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La télématique à l’heure électrique ?
L’autonomie des véhicules électriques, les questions de recharge et de puissance disponible sont au cœur des questions que se posent les gestionnaires et exploitants. Si le sujet est déjà d’actualité dans l’univers du transport urbain de voyageurs, qu’en est-il des transports de marchandises ? Guillaume Perdu, président et fondateur d’Ekolis, a accepté d’être notre grand témoin sur ce sujet.
En matière d’électromobilité, les transports urbains de voyageurs sont en avance. Cela s’explique par la pression des élus locaux soucieux de promouvoir de « l’air pur à [leurs] habitants » (sic). Une pression qui pourrait également s’accroître si la proposition de la Commission européenne du 14 février 2023 se concrétisait. En effet, elle exigerait que 100 % des autobus neufs à immatriculer en 2030 dédiés au transport urbain de voyageurs soient électriques ou hydrogène. Les éditeurs de suites logicielles se sont donc saisis du sujet. Ainsi, le canadien Giro commercialise-t-il le module Minbus, complémentaire de sa suite Hastus. Il est conçu pour les véhicules électriques à batteries et en temps réel, il est capable d’afficher sur le graphicage les états d’énergie (via la télématique embarquée et le bus CAN du véhicule). Cela permet ensuite au logiciel de déterminer si les services peuvent être assurés, puis les besoins ultérieurs de recharge.
L’atout des données
Les constructeurs se placent également, avec leurs solutions de gestion de flotte pour lesquelles ils travaillent sur des modules adaptés à l’électromobilité. Ils ont ici deux avantages compétitifs : d’une part l’accès privilégié aux données avec tous les codes, ce qui permet d’avoir toutes les informations de bord. D’autre part, une connaissance, même théorique, du comportement du véhicule, de ses batteries, de sa régénération électrique ou du pilotage des périphériques consommateurs d’énergie. Dès lors, les systèmes télématiques deviennent plus fins. Ce qui confirme le fait, bien connu par ailleurs, que l’information et l’accès à l’information ont une valeur stratégique. Pour les constructeurs, ce traitement des données est également fondamental pour les enjeux de garanties : en autobus, les constructeurs comme le suisse Hess ou le polonais Solaris Bus ont des clauses très strictes de roulage sous fil pour leurs trolleybus avec système d’autonomie par batteries (les trolleybus IMC de dernière génération). La garantie contractuelle ne s’applique que si l’exploitant respecte scrupuleusement l’état de charge (state of charge, SoC) des batteries de traction, afin de ne pas les stresser ni entamer leur potentiel de cycles. Un potentiel faisant souvent l’objet d’engagements contractuels lors de la conclusion des appels d’offres. Iveco Bus propose des contrats de maintenance intégraux pour lesquels il assure le suivi de la vie du véhicule mais aussi de la recharge en dépôt.
Via l’export des données API*, les données peuvent ensuite être exploitées dans les outils progiciels (comme ceux des éditeurs TMS**). Pour le moment, les systèmes sont cloisonnés. En effet, les fournisseurs de chargeurs (ABB, Comeca, Ekoenergetyka, EVBox, Heliox, IES Synergy et Siemens, entre autres) proposent leurs solutions pour programmer les recharges et obtenir les retours d’information sur l’avancement du processus d’avitaillement des véhicules (puissance disponible, délivrée en instantané, état d’avancement, défauts éventuels). Mais cet état de fait ne devrait pas durer selon Guillaume Perdu : « Est-ce qu’il y a des outils ? Oui. Est-ce que le marché est là ? Non. Mais la dynamique est vraiment en route ». Alors, qu’est-ce qui bloque ? Il explique : « C’est un peu le problème de l’œuf et de la poule. Toutes les briques technologiques sont là. Je sais où est mon véhicule, je sais quelles sont ses données métriques et ses performances ». Vu l’avance du transport urbain de voyageurs sur ce sujet, pourrait-on voir à terme des échanges entre prestataires du TRV et du TRM sur ces sujets ? Le président et fondateur d’Ekolis confirme que l’idée pourrait avoir un intérêt : « Se mettre autour de la table entre éditeurs [de progiciels, N.D.L.R.] pourrait offrir des opportunités ». L’électrique est donc un levier très puissant pour la diffusion de la télématique embarquée.
Le développement des offres de véhicules électriques dans les portefeuilles des constructeurs de camions devrait se traduire par des offres complémentaires dédiées. Renault Trucks œuvre à de nouveaux outils d’optimisation liés à ses modèles de la gamme E-Tech. Les constructeurs sont-ils seuls à bord ? Pas forcément, ainsi Guillaume Perdu révèlet-il que son entreprise travaille pour le compte d’Hyliko. « On a signé avec Hyliko un développement spécifique pour eux à partir d’outils Ekolis. Parmi les nouvelles fonctionnalités, outre l’heure estimée d’arrivée déjà connue, on développe un trajet sécurisé en termes d’autonomie ». Pour les développements futurs, les éditeurs peuvent avoir des échanges avec des clients pilotes. C’est le cas entre Ekolis et


Gautier Fret Solutions situé à proximité de l’entreprise, ce qui facilite les échanges entre les équipes d’exploitation et de développement.
Priorité : éviter l’immobilisation batteries vides
Guillaume Perdu confirme que l’autonomie et la peur de la panne sèche constituent un frein psychologique au développement des véhicules électriques : « Il est important de rassurer les conducteurs pour les embarquer dans le virage énergétique. Ce sont eux qui vont découvrir le quotidien avec les nouvelles énergies. L’inconnu est source d’angoisse. Il faut éduquer et rassurer les acteurs. Ce sujet de la performance en écoconduite est déjà connu en diesel ». Le sujet est partagé par les exploitants et les chefs d’entreprise : « Ils nous ont confrontés à cette question : pour chaque énergie/véhicule, je vais devoir adapter les tournées à l’autonomie restante en temps réel ».

À ce petit jeu, les différentes énergies ne sont pas sur un pied d’égalité. Les véhicules diesel, fonctionnant au gazole ou au B100 flexible, ou au HVO ou hybrides, partent avec un immense avantage. La difficulté s’accroît avec les véhicules non conventionnels, à savoir les B100 exclusifs, les véhicules GNV, puis hydrogène et enfin électriques. Entre véhicules GNV, il y a aussi une inégalité : les GNC à gaz comprimé ont davantage de stations sur le territoire national, mais moins d’autonomie. Schéma inverse pour les GNL, qui disposent de davantage d’énergie stockée à bord du fait d’une plus forte densité mais souffrent d’un réseau de stations d’avitaillement moins dense. Pour les tournées régulières et les avitaillements sur site (en agence), tout va bien. Ce cas d’usage s’apparente beaucoup (kilométrage mis à part) aux véhicules de transport urbain. Mais le transport de marchandises ne se limite pas à ces tournées prédéfinies. Guillaume Perdu le confirme : « Dans le TRM, on est confronté à des situations moins prédictibles qu’en urbain ». D’où l’usage quasi généralisé de la géolocalisation. « C’est notre métier de localiser les camions. Mais on peut aussi localiser les stations, avec nos bases de données ou celles des clients. C’est aussi notre métier de les accompagner, afin de leur offrir une autonomie opérationnelle quelle que soit l’énergie choisie. C’est clairement une problématique entre l’énergie et le réseau correspondant », résume-t-il. « On a présenté à Technotrans 2023 l’application d’écoconduite Ekolis compatible multi-énergies. Notre outil est agnostique : il peut évaluer aussi bien des véhicules diesel, GNV, électriques ou hydrogène », afin de répondre « à la pression qui impose aux transporteurs d’intégrer des véhicules électriques ou GNV dans leurs plans de tournées. Cela crée un lot d’incertitudes. Les transporteurs ont commencé à prendre le virage des nouvelles énergies. Ils l’ont intégré dans leurs décisions stratégiques ». Sont concernés les futurs investis- sements dans les véhicules électriques ou à hydrogène. « Cet outil d’écoconduite va nous permettre de tirer la quintessence de l’autonomie. Aujourd’hui, sur l’autonomie des véhicules électriques, on a plutôt des choses théoriques. L’analyse des performances de conduite va permettre d’aboutir à des données plus proches de la réalité. Une fois l’autonomie théorique obtenue, la question qui suit est : l’a-t-on réellement ? Au-delà de la question de l’autonomie, il y a aussi la question des prix de revient. Ici, l’enjeu est de réduire la facture énergétique de l’entreprise. Et celleci peut se présenter comme la somme de toutes les consommations individuelles ». Au premier rang des chefs, figurent les véhicules bien sûr ! Au-delà de la question budgétaire et opérationnelle, se pose la question sociale. Quid de l’acceptation de cet outil par les conducteurs ? « Les comparaisons en temps réel, le même jour, des différents véhicules, de la topographie, en fonction de leurs moyennes horaires, de leurs charges, permettent de noter de façon incontestable les performances des conducteurs », estime Guillaume Perdu.


Rigidités électriques
L’autonomie électrique est une chose, mais la puissance disponible au chargeur conditionne tout autant l’exploitation. La puissance de la borne n’est rien si celle délivrée en entrée par Enedis ne suit pas. Se pose ensuite la question de la répartition de cette puissance électrique réellement disponible au chargeur : si deux véhicules lourds (avec par exemple 200 kWh de batteries) chargent en même temps, la puissance sera répartie. Cela fausse les anticipations de temps de charge et peut devenir un piège pour l’exploitation. À moins de les planifier en attribuant les priorités. D’où le scepticisme de Guillaume Perdu vis-à-vis de prestataires qui prétendent pouvoir donner des outils de planification de tournées pour les véhicules électriques avec le pilotage des chargeurs : « La planification de la recharge des véhicules électriques fait clairement partie de la phase 2 et c’est dans les tuyaux. C’est un sujet bien plus sensible pour l’électrique à batteries que pour l’hydrogène en raison du temps nécessaire pour rétablir l’autonomie. On doit raisonner en disponibilité des chargeurs et en puissance réelle délivrée. Pour l’instant, c’est trop tôt » Voilà qui repose la question des choix énergétiques. Guillaume Perdu a un avis sur la question qui confirme celui de nombreux observateurs de terrain, qu’ils soient industriels ou transporteurs : « Il n’y aura pas une solution pour tous les cas d’usage. L’hydrogène semble être [pour le futur, N.D.L.R.] la solution qui répond aux missions long routier. La filière qui se met en place est intéressante. Je ne vois plus de menaces ni d’incertitudes sur celle-ci autres que légales »
Jean-Philippe Pastre pastre@trm24.fr

En Bref
Mazo mise sur le digital avec Astrata
L’ espagnol Grupo Mazo s’est lancé dans l’utilisation des solutions de gestion de flotte il y a 12 ans. Il a choisi Astrata afin d’optimiser les missions de chacun de ses conducteurs et tracer les transports sous température dirigée. Mazo a opté pour l’application Mission Planner, qui permet une communication synchronisée entre les exploitants transport et les conducteurs. La société de transport frigorifique est sur le point de mettre en œuvre la solution DataLinc, qui centralise sur l’unique plateforme Astrata FleetVisor les données télématiques des remorques provenant de systèmes tiers intégrés en première monte par les carrossiers, ou issues des boîtiers télématiques des principaux équipementiers du marché, soit plus de 100 intégrations déjà opérationnelles.

MICHELIN Connected Fleet fête ses
un an
Lancé fin 2021, MICHELIN Connected Fleet rassemble sous une seule marque l’ensemble des services et solutions avancés de gestion de flotte qui préexistaient au sein du groupe Michelin sous différentes entités, dont Masternaut pour l’Europe. À ce jour, 10 000 clients utilisent les solutions MICHELIN Connected Fleet en Europe, ce qui représente un parc de 250 000 véhicules. En 2022, un nouveau site web présentant l’offre a vu le jour. Côté réseaux sociaux, l’ensemble des comptes existants ont été habillés aux couleurs de MICHELIN Connected Fleet, avec des publications autour des problématiques des gestionnaires de flottes et une communauté, grandissante et engagée, interagissant autour de ces sujets.
Le Challenge Éco-Conduite AddSecure 2022
Ce sont 11 000 conducteurs routiers qui ont participé à l’édition 2022 du Challenge Éco-Conduite organisé par AddSecure dans 6 pays. Les gagnants français sont Ambroise ABB dans la catégorie de la plus grande réduction d’émissions de CO2, les transports Bruneel pour le meilleur score éco-conduite et les transports Laporte dans la catégorie de la meilleure amélioration de l’index éco-conduite. Le challenge est ouvert à tous les clients AddSecure Smart Transport et se base sur l’indice d’éco-conduite AddSecure. Les entreprises étaient divisées en 6 catégories différentes en fonction du pays (France, Suède, Norvège, Finlande, Danemark, Allemagne) et en une catégorie pour les opérateurs de bus en Europe.
Hybridation télématique du transport sous température dirigée
Ekolis lance à travers son offre Infinity une plateforme destinée à traiter les données de suivi des températures du transport frigorifique. Le système fonctionne avec n’importe quels matériels et sondes embarqués dans les véhi- cules. L’offre d’hybridation s’appuie sur l’expertise d’Ekolis, dont la plateforme Infinity traite à ce jour les données de température de 3 500 véhicules frigorifiques, soit 250 000 remontées d’informations quotidiennes.

Sur les véhicules plus anciens, le spécialiste vient installer des balises de communication autonomes, connectées aux enregistreurs de températures et groupes frigorifiques, simples et rapides à mettre en place.