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Cadre théorique pour l’évaluation de la qualité des soins
Si bon nombre des exemples cités dans ce rapport portent sur la prestation de soins prénatals de qualité, les tendances décrites ici ne concernent pas uniquement ce type de soins. Une étude sur la qualité des soins dans 25 pays à revenu faible et à revenu intermédiaire a révélé que 58 % des enfants fébriles de moins de cinq ans examinés en consultation et suspectés d’être atteints de paludisme ont reçu des soins de mauvaise qualité (Macarayan, Papanicolas et Jha 2020). De même, selon une étude transversale d’enquêtes nationales représentatives réalisées dans 28 pays à revenu faible et à revenu intermédiaire, la performance du système de santé pour la gestion du diabète fait apparaître un important déficit de soins au stade du dépistage et de faibles taux de contrôle du diabète (Manne-Goehler et al. 2019). La tuberculose contribue de manière significative à la morbidité et la mortalité dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire (Reid et al. 2019). Dans une étude pilote menée à Delhi, en Inde, les chercheurs ont utilisé des patients standardisés — de faux patients formés pour présenter certains symptômes de la maladie à l’agent de santé — et ont constaté que seulement 21 % des cas de tuberculose étaient dûment pris en charge (Das et al. 2015). La mauvaise qualité des soins de santé est donc un problème commun à tous les types de services dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire.
Trois aspects de la qualité : structure, processus et résultats Conformément au modèle de qualité des soins proposé par Donabedian (2003), ce chapitre distingue trois aspects de la qualité : la structure, le processus et les résultats. La qualité structurelle fait référence au contexte dans lequel les soins sont fournis. Il peut s’agir du centre de santé physique, de l’équipement, des fournitures et des médicaments, ou de certains aspects des ressources humaines et de l’organisation, tels que la formation et les méthodes de paiement. La qualité du processus fait référence aux mesures prises par le prestataire de soins pour fournir le service. Les résultats font référence au résultat final en matière de santé, tels que la mortalité et la morbidité maternelles. La distinction entre ces trois composantes de la qualité permet de comprendre ce qui empêche de dispenser des soins de qualité. Cette compréhension est la première étape pour déterminer l’action à mener. Par exemple, si la couverture est principalement limitée par la
faiblesse des infrastructures, il faudra investir dans ces dernières. En revanche, la mauvaise qualité des processus pourrait mettre en évidence un manque de formation ou d’efforts des agents de santé qui ne peut pas être comblé par l’amélioration des infrastructures.
Un article récemment publié par la Lancet Global Health Commission sous le titre « Des systèmes de santé de haute qualité à l’ère des objectifs de développement durable » fait le lien entre les preuves de la mauvaise qualité et le résultat final en démontrant que la mauvaise qualité des soins de santé est l’une des principales causes de la surmortalité dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire (Kruk et al. 2018). Ce rapport note également que la couverture sanitaire universelle n’entraînera pas d’améliorations durables de la mortalité ou d’autres résultats intermédiaires en matière de santé si les systèmes de santé des pays à revenu faible et à revenu intermédiaire ne peuvent pas fournir systématiquement des services de haute qualité. Il se dégage donc un consensus croissant sur le rôle de la mauvaise qualité des soins dans la stagnation des résultats de santé dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire et le fait qu’il ne suffira pas d’augmenter le recours aux services pour améliorer l’état de santé.
Il n’est plus à démontrer que les systèmes de santé des pays à revenu faible et à revenu intermédiaire souffrent d’une mauvaise qualité structurelle (Smith et Hanson 2011 ; Kruk et al. 2018). Pour répondre à ce problème, les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire ont régulièrement investi dans les infrastructures sanitaires depuis la Déclaration d’Alma Ata de 1978. Au cours des dernières décennies, l’accès aux centres de soins et à des services médicaux plus modernes s’est élargi dans les pays d’Afrique subsaharienne (Jamison et al. 2006). Dans le passé, les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire sont restés en marge des progrès technologiques dans le secteur de la santé. Mais la situation est en train de changer car les tendances récentes indiquent une augmentation de l’offre de technologies médicales dans ces pays (Howitt et al. 2012). Depuis 1978, le nombre de professionnels de la santé a fortement augmenté, notamment les agents de santé communautaires à travers le monde, y compris dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire (Perry, Zulliger et Rogers 2014). Bien qu’il reste encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre la couverture sanitaire universelle, à bien des égards, ces investissements ont peut-être porté leurs fruits. De nombreux études montrent que la disponibilité des services de santé est un problème moins préoccupant qu’avant, notamment dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne (Leslie et al. 2018 ; Di Giorgio et al. 2020).
En même temps, la disparité entre des taux de couverture élevés et des résultats sanitaires médiocres est peut-être la plus claire dans le cas de la santé maternelle et néonatale, où les gains durables enregistrés dans le domaine des infrastructures sanitaires ont considérablement amélioré l’accès aux soins prénatals dans le monde entier, mais n’ont eu qu’un effet limité sur les résultats au stade de la naissance et de l’accouchement ainsi que sur la mortalité maternelle et néonatale (Chou, Walker et Kanyangarara 2019). Selon un rapport publié en 2013, 75 pays à revenu faible et à revenu intermédiaire représentent 95 % des décès de mères et d’enfants (OMS 2013). Les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire affichent un taux élevé de mortalité maternelle et infantile malgré une plus grande proportion d’accouchements en établissement de santé (Montagu et al. 2017). Un groupe de chercheurs a établi des modèles déterministes pour projeter les résultats sanitaires si la qualité des soins était améliorée dans un échantillon représentatif de 81 pays à revenu faible et à revenu intermédiaire. Ils ont constaté que l’amélioration de la qualité des soins (prénatals, intrapartum et postnatals) produirait des avantages substantiels aux niveaux actuels d’utilisation, avec une baisse du taux de mortalité de l’ordre de 21 à 32 % (Chou, Walker et Kanyangarara 2019).
En outre, les bénéficiaires de soins de santé dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire réagissent fortement à la qualité des structures et des processus. Par exemple, des données provenant de la République démocratique du Congo montrent que les personnes dont l’établissement de santé publique local est mieux équipé en termes de matériel et de consommables sont moins susceptibles d’éviter l’établissement local (Fink, Kandpal et Shapira, 2022). De même, une étude réalisée en Inde montre que la majorité des patients évitent de se faire soigner dans un centre de soins de santé primaires, même si cela leur coûte presque deux fois plus cher (Rao et Sheffel 2018). Cette tendance diminue cependant lorsque la compétence du prestataire de soins augmente (Rao et Sheffel 2018). L’étude a révélé que les patients pauvres sont moins susceptibles que les autres de se faire soigner en dehors des centres de soins de santé primaires locaux. Par conséquent, dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire, où les systèmes de santé sont souvent confrontés à des pénuries de fournitures (Adair-Rohani et al. 2013) et de personnel (Chaudhury et al. 2006), il y aurait beaucoup à gagner en assurant une qualité de soins basique (Akachi et Kruk 2017).
Un aspect de la mauvaise qualité des processus que ce chapitre n’aborde pas est l’absentéisme des agents de santé. L’absence de personnel de santé a été longtemps considérée comme un obstacle majeur à l’amélioration des
soins dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire (Belita, Mbindyo et English 2013). Selon une étude récente en Ouganda, l’absentéisme peut éloigner les patients du secteur public, ce qui accroît leurs dépenses de santé (Zhang, Fink et Cohen 2021). Cependant, une autre étude récente sur la qualité des soins dans dix pays africains montre que la réduction de l’absentéisme n’aurait qu’un faible effet sur la disponibilité moyenne des soins (Di Giorgio et al. 2020). L’étude montre que les agents de santé des pays à revenu faible et à revenu intermédiaire devaient être mieux informés pour être mieux préparés à dispenser des soins (Di Giorgio et al. 2020). Entre autres facteurs, des études ont précédemment mis en évidence un important manque de connaissances de base, chez les agents de santé dans plusieurs pays africains, sur la façon de diagnostiquer et de traiter les maladies courantes (Pakenham-Walsh et Bukachi 2009). En outre, les agents de santé des pays à revenu faible et à revenu intermédiaire doivent souvent traiter des problèmes de santé complexes avec un soutien et une formation limités, ce qui peut, entre autres facteurs, entraîner une qualité de soins insuffisante (Vasan et al. 2017). Pour analyser la qualité des soins observée, ce chapitre utilise un cadre qui étudie la qualité des soins lorsque le travailleur est présent. D’une part, l’absentéisme peut être un exemple extrême de non-respect du protocole, auquel cas ces estimations de la capacité inutilisée représentent une limite supérieure de la qualité des soins disponibles. D’autre part, il se pourrait également qu’une faible capacité structurelle ou des connaissances insuffisantes démotivent les travailleurs et les éloignent de l’établissement de santé.
Un cadre avec trois lacunes
La qualité des soins a un impact sur l’état de santé de la population à travers au moins trois mécanismes. Premièrement, malgré les investissements dans les infrastructures physiques, des contraintes structurelles peuvent limiter la performance des prestataires, en particulier dans le secteur des soins de santé primaires des pays en développement. Deuxièmement, une mauvaise connaissance des protocoles peut signifier que les médecins ne savent pas ce qu’ils doivent faire. Troisièmement, les médecins peuvent tout simplement ne pas mettre leurs connaissances à profit ; cela peut être dû au fait qu’ils se dérobent ou ne font pas assez d’efforts. Ibnat et al. (2019) ont pris en compte ces trois contraintes dans un cadre avec trois lacunes, où les mauvais résultats en matière de santé peuvent être la conséquence d’une lacune structurelle, d’un manque de connaissances ou d’efforts insuffisants.