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L’électrique en pente douce
Comme tous les constructeurs, Scania se trouve contraint de développer et commercialiser des véhicules électriques. Les premiers modèles sont désormais disponibles et il s’agit ici du 25P, évidemment plutôt dédié aux métropoles aux ZFE-m les plus restrictives, à commencer par Paris et la Métropole du Gand Paris. Une brève prise en main nous a permis de découvrir ce véhicule.
Comme de nombreux constructeurs, Scania a procédé par électrification d’un camion en partant de composants existants. Aucune originalité côté architecture et construction, on retrouve un classique pont rigide entraîné par un arbre de transmission relié à un ensemble moteur/boîte de vitesses intégré situé en arrière de la cabine. On n’en est pas encore arrivé au stade des véhicules pensés dès l’origine autour des caractéristiques de la mobilité électrique.
Astreintes de l’électrique
Bizarrement, Scania a retenu une transmission à 2 rapports, alors que l’on aurait pu s’attendre à une transmission directe grâce au moteur électrique. La marque tente de rester fidèle à son prin- cipe de modularité, y compris pour la partie électrification avec une définition à 5 ou 9 packs de batteries de stockage d’énergie. Le constructeur a l’honnêteté d’évoquer à la fois la valeur brute de stockage d’énergie et la valeur nette de celle disponible dans l’état de charge (state of charge ou SoC). Avec la configuration à 5 packs (des lithiumion de type nickel-manganèse-cobalt (NMC) fournies par le coréen Samsung), on a donc 165 kWh théoriques, soit 120 kWh réels. Avec 9 packs, on atteint 300 kWh théoriques, soit 220 kWh exploitables dans le SoC. Dans cette configuration (qui correspond au modèle de la prise en main), Scania avance 260 km d’autonomie réelle.
Malgré les efforts en termes de modularité, il y a tout de même une sévère perte au feu en termes de variantes, puisque l’offre se limite aux cabines P et L, uniquement sur porteurs 4x2, 6x2 et 6x2*4 non remorquants avec un PTAC technique maximal de 29 t. Comme le précise Scania France, certaines variantes ne sont pas disponibles en version électrique, notamment les modèles à agrément ADR. Mais il y a aussi, et surtout, l’encombrement des packs de batteries qui vient générer de fortes contraintes de carrossage. Bon, soyons lucides, vu l’environnement où vont évoluer ces camions, le cœur de marché sera constitué des bennes à ordures ménagères, fourgons de livraison, approche chantier (bras, bennes et plateaux) et température dirigée. Le véhicule était doté de quelques raffinements favorables au confort, en particulier les suspensions pneumatiques intégrales (avant et arrière, type B dans la nomenclature Scania), la cabine reposant également sur coussins d’air et barres antiroulis de fort diamètre. De quoi combiner confort et maintien. Contrairement aux modèles à moteurs thermiques, ces Scania à batteries proviennent exclusivement de l’usine suédoise de Södertalje.
Un électrique puissant Scania n’a pas lésiné côté motorisation, malgré la vocation forcément urbaine ou périurbaine de ce modèle. On dispose ici d’un moteur unique à aimants permanents à refroidissement liquide, placé assez loin derrière la cabine. Son petit nom chez Scania est MG4115-1. Il développe une puissance de 295 kW en crête (lors des accélérations) et de 230 kW de puissance en continu, ce qui n’est pas mal et nettement supérieur à ce que propose la concurrence sur ce niveau de gamme et pour ce type de missions.


Le couple développé est de 2 200 Nm en crête, contribuant ainsi à l’agrément des accélérations. On aurait bien voulu voir ce que cela donne une fois pleinement lesté sur un parcours très vallon- né. Dommage que l’agrément de cette machine tournante soit gâché au chapitre transmission. Rappelons en conclusion que le moteur électrique présente la faculté de devenir génératrice lors des phases de lever de pied. Puisque l’on parle chaîne de traction, les packs de batteries lithium-ion NMC sont ici fournies par Samsung. Scania a d’ores et déjà annoncé que le fournisseur Northvolt sera le fabricant des packs de batteries des gammes supérieures (porteurs et tracteurs régionaux) à compter de la fin de l’année 2023.
On regrette que le constructeur ait choisi, comme son compatriote, une transmission à 2 rappor ts. On pourrait quasiment parler de boîte de transfert. Le premier rapport sert aux phases de démarrage jusqu’aux environs de 25 km/h, ce qui explique sa réduction (2,59 : 1). Le second rapport étant, tout simplement en prise directe, pour des questions de rendement mécanique. Dépourvue de synchroniseurs, la transmission diffère sensiblement des Scania Opticruise 2 robotisées que l’on connaît par ailleurs, d’où son identification spécifique sous le code GE21S21.
La compacité de l’ensemble fait que le moteur est intégré dans le carter de boîte. Elle se révèle silencieuse mais on regrette vraiment de percevoir chaque changement de démultiplication, que ce soit à la montée ou au rétrogradage. Cela nuit à la linéarité des accélérations et coupe l’élan. Les effets désagréables de ce choix technique se retrouvent également en ce qui concerne le freinage. On n’éprouve donc pas cette sensation si grisante d’accélération continue et linéaire que l’on peut éprouver à bord de certains métropolitains sur pneus. Mais l’absence d’embrayage fait que l’on dispose d’une très grande précision lors des manœuvres, ce qui sera toujours apprécié en ville. Le rapport de pont, imposé, est de 4.88/1 avec, de façon logique vu les missions, un pont à simple réduction.
Les batteries limitent les configurations Ce chapitre combine le meilleur et le pire : le meilleur par le confort, la qualité d’accostage et de finition ainsi que les personnalisations possibles. Le pire est lié aux batteries qui limitent considérablement les configurations possibles pour les carrossiers. Sans oublier quelques loupés de conception étonnants, comme le fenestron latéral optionnel qui condamne l’ouverture de la vitre passager. On est ici en présence d’une cabine très large dite CP17, intermédiaire sur châssis P. C’est une cabine profonde disposant d’ailleurs ici d’un petit espace de repos. C’est surtout la hauteur intérieure qui fait la différence avec les gammes G, R et S. Cette réutilisation de composants communs impose une largeur identique à celle des grands routiers. Cela n’est pas toujours bienvenu ni pratique en ville. Notez que la gamme P peut recevoir un fenestron côté droit réduisant l’angle mort côté trottoir. Dommage que cette option condamne l’usage de la vitre passager.
Oubliez toute idée de déplacement en cabine, le tunnel est ici très prononcé dans l’habitacle. Car s’il n’y a plus de moteur sous celui-ci, il y a toute l’électronique de commande, convertisseurs de courant, onduleurs et batteries. Bref, aucun gain de place permettant d’envisager un plancher plat. Contrepartie de ce sacrifice en habitabilité, on a un emmarchement facilitant les montées et les descentes à bord, évidemment apprécié en livraison. Les portes conservent leur possibilité de s’ouvrir à angle droit.
L’emmarchement profite d’un parfait alignement et d’un caillebotis très large. Côté accessibilité et sécurité d’usage, il n’y a donc rien à redire.
Pour la carrosserie, on relève une cabine à relevage électrique, d’excellents accostages et une peinture de très belle facture. Un petit ensemble de dé- flecteurs fixes était ici monté, tant sur le pavillon que pour les flancs, cela fait partie d’options usine. Comme sur les gammes supérieures, la cabine peut bénéficier d’une isolation thermique renforcée et de double vitrage en option. Pas forcément idiot si l’on veut préserver les ressources du chauffage et de la climatisation, lesquels prendront inéluctablement leur énergie sur celle disponible à bord via les convertisseurs de courant. Fort intelligemment, Scania propose également un pare-brise chauffant, ce qui épargne de nombreux kilowatts en cas de recours au dégivrage.
Contraintes pour les carrossiers, mais sécurité et confort au rendez-vous Le modèle de l’essai disposait de la suspension de cabine pneumatique intégrale. Surprenant pour un véhicule à vocation urbaine, mais nous verrons plus bas ce qu’il y a lieu d’en penser. Pour la sécurité passive, Scania monte ici un airbag conducteur et des pré-tensionneurs de ceinture, comme sur une automobile. Les coques des rétroviseurs ont été, comme souvent, à l’origine de quelque gêne lors de l’approche à certains ronds-points. Pour les carrossiers, la partie est nettement moins plaisante : pas question de toucher aux packs de batteries. Les empattements sont, pour les silhouettes 4x2 porteur, limités à une offre allant de 3 950 mm à 5 750 mm de longueur pour la version à 5 packs et de 4 350 mm à 5 750 mm pour les versions à 9 packs. C’est le cas qui nous concerne ici. Une prise de mouvement électrique dite ePTO est éventuellement disponible. Ce moteur dédié aux équipements de carrosserie prélève son énergie évidemment spécifiques. Ils conservent l’association aiguilles et afficheurs numériques. directement sur les packs de stockage de traction, ce qui impacte forcément l’autonomie en circulation. Il est alimenté en courant continu 650 V et délivre 60 kW de puissance maximale. Les carrossiers peuvent éventuellement greffer sur ce véhicule de base un convertisseur AC/DC pour leurs propres montages, moyennant comme de coutume une validation technique par le constructeur du châssis. Autre point de surveillance pour les carrossiers : les répartitions de charge : en version 9 packs, il faut compter sur 1 600 kg de batteries !


Avantage de l’inconvénient : la cabine basse implique un envahissant tunnel moteur, certes. Mais il n’y a que deux marches à gravir avant d’accéder au plancher.

Fiche Technique
Scania 25P B 4x2 NB
Moteur
Scania MG4115-1 électrique unique à aimant permanent et refroidissement liquide. 230 kW de puissance en crête. 2 200 Nm de couple en crête.
Transmission
Boîte mécanique robotisée Scania Opticruise GE21S21 intégrée au carter moteur. 2 vitesses. Rapport final en prise directe. Inversion de sens de marche effectuée par le moteur.
Liaisons au sol
Silhouette 4x2. Essieu avant rigide Scania AM660S. Pont moteur Scania R660 à simple réduction.
Rapport de pont 4.88/1. Suspension pneumatique intégrale à contrôle électronique ECAS avec fonction de rehausse et d’agenouillement. Pneumatiques 315/70R22.5 toutes positions.
On n’attendait pas un véhicule de distribution à pareille fête. La combinaison de l’empattement long, de la suspension pneumatique intégrale, de la suspension de cabine à coussin d’air, des barres antiroulis renforcées et le fait que les batteries soient en position basse sur les flancs contribuent à un rapport confort/tenue de route excellent. Au point que l’on peut carrément s’amuser dans les ronds-points (on pouvait se lâcher, aucun fret fragile n’était à bord, et l’absence de charge faisait que la répartition des masses devenait ici extrêmement favorable). Le confort profite aussi d’une position de conduite idéale avec un volant réglable en tous sens. Le tout avec une vaste amplitude de réglages pour le siège conducteur, que ce soit en longueur ou en inclinaison. L’insonorisation est, fort logiquement, un point fort majeur du modèle. Une fois en vitesse de croisière, on a l’impression de conduire un autocar de tourisme, puisque seul l’écoulement du vent sur le pare-brise se perçoit depuis le poste de conduite. C’est très plaisant et relaxant. Alors pourquoi pas 5 étoiles ? Parce que le volume habitable est pénalisé par l’encombrement du tunnel central. On va retrouver ce même souci au chapitre suivant.

Recharge et performances
C’est simple : l’entretien se résume à une visite annuelle pour la vidange du groupe électrique et du compresseur d’air. Mais attention toutefois : vu la présence de circuits haute tension (câblages orange) ; pas question de bricoler à bord. Le 650 V, cela ne plaisante pas ! Scania France propose la formation et la mise en main, ainsi que le déploiement de l’après-vente dans son réseau au gré ••• des livraisons de véhicules neufs. Sachant que ces camions retourneront souvent au même point de service, cela ne devrait pas poser de problème majeur. Pour sécuriser l’investissement, il est possible de louer le véhicule complet via Scania Rent. Cela a forcément un coût qui vient s’ajouter à l’investissement de base, conséquent.



Toujours à propos de budget, il faut ajouter les investissements dans l’infrastructure de recharge. Le véhicule ne se recharge qu’à l’aide d’un chargeur externe sous courant continu via une prise CCS Combo 2. La recharge se fera, au maximum, avec un appel de puissance de 130 kW et 200 A. La prise est située dans la joue d’aile en face avant côté droit. Aucune autre option n’est proposée à ce stade par Scania, ce qui signifie qu’il faudra bien évaluer l’aménagement de votre parking avant d’implanter les chargeurs. Un point à surveiller tout particulièrement lorsqu’il y aura pluralité de véhicules de marques différentes.
Passer du R560 à moteur DC13 Super, époustouflant d’aisance et de polyvalence, au 25P aux aptitudes routières réduites et à la pertinence limitée au périmètre des ZFE-m constitue un choc dont on a du mal à se remettre. Surtout à la lecture de la facture ! Mais c’est ainsi, et cela ne sert à rien de finir vert de rage. Il n’en demeure pas moins que le véhicule est, comme les concurrents que nous avons eu l’occasion de prendre en main, très limité dans ses usages. Le confort et la finition constituent un point fort du modèle (il hérite des qualités de ses grands frères issus de la même génération de cabine), tout comme l’accessibilité et l’ergonomie du poste de conduite. C’est là qu’il marque des points précieux. Il faut dire qu’il profitait de la sus- pension pneumatique intégrale. Mais faute d’un essai en charge, et sur nos parcours habituels, on ne peut qu’émettre de vives réserves sur les facultés du véhicule et son rayon d’action une fois à son PTAC maximal.
En conclusion
Dans cet univers de silence et de douceur, on regrette la perception du changement de rapport, particulièrement sensible lors des rétrogradages. Cela nuit à la linéarité des accélérations et des ralentissements, donc au confort global de conduite. Le choix de la cabine P est bon en termes d’ergonomie et d’accessibilité grâce à un seuil d’accès à la cabine pas trop haut, mais cela implique un camion conforme à la largeur maximale autorisée par le Code de la route, soit 2,5 m. Forcément, en ville, cela peut devenir sportif dans certaines rues. Le comportement routier, testé à vide, profite du poids des batteries placé en position basse, en deçà des longerons. Le parcours a été trop bref pour augurer de l’autonomie effective du véhicule, mais on a pu relever de bonnes aptitudes de régénération qui permettent (moyennant un minimum d’anticipation) de se passer quasiment du freinage principal à friction. L’électrique va, plus encore qu’en diesel, révéler les disparités de conduite entre conducteurs en matière de conduite rationnelle. Scania France n’hésite pas à proposer le véhicule commercialement via deux canaux : la vente classique ou via Scania Rent. Une façon de rendre financièrement accessible ce type de véhicule. Précisons qu’il n’est pas prévu de la part de la marque de séparer le châssis des batteries en termes de financement, la location s’entendra systématiquement véhicule complet.
Jean-Philippe Pastre pastre@trm24.fr