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Quand l’UE distribue bons points et bonnets d’âne

Le simulateur Vecto1, outil fondamental de la politique de mesure des émissions des constructeurs en matière de CO2 par la Commission européenne, a été rendu obligatoire le 1er janvier 2019. Le 30 novembre 2022, dans le Journal officiel de l’Union européenne2 était publié le premier classement consécutif à l’application de ces mesures. À ce jour, seuls deux constructeurs sont sur la trajectoire pour atteindre les objectifs initialement fixés.

Avec l’outil Vecto, l’Union Européenne a créé un outil permettant de simuler les émissions des véhicules mis à la route par les constructeurs de véhicules industriels.

Dans une première étape, celle qui fait l’objet de cette publication, cela concerne les silhouettes les plus courantes parmi les véhicules routiers : tracteurs et porteurs 4x2, 6x2 et 6x4 de plus de 12 t de PTAC. Ce sont ces modèles qui ont fait l’objet de déclarations pour l’année 2020 par les constructeurs, et qui ont été à l’origine du classement publié dans le Journal officiel de l’union européenne le 30 novembre 2022.

Délais très courts et sanctions financières

L’objectif est de vérifier si les constructeurs atteignent les objectifs assignés pour 2025 (-15 % de réduction de CO2) et 2030 (-30 % de réduction de CO2). Ces valeurs viennent d’ailleurs de faire l’objet, le 14 février 2023, de propositions de la Commission européenne encore plus sévères, avec désormais l’hypothèse d’un -45 % d’ici 2030. Gare au constructeur qui n’atteindrait pas ces objectifs de réduction des consommations des véhicules qu’il aurait mis à la route. Des sanctions financières sont prévues pour les « mauvais élèves ». Scania France, dans un communiqué publié en janvier 2023, a rappelé leurs montants : 4 250 €/g CO2/t.km excédentaire en 2025. Montant porté à 6 800 €/g CO2 t/km en 2030. De quoi dégoûter tout industriel censé travailler dans l’UE, puisque cela s’ajoute aux coûts de plus en plus élevés d’homologation et de développement, lesquels sont induits à la fois par l’électrification, les piles à combustible ou l’hydrogène et la future norme Euro VII. Ce dernier point faisant d’ailleurs l’objet des critiques de l’Acea3 qui dénonce une multiplicité de normes et d’objectifs à atteindre dans des délais très courts.

De très rares gagnants et de nombreux perdants

Scania est, selon les résultats, le gagnant de ce classement, puisqu’il réussit la gageure d’améliorer les objectifs assignés de -3,1 %. La seconde marque à atteindre l’objectif est MAN avec -0,08 %. On relève ici le beau tir groupé du groupe Traton. En outre, ces deux marques bénéficient de crédits d’émissions, du fait de volumes de véhicules donnant droit à des bonifications dans la comptabilité européenne. Ils disposent d’une liberté pour utiliser ces crédits qu’ils peuvent décider de comptabiliser dans leurs résultats en 2025, ce qui les améliorera encore lorsque le premier couperet tombera. Hélas, tous les autres constructeurs, sur les déclarations 2020, sont dans le rouge.

Dans le classement, on note deux Iveco. Cela s’explique par l’histoire de la marque : les camions lourds ont été enregistrés et déclarés en suivant une nomenclature héritée de l’usine Magirus d’Ulm (République fédérale d’Allemagne). Ce qui fait que tous les tracteurs lourds suivaient une nomenclature VIN4 héritée de Magirus-Deutz, même après le transfert de leur assemblage en Espagne à l’usine de Madrid Barajas. Iveco France, interrogé à ce sujet, a expliqué que les prochains classements seront unifiés, la marque ayant entre-temps réhomologué tous ses modèles avec de nouveaux codes VIN. Un travail de Romain ! Autre décalage surprenant, la différence entre Renault Trucks et Volvo Trucks dans les résultats. Cela tient au fait qu’en 2020, Volvo Trucks bénéficiait déjà dans son portefeuille du moteur D13TC turbocompound (alias Volvo I-Save), qui a pu avoir un impact favorable sur les moyennes d’émissions des tracteurs routiers de la gamme FH. Atout dont ne bénéficiait pas encore Renault Trucks. Le classement décevant de Renault Trucks et d’Iveco tient aussi, à l’époque, au fait que ces constructeurs étaient assez impliqués dans le GNV (Renault Trucks avec les gammes D et D Wide, Ive co sur l’ensemble de la gamme). Or, par les mystères bruxellois, les mo torisations au mé thane sont étran gement pénalisées face aux motorisa tions gazole en g/ CO2/km. Un paradoxe plus qu’étrange, vu la moindre teneur de carbone de la molécule de CH4 face au gazole. Scania, également impliqué dans les motorisations GNV et GNL, s’en sort bien grâce à son choix d’ac tiver toutes les options techniques alternatives hybridation, électrification, biocarburants comme l’ED95, moteur diesel optimisé (et encore, il n’y avait pas la génération de moteurs Scania DC13 Super).

Hypothèses de trajectoires

Entre les déclarations et le classement publié, nombreux constructeurs ne sont pas restés inactifs. Le renouvellement des gammes Daf, intervenu entre 2021 et 2022, aura un impact positif. En effet, l’outil de simulation Vecto prend en compte les valeurs aérodynamiques. Les nouvelles générations de cabines vont en profiter. Idem, mais dans une moindre mesure, pour Renault Trucks qui prodes moteurs à récupération par turbine à l’échappement (alias turbocompound) sur la gamme haute Renault T. Quant à Scania, la nouvelle génération DC13 Super devrait également apporter sa contribution à la trajectoire déjà bien engagée. Ce classement permet aussi de comprendre la stratégie de communication, voire commerciale, des constructeurs, mise en place depuis 2021. Volvo Trucks et Renault Trucks ne parlent plus qu’en électrons. Ford Trucks, fort malmené dans ce classement, a révélé ses projets de camions électriques à l’IAA 2022, et Iveco a soudainement annoncé un vaste plan d’électrification en 2022 avec les Nikola TRE. Outre les enjeux d’amortissement des investissements fait autour des camions à batteries, les constructeurs cherchent avant tout à s’inscrire dans une trajectoire leur permettant d’éviter les pénalités qui correspondront l’échéance de 2025. Jean-Philippe Pastre pastre@trm24.fr

1. Vehicle Energy Consumption calculation Tool (outil de calcul des consommations énergétiques des véhicules).

2. Journal officiel de l’union européenne L 309 du 30 novembre 2022.

3. Acea : Association des constructeurs européens d’automobiles.

4. VIN ou Vehicle Identification Number (numéro d’identification véhicule). C’est ce que l’on appelle communément le numéro de série qui identifie tout modèle, dans sa série et son type.

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