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GESTION CONTRACTUELLE ENTREVUE Yves Trudel, Autorité des marchés publics
from Relation Québec-municipalités : Les défis et opportunités pour les prochaines années - Déc 2022
by UMQ
ENTREVUE
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Dans la foulée de l’adoption du projet de loi 12 plus tôt cette année, l’équipe du URBA s’est entretenue avec le président-directeur général de l’Autorité des marchés publics (AMP), M. Yves Trudel, afin de discuter des répercussions de cette pièce législative pour les municipalités et des enjeux et besoins des municipalités en matière de gestion contractuelle.
QPour débuter, pouvez-vous nous résumer le mandat de l’Autorité des marchés publics?
REssentiellement, l’Autorité des marchés publics est un organisme gouvernemental neutre et indépendant qui a comme rôle la surveillance des marchés publics, donc nous nous assurons de l’application des règles normatives régissant la gestion contractuelle. Il faut donc que ces règles soient respectées, ce qui explique pourquoi on en fait la surveillance.
En plus, l’AMP est responsable de délivrer les autorisations de contracter aux entreprises désirant faire affaire avec les organismes publics, les villes et les municipalités, ainsi que d’administrer deux registres publics. Il y a d’abord le Registre des entreprises autorisées à contracter avec l’État (REA). La loi établit des seuils de 1 million de dollars pour les contrats de service et de 5 millions de dollars pour les contrats de construction, qui nécessitent des autorisations de la part de l’Autorité des marchés publics pour des entreprises qui veulent contracter avec les organismes publics, les villes et les municipalités. L’autre registre est le Registre des entreprises non admissibles (RENA) qui consigne le nom des entreprises qui n’ont pas l’intégrité attendue pour décrocher des contrats publics. On continue évidemment de traiter les dénonciations qui entrent chez nous, donc toutes les plaintes et les communications de renseignements, comme on le fait depuis le début de la création de l’AMP, ce qui peut mener à des enquêtes et des vérifications. On a besoin des dénonciations des élues et élus municipaux, beaucoup le font et je tiens à le souligner. Ces dénonciations sont essentielles lorsqu’on constate qu’il y a des choses qui ne correspondent pas aux normes d’intégrité d’un contrat public. Si les élues et élus voient des choses qui ne respectent pas les règlements encadrant les contrats publics, on les invite à dénoncer, tout comme les contribuables québécois.
Quels sont les outils offerts par l’Autorité aux municipalités sur les meilleures pratiques en gestion contractuelle? expliquent les manquements qu’on a identifiés dans certains contrats ou dans certaines règles. On recommande ou on ordonne des choses à travers nos différentes décisions. C’est donc un bel outil d’apprentissage pour les gens qui s’y intéressent au sein des organismes publics, des villes et des municipalités, considérant que ça leur permet d’adapter leurs pratiques dans le respect des règles contractuelles.
Mentionnons aussi notre site Internet (amp. quebec), sur lequel on peut vérifier si les entreprises sont autorisées ou non autorisées à contracter avec l’État. On y trouve notamment différentes petites capsules qui peuvent servir tant aux municipalités, aux ministères qu’aux entreprises. On a également, sur notre site Internet, des calculateurs de délais qui viennent en aide aux organismes publics, incluant les villes et les municipalités, permettant d’établir les dates de dépôts de plaintes, les dates pour répondre

aux plaintes et les dates limites de dépôt des soumissions.
Nous faisons aussi plusieurs communications, ainsi que différentes rencontres, conférences, lettres et échanges avec des ministères, organismes, municipalités, entreprises, associations, etc. afin de les informer sur notre rôle de surveillance des marchés publics.
En juin dernier, l’Assemblée nationale a sanctionné le projet de loi 12, Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics. En quoi consiste cette nouvelle loi?
La loi vient donner des pouvoirs additionnels à l’AMP et il y a quatre volets majeurs. Tout d’abord, l’AMP peut désormais effectuer une veille des sous-contrats publics en plus de celle des contrats publics, et requérir des informations et des documents de la part des soumissionnaires, des contractants et des sous-contractants, en plus de pouvoir le faire auprès d’organismes publics. De plus, l’AMP peut maintenant enquêter, de sa propre initiative, sans avoir l’obligation de constater des manquements répétés afin de s’assurer que l’organisme public agit en conformité avec le cadre normatif applicable.
On a aussi maintenant la possibilité de vérifier l’intégrité des entreprises, peu importe la valeur du contrat ou la nature du contrat; qu’il s’agisse d’un contrat de services, de construction ou d’approvisionnement. Avec le projet de loi 12, l’AMP peut aussi imposer des mesures correctrices, d’accompagnement ou de surveillance aux entreprises que nous jugeons non intègres.
Également prévu dans le projet de loi 12, le rapatriement des activités de vérification de l’intégrité des entreprises menées par l’Unité permanente anticorruption qui entraînerait une amélioration de l’efficacité et de l’efficience des différentes étapes d’analyse d’un dossier, en plus de réduire les délais de traitement des demandes d’autorisation et de renouvellement des entreprises. Enfin, la loi prévoit aussi l’imposition de sanctions pécuniaires aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations, notamment en ne détenant pas d’autorisation de contracter ou de sous-contracter. Notons d’abord que le projet de loi 12 fait en sorte que notre relation avec les villes et les municipalités va demeurer une relation de recommandation, et non pas d’ordonnance, comme l’AMP peut le faire auprès de ministères et organismes.
Au niveau des villes et des municipalités – et c’est vrai pour tous les ministères et organismes – au moment de l’appel d’offres, donc lorsqu’un contrat sera visé par un appel d’offres, les entreprises doivent détenir l’autorisation de contracter à la date du dépôt de la soumission, plutôt qu’à la date de la conclusion du contrat. Auparavant, on attendait la conclusion du contrat avant de s’assurer que l’entrepreneur avait son autorisation. Maintenant, il faut qu’il l’ait au dépôt de la soumission. Cela va donc demander une certaine vigilance de la part des villes et des municipalités, ainsi que des organismes publics.
À partir du 2 décembre 2022, si une entreprise ne met pas en œuvre les mesures correctrices imposées par l’AMP à la suite de la vérification de son intégrité, elle pourra être inscrite de façon provisoire au Registre des entreprises non admissibles pour une période de trois mois. Si l’entreprise applique,
à la satisfaction de l’AMP, les mesures correctrices avant la fin du délai de trois mois, son inscription provisoire au RENA est alors retirée. Si l’entreprise ne met pas en œuvre les mesures correctrices à l’intérieur de ce délai, l’AMP l’inscrit alors au RENA de façon définitive pour une durée de cinq ans, laquelle débute à la date de l’inscription provisoire. C’est un changement positif pour les municipalités. Comme les registres sont transparents et publics, si elles font les vérifications utiles, cela va leur éviter de contracter avec des entreprises avec lesquelles elles n’auraient pas dû contracter.
Quelle approche d’intervention préconise l’AMP auprès des municipalités et quels ont été les principaux constats jusqu’ici?
Depuis environ deux ans, l’AMP a changé catégoriquement son approche d’intervention. Notre approche d’intervention se veut très collaborative, que ce soit avec les villes et les municipalités, ou les organismes publics. Ce que l’on souhaite, c’est d’être capable d’identifier rapidement les manquements au cadre normatif applicable. Par exemple, si on fait une veille au niveau du Système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec (SEAO) et que l’on constate qu’il y a des manquements dans un appel d’offres, on communique immédiatement avec le donneur d’ouvrage, soit la ville, la municipalité ou l’organisme public, pour les informer des manquements qu’on constate. Par ces échanges, on permet que le manquement soit corrigé avant que le préjudice soit causé, grâce à une approche collaborative. Mon objectif ultime serait qu’on ne rende plus jamais de décisions et que tout le monde respecte les règles normatives. Ça n’arrivera probablement pas, mais notre approche aura permis, par exemple, dans les dernières années, de diminuer entre autres le nombre de décisions que nous avons rendues, parce qu’on intervient beaucoup plus rapidement, en amont, du processus avec les villes, les municipalités et les autres donneurs d’ouvrage. Qu’est-ce que la loi 12 va permettre à moyen et à long terme?
En fait, le projet de loi 12 nous donne tout simplement des pouvoirs additionnels pour agir. Le projet de loi 12 va évidemment venir mettre des bâtons dans les roues aux entrepreneurs qui n’auraient pas l’intégrité attendue de la population pour obtenir des contrats publics. Pour nous, ce qui est important, c’est que les fonds publics soient investis de façon efficiente, mais également faits par des entrepreneurs qui méritent la confiance du public pour obtenir ces fonds publics.
Avec notre approche d’intervention, ce qu’on vise, c’est de travailler sur un changement de culture en matière de gestion contractuelle au Québec. On pense vraiment que notre approche collaborative va amener un changement de culture en matière de respect des règles contractuelles afin d’assurer la transparence, l’équité et la saine concurrence dans les marchés publics au Québec.
Le projet de loi 12 nous permettra d’investir encore plus d’efforts dans nos interventions sur le terrain, de visiter les chantiers et de rencontrer les entrepreneurs, les villes, les municipalités et l’ensemble des donneurs d’ouvrage. L’objectif ultime, en fin de compte, c’est que le public ait confiance en ses donneurs d’ouvrage, puis au régime des marchés publics. Avez-vous d’autres éléments à ajouter?
Je profiterais peut-être de l’occasion pour partager avec vous les principaux constats qu’on observe dans les processus d’adjudication et d’attribution des contrats en matière de manquement. Il y a souvent un manque de planification de la part des organismes publics, des villes et des municipalités. On voit également une évaluation erronée des besoins et donc des coûts qui s’y rattachent.
Il faut également une meilleure supervision. Une fois que le contrat est accordé, la supervision de l’exécution des travaux en fonction de ce qui était prévu à l’appel d’offres fait souvent défaut. Ce n’est pas uniquement le cas pour les villes et les municipalités, mais c’est tout de même assez important, même si on comprend que plusieurs villes et municipalités n’ont pas nécessairement les structures pour suivre cela. Des contrats sont encore accordés à des entreprises qui n’ont pas leur autorisation de contracter. Dans ces situations, on rend des décisions, car on constate souvent un manque d’ouverture à la concurrence et souvent l’octroi de contrats de gré à gré.
Enfin, il y a lieu d’améliorer la formation du personnel responsable de s’occuper de la gestion contractuelle, dans un contexte où un manque de formation peut occasionner des problématiques au niveau des marchés publics.
On travaille par ailleurs en étroite collaboration avec le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), qui est en lien direct avec les villes et les municipalités de la province, pour s’assurer que nos recommandations sont suivies.