BRUZZ - editie 1772

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BruxellesVies Storyboard NOÉMIE MARSILY

Un long retour à la maison

Pendant trois semaines, un.e artiste bruxellois.e partage sa vision du monde. LISETTE MA NEZA a étudié le cinéma à la LUCA School of Arts, est poète, autrice de paroles et de chroniques, et championne nationale et vice-championne du monde de Poetry Slam. Instagram: @diemeisjevanbrussel

FR/ Ces clochards, ce sont des gens en

exil - comme nous, comme ceux qui nous ont précédés, comme nous le serons. Les sifflements des hommes, les huées, les railleries - ça ne me dérange pas ce soir. J’écoute à moitié, je marche, je suis presque chez moi de toute façon. J’erre et je parcours les rues, je trouve les herbes et les marinades de maman dans les night shops. Je rencontre mes nouveaux amis, sous terre. Tram (ou est-ce un métro ?) 25. Je suis presque à la maison, presque à la maison.

Wie dreigt verloren te rijden in de donkere hybride van postpunk, freejazz en klezmer van het Britse collectief Black Country, New Road, kan rekenen op de maan. BLACK COUNTRY, NEW ROAD 24/10, 19.30, Botanique, www.botanique.be 38

Il ne se passe pas une saison sans que je défende la Place Liedts et ses environs. Le premier endroit, outre le nid douillet de mes parents, que j’ai fait mien, où je suis retournée après une longue journée ou un long voyage. De retour, à la maison. Le premier visage que j’ai appris à reconnaître, les sacs-poubelles et les cartons vides, tard la nuit, dans la rue de Brabant vide, mon premier Bruxelles. Du thé turc à la maison et à chaque coin de rue, quelqu’un toujours prêt à cuisiner pour une étudiante en cinéma, qui (ne) fait (que) des heures supplémentaires à sa table de montage ou qui revient d’une soirée poésie, de Mama’s Open Mic. Oh, ce quartier a fait de moi Die Meisje van Brussel (Cette Fille de Bruxelles). Des amis de la famille qui avaient

étudié à Bruxelles ou y étaient employés comme chauffeurs de taxi, traducteurs, à l’ambassade ou dans des hôpitaux, avaient mis mes parents en garde. « Ce n’est pas sûr là-bas. C’est le chaos. Elle va devoir faire attention. » J’ai compris, je l’ai vu. J’ai juste vu beaucoup plus que la surface. Évidemment , j’ai fait une recherche sur Google il y a quelques années avant de venir découvrir tout ça de mes propres yeux. Cela n’aide pas, on a écrit tellement d’absurdités sur la capitale. Tant de choses spéciales, mais aussi beaucoup de bêtises. Beaucoup plus de tares qu’il n’y en a. Je n’étais pas à mon aise quand j’ai marché pour la première fois de la gare du Nord vers une nouvelle partie de ma vie. Les femmes nues derrière la vitrine éclairée au néon, les étrangers qui les regardaient de la même façon qu’ils me regardaient, les voitures de police qui roulaient de plus en plus lentement. Les amies critiques de Bruxelles, qui se demandaient pourquoi il n’y avait que des femmes dans la vitrine, pourquoi pas des hommes ou autres. Est-ce que j’allais vraiment faire de cet endroit le mien ? Une rue ou deux plus loin, j’ai rencontré mes meilleurs amis, mon grand amour (lol), l’épicier qui me demande toujours comment va ma mère. Le serveur de mon restaurant préféré qui m’a apporté ma commande devant ma porte, quand j’avais des béquilles. Le garçon du night shop, oh, nous avons lu des poèmes pop et les classiques asiatiques ensemble. Pas une marée, pas une saison, pas une année ne passe sans que je défende ce quartier. Il y a peu, j’ai reçu une visite de Breda, où se situe une autre partie de ma vie ; après un long trajet, je reçois un SMS de cette personne : « Je suis à Bruxelles-Nord. Tu viens me chercher ? » Puis un autre... « Pourquoi il y a autant de clochards ici ? » Soupir. Je réponds par SMS. « Ces clochards sont des réfugiés. » Comme nous l’avons été autrefois. Relire l’entièreté de la série ? BRUZZ.be/bruxellesvies


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