

ZOOM ACTU
ÉDITO En crise ?

Alors que vous tenez entre les mains le 150e numéro de Zoom Japon, nous vous proposons de partager le spleen des libraires japonais. Ces derniers temps, les médias japonais ont multiplié les annonces de fermeture de librairies ayant parfois plusieurs décennies d’histoire. Nous avons donc voulu profiter de la diffusion de la série Berabô sur la NHK célébrant Tsutaya Jûzaburô, le prince des libraires au XVIIIe siècle, pour faire le point sur cette crise du livre. Si elle est bien réelle, tout le monde ne partage pas le même avis sur ses causes. Avec ce numéro anniversaire à la veille de ses quinze ans, Zoom Japon vous invite une nouvelle fois à profiter de son contenu et à le lire avec plaisir.
La rédaction courrier@zoomjapon.info
898 000
Tel est le nombre d'habitants que le Japon aurait perdu en un an sans l’apport des étrangers dans sa population. Celle-ci est tombée à 123,8 millions de personnes en octobre 2024, en baisse de 550 000 sur un an, soit son 14e recul annuel consécutif. Mais sans la présence étrangère, la population serait aujourd'hui de 120,3 millions de personnes.
L E REGARD D’ERIC RECHSTEINER
Shôdoshima, préfecture de Kagawa

Le nombre d'arrivées de touristes étrangers au Japon a atteint 10,5 millions de personnes au premier trimestre de cette année, soit une augmentation de 23,1 % par rapport à la même période de l'année dernière. Cette croissance est largement attribuée à l'assouplissement des exigences en matière de visa pour les visiteurs chinois et à des tarifs aériens plus abordables. Les touristes chinois, comme ces deux jeunes femmes, profitent de la diversité des sites à visiter, comme l'île de Shôdoshima (voir Zoom Japon n°125, novembre 2022) au nord de Shikoku.
DÉFENSE Un budget militaire en hausse
Le Japon augmentera ses dépenses de défense à 2 % du produit intérieur brut (PIB) d'ici 2027 et prévoit de dépenser environ 70 milliards de dollars pour la défense cette année. Le pays, qui adhère à une constitution pacifiste depuis 1947, a historiquement limité son budget de la défense à environ 1 % du PIB, soit environ 5 000 milliards de yens (34,8 milliards de dollars).
SOCIÉTÉ La secte Moon sur la sellette
Un tribunal japonais a ordonné la dissolution de la secte Moon, suite à l'enquête sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre abe Shinzô en 2022. Fondée en Corée du Sud par Sun Myung Moon et bien qu'elle ait nié tout acte répréhensible, elle est accusée de faire pression sur ses adeptes pour qu'ils fassent des dons et de négliger des enfants parmi ses membres.


L'empire du livre se porte mal
Le nombre des librairies ne cesse de baisser et les autorités tardent à mettre en œuvre une politique pour les sauver.
Le Japon est confronté à une crise des librairies. Ces lieux culturels essentiels disparaissant rapidement des villes. Selon l’Association japonaise de distribution de livres, le nombre de librairies a chuté d’environ 50 % en vingt ans, passant de 21 600 en 2000 à 10 918 en 2023. Toutefois, ce chiffre inclut les bureaux et les kiosques à journaux sans surface de vente, ce qui signifie que le nombre réel de librairies proposant une sélection substantielle est probablement plus proche de 7 600. En novembre 2024, 28,2 % des municipalités étaient totalement dépourvues de librairies,
soit plus d’un quart du total, tandis que 19,7 % n’en comptaient qu’une seule. Cette baisse s’explique en partie par la diminution constante du nombre d’habitants, un phénomène qui impacte de manière disproportionnée les petites villes et les zones rurales confrontées au vieillissement démographique et au dépeuplement. Il s’agit d’un problème critique qui menace le déclin de la culture régionale et risque d’élargir le “fossé des connaissances” entre les zones rurales et les villes. Dans le même temps, les librairies urbaines luttent également pour survivre face à la flambée des coûts de main-d’œuvre, des dépenses de services publics et des loyers entraînés par la hausse des prix des terrains, ce qui explique leur disparition progressive. Il est urgent et nécessaire de relever ces défis et de mettre en œuvre des mesures pour revitaliser et soutenir les librairies. Le marché de l’édition au Japon est en déclin
constant depuis qu’il a atteint son pic en 1997, avec 2 656 milliards de yens de ventes. En 2024, il était tombé à 1 571 milliards de yens et ce même en incluant l’édition électronique. Si l’on se concentre uniquement sur les livres papier, le chiffre diminue encore pour atteindre 1 056 milliards de yens, soit moins de 40 % du pic de 1997. Les ventes de magazines ont été particulièrement touchées, passant de 1 563 milliards de yens à seulement 411,9 milliards de yens en 2024, soit un quart de leur ancienne gloire. Internet, les réseaux sociaux et les jeux vidéo sont certainement à “blâmer” pour la baisse des ventes de livres. Une enquête réalisée en 2023 par l’Agence des affaires culturelles a révélé une tendance inquiétante : plus de 60 % des personnes interrogées lisent désormais moins d’un livre par mois, soit une dégradation significative par rapport à 2018. En outre, un nombre record de
70 % des sondés ont admis lire moins qu’auparavant désignant l’usage intensif d’Internet comme principal facteur. Notamment, 43,6 % d’entre eux ont attribué leur réduction de la lecture au temps passé sur des appareils tels que les smartphones. Avec la généralisation de l’intelligence artificielle générative, ce déclin de la lecture est appelé à s’accélérer.
La baisse spectaculaire du nombre de librairies peut être attribuée non seulement à la dépopulation, au vieillissement et à Internet, mais aussi à la structure unique de l’industrie de l’édition du pays. L’une des différences les plus frappantes entre le Japon et les pays occidentaux est le rôle des magazines. Au Japon, les librairies ont toujours vendu de grands volumes de magazines, contrairement à leurs homologues occidentales, où ils sont généralement vendus dans les kiosques à journaux. La vue des rayons des librairies remplis chaque jour de magazines fraîchement arrivés est typiquement japonaise.
Cette dépendance à l’égard des ventes de magazines se reflète également dans la structure des revenus des librairies. Alors qu’en Occident, elles dépendent principalement des bénéfices tirés de la vente de livres, les petites et moyennes librairies japonaises ont toujours compté sur les ventes de magazines pour assurer leur stabilité financière. Etant donné qu’environ 70 000 nouveaux titres sont publiés chaque année au Japon, les magazines ont longtemps été une option plus efficace pour les librairies. Ils sont plus faciles à produire en masse, à planifier et à vendre à plusieurs reprises, contrairement aux livres, moins interchangeables et rarement achetés plusieurs fois.
Cette structure de compensation interne, où la distribution des magazines soutient celle des livres, a permis de maintenir le système unique du Japon de livraison quotidienne de livres aux librairies, même pour des exemplaires uniques. De plus, en minimisant les coûts de distribution, le Japon a réussi à maintenir les prix des livres à un niveau remarquablement bas par rapport à d’autres pays.
Historiquement, les ventes de magazines ont largement dépassé celles de livres au Japon. Au plus fort de l’industrie de l’édition en 1997, les ventes d’ouvrages ont atteint 1 093 milliards de yens, tandis que celles de magazines ont grimpé à 1 563 milliards de yens, soit 1,5 fois plus élevées. A cette époque, la rentabilité générée par les ventes de magazines a entraîné une explosion du nombre de librairies dans tout le pays. Cependant, les ventes de magazines ont chuté à 654,8 milliards de yens en 2017, soit environ un tiers de leur pic, se situant désormais derrière les ventes de livres, qui s’élevaient alors à 715,2 milliards de yens.
Là encore, l’essor d’Internet et des réseaux sociaux a considérablement contribué à la baisse
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des ventes de magazines, entraînant l’effondrement de ce modèle économique traditionnel. Par conséquent, les petites et moyennes librairies qui en dépendaient fortement ont non seulement perdu une source de revenus, mais aussi les clients fidèles qui avaient fait de leur passage en librairie une habitude quotidienne. Les librairies traditionnelles, autrefois familières des gares et des quartiers commerçants, ont été les plus durement touchées, ce qui a entraîné leur disparition rapide à travers le pays.
Cette nouvelle tendance a également perturbé les grands distributeurs qui géraient de vastes réseaux de distribution et reposaient sur les magazines. A l’exception des deux principaux distributeurs, Nippon Shuppan Hanbai et Tôhan, ainsi que de quelques distributeurs spécialisés, d’autres acteurs de premier plan - dont Ôsakaya, Kurita Shuppan Hanbai et Taiyôsha, classés respectivement troisième, quatrième et cinquième - ont succombé les uns après les autres à la faillite.Même Nippon Shuppan Hanbai et Tohan ont toutes deux déclaré des pertes importantes dans leurs activités d’édition et de distribution ces dernières années. Fait remarquable, Hirabayashi Akira, président de Nippon Shuppan Hanbai, a révélé que la division livres de la société était déficitaire depuis plus de 30 ans, soit depuis le début de son mandat.
L’essor des librairies en ligne a encore aggravé la situation. Amazon a commencé à vendre des livres au Japon en 2000. En plus d’une large sélection de publications éditées au Japon, l’entreprise a introduit des services tels que la livraison gratuite pour attirer les clients. Selon l’édition 2024 du rapport annuel de Nippon Shuppan Hanbai, en 2023, environ 58 % des ventes totales de publications étaient attribuées aux librairies physiques, tandis qu’environ 21 % provenaient des points de vente en ligne. Ces derniers empiètent régulièrement sur la part de marché des librairies.
Kôdansha, l’un des principaux éditeurs, et le Yomiuri Shinbun, l’un des principaux journaux japonais, ont récemment publié une déclaration commune afin de souligner que, dans certains pays, les livres sont considérés comme des “éléments essentiels de la vie” et des “biens culturels”, et que les librairies et les entreprises connexes bénéficient d’un soutien public pour préserver ce patrimoine culturel. Dans le monde entier, les initiatives visant à promouvoir la culture de l’imprimé et à soutenir les librairies prennent de l’ampleur. La France et l’Allemagne, par exemple, ont mis en place le système du Pass Culture pour encourager l’engagement culturel des jeunes. En France, ce programme alloue entre 20 et 300 euros par personne âgée de 15 à 18 ans, qui peuvent être dépensés en livres, mangas, concerts ou billets de musée. Cette initiative
a non seulement stimulé les ventes de livres, mais a également contribué à la popularité des mangas japonais. De plus, les deux pays offrent des subventions et des prêts pour aider à la création ou à la rénovation de librairies, renforçant ainsi leur engagement en faveur du secteur de l’imprimé. En revanche, le soutien public aux librairies au Japon reste insuffisant, tant au niveau national que local, et leur déclin semble inexorable. Bien qu’il existe des programmes tels que la subvention pour la durabilité des petites entreprises, la subvention pour l’introduction des technologies de l’information et la subvention pour la restructuration des entreprises, il s’agit de programmes généraux qui ne sont pas spécifiquement adaptés aux librairies. Ces initiatives n’ont pas réussi à atteindre efficacement les gérants de librairies. En effet, les procédures de candidature fastidieuses et les critères de sélection stricts ont entraîné de faibles taux d’utilisation. Alors que de nombreuses librairies ont du mal à trouver des successeurs, les futurs libraires suivent avec beaucoup d’enthousiasme des formations pour ouvrir leur établissement, mais leur passion se heurte au manque d’opportunités concrètes. Kôdansha et le Yomiuri Shinbun continuent d’exhorter les autorités au niveau national et local, ainsi que toutes les entreprises liées à l’industrie du livre, à s’unir pour mettre en œuvre des mesures globales visant à revitaliser les librairies en tant que centres culturels vitaux. Il est tout aussi crucial d’encourager l’amour de la lecture chez les générations futures. “En créant plus d’opportunités pour que les enfants s’intéressent aux livres dès leur plus jeune âge”, peut-on lire dans leur déclaration. “Nous pouvons les aider à découvrir la joie et les bénéfices durables de la lecture, assurant ainsi un avenir meilleur aux lecteurs comme aux librairies.”
Fin février, lors de la réunion de la commission du budget de la Chambre des représentants, le ministre de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie, Mutô Yôji, a affirmé l’engagement du gouvernement à lutter contre le déclin des librairies locales en soutenant leur gestion, notamment grâce à l’amélioration de la numérisation de leurs activités. Pour cela, son ministère a mis en place une équipe de projet pour le développement des librairies, marquant ainsi le premier effort à grande échelle pour résoudre ce problème national. Les librairies seront reconnues comme des lieux culturels essentiels qui promeuvent la culture locale par le biais des livres et des magazines. L’équipe étudiera également des mesures de soutien relevant d’initiatives uniques, telles que l’organisation d’événements de lecture et l’intégration de cafés-galeries, afin de revitaliser ces espaces communautaires vitaux.
Gianni Simone
DÉBAT La crise n'est pas celle qu'on croit
Pour Kakio Inja, la situation difficile du monde de la librairie s’explique avant tout par de mauvais choix passés.
Si la plupart des gens déplorent la disparition des librairies au Japon, on entend parfois des opinions légèrement discordantes de la part d’initiés qui aiment souligner certaines des incohérences du débat. L’une de ces personnes est Kakio Inja, le nom de plume d’un journaliste et rédacteur en chef à la retraite ayant travaillé dans la presse et l’édition. “Inja”, qui signifie ermite, reflète son mode de vie actuel. Il réside désormais à Kakio, un quartier de Kawasaki (préfecture de Kanagawa), et partage principalement ses réflexions sur la culture, la société et la politique sur la plateforme Note, profitant d’une retraite bien remplie. Il met en évidence une tendance récente intrigante : “Alors que le nombre de librairies diminue, la surface de vente moyenne par magasin augmente”, dit-il. “En d’autres termes, la crise touche principalement les petits et moyens magasins, tandis que les grandes librairies et chaînes prospèrent. L’année dernière, par exemple, Kinokuniya a enregistré une baisse de son chiffre d’affaires, mais a réalisé sa sixième année consécutive de bénéfices en hausse. Je pense que cela s’explique par la puissance de la marque et la capacité de ces grands magasins à proposer une vaste sélection de livres. Un autre type de librairie qui survivra est Tsutaya. Ces magasins intègrent des cafés et présentent des étalages de livres soigneusement sélectionnés, attirant les clients par leur style et leur ambiance. Le Daikanyama T-Site dans le centre de Tôkyô et Tsutaya Electrics en banlieue illustrent ce modèle, qui s’est maintenant répandu dans tout le pays, attirant des visiteurs qui apprécient l’atmosphère unique qu’offrent ces espaces”, ajoute-t-il. Il ne mâche pas ses mots lorsqu’il commente le commerce du livre, affirmant que les magasins devraient partager au moins une partie de la responsabilité de leurs malheurs actuels. “Des histoires comme ’Protégeons la librairie de quartier’ ou ’Quelqu’un a quitté son emploi pour ouvrir une librairie’ sont célébrées comme des récits héroïques”, remarque-t-il. “Les médias adorent ces histoires. Mais ne vous laissez pas tromper par l’image enjolivée des librairies. N’oublions pas que ces magasins ont réussi à prospérer pendant des années en exploitant des employés à temps partiel. Ayant travaillé dans une librairie, je peux attester que c’est un travail physiquement exigeant. Les librairies ont traditionnellement fonctionné selon un modèle commercial “facile”, en grande
partie parce qu’elles font appel à des travailleurs à temps partiel peu coûteux”, raconte-t-il. Kakio Inja remet en question l’idée largement répandue selon laquelle l’édition est en récession et que les livres ne se vendent plus. “Si les librairies sont en déclin, les éditeurs devraient également être en difficulté. Si de nombreux éditeurs sont en effet des petites ou moyennes entreprises confrontées à des difficultés similaires à celles rencontrées dans le monde entier, les grands éditeurs sont en plein essor. J’ai moi-même travaillé dans une telle entreprise, je connais donc très bien la situation. Cependant, les grands éditeurs enregistrent des bénéfices sans précédent. Shûeisha et Shôgakukan, par exemple, sont si réputées qu’elles comptent parmi les employeurs les plus convoités par les jeunes diplômés. Un de mes amis a rejoint l’une de ces grandes maisons d’édition et il a déclaré qu’il était non seulement très bien payé, mais qu’il bénéficierait également d’une bonne retraite d’entreprise”, souligne-t-il. Pourquoi les éditeurs prospèrent-ils alors que les librairies locales font faillite ? Les livres se vendent-ils ou non ? Selon lui, tout dépend de la façon dont on définit un livre. “En bref, le nombre de livres imprimés diminue, mais le marché du manga connaît une croissance rapide.” En 2023, les ventes de mangas, en version imprimée et numérique, ont augmenté de 2,5 % par rapport à l’année précédente, pour atteindre 693,7 milliards de yens. C’est la sixième année consécutive d’expansion du marché du manga, principalement grâce aux ventes numériques. “En vérité, seules les bandes dessinées numériques connaissent une croissance. Elles ont connu une croissance impressionnante de 7,8 % par rapport à l’année précédente. En résumé, le marché de la bande dessinée est sur le point de dépasser celui de l’imprimé dans un avenir proche, et dans ce secteur, seuls les mangas numériques continueront de croître. À terme, ils finiront par représenter à eux seuls plus de la moitié de l’ensemble des publications. Ce qui, d’une certaine manière, laisse présager un avenir radieux, n’est-ce pas ?”, affirme-t-il. Le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie a exprimé son intention de soutenir l’industrie du contenu, englobant l’édition, le cinéma et la musique. Les réactions sur les réseaux sociaux à cette prise de position gouvernementale ont notamment inclus des appels de la part de propriétaires de librairies pour que le gouvernement oblige les bibliothèques à acheter des livres dans les magasins locaux. Connu pour ses remarques provocatrices, Kakio Inja donne son point de vue sur la question : “Pourquoi ai-je arrêté d’acheter des livres ? Parce que je peux les
emprunter à ma bibliothèque locale. Pourquoi je ne lis pas de mangas ? Parce qu’ils n’en ont pas à la bibliothèque. Je veux lire des mangas et suivre ce dont les jeunes parlent, mais les personnes âgées pauvres comme moi ne peuvent pas dépenser de l’argent pour des bandes dessinées. La raison pour laquelle les éditeurs de mangas gagnent autant d’argent est qu’ils ont mis en place un système où l’on ne peut pas profiter des mangas et des dessins animés sans payer”, explique-t-il. “Maintenant, ma question est la suivante : pourquoi les bibliothèques sont-elles remplies de livres mais dépourvues de mangas ? C’est dû à la croyance erronée que seuls les livres représentent la culture. La seule façon de sauver les librairies locales, je crois, est de remettre en question l’idée erronée selon laquelle les livres sont intrinsèquement supérieurs aux mangas. Désormais, les bibliothèques devraient se concentrer exclusivement sur les mangas, en consacrant la totalité de leur budget à leur acquisition”, estime l’ancien journaliste. Bien sûr, les librairies physiques ne représentent qu’une partie de l’industrie de l’édition, servant de points de vente physiques pour les livres papier. Un facteur important contribuant à leur déclin est l’essor des librairies en ligne. Bien qu’Amazon ne divulgue pas ses chiffres de vente, il est probable qu’il dépasse les plus grandes chaînes de librairies. La réalité est que les ventes de livres papier sont en baisse constante depuis la fin des années 1990, tandis que les ventes de publications numériques ont explosé ces dernières années.
“Le déclin de l’imprimé et le passage aux livres électroniques ne sont pas les seules raisons de la faillite des librairies”, assure Kakio Inja. “Le véritable problème réside dans le système de revente qui oblige les détaillants à vendre les produits au prix indiqué par l’éditeur. Cette pratique enfreint la loi antimonopole, car le fait que les fabricants limitent les prix des détaillants nuit à la concurrence loyale. Lorsqu’un détaillant achète un produit, la propriété est transférée du fabricant au détaillant. Les détaillants devraient être libres de vendre des articles au prix de leur choix. C’est pourquoi les produits standards n’ont pas de prix de vente conseillé, mais seulement un ’prix de vente conseillé par le fabricant’. Le système de revente, cependant, constitue une exception à la loi antimonopole. Plus troublant encore, bien qu’il enfreigne techniquement la loi antimonopole, il n’est pas reconnu comme tel”, explique-t-il. “Au Japon, ce système s’applique aux œuvres protégées par le droit d’auteur telles que les livres, les magazines, les journaux et les CD. En substance, les livres exposés dans les librairies n’appartiennent
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pas techniquement aux magasins ; ils restent la propriété des éditeurs. Les articles invendus sont simplement renvoyés aux éditeurs. Les librairies ne font que présenter ces produits. Lorsque les livres se vendaient bien, ce modèle fonctionnait sans problème, mais maintenant que les ventes ont chuté, les librairies se retrouvent dans l’incapacité de s’adapter.”
“Je vais vous donner un exemple de la raison pour laquelle les prix affichés ne fonctionnent pas. Il existe aujourd’hui de nombreux livres sur la guerre en Ukraine, n’est-ce pas ? Mais la situation en Ukraine est en constante évolution.
Je ne pense pas que ces livres se vendront dans un an. Tout comme les journaux d’il y a un an ont peu de valeur aujourd’hui, les livres sur des sujets en évolution rapide ont du mal à maintenir leur pertinence au fil du temps. Cependant, les librairies n’ont d’autre choix que de continuer à vendre ces livres au même prix qu’à leur sortie. Je dis qu’il faut les vendre au prix fort lorsqu’ils ont de la valeur, et réduire le prix à mesure que leur pertinence diminue. C’est une pratique commerciale courante, mais les librairies ne peuvent pas le faire”, estime Kakio Inja.
“Contrairement au Japon, le nombre de librairies
augmente aux Etats-Unis. Alors que les grandes librairies ont autrefois été confrontées à des défis importants de la part d’Amazon, les librairies indépendantes ont récemment connu un regain d’activité. Cela est en partie dû à l’approche fondamentalement différente de la vente au détail dans ce pays. Lorsqu’un livre devient un best-seller, il est souvent vendu à des prix très réduits, parfois même à moitié prix, par des détaillants de masse comme Amazon, Barnes & Noble, Walmart et Costco. Dans ces circonstances, les librairies indépendantes évitent de proposer les best-sellers, car ils sont moins rentables. Elles se concentrent plutôt sur les livres qui peuvent être vendus à un prix proche du prix catalogue sans rabais, ce qui leur assure des marges bénéficiaires plus élevées. C’est pourquoi les librairies indépendantes américaines ne stockent pas les best-sellers à la mode, mais choisissent plutôt des livres dont elles estiment la vente à venir. Que ces livres se vendent ou non dépend en fin de compte du client. Contrairement au Japon, où les distributeurs présélectionnent et envoient les livres aux magasins, les représentants commerciaux des éditeurs américains se rendent dans les librairies pour obtenir des précommandes
de premières éditions. Les libraires avisés examinent attentivement les catalogues des éditeurs – généralement publiés au moins six mois avant la publication – et décident des livres à stocker et des quantités à commander. Ils sélectionnent soigneusement ce qui est susceptible de se vendre et cherchent à maximiser les profits en vendant au prix le plus élevé possible. Au Japon, en revanche, les librairies reçoivent automatiquement un flux constant de livres qu’elles n’ont pas demandés et finissent par retourner de nombreux exemplaires invendus”, ajoute l’ancien rédacteur en chef. “Au cours du mouvement de déréglementation et de réforme administrative au Japon dans les années 1990, le gouvernement a envisagé d’abolir le système de revente des œuvres protégées par le droit d’auteur. Cependant, les associations de l’industrie des journaux, des magazines et des livres s’y sont opposées avec véhémence. Au lieu de mettre en avant les avantages potentiels de l’élimination du système de revente, elles ont mené une campagne vigoureuse contre la déréglementation, affirmant que cela “détruirait la culture de l’imprimé”. Aujourd’hui, elles font face aux conséquences de ces décisions”, conclut-il.
Jean Derome
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SÉRIE Tsutaya, roi de l'édition à Edo
En 2025, la NHK a choisi de consacrer sa saga annuelle à celui qui a favorisé l’épanouissement du livre au XVIIIe siècle.
Comme chaque année depuis 1963, la NHK, la chaîne publique, diffuse un nouveau feuilleton au long cours (taiga dorama). Intitulée Berabô, cette série diffusée sur un an est basée sur la vie de Tsutaya Jûzaburô (1750-1797), le “roi des médias à Edo”, qui a fait connaître au monde les maîtres des estampes tels que Katsushika Hokusai et Kitagawa Utamarô, ainsi que les auteurs Santô Kyôden, Takizawa Bakin et Jippensha Ikku. Tsutaya Jûzaburô (également connu sous le nom de Tsutajû) était le fils d’un roturier pauvre de Yoshiwara, le quartier des plaisirs situé à la périphérie d’Edo. Il fut séparé très tôt de ses parents et adopté par le propriétaire d’une maison de thé. Il débuta comme propriétaire d’une librairie de location, puis se lança dans l’édition et la publication de livres. Dans l’atmosphère de liberté insufflée par Tanuma Okitsugu, conseiller principal du shôgun, la culture d’Edo s’épanouit. Disposant de nombreux contacts dans le monde culturel, Tsutajû produisit une série de livres à succès avec de somptueuses illustrations sous la forme de kibyôshibon (littéralement “livres à couverture jaune”), considérés comme les premières bandes dessinées pour adultes du Japon. Connus pour leur vision satirique et leurs commentaires sur les défauts de la société contemporaine, ces ouvrages se concentraient principalement sur la culture urbaine, la plupart des premières œuvres portant sur Yoshiwara.
A l’âge de 33 ans, il s’installa à Nihonbashi et devint “le roi de l’édition d’Edo”. Cependant, Tanuma Okitsugu finit par tomber en disgrâce et Matsudaira Sadanobu, qui prit sa place, remit en question la satire politique de Tsutajû. Bien qu’il fût soumis à une oppression incessante et que la moitié de ses biens furent même confisqués, il continua d’afficher son attitude anti-autoritaire.
C’est pour évoquer ce destin extraordinaire que nous avons rencontré la scénariste de Berabô Morishita Yoshiko et le producteur de la NHK Fujinami Hideki.
C’est la première fois qu’un taiga dorama se déroule à la fin du XVIIIe siècle. Pourquoi avoir choisi cette époque en particulier ? Fujinami Hideki : Il s’agit d’une période paisible où l’accent était mis sur l’économie et les
questions sociales. A cet égard, nous avons pensé qu’elle était très similaire au Japon moderne, et c’est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous y intéresser. A cette époque, le statut social était déterminé dès la naissance. Si vous étiez né dans une famille d’agriculteurs ou de commerçants, vous étiez voué à être agriculteur ou commerçant toute votre vie. De plus, bien qu’il n’y ait pas eu de guerres, les gens ressentaient une forte menace venant de l’étranger. Tous ces éléments m’ont rappelé le Japon contemporain. Jusqu’à présent, de nombreux drames historiques se sont déroulés à d’autres époques, mais je crois qu’une histoire de la fin du XVIIIe siècle pourrait trouver un écho auprès des gens d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous l’avons choisie.
Morishita-san, contrairement à d’autres séries historiques, cette histoire ne comporte pas de batailles, ne traite pas d’intrigues politiques et personne ne meurt de façon dramatique. Dans un sens, c’est juste l’histoire de la vie d’un éditeur et libraire. Qu’est-ce qui vous a attirée ?
Morishita Yoshiko : C’est l’histoire d’un homme qui, pour le dire franchement, est né dans les couches inférieures de la société, quelque peu en dehors du cadre conventionnel, mais qui a pourtant réussi à atteindre les sommets. Ce qui rend cette histoire si fascinante, c’est que Tsutajû est venu de là, mais est devenu le chouchou de son époque.
Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans sa vie ?
M. Y. : Tout d’abord, les livres qu’il a publiés sont extrêmement intéressants. Cela vaut aussi bien pour les livres kibyôshi que pour les livres Nishiki-e [estampes polychromes]. Je ne parle pas seulement de leur contenu. Par exemple, avec Yoshiwara Saiken [un guide des quartiers de plaisir de Yoshiwara à Edo dont le contenu comprenait un plan approximatif des quartiers de plaisir, les noms des bordels et des prostituées, leurs tarifs, une liste des maisons de thé et des auberges, et les noms des geishas], il a joué avec le format lui-même. J’ai moi-même été éditrice et je pense que son sens de l’édition, la façon dont il présente les informations et son flair, pour les attentes des lecteurs, sont exceptionnels. Son talent, sa sympathie et ses compétences en communication sont les raisons pour lesquelles il est devenu le meilleur de son époque. Même maintenant, après toutes ces années, ses œuvres n’ont pas pris une ride.
C’est la deuxième fois que vous écrivez le scénario d’un taiga dorama. Quel est, pour vous, l’attrait des séries historiques, et comment comparez-vous vos deux expériences ?
M. Y. : En tant qu’auteur, le format même du taiga dorama en fait un genre merveilleusement stimulant. Il dure 48 semaines, chaque épisode étant d’une durée de 45 minutes, ce qui peut être difficile pour un écrivain. Cependant, c’est aussi sa grande force. Le fait qu’il soit si long permet d’exprimer les aspects complexes de la vie et du caractère d’une personne et d’expliquer pourquoi elle est devenue ainsi. Pour moi, le plus grand attrait est de pouvoir dépeindre sa vie en profondeur plutôt que de simplement l’évoquer en quelques traits. On peut en dire autant du contexte historique.
Bien sûr, écrire des histoires aussi longues est toujours difficile, mais les deux taiga dorama auxquels j’ai participé ont posé des défis radicalement différents. Lorsque j’ai écrit Onna Jôshu Naotora [Naotora, seigneure de la guerre, 2017], j’avais carte blanche : il n’y avait pas de chronologie, et le manque de documents sur lesquels fonder l’histoire en faisait un défi. Cependant, cette fois-ci, j’ai accès à une quantité impressionnante de matériaux. De nombreux documents ont survécu et, comme Tsutajû travaillait dans l’édition, nous avons accès à nombre de ses œuvres. Ensuite, en ce qui concerne les écrivains, les artistes et les autres personnes qui l’entouraient, la quantité d’archives est tout simplement énorme. Je me noie donc dans une mer de documents et cette fois-ci le grand défi consiste à trouver comment intégrer tout cela dans l’histoire.
Le titre international de la série est Unbound [Sans lien] tandis que le titre japonais est Berabô. Pourquoi et quelle est sa signification ?
F. H. : Morishita-san et moi avons envisagé plusieurs titres, et au début, nous avons pensé à quelque chose comme “Tsutajû eika osamu yume hanashi” [Histoire du rêve glorieux de Tsutajû]. Mais c’était trop long. Puis, Morishita-san a trouvé le mot “berabô”. A l’origine, ce terme signifiait “idiot” ou “imbécile”, mais il en est venu plus tard à exprimer quelque chose de non conventionnel ou hors du commun, et nous avons convenu que ce mot capturait l’esprit d’une personne comme Tsutajû, dont la vie et les actes dépassent notre imagination. C’est un mot très japonais et il convenait bien, mais nous avons ajouté “Tsutajû eika osamu yume hanashi” comme sous-titre.
M. Y. : Oui, c’est vrai. Comme l’a dit Fujinami-san, le mot berabô portait originellement une connotation négative mais il a progressivement évolué pour décrire quelque chose d’extraordinaire, d’imprévisible. Comme vous le savez, la signification des mots change avec le temps. C’est très caractéristique de Tsutajû. Il est passé du statut d’excentrique à Yoshiwara, connu pour ses actions scandaleuses, à celui de star de l’époque.
F. H. : D’un autre côté, c’est l’équipe de développement international de la NHK qui a proposé le titre Unbound. Encore une fois, nous voulions quelque chose de simple qui serait facilement compris par un public international et qui donnerait une idée claire de l’histoire. Je trouve que ce titre représente bien quelqu’un qui n’est lié à rien et qui s’élève au-dessus de son statut ; il donne l’idée d’un orphelin qui est né pauvre, n’avait pas d’argent, et qui est ensuite devenu une star après avoir surmonté de nombreux obstacles.
Morishita-san, comment avez-vous abordé le personnage principal ? Comment avez-vous voulu dépeindre sa personnalité ?
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M. Y. : Tout ce que Tsutaya Jûzaburô a laissé derrière lui est gai et élégant. Il avait beaucoup d’humour, de la perspicacité et un vrai sens des affaires. Plutôt que de me concentrer sur son succès, j’ai voulu dépeindre son humanité et la façon dont il a enrichi les gens qui l’entouraient. Un indice important de son caractère est sa pierre tombale, sur laquelle sont gravés les mots : “Il a vécu comme Tao Zhu Gong”. Tao Zhu Gong, également connu sous le nom de Fan Li, était un politicien et stratège militaire chinois qui était suffisamment célèbre pour figurer dans les Mémoires historiques (vers 91 avant notre ère) de l’historien Sima Qian. Il devint plus tard marchand et apporta la richesse dans les endroits où il s’installa. En d’autres termes, Tsutajû n’était pas seulement un homme d’affaires prospère, mais il était également connu pour enrichir son entourage, tout comme Tao Zhu Gong. Autre chose, l’un des auteurs à succès de l’époque d’Edo qu’il a soutenu, Takizawa Bakin, a dit quelque chose du genre : “Tsutajû était apprécié des gens et c’est ce qui l’a aidé à s’en sortir.” On disait que cet auteur avait un assez mauvais caractère, donc je trouve remarquable que Tsutajû ait été admiré même par un tel homme.
Fujinami-san, qu’est-ce qui vous plaît chez ce personnage ?
F. H. : Lorsque je parlais avec Morishita-san de la personnalité de Tsutajû, elle me disait que c’était un homme déterminé et responsable. Je pense que c’est tout à fait vrai. Il est difficile d’assumer la responsabilité de ses paroles et de ses actes. C’est merveilleux de naître avec cette qualité ; quelqu’un qui peut dire : “Si quelqu’un doit le faire, je le ferai.” C’est le véritable charme de ce personnage. Même s’il n’apporte pas lui-même de grands changements, il est une sorte de pionnier et les gens le suivent. Lorsqu’il a commencé à produire des livres et des estampes, les personnes qu’il a défendues et les œuvres qu’il a créées avec ces dernières se sont épanouies en une culture qui a survécu à sa mort et a même été reconnue à l’étranger, donnant naissance à ce qu’on appelle le japonisme (voir Zoom Japon n°82, juillet-août 2018).
Yokohama Ryûsei joue Tsutajû dans la série, et son interprétation est également très similaire à ce qu’incarnait l’éditeur. Comment dire ? Il a un côté très stoïque, le genre de charme qui attire les gens.

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Tsutajû a vécu à Yoshiwara jusqu’à l’âge de 20 ans environ. Quelle était sa relation avec le quartier des plaisirs ?
M. Y. : Il est probablement né à Yoshiwara et y a grandi après avoir perdu ses parents. Lorsque nous présentons des personnes qui ont vécu des circonstances difficiles, nous avons tendance à les dépeindre comme des personnages animés par un désir de vengeance. Cependant, Tsutajû conserve une attitude positive. Lorsqu’il voit les prostituées, qui ont été vendues par leurs parents, il se rend compte qu’il n’est pas le seul à souffrir. Plus important encore, il a le sentiment que les habitants de Yoshiwara lui ont donné la vie. Quant au quartier lui-même, c’est peutêtre un endroit compliqué et controversé, mais c’est aussi sa ville natale bien-aimée. C’est grâce à ce lieu qu’il a pu grandir et gagner sa vie, et lorsqu’on lui en donne l’occasion, il devient une sorte de représentant des relations publiques pour Yoshiwara. Il est difficile de penser qu’il était animé par la haine ou qu’il voulait abandonner son quartier natal. Au contraire, je crois qu’il l’aimait, malgré ses défauts, et que les femmes qui y travaillaient sont devenues ses grandes sœurs en quelque sorte. C’est pourquoi, plutôt que de le dépeindre comme une personne qui en veut aux autres, j’ai décidé de le dépeindre comme une personne qui agit pour les gens qui l’entourent.
Lorsque l’on dépeint Yoshiwara, il est important de se rappeler que chaque personnage est une personne réelle, avec ses qualités et ses défauts. Nous devons nous demander quels choix ces personnes ont pu faire et comment elles ont vécu. Il faut veiller à représenter à la fois la lumière et les ombres.
Quelle fut la chose la plus difficile dans la création d’une telle histoire ?
F. H. : Elle se déroule à une époque que je n’ai jamais abordée auparavant. Ce n’est ni la période des Royaumes combattants ni la fin de la période Edo (1603-1868). Son protagoniste est

un éditeur, ce qui est également très inhabituel. De plus, Tsutajû a laissé derrière lui de nombreuses estampes célèbres de Sharaku et Hokusai et des œuvres littéraires de l’envergure de celles de Santô Kyôden. Cependant, je ne veux pas que cela donne l’impression d’une œuvre élitiste sur la haute culture. Je voulais qu’elle soit facile à consommer et qu’elle attire le plus grand nombre de spectateurs possibles. Mais je ne sais pas si j’y suis parvenu. (rires) Yoshiwara est souvent considéré comme un monde étroit et bidimensionnel, un monde qui, à bien des égards, est très éloigné du nôtre. Mais je souhaitais en présenter un portrait plus équilibré. Regarder cette série devrait être comme ouvrir le couvercle de votre bentô, c’est-à-dire penser savoir à quoi s’attendre, pour finalement trouver une surprise. J’essaie de défier les attentes des gens.
C’est la première fois qu’un coordinateur d’intimité a été engagé pour une série de ce genre. F. H. : En décrivant Yoshiwara, je voulais ex-

primer à la fois les côtés glamour et sombres de la vie. J’en ai discuté avec Morishita-san et le réalisateur Ôhara Taku et j’ai pensé que puisque nous allions présenter les prostituées de Yoshiwara et leurs relations, nous devions faire comprendre au personnel et aux acteurs ce que nous faisions. Le niveau et la conscience éthique dans le monde de la production télévisuelle se sont beaucoup améliorés ces derniers temps, il est donc très important non seulement de savoir quel type de programme réaliser, mais aussi comment le réaliser. En tant que producteur, il est de mon devoir de définir correctement les conditions de travail, notamment en créant un environnement dans lequel le personnel et tous les acteurs, pas seulement les acteurs principaux mais aussi tous les figurants, se sentent inclus et en accord avec notre approche. C’est pourquoi j’ai introduit le coordinateur d’intimité, dont le rôle est, lorsqu’il y a de la nudité ou des représentations sexuelles, de s’assurer que les acteurs peuvent jouer en toute tranquillité d’esprit et en toute sécurité physique, tout en



réalisant pleinement la vision du réalisateur. J’avais déjà fait appel à une telle personne lors d’une production précédente et j’avais reçu des commentaires très positifs de la part du personnel et des acteurs. J’ai donc demandé à la même personne de nous aider et je l’ai présentée pour la première fois dans un taiga dorama
Autrefois, lorsque les séries télévisées étaient réalisées, les voix fortes, les gros bonnets, pour ainsi dire, l’emportaient toujours. Cependant, il est important de faire entendre la voix de chacun, de créer une atmosphère où l’on écoute aussi les opinions des personnes plus calmes. Je crois que notre approche a donné à toutes les personnes impliquées un sentiment de sécurité.
Y a-t-il eu des problèmes ou des réactions négatives à propos de la représentation de Yoshiwara et de la prostitution ?
F. H. : Eh bien, nous avons reçu différents commentaires à la NHK. Il y avait des pour et des contre. Certaines personnes ont compris qu’il était important de montrer non seulement les aspects glamour, mais aussi l’industrie du sexe. D’autres se demandaient s’il était judicieux de choisir une histoire se déroulant à Yoshiwara pour un taiga dorama diffusé le dimanche à 20 heures. Il y a certaines choses que je regrette dans la façon dont l’histoire a été présentée, et je me demande si j’aurais pu faire mieux, mais lorsque j’ai fait de Tsutajû le personnage principal, je savais que je devais dépeindre correctement son milieu, car Yoshiwara est l’environnement dans lequel il a grandi et l’origine de son identité. Si vous ne montrez pas cette structure régle par l’exploitation, y compris les prostituées, la pauvreté et les inégalités, vous ne pouvez pas montrer correctement d’où il vient. Après tout, sa force motrice et les racines de son identité se trouvent là-bas.
M. Y. : Décrire une histoire dans un tel contexte est sans aucun doute un défi et suscite naturellement des opinions mitigées. J’accepte les critiques telles quelles. Cependant, je suis mal à



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l’aise lorsqu’on me dit que ces aspects historiques ne devraient pas être abordés. Comme l’a souligné Fujinami-san, c’est précisément parce que le protagoniste est né dans de telles circonstances que ces livres et ces peintures ont vu le jour. Dire que son environnement et ses expériences formatrices sont sans importance et que son extraordinaire talent à lui seul était la raison de son succès, n’était pas un récit que je voulais poursuivre. La culture a le pouvoir de produire des lignées fortes et influentes à partir d’environnements défavorisés à travers le monde. Je vois cela comme un témoignage du potentiel humain. C’est pourquoi je ne voulais pas effacer cet aspect. De plus, malgré la condamnation généralisée du commerce du sexe comme source de nombreuses tragédies, la réalité est qu’il n’a jamais été éradiqué. La prostitution est l’activité la plus ancienne et la plus durable de l’histoire de l’humanité, intimement liée aux instincts de survie. L’éliminer est probablement aussi difficile que d’éradiquer la guerre. Personnellement, je pense que cela sera impossible à moins que l’humanité elle-même ne cesse d’exister. Néanmoins, si nous voulons réellement apporter des changements positifs dans le présent, nous devons comprendre et partager l’histoire, les origines et la structure de ces lieux. Je ne peux pas accepter totalement qu’ils ne soient pas abordés.
En parlant de la fin du XVIIIe siècle, époque à laquelle vivaient des personnages tels que Tsutaya Jûzaburô et Tanuma Okitsugu, vous avez dit qu’il y avait de nombreux parallèles avec le présent. Que vouliez-vous dire ?
M. Y. : Comme Fujinami-san l’a mentionné plus tôt, la société était dans un état de stagnation et, bien que la situation générale ne soit pas mauvaise, il y avait aussi de nombreux problèmes. L’un d’entre eux concernait les inégalités. Bien que nous ne puissions pas comparer cette époque avec le présent, le fossé entre les nantis et les démunis s’était creusé. Cette situation est similaire à celle d’aujourd’hui ; comme à
l’époque, notre monde est maintenant confronté à de nombreuses catastrophes qu’elles soient d’origine naturelle ou humaine. De plus, la riziculture a toujours été très importante au Japon, mais dernièrement, nous constatons des pénuries de riz (voir Zoom Japon n°114, octobre 2021). La même chose s’est produite à cette époque et tout le monde s’est mis en colère, renversant tous ceux qui détenaient le pouvoir.
Maintenant que j’y pense, la Révolution française a eu lieu à peu près à la même époque, en 1789. Les émeutes du riz au Japon ont eu lieu en 1787. Les gens se sont rebellés à peu près au même moment des deux côtés du globe. Au Japon, la disparition du riz a déclenché un changement dans l’équilibre des pouvoirs. En France, c’est le blé qui a disparu, ce qui a finalement entraîné le renversement du gouvernement. Je trouve cette coïncidence très intéressante. La même chose se produit des deux côtés de l’océan, dans des endroits où les langues, les religions et les modes de pensée sont très différents. Quand les gens n’ont pas de quoi manger, ils se mettent en colère. Vu sous un autre angle, c’est quelque chose que tous les êtres humains ont en commun, et je crois que c’est sur ce terrain commun que nous pouvons nous rassembler.
Dans la Rome antique, les empereurs pensaient que pour rendre les gens paisibles et calmes, il suffisait de leur donner du pain et des jeux. Cette façon de penser semble exister depuis longtemps.
M. Y. : Je peux comprendre cela. Je suis aussi le genre de personne qui peut être satisfaite si on me donne du pain et des divertissements. (rires) ProPoS recueilliS Par G. S.
Sur www.zoomjapon.info
Retrouvez sur notre site Internet, l'article “Tsutaya révolutionne le monde de la librairie” qui porte sur l'entreprise qui s'est imposée dans le secteur grâce à une approche très innovante.




ZOOM CULTURE
GUIDE Le Japon vu sous toutes les coutures

Alors que l'été approche, nombreux sont ceux parmi vous qui envisagent de se rendre au Japon dès cette année ou qui rêvent de le visiter lors de prochaines vacances. Il va sans dire que le Japon est à la mode et
que le nombre de guides, qui lui sont consacrés, ont enregistré une croissance sans précédent. Ce qui compte dans un guide touristique, c'est avant tout la capacité de son auteur à donner envie de boucler sa valise immédiatement pour se rendre sur place. Le Géo Book sur le Japon signé par Cécilia Rado est de ce point de vue une réussite, car sa rédactrice connaît bien l'archipel et tente d'en montrer toute la diversité même si l'on n'échappe pas en couverture à l'éternel mont Fuji. Après un passage en revue des diverses régions du pays, permettant
ainsi au lecteur de goûter leurs différences, l'auteur donne des conseils avisés sur les saisons, les moyens de transport et tout ce qui peut intéresser le futur voyageur. Ce détour obligé est la dernière étape avant de plonger dans le cœur de ce guide dont l'originalité est d'aborder la découverte du pays par thématique : de l'histoire à la nature, en passant par la gastronomie et la culture pop. Il y en a pour tous les goûts. De quoi satisfaire les plus exigeants des voyageurs. Excellent.
Géo Book Japon, de Cécilia Rado, Géo, 2025, 24,95 €.
CINÉMA Une nouvelle pépite de Sômai Shinji
Après Le Déménagement et Typhoon Club, Survivance nous offre une nouvelle pépite de Sômai Shinji disparu prématurément il y a près d'un quart de siècle. Sorti à l'origine en 1994, Jardin d'été prouve une nouvelle fois que le cinéaste savait filmer les enfants pour en tirer des histoires aussi touchantes que profondes. Dans ce merveilleux long-métrage porté par le

formidable mikuni Rentarô, il évoque avec subtilité la ren-
contre de ce dernier avec trois enfants au cours d'un été qui vont leur permettre de réfléchir sur “ce qu'est la mort” et “ce qu'est la vie”. Une belle leçon de cinéma qui nous rappelle que Sômai Shinji était un grand auteur et qu'il savait construire des œuvres pleines de spontanéité et de fraîcheur. Jardin d'été (Natsu no niwa), de sômai Shinji, avec mikuni Rentarô, EmoTo Akira, awashima Chikage. Couleurs. 113 mn. En salles, le 4 juin.
N IHONGOTHÈQUE
Shôwa umare
Cette année 2025, au Japon, vous entendrez souvent le terme Shôwa. Il s’agit du nom de l'ère impériale entre 1926 et 1989, qui fut suivie par Heisei (1989-2019), puis Reiwa actuellement. On célèbre donc le centenaire de cette période historique nippone, marquée par la Seconde Guerre mondiale et la forte croissance économique. Ce fut une époque chaotique, mais qui porta l’espoir d’un avenir radieux. C’est pourquoi, depuis quelques années, la culture et la mode de cette époque reviennent, portées par une vague de nostalgie. Alors, les Shôwa umare, les personnes nées sous l’ère Shôwa – comme moi –, sont-elles fières d’avoir connu cette “belle époque” ? Je réponds “oui !” sans hésiter. Avoir été témoin, et parfois acteur, de cette époque est un véritable trésor de vie. Mais être appelée Shôwa umare n’est pas toujours un compliment, dans un pays où les générations sont repérées selon l’ère impériale de leur naissance. Aujourd’hui, Shôwa umare rime presque avec “vieux bornés”. Pour beaucoup d’entre eux, la norme, c’est : le mot “sexisme” n’existe pas, le travail est une vertu à laquelle on ne compte pas ses heures – il passe avant la famille. Le système d’ancienneté va de soi, et tout harcèlement fait partie de “l’éducation”. Cette mentalité aurait été forgée à l’époque de l’Empire du Japon, où l’effort, l’endurance et le dévouement au collectif étaient la norme.

Mais ce modèle est en train d’être bousculé par les Heisei umare, qui ont aujourd’hui entre 6 et 36 ans, et souffrent de la précarité – un héritage toxique de Shôwa. Ils ont raison. Mais que proposent-ils, eux qui ont bénéficié d’une éducation moins exigeante ? Ah, cette question est très Shôwa, non ? Je reconnais cette pression… sauf que mon esprit Shôwa s’est malgré tout allégé grâce à la vie en France ! Mes amis français m’ont appris que je suis l’égale de tous, et que je dois privilégier ma vie privée plutôt que le travail. Je suis même prête à créer un syndicat ! Mais… et si mes amis étaient des Shôwa umare à la française ? KoGa ritSuKo















MODE Le poivre du Sichuan fait recette
Les Japonais sont prêts à tout pour pimenter leurs plats, même à renoncer au respect des saisons.
Les condiments pimentés sont à la mode en France. Même au Japon, où les gens avaient déjà une certaine tolérance au goût relevé, la mode les pousse aujourd’hui dans l’extrême. Après les piments, c’est le tour du poivre de Sichuan, sansho en japonais, qui anesthésie la langue, d’arriver sur le devant de la scène. Dans la cuisine japonaise, le sansho se déguste en général sur de l’anguille grillée, ou sur des graines assaisonnées à la sauce soja pour accompagner le riz ou les poissons par exemple, mais la tendance est de trouver des accords originaux, de le marier à la cuisine occidentale, associé au canard, ou même au chocolat ou dans les desserts comme la glace, le flan, la tarte ou les meringues. On parle d’un essor shibirekei (pro-anesthésiant) ou mâkatsu (activité qui promeut les aliments anesthésiants).
Dans cette expansion, les fleurs de sansho, qu’on appelle hanazanshô, qui autrefois ne s’utilisaient que dans la haute cuisine japonaise, sont tout d’un coup aussi sous le feu des projecteurs. Traditionnellement, vers la fin de la saison des fleurs de cerisiers, pendant une courte période de deux semaines, on récolte les fleurs, ou plutôt les boutons, avant la floraison de l’arbre mâle (les fruits se récoltent sur l’arbre femelle) et on les utilise sur le poisson cuit pour l’accompagner de sa saveur, ou en en faisant du tempura. Les fleurs ont également un goût légèrement pimenté, mais on apprécie leur parfum délicat et leur texture lorsqu’on les écrase entre les dents. Une denrée rare (1 800 euros le kg) puisque la récolte demande du temps (on trouve en moyenne une fleur parmi 100 à 200 feuilles) et de l’attention

(pendant la récolte, il ne faut pas les chauffer sinon elles noircissent immédiatement) et fait ainsi sentir la préciosité du moment qui passe. Pendant la saison, surtout dans la région occidentale où l’on plantait les arbres mâles de sansho, la viande (sanglier, poulet ou bœuf) ainsi que les pousses de bambous (takenoko) étaient assaisonnées avec du sansho. Autrefois, c’était plutôt un ingrédient servi dans des auberges de montagne et ces plats nous faisaient sentir cette proximité avec la nature. Mais ces derniers temps, on voit même les restaurants tokyoïtes, dont cette cuisine n’était pourtant pas la spécialité, servir des hanazanshô. La tendance n’est en soi pas à blâmer, mais cette vogue a fait augmenter les prix, ce qui rend ce


produit parfois difficilement accessible pour les restaurants locaux qui l’utilisaient comme ingrédient de terroir.
En ce moment, certains sites vendent un kit des ingrédients pour préparer la marmite de viande aux fleurs de sansho congelés, et qu’on peut goûter tout au long de l’année. Le site explique qu’il met en vente ces ingrédients pour répondre à la demande des consommateurs, mais est-ce que banaliser ce goût éphémère du printemps et permettre sa consommation toute l’année a un sens ? Les Occidentaux ont tendance à penser que les Japonais respectent la saison, mais la tendance actuelle prouve que ce respect est en voie de disparition…
SeKiGuchi ryôKo


ZOOM GOURMAND
L A RECETTE DE HARUYO
Butahikiniku no hanazanshô itame (Mijoté de porc au poivre de Sichuan)
PREPARATION

01 - Couper la pousse de bambou en petits morceaux.
02 - Faire chauffer un peu d’huile dans une poêle, puis ajouter les pousses de bambou, le gingembre haché et la viande de porc hachée. Faire revenir le tout.
03 - Une fois la viande cuite, ajouter tous les condiments à l'exception du poivre de Sichuan.
04 -
INGREDIENTS
(pour 4 personnes)
• 200 g de porc haché
• 150 g de pousses de bambou
• 1 cuillère à soupe de gingembre haché
• 1 cuillère à soupe de saké
• 1 cuillère à soupe de sauce soja
• 2 cuillères à café de miso


• 1 cuillère à café de sucre
05 - Ajouter le poivre de Sichuan et bien mélanger.
06udon, ou encore sur une salade.

Astuce
Si vous aimez les plats très relevés, vous pouvez ajouter plus de poivre de Sichuan. Ce plat peut être conservé 1 semaine au réfrigérateur.
• 1 cuillère à café de mirin
• 1 cuillère à café de poudre de bouillon de poulet
• 1 cuillère à café de vinaigre
• 1/2 cuillère à café de poudre de poivre de Sichuan










L'aire de repos d'Ashigara permet d'avoir notamment une vue imprenable sur le mont Fuji lorsqu'il n'est pas enveloppé par les nuages.
De Tôkyô à Ôsaka au rythme du bus
Face aux prix élevés des billets de train, les déplacements longue distance en autocar ont gagné en popularité.
BASUTA Shinjuku, le goût des Japonais pour les abréviations s’affiche en grandes lettres sur une des tours du centre du quartier commerçant de Shinjuku à Tôkyô. Le terminal de bus autoroutier (basu tâminaru en japonais) du quartier, le plus grand du Japon, se trouve installé au sommet de la tour JR Shinjuku Millina, qui abrite des galeries commerciales. Il s’agit de la première gare routière intégrée du Grand Tôkyô, inaugurée
en avril 2016. Elle propose 207 lignes de bus, opérées par 118 compagnies différentes, et accueille 38 000 passagers par jour. La gare routière est de fait construite juste au dessus des voies ferrées de la gare JR de Shinjuku, sur un emplacement propriété de East Japan Railway ou JR East, société ferroviaire qui dessert la région de Tôkyô et le Nord-Est de l’archipel, et qui est issue de la privatisation des chemins de fer nationaux en 1987. Lumine Co. Ltd, filiale de JR East, exploite le centre commercial NEWoMan qui occupe le reste de l’immeuble avec une centaine de boutiques.
Basuta Shinjuku ne désemplit pas. C’est la cohue de très tôt le matin, jusqu’à tard le soir,


dans les salles d’attente et sur les plateformes, dès que les départs des bus sont annoncés par haut-parleurs. Il faut de plus faire la queue pour acheter ses tickets, faire des courses au konbini (supérette ouverte 24h/24) ou à la boutique de souvenirs de Tôkyô. C’est une foule très diverse qui s’y retrouve, attirée par les prix avantageux du transport en bus : un groupe de jeunes filles de Nagoya venues passer la fin de semaine à Tôkyô Disneyland, des touristes Coréens en partance pour les Alpes japonaises, des couples d’étudiants, des personnes âgées venues rendre visite à leur famille et qui retournent dans leur région, ou encore des travailleurs immigrés qui n’ont pas les moyens de voyager en train.


espaceja pon.com

Le Grand Dream Express de jour numéro 9 quitte tous les jours Tôkyô à 11h50 et arrive à Ôsaka à 19h43. Les chauffeurs de bus JR et le personnel du terminal semblent, encore plus que leurs collègues des chemins de fer, accorder de l’importance à la ponctualité ; l’express quitte donc le terminal à l’heure très précise, mais n’arrive à l’horaire prévu seulement quand le trafic autoroutier le permet. Le prix du voyage est de 7350 yens, soit 45 euros, c’est-à-dire la moitié du prix du Shinkansen, le train à grande vitesse, pour le même trajet. Le bus offre alors la possibilité d’admirer le paysage pendant huit bonnes heures, contre seulement deux heures trente en train.
Le Grand Dream est un bus à deux étages, douze sièges au niveau de la route, vingt-quatre à l’étage, disposés par rangées de trois. Les cabines ont été modernisées récemment, les sièges, plus confortables que ceux du Shinkansen, sont noirs zébrés de blanc ; par contre le plafond est très bas, il faut se courber en deux pour se déplacer.
Le bus est équipé de toilettes et, sécurité du Japon oblige, de pas moins de huit caméras de vidéo surveillance. Par ailleurs, lors de la réservation en ligne, il est impératif de préciser le sexe du passager, l’ordinateur évite ainsi de placer les hommes à côté des femmes. Quand une femme réserve son siège, il lui est demandé si, en cas d’affluence, elle accepte d’être placée à côté d’un homme ou non. De plus, pour protéger l’intimité des voyageurs, des rideaux sont installés entre chaque siège.
JR Bus désigne collectivement les huit compagnies régionales d’autobus du groupe Japan Railways, chacune détenue par une compagnie ferroviaire JR. C’est une histoire ancienne, la société gouvernementale des chemins de fer japonais a lancé sa toute première compagnie de bus dans la préfecture d’Aichi en 1930 et a progressivement élargi les lignes de bus. Les bus JR ont meilleure réputation auprès des passagers et ont des tarifs légèrement plus élevés que ceux de compagnies privées concurrentes, comme Willer
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Express, qui est la plus connue. Autrefois, mode de transport annexe, les bus de longue distance se sont durablement installés au Japon, profitant du coût toujours élevé des trains et de la fermeture progressive de nombreuses lignes ferroviaires. Il est désormais difficile de trouver un siège de bus libre au départ de Tôkyô sans réserver longtemps à l’avance. Il est possible d’acheter ses billets aux guichets des gares routières, mais seul un quota de places y est disponible, les compagnies privilégiant la réservation en ligne. Contrairement au
Shinkansen, dont les prix sont fixes, la tarification des bus express dépend du jour et de l’heure du voyage, avec des variations importantes entre les périodes de pointe et les périodes creuses. Willer Express propose par ailleurs un Japan Bus Pass, inspiré du Japan Rail Pass, qui peut être utilisé dans les bus de ligne de jour et de nuit du réseau de la compagnie, pendant un nombre de jours au choix. Le pass n’est valable que pour les détenteurs de passeports non-japonais, résidents étrangers du Japon




compris. Cependant ces bus, où les passagers sont alignés en rangées de quatre sièges, serrés les uns contre les autres, ressemblent surtout à des boîtes à sardines et ne privilégient guère le confort du voyage. Les bus de nuit remplacent cependant avantageusement les trains de nuit qui ont presque entièrement disparu au Japon. La vétusté des trains et, ironiquement, la popularité croissante des lignes de bus express, avait été évoquée en 2020 pour justifier la fermeture de la dernière liaison classique ferroviaire de nuit de l’archipel.
Le Grand Dream Express quitte la ville en empruntant, dès la sortie de Shinjuku, les voies express surélevées qui offrent un point de vue unique sur Tôkyô et les façades de ses innombrables tours qui défilent entre les néons des affiches publicitaires. Mais très vite, week-end oblige, l’express se trouve pris dans des embouteillages, il ralentit, et le chauffeur ne tarde pas à annoncer que l’arrivée prévue à Ôsaka risque d’être grandement retardée. Les rideaux tirés, chaussures enlevées, casque et masques ajustés, les passagers se sont déjà recroquevillés sur leur téléphone portable, chacun est dans sa bulle et ne prête guère attention au traffic. L’extraordinaire capacité des Japonais à s’endormir n’importe où ne cesse de surprendre, quelques dizaines de minutes à peine après le départ, certains passagers sont déjà plongés dans un profond sommeil, bercés par le bruit du moteur. Le silence ne tarde pas à se faire dans la cabine. Comme les autoroutes ont souvent été construites plus en hauteur dans la montagne que le Tôkaidô Shinkansen, qui lui longe la côte, le trajet en bus jusque dans le Kansai diffère sensiblement de celui en train. La plupart des voyageurs tirent cependant leurs rideaux, ce qui limite les chances de pouvoir admirer le paysage. En hiver et au printemps, les bus se retrouvent parfois comme perdus dans les nuages, à la sortie de tunnels de montagne, ou dans d’impressionnantes bourrasques de neige. Se superposent au paysage la densité du réseau autoroutier

japonais, très bien entretenu, les innombrables voies express, bretelles d’autoroute et ouvrages d’art bâtis pour franchir montagnes et vallées. La meilleure partie des voyages en bus de ligne, ce sont les arrêts sur les aires d’autoroute. Le premier stop de l’express numéro 9 est l’aire de repos d’Ashigara, dans le département de Shizuoka, le long de l’autoroute Tômei, Tôkyô-Nagoya, et au pied du mont Fuji. Contrairement aux gares ferroviaires, toutes construites sur le même modèle, les gares routières varient grandement d’une région à l’autre par la taille et l’architecture. Une constante tout de même, de vastes toilettes publiques où sont affichés des messages de prévention routière. L’aire de repos d’Ashigara comporte un grand espace de restauration rapide, un magasin de souvenirs, un konbini, d’innombrables distributeurs automatiques, et une boutique de spécialités locales. La très grande fréquentation des aires d’autoroute, et leur flux ininterrompu de clientèle nuit et jour, en font une vitrine idéale pour les produits locaux. Après exactement vingt minutes de pause, le bus reprend l’autoroute, contourne longuement le mont Fuji en offrant de superbes points de vue sur la montagne.
Selon les normes en vigueur pour les autobus de ligne au Japon, un seul conducteur ne peut effectuer un trajet en solitaire d’une distance supérieure à 500 km en service de jour et 400 kilomètres en service de nuit. Le Grand Dream, respectant la traditionnelle partition Est-Ouest du Japon, change de chauffeur dans le département d’Aichi. Les chauffeurs de la compagnie JR portent uniforme à casquette, masque et gants blancs et s’adressent aux passagers dans une langue très formelle. Avant chaque arrêt dans une aire de repos, le chauffeur annonce, à au moins trois reprises, la durée de l’arrêt et l’heure exacte du départ, en précisant de rester vigilant car le bus quitte le parking à l’heure précise, sans attendre les retardataires. Mais les passagers habitués de la ligne savent bien que cela n’est pas vrai et que les chauffeurs recomptent
Publié par Ilyfunet Communication 12 rue de Nancy 75010 Paris Tél: +33 (0)1 4700 1133 courrier@zoomjapon.info Dépôt légal : à parution. ISSN : 2108-4483. Imprimé en France
Responsable de publication : Dan Béraud
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soigneusement, plutôt deux fois qu’une, le nombre de leurs clients avant de reprendre la route. C’est donc en toute décontraction qu’ils vont se dégourdir les jambes à chaque arrêt et traînent parfois pour retourner à leur siège. La nuit est tombée déjà lorsque le bus marque une nouvelle pause de vingt minutes au Konan parking area, dans la préfecture de Shiga (voir Zoom Japon n°148, mars 2025), dont la spécialité locale est le ninja. Que cela soit durant les pauses sur les aires de repos, toutes les deux heures environ, ou à l’intérieur du bus, il n’y a absolument aucune communication entre les passagers. On se frôle parfois dans l’espace étroit de la cabine, mais on ne s’adresse pas la parole. Certains semblent se déconnecter entièrement de la réalité extérieure pendant la durée du trajet. On voit souvent émerger des passagers, à moitié endormis et incrédules devant un paysage inconnu, se diriger comme des somnambules vers les toilettes publiques ou les distributeurs de café.
Ont participé à ce numéro :
Odaira Namihei, Gabriel Bernard, KOGA Ritsuko, Eric Rechsteiner, Gianni Simone, Jean Drome, SEKIGUCHI Ryoko, MAEDA Haruyo
TAKACHI Yoshiyuki, KASHIO Gaku, TANIGUCHI Takako, MASUKO Miho, ETORI Shôko, Marie-Amélie
Pringuey, Fiona Dangleterre, Marie Varéon (maquette)
Alors que l’express numéro 9 ne s’arrête qu’une seule fois en chemin, à Kyôto, le chauffeur répète la destination finale du bus à de nombreuses reprises, tout le long du trajet, au cas sans doute où certains oublieraient où ils ont prévu de se rendre. Malgré les retards dus aux embouteillages, le bus respecte bien évidemment les limites de vitesse et se dirige lentement dans la nuit vers Ôsaka, la cabine désormais éclairée par des néons blancs. Les neuf heures qu’aura finalement duré le trajet jusqu’à la capitale du Kansai sont passées comme une parenthèse hors du temps, sans soucis, puisque l’on sait d’emblée que le bus arrivera probablement en retard et que l’on confie la bonne marche du voyage au chauffeur bienveillant. Un laisser-aller et une décontraction assez reposants, malgré la longueur de la route. Arrivés au cœur de la ville, juste à côté de la gare JR d’Ôsaka, les passagers, après avoir récupéré leurs bagages, s’éloignent doucement, sans un mot. eric rechSteiner
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