jésus. Ainsi nous pouvons, malgré notre connaissance limitée de ce monde, comprendre de façon plus intense «la prière que Jésus nous a enseignée.»
L’Entretien de Magdala
Emily VanBerkum avec Sœur Jo Robson OCD.
Soeur Jo Robson OCD est membre de la communauté des sœurs carmélites de Ware en Angleterre, depuis 2000. Elle s’intéresse particulièrement aux écrits et à l’enseignement de Sainte Thérèse d’Avila et a publié des articles sur ce sujet dans un certain nombre de revues spirituelles et académiques. Elle est actuellement coordinatrice du programme de formation initiale des sœurs carmélites au Royaume-Uni et membre de l’équipe éditoriale du magazine “Mount Carmel.”
Emily VanBerkum est rédactrice associée à D’Un Commun Accord. Pour plus d’informations sur elle, visitez le site.
Emily VanBerkum Pouvez-vous nous parler de votre communauté religieuse à Ware, en Angleterre, et de l’organisation quotidienne de votre vie de prière ?
Jo Robson Nous sommes une communauté carmélite contemplative de 11 sœurs, dont la vie est centrée sur la prière. Notre journée s’organise autour de deux types de prière : la prière solitaire et la prière silencieuse (lorsque nous nous levons le matin et à nouveau le soir). Nous les complétons par les prières de l’Église : la liturgie des heures et, bien sûr, la messe. Nous essayons d’équilibrer nos activités et nos devoirs quotidiens autour de ces différents types de prières.
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EVB La spiritualité du Carmel a beaucoup apporté à l’Église. Comment sainte Thérèse, en particulier, a-t-elle influencé la compréhension des différents aspects de la prière ?
JR Il est évident que Sainte Thérèse est un maître à penser en matière de prière et une grande figure de la tradition chrétienne. C’est un grand privilège de vivre la vie qu’elle a conçue pour notre ordre. Je pense que le message de Sainte Thérèse sur la prière se résume à des enseignements très simples. La prière est pour tout le monde et, surtout, la prière intérieure. Elle-même vivait au XVIe siècle, à une époque où l’Église était très réticente à l’égard des laïcs—en particulier des femmes laïques—qui s’engageaient dans la prière intérieure ou mentale. Les seules pratiques admises étaient la récitation de prières vocales, du rosaire, la participation à la messe et la réception des sacrements. On estimait que tout ce qui dépassait ces limites risquait d’égarer la personne. À l’époque, Sainte Thérèse vivait des expériences extraordinaires dans sa vie de prière, qu’elle recevait comme venant de Dieu et étant à portée de tous. S’embarquer dans la grande aventure de la prière était le moyen de rencontrer et de trouver Dieu. Dans cette perspective, Thérèse en est venue à démystifier la prière, considérant que tout type de prière intérieure participait au développement de la relation d’amitié avec le Christ. Et si ce type de prière favorise cette amitié, alors elle est bonne et peut être pratiquée. La mission de Thérèse était de rendre la prière accessible.L’autre idée révolutionnaire qu’elle a eue, c’est que le type de prière dans lequel nous nous engageons tous, en tant que moniales, prêtres ou laïcs—la contemplation—ne nous concerne pas nous-mêmes, mais est au service de l’Église et du monde. Lorsque nous entrons dans la vie monastique carmélitaine, nous le faisons pour cette raison. C’est un type de prière qui regarde vers l’extérieur.
EVB Cultiver la prière intérieure tout en vivant en communauté est clairement une notion importante. Quels avantages voyez-vous dans cette vie de prière intérieure, en particulier dans la valeur du silence ?
JR Le silence exige de lutter—d’une certaine manière, c’est une bonne chose, parce que c’est une chose avec laquelle le monde lutte également. On s’attend à ce que la vie monastique soit pleine de silence, qu’elle se déroule dans une tranquillité idyllique, mais je peux vous dire qu’il y a beaucoup de bruit dans un monastère lorsque les nonnes bavardent ! Sainte Thérèse enseignait comment rencontrer Dieu dans la vie ordinaire. Elle ne voulait pas que la vie monastique soit considérée comme exceptionnelle, elle voulait que nous travaillions, mangions ensemble et fassions tout ce que les gens ordinaires font. C’est là que nous rencontrons Dieu, pas dans les idéaux abstraits ou dans le désert. Cela fait partie du don de Sainte Thérèse à l’Église : c’est dans la vie normale que l’on trouve Dieu.
EVB Il y a quelque chose de si beau et si accessible dans ce que vous dites, sur le fait que Dieu se trouve dans les choses du quotidien. Et sur notre grand défi en ce monde : être à l’aise dans le silence. Cela peut-il nous fournir un chemin vers le recueillement ou «l’oraison silencieuse» telle que proposée par Sainte Thérèse ?
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JR La terminologie peut être trompeuse. Lorsque Sainte Thérèse parle d’oraison silencieuse elle ne parle pas vraiment du silence en tant que tel. Elle se concentre sur une sorte de silence intérieur. L’une des choses que Thérèse avait apprise, après des années et des années d’expérience à tenter de prier seule, c’est l’énorme effort que cela implique. Nous devons nous efforcer de concentrer notre esprit, notre cœur et notre attention sur Dieu. Sainte Thérèse connaissait cette lutte. Elle savait que la première étape de la prière est avant tout un effort humain, essayer de stopper l’agitation de l’esprit, arrêter d’être distrait. Ce qui est encourageant dans la conception de la prière selon Sainte Thérèse, c’est que tous nos efforts pour atteindre ce stade de tranquillité deviennent eux-mêmes une prière. En persévérant dans l’oraison, Dieu prend en charge le processus. Dieu intervient et dit : «Tu n’y arriveras jamais tout seul, tu dois me laisser entrer !» L’oraison silencieuse est le moment où nous atteignons le calme et la tranquillité nécessaires, où les distractions se dissipent et où nous constatons que notre cœur est fixé sur Dieu. Cela ne peut se produire que pendant un bref instant, ou à la fin d’une heure de prière, lorsque Dieu intervient et nous accorde ce que Thérèse appelle «le don surnaturel de la prière.» Nous devons laisser à Dieu l’espace nécessaire pour agir en nous.
EVB Il y a quelque chose de tellement humain dans notre tendance à attendre de Dieu ces manifestations divines immédiates, au lieu de cultiver une vie de prière assidue et parvenir enfin à ces moments ! Pensez-vous que cette dynamique, consistant à laisser à Dieu l’espace nécessaire pour agir en nous, est l’un des plus grands défis actuels pour le développement de la prière, plus particulièrement pour ceux qui vivent dans ce monde?
JR C’est très certainement l’un des plus grands défis. Sainte Thérèse et ceux qui l’ont précédée connaissaient ces obstacles à la prière. Ce n’est pas comme si la nature humaine avait radicalement changé en 500 ans ! Les problèmes subsistent aujourd’hui comme hier. Nous devons nous éloigner du bruit et de l’agitation du monde et prendre le risque, lorsque nous nous asseyons en silence, de faire face à qui nous sommes vraiment. Thérèse parle beaucoup de ce besoin de connaissance de soi, de la lutte pour attacher son cœur à Dieu. Elle insiste sur le fait que nous devons nous voir en communion avec autrui. Nous ne sommes pas seuls dans la prière. Les personnes que j’amène à la prière, celles dont je suis solidaire dans la prière, celles pour lesquelles j’intercède, sont en communion avec notre propre prière. Nos défis d’aujourd’hui sont influencés par notre comportement social : la nécessité d’éteindre nos téléphones et messages whatsapp. Bien qu’elles n’aient pas un caractère spécifique, ces difficultés à se déconnecter du monde persistent dans le comportement humain.
EVB Nous aussi, nous pouvons être intimidés lorsque nous approfondissons notre vie de prière. Le fait de savoir que ces défis ont toujours existé et sous différentes formes, peut certainement nous réconforter. Avez-vous un dernier mot de sagesse sur comment approfondir sa vie de prière ?
JR Sainte Thérèse dirait que dès que vous souhaitez commencer à prier, vous avez déjà parcouru un long chemin. A travers ce désir, une grande partie du travail est déjà faite. Il s’agit ensuite d’avoir le courage et la confiance de laisser Dieu entrer en soi et lui confier le processus. Car Dieu attend chacun de nous. Il y a une relation merveilleuse à construire. Pourquoi ne pas s’y engager ?
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Monica McArdle est diplômée de l’Université de Durham, au Royaume-Uni. Elle possède une licence et un certificat d’études supérieures en chimie. Elle n’a jamais enseigné à plein temps dans une école en particulier. Ayant plutôt choisit de rejoindre la communauté catholique de Sion pour l’évangélisation, elle travaille pour différentes écoles et paroisses à travers le Royaume-Uni. Dans le cadre de son ministère, elle a surtout exploré l’utilisation du théâtre, du mime, de la danse et de la langue des signes en tant que modes de communication. Ces moyens lui ont permis d’introduire l’Évangile chrétien dans la vie d’autrui. Après 20 ans de mission active, elle obtient une maîtrise en éducation au mouvement somatique et en danse (SMDE) à l’Université de Central Lancashire. Là, elle étudie la prière incarnée dans le cadre de ses recherches pour l’obtention de sa maîtrise, ceci dans un cadre laïc. Elle obtient ensuite un M.Prof. à l’Université de Chester, et est actuellement en cinquième année de doctorat, à temps partiel pour l’Université de Roehampton, au Royaume-Uni.
La Lectio Divina incarnée
Monica McArdle
En lisant le Psaume 63, vous remarquerez qu’il est parsemé de verbes, pratiquement un par ligne. Il commence par «Ô Dieu, mon Dieu, c’est toi que je recherche, mon âme a soif de toi,» puis viennent le festin, l’allégresse et l’attirance. La prière dans ce psaume est loin d’être passive, elle est pleinement vivante et participative, illustration d’une prière qui engage le corps tout entier. Je scrute avec les yeux, je loue avec la bouche, j’élève les mains et je m’étends sur ma couche afin de me souvenir et méditer. De même, Dieu joue un rôle actif : à l’ombre de ses ailes, je crie de joie; Dieu remplit mon âme comme pour un festin; sa main droite me soutient. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles le Jerome Biblical Commentary affirme «qu’aucun autre psaume n’exprime de manière aussi vivante, la relation intime d’amour entre Dieu et son serviteur fidèle.» Cela prouve que la dimension corporelle est un élément important dans l’exercice de la prière.
Cette observation est au cœur de mes recherches de doctorat : le rôle du corps dans la prière chrétienne, en particulier dans la lectio divina. Cet intérêt vient de mon expérience en tant que membre d’une équipe missionnaire catholique travaillant dans différentes paroisses et écoles au Royaume-Uni. Mon ministère impliquait l’utilisation du théâtre, du mime, de la danse et du langage des signes comme moyens de communication pour véhiculer le message de l’Évangile dans la vie des autres. Grâce à ce travail, j’ai vu des personnes prendre pleine conscience d’elles-mêmes et développer une connaissance de Dieu plus profonde.
Ces expériences m’ont attirée vers l’éducation au mouvement somatique (EMM), qui est l’étude de soi basée sur l’expérience vécue, englobant les dimensions du corps, de la psyché et de l’esprit. L’un des principes fondamentaux de la «conscience somatique» est de comprendre que le corps, ou «soma,» est un tout, et non un conglomérat englobant l’esprit, l’âme, la psyché ou l’anatomie. 1 La proposition somatique est, qu’à travers l’usage du mouvement, du son, de la respiration, du toucher et de l’image, on commence à noter les diverses sensations corporelles qui pourraient émerger. C’est le moyen de découvrir et percevoir l’éventail des connaissances qui nous habitent. En effet, comme l’explique la
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danseuse et philosophe Maxine Sheets-Johnstone dans son livre The Primacy of Movement, l’action de nos «corps tactiles-kinesthésiques sont des portes d’entrée épistémologiques.» La connaissance subjective s’appréhende en notant l’interaction entre les aspects physiques, mentaux, émotionnels et esthétiques/spirituels de notre vécu.
La Lectio Divina est une forme de prière chrétienne établie de longue date, un engagement dynamique avec la Parole de Dieu. Dans leur livre Lectio Divina : Contemplative Awakening and Awareness, les guides spirituelles bénédictines Christine Valters Paintner et Sœur Lucy Wynkoop la décrivent comme «une invitation à écouter attentivement la voix de Dieu dans les Écritures et laisser ce que nous entendons nous façonner.» Le moine chartreux du XIIe siècle, Guigo II, classe la lectio divina en quatre étapes, ou «barreaux d’une échelle» : lectio (la lecture), meditatio (la méditation), oratio (la prière) et contemplatio (la contemplation). Dans mes recherches, je fais correspondre ces quatre composantes : lecture, méditation, prière, contemplation, avec les quatre attributs somatiques clés que sont la terre, les os, la respiration (ou souffle) et le mouvement.
Les étapes de la Lectio Divina
lectio (la lecture), une première prise de connaissance d’un texte sacré ;
meditatio (la méditation), période de réflexion soutenue sur les mots du texte ;
oratio (la prière), une réponse active à Dieu ; contemplatio (la contemplation), en présence du Divin.
Domaines de la conscience somatique
La Terre:- soutien, maintien, réorientation, témoin.
Les Os:- sens de soi, connexion, force, présence.
Le Souffle:- force vitale, amenant le mouvement dans une intégration à deux voies.
Le Mouvement:- actualisation, expression, personnalisation.
Les lignes directrices suivantes permettent d’intégrer la pratique et l’expérience.
LECTIO
La première étape consiste à lire un passage à haute voix. Pour ce faire, nous sommes encouragés à percevoir notre appui sur le sol, laissant tomber tout le poids du corps avec la gravité. L’objectif est d’avoir conscience de cette base de soutien présente en permanence, même lorsque nous n’y pensons pas. Dans ce contexte, l’ancrage fait référence à la connexion que chaque personne a avec la terre, créant un sentiment d’enracinement et de stabilité.2 La relation conjointe avec la terre permet de développer «la capacité d’une personne à percevoir et à vivre selon l’expression, ici et maintenant.» L’ancrage peut nous aider à être plus présent dans la prière, et aller bien au-delà de la simple récitation des mots.
MEDITATIO
Puis, on lit le passage une seconde fois, on écoute attentivement pour isoler un mot ou
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une phrase qui retient l’attention. On médite sur le mot en prenant conscience de la forme de notre squelette à l’intérieur. Linda Hartley, danseuse et psychothérapeute, explique comment la localisation et le tracé des os et articulations peuvent «réveiller l’expérience de la vie.» La répétition de cette phrase, le suivi du tracer des os du corps, offre une voie claire pour la méditation.
ORATIO
Le passage est lu une troisième fois en méditant sur la manière dont Dieu nous parle à travers ses mots. Que dit l’Écriture sur notre relation avec Dieu et notre relation avec le monde? Le mouvement de la respiration apporte une sensation d’expansion à l’inspiration et une sensation de contraction à l’expiration. On se pose les questions : «Que m’apporte ces mots ?» et «Qu’est-ce que je suis invité à abandonner, à laisser tomber ?» À ce stade, il ne s’agit pas de techniques de respiration, mais plutôt d’une prise de conscience du rythme et de la forme de sa respiration, afin de devenir un canal qui nous relie aux autre dans la prière.
CONTEMPLATIO
Le passage est lu une quatrième fois, et nous méditons maintenant sur la réponse que Dieu nous souffle aux travers des mots. À ce stade, le corps est plus à l’écoute des différentes manifestations corporelles, telles la sensation du sol, le poids du corps, les os, la respiration. Notre conscience est donc éveillée à tout germe de mouvement qui s’agite à l’intérieur. La sensation ressentie peut être légère, mais elle est importante, par cette manifestation physique, notre réponse à la prière s’exprime. Si nous le voulons, nous pouvons amplifier le mouvement : sans rien forcer, en laissant la prière couler, sans rechercher de mots ou un sens précis ; en étant et demeurant ainsi, en présence de ce moment de prière. Il est inutile de se demander si l’on fait bien les choses, toutes les expériences de mouvement sont intrinsèquement authentiques, elles se produisent dans le moment présent. Ce sont donc des formes précieuses de prière.
La Lectio Divina incarnée est une porte d’entrée vers la révélation de la vérité. Nous sommes parfois surpris par ce que nous recevons, et parfois touchés par l’inattendu. C’est ainsi que nous revenons au Psaume 63, avec sa pléthore de verbes et son engagement actif. Il nous rappelle que, tout comme nos corps sont en mouvement constant—de la respiration aux battements du cœur ou de l’activation des synapses nerveuses—il en va de même pour notre prière, notre communication et notre connexion avec Dieu.
Œuvres citées
1 tel que défini par l’ISMETA (International Somatic Movement Ed ucation and Therapy Association)
2 L’ancrage (ou enracinement) joue un rôle important dans la thérapie par le mouvement dansé, comme le montrent les articles de P. Tord & I. Brauninger (2015) Grounding : Theoretical application and practice in Dance Movement Therapy et B. Meekums (2002) Dance movement therapy. Les thérapies créatives en pratique.
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“Votre corps est votre meilleur guide spirituel.”
Vilma Seelaus OCD
Le pouvoir de la prière
C’est comme si les eaux visualisées par Ezéchiel s’écoulaient comme des mots. Un filet d’eau provenant du Temple se transforme en un ruisseau jusqu’à mi-cheville. Louanges et lamentations, désolation et gloire parlées et chantées jour après jour jusqu’à ce qu’une rivière atteigne les genoux, et d’une limpidité éclatante. Les mots se combinent au fil des siècles d’innombrables voix ajoutent leurs chants formant une vague, contribuant à la montée des eaux à plusieurs coudées de l’autel, jusqu’à atteindre les hanches.
Depuis les temps les plus reculés les prières de l’Église sont les prières que Jésus a prononcées : les psaumes qu’il a béatifiés et qui se sont accomplis... consacrant son abandon sur la croix. Prier sans cesse comme l’a recommandé saint Paul. Avec sa Liturgie des Heures l’Église a cherché à sanctifier le temps et à rendre chaque heure sacrée.
Prié pendant des millénaires le fleuve des mots est devenu si large et si profond au point d’être infranchissable. Pourtant, la largeur du Mississippi et de l’Amazone a ont apporté comme le prévoyait Ezéchiel une croissance florissante et une richesse incalculable tout au long des siècles d’errance.
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Croyez-vous au pouvoir de la prière ?
Si c’est le cas
alors il ne peut en être autrement que le monde tel qu’il est, avec ses bénédictions et ses beautés fait de risques et de tentations est façonné (au moins en partie) d’une rivière de prières, aussi large et profonde qu’un lac. offertes depuis des siècles par les prêtres, les religieuses, les moines, les saintes femmes et hommes saints.
Croyez-vous au pouvoir de la prière ?
Si c’est le cas nous ne pouvons que constater un déficit croissant et actuel un assèchement des mots provenant de couvents désormais silencieux et de monastères de plus en plus vides.
Soyons clairs :
Dieu n’a pas besoin de nos prières, c’est nous qui en avons besoin. L’humanité tout entière et notre histoire à venir ont toujours besoin du torrent de la prière quotidienne pour guérir et pardonner ce qui ne va pas ainsi que pour faire fructifier nos plus belles qualités et les transformer en une réalité concrète.
Nous devons redécouvrir la Liturgie des Heures nous perdre nous-mêmes se nous décentrer de l’égocentrisme pour trouver la notre liberté dans la totale dépendance à l’égard de Dieu.
Nous devons réapprendre la Liturgie des Heures pour reconstituer le réservoir de prières invoquer la grâce pour approvisionner les eaux qui étanchent la soif de justice et de paix.
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Converser avec Dieu
Lucinda M. Vardey
Lucinda M. Vardey est rédactrice en chef de la revue D’Un Commun Accord. Pour en savoir plus sur son parcours, veuillez consulter notre site web.
En compilant un livre de prières écrites par des femmes, j’ai cité les mots d’une amie qui disait que «la prière est une conversation qui nous soutient.» Elle a parfaitement résumé ce qu’est la prière, non seulement une rencontre avec Dieu, mais une relation. Une conversation qui nous soutient ne peut être un monologue, uniquement un dialogue. Comme dans toute conversation importante et de substance, il faut une honnêteté totale, la possibilité de partager désirs et aspirations, mais aussi lamentations, doutes ou confusion. Il est nécessaire d’apprendre à attendre, à écouter et à reconnaître la voix de Dieu quand Il nous parle. Il faut être confiant en la sagesse, l’amour et l’attention que Dieu est prêt à nous accorder, quand et comment Il souhaite nous les révéler. Enfin, une soif d’intimité profonde et un désir d’unité totale sont nécessaires.
Concernant le dialogue, la prière sous forme de conversation n’est pas largement connue, expliquée ou consignée, probablement parce qu’il s’agit plutôt d’une prière féminine. Cependant, trois femmes nous fournissent de beaux exemples : La béguine française Marguerite Porete (12501310), la cistercienne saxonne Mathilde de Magdebourg (1210-1297) et la tertiaire dominicaine et docteure de l’Église Sainte Catherine de Sienne (1347-1380). Leurs écrits prennent des formes différentes, mais présentent de nombreux thèmes
similaires. Toutes nous confirment qu’un effort est nécessaire afin d’atteindre la vérité par les moyens propres à chaque individu. Dans son Traité de l’Amour de Dieu, Saint François de Sales écrit que la prière et la théologie mystique, auxquelles ces femmes ont contribué, «ne sont rien d’autre qu’une conversation dans laquelle l’âme s’entretient amoureusement avec Dieu sur sa très aimable bonté de s’unir à nous, et nous à lui.» 1 Le but de ce divertissement amoureux est non seulement, être aimé de Dieu, mais tel que l’explique Mary E. Giles, il s’agit d’entrer dans une «perception interactive» où «la connaissance ne peut être acquise sans faire l’expérience de l’amour parfait.» 2
S’initier aux Écritures exigeait également de ces femmes qu’elles rendent les textes vivants par le biais d’expériences uniques, toutes basées sur leur degré d’engagement dans la prière. En consignant leurs expériences, ces trois femmes fournissent une riche contribution, qui pourrait bien avoir influencée les enseignements des saints et des saintes des siècles suivants.
Marguerite Porete commence son livre, Le miroir des âmes simples par un dialogue allégorique entre l’Amour et l’Âme. Il se transforme rapidement en trilogue introduisant la Raison qui, naturellement, a beaucoup de mal avec le contenu du discours. Ensuite, Dieu et l’Église interviennent à leur tour. À un moment donné, Marguerite Porete note que l’esclavage survient lorsque nos actions sont
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le produit de «la raison et de la peur, alors que la vraie liberté, c’est agir porté par la foi et l’amour.» Son livre retrace le déroulement de la conversation, elle parle d’une échelle vers la perfection, une métaphore que Catherine de Sienne utilise également dans son Dialogue. Marguerite Porete consacre un chapitre à La nuit obscure, qui développe un concept introduit à l’époque par Thomas de Saint-Victor et Guillaume de Saint-Thierry, deux théologiens français. Elle y explique que la «vérité» dans le lien relationnel à Dieu ne se trouve pas dans ce qui est dit de Dieu, mais dans ce que Dieu est ; et ce que Dieu est, ne peut être nommé.
Mathilde de Magdebourg définit la prière comme moyen de transformer le cœur. La prière transforme «un cœur aigri doux, un cœur triste joyeux, un cœur insensé sage, un cœur timide audacieux, un cœur faible fort, un cœur aveugle clairvoyant, un cœur froid ardent. La prière attire Dieu si grand, dans un cœur si petit, elle pousse l’âme affamée vers la plénitude de Dieu.» 3 Entre 1250 et 1264 elle écrit La lumière de la Divinité (un recueil de visions, de révélations, de pensées et de lettres) «du cœur et de la bouche de Dieu.» Elle demande à Dieu pourquoi il a créé l’âme et la réponse est, «par besoin d’amour,» expliquant que «Dieu a tout mais jamais assez des échanges avec l’âme, de ceci Dieu ne peut jamais se passer.» La prière de Mathilde se définit comme un regard tourné vers Dieu, alors son âme converse avec Celuici. Comme chez Marguerite Porete, d’autres aspects interviennent dans la conversation, tel la «compréhension.» Au terme de ces dialogues, chaque femme fait l’expérience de l’unité à la Sainte Trinité. Mathilde écrit:-
«Seigneur et Père Céleste, tu es mon cœur! Seigneur Jésus-Christ, Tu es mon corps ! Seigneur Esprit Saint, Tu es mon souffle ! Seigneur Sainte Trinité, Tu es mon unique refuge et ma Paix éternelle.» 4
Saint Bernard de Clairvaux enseigne que le contemplatif, suite à ce contact avec le Divin, doit restituer force et nourriture pour les transmettre à d’autres âmes. C’est ce dont témoigne l’œuvre complexe de Sainte Catherine de Sienne intitulée simplement Le Dialogue.
LE DIALOGUE
Alors que les livres de Marguerite Porete et de Mathilde de Magdebourg proposent une explication entre les différentes allégories, la structure du livre de Catherine se compose de questions adressées à Dieu et les réponses de Celui-ci. Au cours de sa rédaction (qui devait durer environ un an), elle acquiert une connaissance et une compréhension de la vérité, sur l’amour de Dieu et du prochain, également sur le fonctionnement de la Divine Providence. Elle explique le pont (ou l’échelle) que constitue le corps du Christ qui nous permet d’accéder à la vérité. Elle parle de cinq sortes de larmes, les comparant aux degrés d’élévation de l’âme, de révélations sur le «cœur sacramentel» (le corps mystique de la Sainte Église) et aussi de la soumission à l’exemple de Jésus. La traductrice anglaise du Dialogue, Suzanne Noffke O.P., compare l’ensemble du livre à «une grande tapisserie à laquelle Catherine ajouterait un point après l’autre, jusqu’à être totalement satisfaite d’avoir communiqué l’ensemble de ce qu’elle a appris sur le chemin de Dieu. Ce n’est pas tant un traité à lire qu’une conversation à entamer.»
En entrant dans le discours de Catherine nous découvrons les particularités de la relation qu’elle entretient avec Dieu, et aussi
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la sagesse et les préceptes moraux révélés par Dieu. Dieu s’adresse à elle à différents moments en l’appelant «très chère fille» «douce fille,» «fille bien-aimée» ou «fille exquise.» Dieu se décrit lui-même comme étant «le feu qui purifie l’âme.» Concernant la pratique de la prière vocale, Dieu met en garde : si l’objectif repose sur le rabâchage de mots, la lecture d’une «multitude de psaumes» ou la récitation «de nombreux Notre Père,» cette prière ne peut plaire à Dieu et ne portera que peu de fruits.5 Dieu prévient aussi qu’il n’est pas conseillé d’abandonner la prière vocale au profit de la prière mentale : «Une personne avance pas à pas» car l’âme est «imparfaite avant d’être parfaite» et sa prière est donc également imparfaite.6 Dans la prière vocale ou mentale, Dieu préconise de se concentrer sur l’amour de Dieu et Sa miséricorde envers les pécheurs, ce qui aboutit à une meilleure connaissance de soi. Ainsi lorsque la personne qui prie «ressens que l’âme est prête à recevoir Sa visitation,» Dieu déclare qu’il «faut cesser toute prière vocale.» 7
En résumé, Dieu compare la prière parfaite à la «mère» de l’âme, celle-ci ne s’atteint pas «par de nombreuses paroles, mais par un désir d’amour,»8 comme être bon envers autrui «en parole et en actions.» Dieu explique que «l’amour du prochain» est en soi «prière constante.»9 Tout au long de son texte, Catherine adresse ses oraisons et ses louanges en remerciements pour la sagesse acquise et les conseils reçus de Dieu. Le Dieu qui parle à Catherine a une voix claire, ferme et directe. Dieu veut que l’âme n’espère qu’en Lui seul et non en elle-même, qu’elle ne serve pas deux maîtres, affirmant que le monde «n’a rien de commun avec moi, ni moi avec lui.»10 Dieu ajoute «et parce qu’aucun d’entre vous n’est constant en cette vie mais change continuellement jusqu’à ce qu’il atteigne son état final, je fournis constamment ce dont vous avez besoin et en tout temps.”11 Dieu
assure Catherine qu’Il «guéris tout» et lui demande de respecter tout ce qu’il envoie, «l’humiliation comme le bien-être» car «tout ce que Je fais pour le corps, c’est pour le bien de l’âme, pour qu’elle grandisse dans la lumière de la foi, pour qu’elle ait confiance en moi et cesse d’avoir confiance en elle-même, pour qu’elle voie et sache que Je suis et que Je peux tout, que Je veux son bien et que Je sais de quoi elle a besoin pour être sauvée.»12
Dans sa dernière prière, Sainte Catherine parle de la Trinité comme d’une lumière, d’un océan qui nourrit l’âme, «car lorsque le tenant dans les mains de l’amour, je regarde ce miroir qu’est la surface de l’eau, il me reflète moi comme étant en toi ta création, et toi en moi grâce à la fusion entre Ta divinité et notre humanité.»13
Œuvres citées:
1 St. Francis de Sales Treatise of Divine Love trans. Rev. Henry Benedict Mackey OSB (Ill, Rockford, Tan Books, l997) p. 233.
2 Cité dans The Flowering of the Soul: A Book of Prayers by Women ed. Lucinda Vardey (NY, Ballantine, l999) p. 358.
3 Mechthild de Magdeburg The Flowing Light of the Godhead trans. Lucy Menzies (CT, Martino Pub. 2012) p. 136.
4 ibid p. 132.
5 Catherine of Siena: The Dialogue trans. Suzanne Noffke OP (NY, Mahwah, Paulist Press, 1980) p. 124.
6 ibid
7 The Dialogue p. 126.
8 ibid
9 Voir ci-dessus p. 172.
10 The Dialogue p. 281.
11 Voir ci-dessus p.282.
12 Voir ci-dessus p. 293.
13 Voir ci-dessus p..336.
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Kimberley Morton vit et travaille à Toronto. Elle a fait carrière dans differents domaines, le marketing, la publicité et le développement des affaires. Fidèle de la paroisse catholique St. Basil depuis longtemps, elle s’est impliquée dans plusieurs ministères, notamment l’aide aux sans-abri avec le programme “Out of the Cold” et aussi l’accompagnement des personnes désireuses de se convertir au catholicisme à travers le rituel d’initiation chrétienne des adultes. Elle a également siégé au conseil paroissial, est membre fondateur du Conciliaire Magdala et membre de la communauté laïque des Contemplatives de Sainte-Anne.
Prier en communion
Kimberley Morton
Margaret Carney
En qualité de protestante, on m’a enseigné que les saints étaient en compétition avec Dieu pour gagner nos prières et notre louange ; ils n’ont donc jamais fait partie de ma vie ou de ma foi. En devenant catholique, un «groupe de nouveaux amis» s’est manifesté en la personne des saints. Maintenant, je comprends que leur présence ne diminue en rien la gloire de Dieu, bien au contraire. La gloire de Dieu est exaltée par leur vie, leurs paroles et leurs sacrifices.
Ma conversion à l’Église s’est produite très rapidement au cours de l’été 2013. J’entamais une nouvelle relation avec un homme merveilleux que j’aimais profondément. J’ai donc décidé de l’accompagner et assister à la messe avec lui (de mon propre chef et avec beaucoup de curiosité). Je commençais à prendre conscience de la «Grâce de Dieu», je me suis très vite retrouvée à dire «oui» à un autre type de relation ; la relation avec Jésus. Non contente de prier en récitant par cœur, j’ai senti le besoin de trouver un équilibre entre la prière structurée, et mon désir de dialogue avec Dieu.
L’histoire de la femme allant au puits m’a obsédée, de même que son invitation à tisser une relation avec Jésus par l’intermédiaire de l’eau vive «... source d’eau jaillissant en vie éternelle» (Jean 4.14). Sa vie et son expérience m’ont vraiment parlé, je me suis sentie proche, non seulement de sa souffrance et de son isolement, mais aussi de sa conversion instantanée. Une porte s’est ouverte en moi sur les grandes femmes de la Bible et les saintes. Je pensais pouvoir faire évoluer ma propre histoire utilisant leur vie et leur exemple. Je pensais me transformer moi-même utilisant leur souffrance et leur sagesse, afin que ma conversion soit «actée.»
Bien entendu, ça n’a pas été aussi simple. La conversion n’est pas un phénomène ponctuel, ce n’est jamais un produit fini. Que ce soit dans une démarche vers la foi ou venant de
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“Dans la Communion des Saints telle que nous la percevons en réalité, ces personnes existent en corrélation avec nous. Nous puisons en elles un héritage vivant...”
OSF.
l’intérieur, la conversion exige que je donne tout, en tout temps, chaque fois que le Christ m’y invite.
Lire la vie des saints procure un grand réconfort, découvrir leurs parcours jusqu’à la communion complète avec Dieu et les obstacles insurmontables auxquels ils ont dû faire face. Ils ont mené une vie inspirante. Pour reprendre les mots de Mère Térésa de Calcutta, «Je peux faire tout ce que Tu ne peux pas, Tu peux faire des choses que je ne peux pas ; ensemble, nous pouvons faire de grandes choses.»
Se nourrir de l’amour profond que les saints ont porté à Jésus procure une grande joie. Voici l’histoire de quelques femmes qui selon moi, illustrent sous un jour nouveau les vérités de l’Évangile.
La Vénérable Nano Nagle, née en Irlande en 1718, m’a montré qu’avec la grâce et sous la direction de Dieu, rien n’est impossible. Elle vécu l’époque tumultueuse où les catholiques d’Irlande se soulevèrent contre les forces anticatholiques venues d’Angleterre. Elle risquât sa vie pour s’occuper des jeunes filles qui souhaitaient recevoir une éducation catholique. Née d’une famille de propriétaires terriens, elle dû mendier la nuit dans les bidonvilles, sans jamais se désespérer de faire le bien.
Durant sa vie de service—Nano Nagle a fondé un ordre religieux, de même qu’une société missionnaire laïque, en plus d’écoles pour l’éducation des pauvres des quartiers défavorisés. Elle vécut assaillie de difficultés et, à l’approche de la mort, elle déclare à un ami : «Je pense que le Tout-Puissant m’a
donné la santé afin d’accomplir le peu de travail que j’ai eu ; si je ne l’ai pas utilisé à son service, il pourrait bientôt m’en priver.»1
À l’approche de ma confirmation dans l’Église catholique en 2015, j’ai dû réfléchir au nom de sainte que j’allais choisir. Je recherchais une sainte avec laquelle j’aurais une véritable affinité ; une femme forte comblée de la grâce et de l’amour de Dieu, désireuse de vivre en charité et vérité. Cette personne je l’ai trouvé chez Édith Stein, Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix.
Née en 1891 dans une famille juive pratiquante, Édith était enseignante, et la première femme à obtenir un doctorat en phénoménologie, une branche de la philosophie. Grâce à de nombreuses rencontres avec des catholiques et suite à la lecture de l’autobiographie de Sainte Thérèse d’Avila, elle se tourne vers la foi catholique. Après avoir enseigné dans une école dominicaine, elle est ordonnée carmélite en 1933. Edith se sentait profondément responsable envers les autres et la réalité de la croix, comme l’indique son nom religieux. Elle note : «Qui cherche la vérité consciemment ou inconsciemment cherche Dieu.»2
Edith avec sa sœur Rosa convertie elle aussi, sont arrêtées en Hollande par la Gestapo et emprisonnées au camp de Westerbork. Elles sont ensuite envoyées à Auschwitz où elles meurent toutes les deux. Des survivants du camp ont témoigné qu’Édith avait aidé de nombreuses femmes et enfants, et beaucoup de ceux qui étaient à bord de leur train en direction de la Pologne. Édith croyait en la dignité des femmes et en l’épanouissement de leur génie.
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«Un Saint» écrit par l’écrivaine mystique anglaise Evelyn Underhill, est quelqu’un qui a «un contact au-delà du merveilleux avec les mystères de l’univers, une vie de possibilités infinies.» Elle dit aussi que les saints nous fournissent «les outils pour un amour en mouvement,» un amour purgé de tout intérêt personnel, rendu plus parfait, «gagner à prix fort, avec une portée extraordinaire». L’amour en action est à notre disposition, tel «un moteur pour travailler avec Dieu.»
LES AMIS SPIRITUELS
Les saints m’aident à trouver un équilibre dans ma vie de prière. Comment donner, comment recevoir et comment écouter. Dans son livre Treasury of Women Saints Ronda Chervin écrit «La spiritualité féminine de notre époque propose une interprétation selon laquelle les hommes ont besoin du ministère spirituel des femmes, même lorsque ceux-ci sont consacrés à Dieu dans la vie religieuse. Les charismes particuliers des femmes sont complémentaires à ceux des hommes et ne peuvent pas être simplement remplacés par un lien d’amitié entre personnes du même sexe.» Cela me rappelle la Bienheureuse Jacoba de Settesoli, une noble romaine du IIIe siècle. Elle devint une proche amie de Saint François d’Assise, il séjournait régulièrement chez elle lors de ses visites à Rome. Il appréciait particulièrement certains gâteaux qu’elle lui préparaient. Il lui fit cadeau d’un agneau qui l’accompagnait chaque jour à la messe et demeurait à ses côtés lorsqu’elle priait. Alors qu’il se mourait à Assise, saint François demanda à Jacoba de venir le voir et lui apporter les linges nécessaires pour son enterrement. Elle avait ressenti qu’il était
dans le besoin et vint quand même, mais arriva après sa mort. Cette amitié montre que même les hommes les plus saints ont besoin du réconfort et de l’attention des femmes.
Auprès de François, Jacoba cherchait à apprendre la charité, elle recueillit beaucoup plus. Elle fut probablement la seule femme, après Sainte Claire, avec qui il entretint une relation d’amitié très étroite. Lorsque François accueillit «Sœur la Mort», il accueillit également «Frère» Jacoba, comme il l’appelait, pour être la seule femme présente parmi ses frères en deuil au monastère.
L’auteure, Sœur Chiara Lainati, a écrit : «Car c’est précisément la prérogative des saints, comme celle des artistes qui créent des chefs-d’œuvre immortels, de rester vivants à travers les âges et toujours parler le langage du présent.» La vie des saints est essentielle pour nous guider vers la sainteté. En nourrissant notre relation avec eux, et en accueillant leur amitié, nous nous unissons à eux dans le corps mystique du Christ, guidés par leur exemple et leurs vertus. Nous sommes fortifiés par leur détermination. En réclamant leur aide, et surtout, en nous unissant à eux pour servir Jésus, nous faisons notre part sur le chemin de la pleine communion.
Œuvres citées:
1 Boniface Hanley, ‘For the Poor Alone, The Anthonian (Patterson, N.J.: St. Anthony’s Guild, 1984), pp. 3-29.
2 https://carmelitesofboston.org/history/ourcarmelite-saints/st-teresa-benedicta-of-the-crossedith-stein/
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“Une multitude de paroles ne peuvent rassasier l’âme, seuls une vie sainte et un cœur pur le peuvent”
Vén. Catherine De Hueck Doherty (O Jesus).
D’Un Commun Accord
O Dieu, notre créateur, Vous, qui nous avez faits et faites à votre image, donnez-nous la grâce de l’inclusion au cœur de Votre Église.
R: D’un commun accord, nous prions.
Jésus, notre Sauveur, Vous, qui avez reçu l’amour des femmes et des hommes, guérissez ce qui nous divise, et bénissez ce qui nous unit.
R: D’un commun accord, nous prions.
Esprit Saint, notre Consolateur, Vous, qui guidez ce travail, veillez sur nous qui espérons faire Votre volonté pour le bien de tous
R: D’un commun accord, nous prions.
Marie, mère de Dieu, priez pour nous.
Saint Joseph, restez près de nous.
Sagesse divine, éclairez-nous.
R: D’un commun accord, nous prions.
Amen.
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La revue D’un commun accord est publiée en italien, en anglais et en français. Pour accéder aux autres versions linguistiques, veuillez visiter notre site web.
Musique de signature With One Accord (D’un commun accord) pour l’interview de Magdala, composée par le Dr John Paul Farahat et interprétée par Emily VanBerkum et John Paul Farahat.
Images utilisées dans ce numéro :
Couverture : “Jeune femme priant dans une église” par Jules Breton (1827-1906).
Page 2 “Une disciple” de John Everett Millais (1829-1896).
Page 3 Détail d’une ancienne icône byzantine.
Page 11 “Jeune nonne en prière” par Sergei Gribkov (1852).
Page 12 “La rivière Tignana” photo John Dalla Costa.
Pages 14-16 Marguerite Porete” (artistes inconnus) ; couverture du livre de Mechtild de Magdebourg d’après l’édition de Paulist Press ; “Sainte Catherine de Sienne écrivant” par Rutillo di Lorenzo Manetti (1630).
Pages 18-19 Nano Nagle (artiste inconnu) ; “Bro Jacopa”, détail d’un tableau représentant le “transito” de saint François à Assise, peint par Domenico Bruschi (1840-1910).
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Ce numéro
Copyright © 2023 Paroisse catholique de Saint-Basile, Toronto, Canada
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ÉDITEUR
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ÉDITRICE EN CHEF
Lucinda M. Vardey
RÉDACTRICE ASSOCIÉE
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ÉDITEUR CONTRIBUTEUR
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COORDONNATEUR DE LA PRODUCTION
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TRADUCTRICES
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ADMINISTRATRICE
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