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Conclusions
En outre, malgré le niveau de détail exceptionnel des données, qui englobent toutes les caractéristiques, de l’établissement au patient, tous les corrélats examinés expliquent moins de 15 % du manque d’effort (tableau 4A.4, à l’annexe 4A). Le faible pouvoir explicatif de ces riches ensembles de covariables souligne donc la difficulté de comprendre les différents facteurs de la capacité inutilisée dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire. Cette sous-section a montré une forte présence de capacités inutilisées dans chacun de ces contextes, y compris pour les actions qui ne nécessitent pas d’équipement physique ou de fournitures et pour lesquelles le niveau de connaissance des agents de santé est élevé. Cependant, les causes de ces lacunes sont largement inconnues.
Ce chapitre a repris les études publiées pour présenter une évaluation de la qualité des soins qui décompose les obstacles à la qualité en trois éléments : une qualité structurelle inadéquate, c’est-à-dire des fournitures ou des équipements insuffisants ; le manque de connaissances des agents de santé ; des efforts insuffisants (les agents de santé ne font tout simplement pas les actions cliniquement nécessaires pour lesquelles ils disposent de toutes les fournitures, équipements et connaissances nécessaires). L’analyse a mis l’accent sur les soins prénatals en tant que facteur clé de la charge mondiale de morbidité. À l’aide des riches données disponibles sur les consultations prénatales, le chapitre a montré que la mauvaise qualité, telle qu’elle est évaluée par le protocole OMS pour les soins prénatals, est un problème très courant. Dans cinq pays d’Afrique subsaharienne (Cameroun, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Nigéria et République du Congo) qui affichent les plus forts taux de mortalité maternelle et néonatale dans le monde, les agents de santé n’appliquent que 50 à 60 % environ du protocole essentiel de l’OMS pour les soins prénatals.
Les résultats montrent qu’une part importante des déficits de qualité peut s’expliquer par un manque d’effort des prestataires ou par leur comportement, comme l’illustre une décomposition détaillée des données reliant l’infrastructure des établissements de santé aux connaissances des agents de santé, et à la fourniture effective de soins dans les interactions patient-prestataire. L’analyse montre que malgré des décennies d’investissements dans les infrastructures, la plupart des établissements de soins de santé primaires de ces pays souffrent encore d’un
déficit de capacités structurelles. Le manque d’équipements et de fournitures médicales de base est un problème très courant, même pour un service largement répandu comme les soins prénatals dans les établissements qui sont censés fournir ce service. En effet, dans tous les pays examinés, le manque de capacités structurelles est un facteur contraignant, du moins pour certaines composantes d’une visite prénatale complète. De même, dans tous les pays examinés, les agents de santé qui sont censés dispenser des soins prénatals de base ne sont pas bien familiarisés avec le protocole s’y rapportant, loin s’en faut.
Cependant, l’analyse montre également qu’un tiers des cas observés de non-respect du protocole international ne tiennent pas à des lacunes structurelles ou de connaissances, mais à des capacités inutilisées — lorsque les agents de santé ont toutes les capacités structurelles et les connaissances nécessaires, mais ne parviennent pas à effectuer les actions nécessaires. Ces capacités inutilisées existent dans les cinq pays étudiés dans ce chapitre et pour chaque composante du protocole essentiel de l’OMS pour les soins prénatals. En effet, il existe un écart important entre capacités/connaissances et action même pour des actions telles que le dépistage des risques, qui consiste à interroger la patiente sur les complications survenues lors de grossesses antérieures et qui ne nécessite aucun matériel ou équipement.
Les directives de l’OMS sur le nombre minimum et le calendrier des visites prénatales supposent un contenu minimum des soins — en d’autres termes, l’hypothèse implicite est qu’une visite est intrinsèquement utile. Les visites prénatales représentent un coût pour le ménage en termes de temps — et il y a, bien sûr, des frais à la charge des ménages pour bénéficier de ces soins. Cette dépendance à l’égard de l’utilisation des services existe en dépit des données examinées dans le chapitre qui suggèrent un lien ténu entre la couverture simple et les résultats en matière de santé. Par ailleurs, les visites prénatales peuvent être une condition à remplir pour recevoir des transferts en espèces : les ménages reçoivent de l’argent du gouvernement s’ils consacrent du temps à ces soins. Cependant, comme l’a montré ce chapitre, le manque de fournitures ou des équipements inadéquats ne sont souvent pas le seul obstacle contraignant ; dans de nombreux cas, l’effort est le plus petit dénominateur commun. Cela pose la question de savoir si le gouvernement devrait encourager les visites prénatales sans s’assurer que la qualité des soins dispensés est suffisamment bonne pour que leurs avantages compensent le coût que les visites représentent pour les ménages.
Les résultats mettent également en évidence des variations importantes entre pays et au sein de ceux-ci. Les variations au sein d’un même pays proviennent des écarts de qualité des soins entre établissements, mais aussi au sein des établissements. La capacité inutilisée n’est pas seulement omniprésente dans les actions, elle est également importante en termes d’ampleur. Dans les cinq pays étudiés dans ce chapitre, même si toutes les lacunes structurelles et de connaissances étaient comblées, un bon tiers du déficit d’adhésion au protocole essentiel de l’OMS pour les soins prénatals resterait inchangé. De plus, les écarts entre capacités/connaissances et action présentés dans ce chapitre sont probablement sous-estimés par rapport aux écarts effectifs en raison de l’effet Hawthorne dans les observations cliniques directes (Leonard et Masatu 2006).
En outre, ce chapitre a montré que les écarts par rapport au protocole peuvent inclure la surprescription. Ce sujet est traité en détail au chapitre 7, mais la surprescription dans le contexte des soins prénatals est frappante car la mesure des soins préventifs n’est pas axée sur la détection de la surprescription. Il est à noter que le constat de surprescription inclut des actions qui peuvent être nuisibles au développement du fœtus. La plupart des données sur le recours excessif aux soins portent sur les soins curatifs et non sur les soins préventifs. Ce constat justifie donc l’inquiétude entourant ce recours excessif et une évaluation plus approfondie du problème, notamment en relation avec les incitations financières visant à améliorer la qualité des soins, question sur laquelle ce rapport reviendra plus loin.
Ce chapitre vient donc enrichir les études déjà publiées sur les déterminants de la qualité des soins dans les établissements de soins de santé primaires des pays à revenu faible et à revenu intermédiaire. Premièrement, il a établi que la mauvaise qualité des soins est une constante dans ces établissements Deuxièmement, il a décomposé le niveau de soins observé pour montrer qu’il est dû à une qualité structurelle médiocre et au manque de connaissances des agents de santé, à quoi s’ajoute un manque d’effort de leur part. Le chapitre a donc montré que les contraintes physiques et le manque de connaissances sont un facteur limitant dans de nombreux pays à revenu faible et à revenu intermédiaire, même pour les services de santé de base. Cependant, le chapitre a également souligné qu’il importe de s’attaquer à l’écart entre capacités/connaissances et action. Des études antérieures ont mis en lumière le rôle important des incitations financières dans la détermination de l’effort des prestataires (Das et al. 2016), et d’autres études ont montré que les motivations extrinsèques et intrinsèques sont d’importants
facteurs de performance des agents de santé (Leonard et Masatu 2006, 2010 ; Leonard, Masatu et Vialou 2007). Ces données laissent entrevoir la possibilité d’un lien entre la performance et les paiements. Bien sûr, les interventions qui renforcent les compétences, comme les programmes de formation pratique (Rowe et al. 2018), peuvent être efficaces pour améliorer la performance, voire même la capacité inutilisée. Cela pourrait être le cas si les compétences et la connaissance du protocole ne sont pas les mêmes — par exemple, les agents de santé peuvent savoir comment conseiller une femme sur les bonnes règles de nutrition en théorie, mais s’ils manquent d’expérience pratique en la matière, ils peuvent hésiter à le faire, surtout en présence d’un enquêteur. Les interventions visant à accroître la couverture effective en améliorant la qualité des soins devront donc peut-être utiliser de multiples points d’entrée dans le système de santé.
Enfin, des données particulièrement riches sur les facteurs explicatifs potentiels, ainsi que sur les établissements, les agents de santé et les patientes, nous ont permis d’explorer ce qui peut expliquer cette capacité inutilisée. Cependant, la décomposition des écarts de performance globale et entre capacités/connaissances et action par caractéristique des établissements et des patientes n’a révélé qu’une faible covariance, à une exception près, des mesures avec un ensemble de corrélats dans les données. Les « suspects habituels », tels que la formation, le niveau de qualification ou le sexe des agents de santé, n’expliquent pas la capacité inutilisée.
La seule exception est que les écarts de qualité des soins peuvent tenir aux patientes : les courbes de concentration montrent que les femmes riches reçoivent de meilleurs soins dans certains établissements. Comme le montre un exemple en République démocratique du Congo, les femmes riches semblent recevoir des soins de meilleure qualité que les femmes pauvres, même au sein du même établissement. Cela n’est pas nécessairement un signe de discrimination, car les résultats pourraient s’expliquer par des différences dans le niveau d’instruction, la capacité à payer des tests de diagnostic ou des médicaments supplémentaires, ou même dans le degré d’autonomisation, les femmes riches se sentant plus à l’aise pour demander certains types de soins.
Le pouvoir explicatif partiel de ces riches données souligne la nécessité de poursuivre l’étude des causes du manque d’effort dans les soins de santé primaires dispensés dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire. Les chapitres 5 et 6 de ce rapport examinent l’incidence de deux modes de financement de la santé très prisés — le financement basé sur la performance et le financement direct des établissements — sur la qualité des soins