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ZFE : des agglomérations sous contraintes

Les zones à faibles émissions se multiplient en France. Les transporteurs qui livrent en zone urbaine n’ont pas d’autres choix que de s’y adapter, et ce, en un temps record. Le plus souvent, ils doivent investir dans un parc roulant zéro émission pour pouvoir continuer à accéder aux villes et donc de pouvoir travailler.

Rappelons la règle édictée par le pouvoir. Actuellement, 11 métropoles ont mis en place une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m) : Grand Paris, Lyon, Aix-Marseille, Toulouse, Nice, Montpellier, Strasbourg, Grenoble, Rouen, Reims et Saint-Étienne. Dans ces zones, la circulation des véhicules définis comme les plus polluants peut être limitée et la prime à la conversion peut bénéficier d’un supplément. D’ici 2025, un total de 43 agglomérations françaises de plus de 150 000 habitants devront avoir instauré leurs propres ZFE-m. Chacune peut aménager les règles de départ, mais dans des proportions encadrées. Cela ne rend pas la tâche facile aux entreprises qui couvrent des secteurs où se trouvent plusieurs villes ZFE-m. Les transporteurs en font partie, car les camions sont porteurs de vignettes Crit’Air. Le certificat qualité de l’air est donc obligatoire sur les pare-brise. Il faut, éventuellement, vérifier s’il y a des déroga- tions, permanentes ou limitées dans le temps. Quarante-trois agglomérations de plus de 150 000 habitants, ce n’est pas rien, surtout pour comprendre et adopter le système. Dans ces zones, les véhicules identifiés par les vignettes 3, 4 et 5 peuvent également être soumis à des restrictions de circulation lorsque le préfet instaure la circulation différenciée en cas de pics de pollution. Cela complique la vie des gestionnaires d’entreprise de transport.

La carte écologique

Le transporteur adapte son offre de transport en fonction de la réglementation. Mais cela coûte cher et nécessite des ajustements au fil du temps. Kara Mendjel est connu comme le loup blanc dans l’univers de la température dirigée. Son entreprise, STAF, créée il y a plus de 50 ans et basée à Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne), emploie 800 salariés dont 680 conducteurs. Certains travaillent depuis les Bouches-du-Rhône, le nord de l’Île-de-France et en Normandie. Cela permet de couvrir de vastes territoires comprenant les Hauts-de-France, le Centre et le Sud-Est. Depuis Villeneuve-le-Roi, les livraisons sont effectuées vers l’ensemble de l’Îlede-France ainsi que les régions du Mans, d’Orléans, de Troyes ou Rouen.

Kara Mendjel est un patron passionné qui valorise son parc roulant et qui est très au fait de l’alliance économique et écologique. Il lui arrive donc souvent de rencontrer les autorités organisatrices, dont les responsables de la Mairie de Paris. « Je trouve surprenant qu’il y ait encore des personnes parmi les élus qui proposent des solutions sans rapport avec les réalités économiques. Par exemple, lors d’une réunion récente, l’un d’entre eux suggère de livrer la ville de Paris avec de petits véhicules, des fourgons de 3,5 t au lieu des poids lourds. Ce n’est pas la première fois que j’entends cela. L’élu ne se rend pas compte qu’il s’agit d’une solution qui va à l’encontre des effets recherchés, autant sur le plan écologique qu’économique. » En effet, pour le patron, la massification des livraisons (plusieurs clients dans un seul camion) permet de résoudre divers problèmes comprenant la lutte contre les pollutions et les nuisances directes durant les livraisons. Pour y arriver, cela fait des années que son parc est équipé de véhicules fonctionnant aux énergies alternatives.

Aujourd’hui, il s’agit de biométhane, livré par pipeline dans une station appartenant à l’entreprise.

« Au départ, nous avions utilisé des camions Renault et Scania dans une version hybride électriquediesel. Cela nous a permis d’évaluer ces véhicules. Nous avons également trois camions qui roulent avec du ED95, un bioéthanol produit à partir du marc de raisin. Dernièrement, nous avons commandé nos premiers poids lourds 100 % électriques, 4 Renault et 2 Scania de troisième génération, c’est-àdire qu’ils ont une autonomie de 300 kilomètres, ce qui permet d’assurer deux tournées par jour. Nous utilisons aussi le B100, un carburant écologique », explique Kara Mendjel qui a toujours développé son entreprise en fonction des évolutions technologiques du matériel et des règles environnementales, ce qui valorise l’image de marque d’un transport routier dont il est un grand défenseur. Les semi-remorques température dirigée, qui portent de magnifiques visuels évoquant des sites emblématiques ou des messages informatifs sur les évolutions technologiques, bénéficient des dernières innovations. C’est en particulier le cas des groupes frigorifiques, Frappa ou Carrier, qui fonctionnent à l’azote. Les ensembles routiers respectent la norme Piek pour des livraisons aussi silencieuses que possible. La demande vient également des clients de STAF qui sont les grands acteurs de la distribution.

Les bons choix technologiques

Si la température dirigée permet de nourrir la population, les camions bennes accompagnent la construction et les grands travaux. C’est le cas du Grand Paris qui occupe quelques centaines de poids lourds de petites et grandes entreprises, dont celle de Christelle Bret. Cette passionnée est issue d’une famille du transport qui a créé, il y a 6 ans, Silou, une TPE de 6 camions, 3 Renault et 3 Mercedes, spécialisée dans le transport de vrac et dont 50 % de l’activité est du BTP en région Île-de-France. « Notre activité est diversifiée, des déchets de carrière, les boues pour amender les champs, l’approvisionnement des centrales à béton, les céréales, les vendanges, et cela selon les saisons. Et en effet, le transport des granulats pour les gigantesques travaux du Grand Paris représente actuellement 50 % de notre activité », détaille la dirigeante, qui se réjouit d’une diversification bienvenue et n’hésite pas à prendre le volant.

L’exploitation du parc de Silou part d’un choix de matériel qui correspond à un travail diversifié. Le dernier achat se porte sur un Renault Trucks T480 avec l’option B100. « Pour l’accès aux ZFE-m, cela permettra de disposer d’un camion en Crit’Air 1, mais nos autres camions sont en Cri’Air 2, ce qui ne pose pas de problème pour le moment. Dans nos choix de véhicules, la consommation compte pour beaucoup, car nous subissons de nombreux embouteillages. Je m’intéresse aussi au biodiesel de synthèse XTL qui ne nécessite pas de pré-équipement mais ne permet pas de disposer de la vignette Crit’Air 1. Cependant, il est mieux disant en réduisant de 85 à 90 % leurs émissions de CO2 sur les camions thermiques », explique Christelle Bret, qui se félicite d’avoir des conducteurs très attentionnés avec le matériel. Elle leur recommande toutefois de rouler à 80 km/h, ce qui réduit significativement une consommation s’établissant habituellement entre 28 et 35 l.

Une autre difficulté, et non des moindres, rencontrée lorsqu’il s’agit de livrer les centrales à béton situées dans Paris avec un tracteur semi-remorque, est la circulation de plus en plus compliquée sur un réseau routier qui n’est plus conçu pour les voitures, et encore moins pour les camions avec d’importantes restrictions de voies et des aménagements qui favorisent transport public et mobilité douce. La congestion du trafic dans Paris fait perdre beaucoup de temps : « par exemple, nous sommes obligés de passer par la porte d’Asnières pour rejoindre une centrale à béton. Il est arrivé de rester bloqué 1 h 30. Il est tellement compliqué d’avancer que nous avons déjà reçu deux amendes de 90 € pour une gêne au trafic. C’est très décevant, car nous faisons notre travail et cela augmente inutilement nos coûts d’exploitation », déplore la cheffe d’entreprise. L’arrivée des ZFE contraint les villes à se réorganiser, et par conséquent les transporteurs à revoir leurs plans de livraison. L’harmonisation des règles entre ZFE dans les différentes agglomérations, promise par le ministre des Transports Clément Beaune, est très attendue par les professionnels.

Jean-Yves Kerbrat kerbrat@trm24.fr

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